Les sciences ne sont-elles qu’une interprétation du réel ?
[Analyse problématique :]
En parlant d’interprétation du réel, nous
sous-entendons déjà que le réel reste inconnaissable et inaccessible. Ainsi si on réduit les sciences à n’être qu’une interprétation du réel au
même titre que n’importe quelle autre croyance, l’idée d’une objectivité
scientifique, l’idée qu’il y a des faits objectifs qui indéniablement
condamnent telle croyance à n’être qu’une erreur, devient caduque. A première vue donc, on serait donc
tenté de dire que les sciences ne peuvent se réduire à n’être que des
interprétations car il y a des faits.
Toutefois, nous devons admettre que certaines
sciences sont d’abord des sciences de l’interprétation. En histoire, il y a certes des faits, il y a des traces, qui corroborent
ou infirment telle interprétation. Mais lorsqu’on parle d’histoire, on parle
aussi de valeurs. L’histoire de France par des historiens français mettra en
jeu des valeurs. Tel historien valorisera tel personnage, aura à cœur de
ressusciter tel chemin culturel inemployé en fonction de ses valeurs. Ces
valeurs ne sont pas d’ailleurs forcément contraires au respect des faits et à
la compréhension des acteurs.
Par ailleurs, en sciences de la nature, on peut
avoir des théories efficaces dans certains domaines mais inefficaces en d’autres,
si bien qu’une autre théorie sera requise. Les faits
peuvent donc se ranger au sein de plusieurs théories concurrentes et parfois il
faudra attendre des faits inexplorés pour donner plus raison à telle
interprétation des faits plus qu’à une autre. Ici nous croisons l’idée de
théories comme interprétation du réel toujours en suspens, toujours
éventuellement à reconsidérer en fonctions des faits.
Alors nous faut-il maintenir un horizon de réel
et l’idéal de valeurs supérieures pour discerner la validité et la qualité de
nos interprétations ou faut-il aller jusqu’à dire qu’il n’y a décidemment pas
de faits mais que des interprétations ?
I – Les succès de la mathématisation
du réel montrent-ils que l’interprétation déductive du réel supplantera
définitivement toute croyance ?
A – La méthode de Descartes nous fait
espérer une mathesis universalis.
Présentation
de la méthode déductive de Descartes – les 4 règles de la méthode – ici on
évite les paralogismes, les sophismes – par exemple, les difficultés des
syllogismes en passant à l’évidence indubitable de la théorie des ensembles
(cheval bon marché est cher) [A faire]
B - La force de la déduction de
modèle mathématique est celle d’un fait intérieur rationnel sur les données
immédiates des sens qui demandent souvent à être réinterroger.
Il n’y a
pas de place chez les cartésiens pour une interprétation. Ici on a une
explication de l’univers par la compréhension de la raison qui l’a conçue.
Les
sensations sont trompeuses. Le changement de repère explique simplement que
nous voyons le soleil tourner autour de la terre tandis que du soleil on
verrait la terre tourner sur elle-même et révolutionner autour de l’astre sur
lequel on se tiendrait.
C’est bien
la force d’une déduction contre-intuitive au niveau des sens qui a expliqué au
mieux les phénomènes et permis de les prévoir. Les faits sensitifs ne sont pas
ici dignes de confiances à moins d’être revus à la lumière de la clarté
déductive.
C – Transition Critique : il n’y
a pas de métalogique ; il y a plusieurs logiques (tiers inclus, tiers
exclu) – il faut en revenir malgré la force déductive à des faits observables.
II – L’induction comme degré de
réfutabilité montre-t-elle qu’un progrès de nos interprétations théoriques
scientifiques du réel est possible ?
A – La connaissance par induction et
ses généralisations abusives.
« On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des
pierres : mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas
de pierres n'est une maison. », Henri Poincaré
B – La réfutabilité croissante d’une
théorie en même que sa résistance face aux faits est significative d’un pouvoir
prédictif croissant [Popper]
C – Transition Critique : le
fait observé n’échappe pas à la possibilité d’interprétations multiples
(exemple : canard lapin ; illusion de Lyer Muller)
Ainsi même dans les sciences de
la nature on n’échappe pas tout à fait à une question de valeurs. On peut même
se demander si l’interprétation logique, déductive qui accompagne les théories
scientifiques n’effacent pas à nos yeux tout un pan du réel ? Ne serait-ce
pas la pluralité des interprétations qui au fond révèle la richesse de la
poésie ? Une formule algorithmique n’a qu’un seul sens comme un énoncé
mathématique. Mais la vie consiste aussi en ambiguïtés, en hésitation, en
richesse pluraliste.
III – La valeur et la validité
pragmatique des interprétations permet de discriminer les interprétations – Les
sciences par leur efficacité expérimentale sont donc un type de croyances
préférables même si d’autres croyances et interprétation présentent des
avantages.
A – Du perspectivisme de Nietzsche
avec ses critères de valeurs saines au relativisme vulgaire instaurant l’ère de
la postvérité.
B – Les sciences sont un type de
croyances pragmatiques. Ceci s’oppose aux croyances par ténacité, par autorité
ou a priori même si elles ont des avantages. [Pierce]
Articulation
vers le C : Ce n’est pas un fait observé qui est la clé des sciences mais
un acte expérimental. On peut retenir de Nietzsche l’idée qu’une croyance qui a
un degré adaptatif au réel et qui en outre ouvre à une vision plus large n’est
pas certes forcément vraie mais elle est plus vivante, plus authentique.
C – Cette approche peut permettre de reconsidérer la phénoménologie comme une approche d’une évolution consciente de la conscience.
La science phénoménologique peut s'inscrire dans un paradigme épistémologique pragmatique qui pour rappel peut se présenter ainsi :
Nous le suggérons dans la réinterprétation suivante des méthodes de fixation de la croyance qu'avait énoncées Charles Sanders Peirce :
Cette réinterprétation pragmatique de la phénoménologie entend la déplacer de la phénoménologie classique par une phénoménologie herméneutique vers enfin une réelle phénoménologie pragmatique :
La question de base de la phénoménologie pragmatique est alors posée sur son paradigme évolutionniste. Si on observe le champ de conscience, et qu'on y distingue un ego, mais aussi et surtout un Soi qui se présente comme vacuité et automanifestation de ce qui apparait. On y distingue aussi un Non Soi du Soi ; le Soi s'étendant depuis des ténèbres lumineuses semblant inconscientes, nous pouvons poser que le Soi surgit de ce Non Soi. Si on admet une telle description du champ de conscience phénoménologique alors la question se pose de savoir si la manifestation relève d'une poussée aveugle comme Schopenhauer l'affirmait ou si elle relève d'un élan créateur comme en témoignaient Bergson ou Nietzsche ?