lundi 10 mars 2025

Eléments de corrigé sur le sujet : Peut-on affirmer à la fois que l'homme est libre et que la nature est soumise à des lois ?

 

Eléments de corrigé du Sujet : Peut-on affirmer à la fois que l'homme est libre et que la nature est soumise à des lois ?

 

[Analyse problématique :]

A première vue, l’affirmation simultanée que l’homme est libre et la nature soumise à des lois semble contradictoire. En effet, si la liberté est à entendre comme liberté de décision alors l’appartenance de l’homme au moins par son corps à la nature ne devrait pas agir sur ces décisions. Or s’il y a des lois de la nature, par son corps, l’homme obéit à ces lois et forcément ses actes sont influencés par elles. Ceci rend dès lors ces lois contraires à une liberté de décision sans faille.

Cependant, il y a au moins deux modes de considération de la question qui nous invitent à ne pas nous en tenir à cette première réponse.

Tout d’abord, on peut entendre la question de la liberté ici non sous le mode d’une libre décision sans influence externe mais sous le mode d’une connaissance. En effet, plus je me connais en connaissant ce qui me détermine, moins je subis ces déterminations. Par exemple, je peux apprendre dès lors à contourner ces lois grâce à des techniques. D’autre part, je peux peut-être repérer les illusions que ces lois produisent au niveau de l’impression d’une libre décision et apprendre à m’en méfier. La liberté comme chemin de connaissance n’est pas alors contraire au fait que la nature soit soumise à des lois.

Par ailleurs, comme ici une interprétation de la liberté réduite à la seule libre décision est un préjugé, notre représentation de lois de la nature peut aussi l’être. Si nous entendons par lois, un processus matériel qui ne conduit qu’à une seule série d’événements, nous associons les lois de la nature à un déterminisme absolu. Or les sciences de la nature montrent désormais tant au niveau des calculs que des faits que les lois génèrent un indéterminisme événementiel. Dès lors dans nos actes liés à des décisions, il y a une marge d’indétermination même si des lois sont à l’œuvre. En outre, il se peut même que les lois de la nature ne soient pas éternelles. Ce sont peut-être comme des jeux de processus habituels de la matière mais par le jeu du hasard des flux, un cours d’eau peut modifier la nécessité de son écoulement dans un lit.

Enfin nous ne pouvons ignorer que des traditions métaphysiques ont défendu un compatibilisme. Cette doctrine se présente par exemple avec l’idée d’un Divin omnipotent connaissant par avance nos décisions, tout en maintenant l’idée que nos décisions en bien ou en mal relevaient pour la majeure partie de notre choix et donc de notre responsabilité. Ces doctrines sont un visage de ce qu’on appelle le compatibilisme, un point de vue où le libre-arbitre peut être pensé paradoxalement comme réel dans un univers régi par des lois et des prédestinations.

 

I – Le compatibilisme affirme que libre-arbitre et existence éternaliste de tous les événements sont compatibles.

 

A – Dans l’hypothèse du Divin omnipotent, l’exigence morale aboutit au compatibilisme.


Si Dieu connait à l’avance notre rapport au bien et au mal, pourquoi a-t-il créé des êtres condamnés au mal sans retour ? S’il l’a fait n’a-t-il pas dès lors contrevenu au bien. Or si le Divin et le Bien ne font qu’un, comment justifier ceci ?

On peut envisager une autre idée de l’omnipotence divine en s’inspirant des idées développées par Leibniz, un philosophe allemand mort en 1715 ou par Philip K. Dick, un auteur de science-fiction du 20ème siècle. En fait, à chaque instant, tous les univers possibles liés à nos décisions existent, l’univers où je me suis levé ce matin coexiste avec l’univers où je suis resté au lit. Mais à la fin seule ma version gagnant la perfection du Bien existerait pleinement. P. K. Dick a particulièrement développé cette idée dans son roman Le maître du haut-château : un univers où les nazis alliés aux japonais ont triomphé des USA voit se rencontrer des sujets avec ceux d’un autre univers où ces forces ne se sont pas imposées. Peu à peu, cela grippe totalement le pouvoir en place et cela tend à une configuration se rapprochant de celle où ces forces ont été vaincues.


