lundi 29 juillet 2024

JUSTICE. Version abrégée pour retenir l'essentiel.

JUSTICE 1 - UNE SOCIETE JUSTE PEUT-ELLE ETRE INEGALITAIRE ?


I. Introduction problématique. 


Confondre l’égalité et l’uniformité revient à dicter à chaque individu une conduite, cela mène à une vision totale de la vie de chaque individu au service d’une masse, cela peut générer le totalitarisme. Toutefois nier l’égalité au nom de la différence ne risque-t-il pas de conduire à une autre logique de domination ? Une autre forme de totalitarisme cette fois fondé sur l’apologie de la force dominante. La logique communiste totalitaire confine à l’égalité comme uniformité, la logique fasciste à la différence comme inégalité de force entre les faibles et les forts qu’il faut défendre socialement des faibles. Pour répondre à la question « une société juste peut-elle s’accommoder d’inégalités ? », nous avons donc un équilibre à trouver entre quatre termes qui sont égalité et inégalité, différence et ressemblance. S’en tenir là ne permettrait pas de penser la situation d’aujourd’hui. Avec l’idée de liberté, nous pouvons rester vigilant face aux dérives totalitaires. Mais il faut nous demander dans quel rapport la liberté risque de légitimer une inégalité qui au fond à terme la nie : quel sens a le mot liberté pour quelqu’un qui vit en dessous du seuil de pauvreté ? Comme on avait précédemment vu que trop d’égalité finit par nuire à la liberté, il semble que trop de liberté justifie des inégalités de fait nuit à l’égalité de droit et au fond à la liberté. Une société juste est, on le voit, une société qui cherche à rester cohérente. Le mot « juste » évoque d’abord pour nous des relations sociales bien ajustées afin de ne pas se transformer en conflits d’intérêts généralisés. Le premier sens du mot juste nous envoie donc plutôt du côté des droits formels. L’égalité de droit peut-elle se penser avec un droit à la différence ? Puis prenant en compte le fait, il faut se demander si l’égalité de droit peut se passer d’une certaine égalité de fait ? Imposer une égalité de fait n’est-ce pas nier un droit à la liberté ?


II. Le pouvoir de la multitude. 


Une première façon de légitimer l’inégalité de droit est de souligner l’inégale dignité des hommes. Il est du point de vue éthique impossible de nier une égale dignité formelle de tous les hommes mais la vie sociale et politique souligne l’écart net entre un potentiel de dignité, la possibilité de gagner en dignité par une quête éthique de plus en plus exigeante et les faits. L’indignité n’a jamais été autant en vue, c’est même elle qui règne au risque de menacer l’avenir même de l’humanité. Ainsi des logiques de domination économique justifient des choix contraires à nos connaissances de plus en plus fiables en ce qui concerne l’écologie ou la climatologie et donc ainsi et surtout le choix des hydrocarbures alors qu’il existe des énergies propres et sans conséquences majeures pour le climat. Voir même ces logiques conduisent à mener des guerres pour s’assurer de la fiabilité des fournisseurs… Platon déjà avait posé le problème. Que vaut la démocratie lorsqu’elle décide que Socrate doit se mettre à mort en tant qu’athée et corrupteur de la jeunesse ? Ne faudrait-il pas que le pouvoir soit entre les mains de ceux qui savent ? Ainsi sans mettre en cause l’égale dignité potentielle de tout être humain nous aurions avec le sage la garanti même de l’accès de chacun à un pouvoir dont enfin il serait effectivement digne. Toutefois cette approche ne nous semble pas raisonnable. Car qui est sage ? Et s’il y a un sage croirait-il qu’il est opportun d’occuper le pouvoir politique ? Si nous non sages désignons le ou les sages nous gouvernant, comment serons-nous sûr de notre choix ? Même dans le cas de son application limitée au sein d’une vision où l’expertise technocratique se substitue à la sagesse nous savons que des éléments de choix continuent d’exister. L’erreur technocratique n’est guère évitable sans un regard critique qui en démasque les choix implicites. Plus globalement les affaires humaines ne sauraient être technicisées dans leur totalité : il faut le sens du mouvement opportun en politique, il ne faut pas exclure une fibre créatrice. Nous revenons à Spinoza qui préfère proposer des institutions où s’incarne au mieux la puissance de la multitude qui sera sans doute éminemment rationnelle dans la mesure où s’harmoniseront au fil du temps les diverses passions humaines, les disposant même parfois à rechercher une forme de sagesse qui libère de l’esclavage émotionnel et passionnel. Mieux vaut disperser le pouvoir entre tous les êtres passionnés ou exceptionnellement sages car alors leurs institutions et le gouvernement chargés de les mettre en œuvre soumis directement au pouvoir de la multitude incarneront une égalité de droit fidèle à l’égale dignité potentielle de chacun. Le droit naturel du plus fort vis-à-vis du plus faible s’éclipsera seulement devant le droit naturel issu du pouvoir de la multitude. L’agrégation des faibles condamne les forts à plus ou moins brève échéance à intégrer le droit naturel issu de la multitude qui implique la reconnaissance de l’égale dignité potentielle de tout être humain. Enfin, le sage sera de plus en plus protégé par le droit rationnel issu de la multitude et il rencontrera de moins en moins d’obstacle pour répandre ses idées politiques sur la place publique.