B – En physique, on peut raisonnablement poser la question de voyages dans notre propre futur, ceci suppose un éternalisme et ouvre un espace à des décisions contingentes donc libres.


Le passé est irréversible pour de nombreux physiciens. Je ne pourrais pas tuer mon arrière-grand père. Mais à partir d’un instant présent, un voyage vers un futur n’est qu’un chemin de devenir virtuel et donc réversible. Marty McFly dans Retour vers le futur change ainsi ses comportements en revenant vers son présent ayant constaté les effets nocifs de ses impulsivités pour lui, sa famille et ses amours.

Pour la science, il se pourrait que la lumière quand elle emprunte le chemin le plus économique, par exemple en changeant d’angle en entrant dans un liquide, le fasse grâce à des particules virtuelles lancées dans le futur et revenant l’informer. On a là comme une rétrocausalité du futur vers le présent.

Donc le compatibilisme peut être lié non seulement à des hypothèses métaphysiques adossées à des croyances religieuses, mais aussi à certaines approches des sciences de la nature.


C – Transition Critique : Cependant, malgré elle, cette hypothèse de pensée compatibiliste nous ramène vers l’idée d’une connaissance au fondement véritable de la liberté.

 

II – La philosophie du déterminisme comme voie de connaissance est une voie de libération.


A – il ne faut pas confondre le déterminisme et le fatalisme.

Voir cours. Prédéterminisme compatibiliste ou déterminisme absolu présentent le danger de générer du fatalisme.

Articulation vers le B : Le fatalisme relève du premier genre de connaissance. La pensée déterministe est fondée sur la raison, un deuxième genre de connaissance par rapport au premier de genre de connaissances qui est opinion, imagination, etc. Il permet des techniques de contournement des déterminations. Mais parfois la connaissance rationnelle de ce qui nous détermine ne semble pas nous en libérer. Le fumeur connaît les méfaits du tabac mais continue son tabagisme. Alors ?


B – Par le troisième genre de connaissance, le sage est celui qui intègre le corps de l’univers comme son corps, il se découvre une autodétermination de l’univers, il n’est plus déterminé de l’extérieur. [A développer en le précisant]


L’émotion n’est plus subie, le manque est vu comme subi, connu par identité, il devient une énergie dont on dispose pour agir. Ici on a une libération par une connaissance qui se fonde sur une vision englobante intuitive de l’autodétermination de la nature par elle-même. Du fait de cette vision englobante due à sa connaissance, pour le sage, il n’y a plus de forces le dominant de l’extérieur. Toutes les forces agissantes sont perçues par le sage comme ses propres forces et sa propre volonté. [A développer en le précisant]

C – Transition Critique :

La connaissance est un désir, un désir réfléchi, ce qui est un choix volontaire à un autre niveau. Une émotion peut être un processus causal ou devenir par connaissance une énergie libre indéterminée. Les lois de la nature ne relèvent donc pas alors d’un déterminisme absolu contrairement à ce qu’affirment Spinoza ou Laplace.

 

III – L’existence d’une liberté créatrice suggère que la nature n’est pas, à strictement parler, soumise à des lois, mais que la nature est le résultat d’une évolution de la matière où germent des formes habituelles et des formes nouvelles de vie.


A – L’évolution du vivant comme fleuve de la vie où le hasard redessine la nécessité.

L’élan de vie, le processus d’indéterminations qui s’insère dans le déterminisme matériel s’appuie aussi sur des systèmes d’interdépendances des processus vivants ainsi créés. Un écosystème est lié à un tissu d’interdépendances, en même temps que l’évolution du vivant modifie ce système sans cesse. On n’a pas ici affaire à des lois éternelles. Des équilibres nouveaux se font jour dans une transformation constante des processus.

La crise écologique actuelle montre que nous avons le privilège de faire des choix déséquilibrants pour le système vivant dans sa globalité, la biosphère. Ces déséquilibres ne menacent pas la vie, mais des écosystèmes avec lesquels notre existence dans des conditions vivables est soutenable.

La situation montre qu’on ne peut opposer dans la liberté la notion de choix et la notion de connaissance. Notre crise évolutive suggère que choix et connaissance doivent s’allier pour produire des innovations.

Nous avons à créer une nouvelle culture : déjà l’écoconception, l’économie circulaire ou le low-tech se répandent. Ces conceptions insistent sur l’imbrication des cycles naturels et industriels, la réparabilité contre l’obsolescence programmée. Mais ces solutions qui restent dans l’idée de se maintenir dans les équilibres écosystémiques sont-elles les seules solutions. Les solutions écomodernistes comme l’économie circulaire ou des solutions plus antimodernes comme le low-tech n’excluent pas une troisième voie : certains d’entre nous vont peut-être évoluer vers une autre forme de vie qui solutionnera ce déséquilibre. En tout cas, nous sommes les seuls êtres vivants capables de commencer à évoluer en conscience.

Nos créations ne sont pas soumises à des lois préexistantes que précisément elles contournent ou retournent en des chemins inédits. Cependant elles doivent trouver aussi de nouveaux équilibres respectant un équilibre systémique sous peine de couper la branche sur laquelle nous sommes assis. L’harmonie de nos choix et des équilibres systémiques n’est pas donnée, elle est aussi à rechercher et à créer.


B – La nécessaire réinterprétation du troisième genre de connaissance comme intuition créatrice au service de l’évolution globale du vivant.

La connaissance rationnelle de cette crise évolutive est malheureusement assez peu développée encore. Certains se rallient au fatalisme, au cynisme et au nihilisme. D’autres incapables de raison en restent à un genre de connaissance où l’opinion, l’imagination, et la simple satisfaction de ses pulsions égocentriques dans un cadre social suffisamment ordonné suffira.

Quel serait le type d’intuition créatrice qui, dans le contexte de ce que nous diagnostiquons comme une crise évolutive dont l’humain est la cause inconsciente, pourrait simultanément satisfaire à une liberté libre des déterminations sans contrevenir à des lois d’équilibres ? Ou plus exactement, dans la nouvelle forme que nous donnons donc à notre sujet, comment produire des systèmes de déséquilibres évolutifs suffisamment stables pour préserver la possibilité d’une vie digne de l’espèce humaine et ne pas s’interdire d’explorer des possibilités d’une espèce surhumaine ?

Une libre création artistique suggère que l’on peut se libérer de certains carcans mentaux et proposer une telle libération sans forcément utiliser la violence pour imposer une nouvelle manière de penser et de voir. Certains envisagent avec le transhumanisme une titanisation de l’humain ; l’influence, la longévité, les capacités de déplacement, etc. de certains seraient augmentées par rapport à d’autres. Les errances eugénistes du vingtième siècle et leurs violences ne sont pas loin. On ne fait pas du neuf en augmentant l’intensité de certains traits humains comme l’intelligence mentale, la force, l’influence, etc. Là encore, l’art comme espace de liberté créatrice nous prévient par ses dystopies et, par contraste, peut nous ouvrir à de réelles utopies, de nouveaux équilibres écosystémiques.

Après tout, comme un chat ou un chien ne comprennent que partiellement leurs maîtres dotés de conscience mentale évoluée, pouvons-nous comprendre mentalement une innovation qui consisterait à un mode de conscience au-delà de la connaissance mentale, proprement axé sur une connaissance intuitive par identité et créatrice ?

Ce n’est ni une connaissance libératrice sur fond de déterminations ni une liberté de décision détachée des équilibres environnementaux qui sera en harmonie évolutives avec les processus de la nature. L’affirmation que l’homme est libre et que la nature est soumise à des lois prend un nouveau visage ici. Elle a le visage d’un idéal devant nous. Un idéal qui s’efforcera d’être réaliste pour éviter une catastrophe au genre humain. Elle est une aspiration à une intuition créatrice qui ne soit plus obligée de se cristalliser sur le plan mental en perdant sa dynamique et son harmonie avec l’élan de la vie et son flux évolutif global.

 

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