III. Une sagesse authentique s’oppose à toute politique sacrificielle. 


Ainsi le discours de la différence peut être entendu dans la mesure où une majorité risque de dominer telle ou telle minorité, où telle culture est menacée par telle autre, etc. Mais il s’agit de ne pas penser la différence et son respect en termes de lutte, de confrontations, de résistance. Il faut faire dialoguer les différences. Elles ne sont fructueuses resituées au sein d’une interaction de la multitude que le dialogue démocratique essaie de rendre conscient d’elle-même. Nos démocraties représentatives souffrent de ne pas avoir perçu à travers ses acteurs l’importance essentielle de la prise de conscience de la multitude par elle-même. Les acteurs politiques sont encore prisonniers d’une vision où au final la démocratie fonctionne comme une oligarchie par alternance de parties qui occupent sa tête. De ce point de vue le sens supérieur de la dignité qu’aurait un sage n’est pas isolable de la pluralité humaine car ce sens supérieur est éminemment un sens d’ouverture au dialogue. 


Trois conceptions de dialogue sont pour lui envisageables. 


Une première conception est celle considérée par Platon qui consiste pour le sage à tenir le rôle royal. La politique serait alors un système hiérarchique aspirant vers le haut en fonction du degré d’avancement spirituel qui rappelons-le se caractérise par la maîtrise philosophique du dialogue, c’est-à-dire de la dialectique. Voir dans les conceptions politiques de Platon une forme de totalitarisme revient à oublier la différence essentielle entre un pouvoir idéologique et un pouvoir s’exerçant à partir d’un savoir-faire dialectique. Platon juge la démocratie peu apte aux exigences du dialogue socratique puisqu’elle s’y est refusée et propose une alternative qui respecterait la dialectique, la forme de dialogue la plus authentique. 


Une seconde conception est celle du passeur. Cette conception ne prétend pas posséder toute la sagesse, elle ne prétend pas posséder le seul accès aux terres de la sagesse. Elle sait juste connaître un passage. Le modèle royal manque d’humilité, comme si un disciple ne pouvait pas dépasser le maître. Le modèle de Platon est un modèle social où finalement un système hiérarchique figé domine. Socrate n’est pas un roi, Platon a certainement manqué le sens ultime de la maïeutique : un accoucheur est un passeur plus qu’un un roi. Socrate ne dirige pas le dialogue, il le guide vers son authenticité. Il y a l’acceptation dialoguée du pluralisme politique par un passeur. La sagesse à la suite de Spinoza dans son traité politique est de reconnaître que l’ordre social reste l’expression plus ou moins consciente de l’action de la multitude. Vous pouvez instituer les lois que vous voulez dans le sens de la vertu et de la solidarité mais si la multitude n’en a pas la mentalité, ces lois resteront lettre morte, les logiques de domination l’emporteront. Pour que les lois soient crédibles elles doivent s’accorder avec la lente marche de la multitude. Mais cette multitude va t-elle quelque part ? Le passeur ne fera passer que ceux qui s’intéressent à ces terres de sagesse. Le mouvement du passeur n’est guère un mouvement politique puisqu’il est tourné vers une autre rive qui souvent n’a pas l’air d’être de notre monde. Pour que la sagesse du passeur aie une conséquence, il faut qu’elle ne tire plus seulement en avant ceux qui sont les plus avancés. 


Reste alors une troisième figure du dialogue et de la sagesse qui sans prétendre à une quelconque royauté de ce monde entend y jouer le rôle d’« un attracteur étrange » dans la mesure où il influence sans être toujours immédiatement perceptible. Le prophète, le réformateur social n’œuvrent que comme catalyseur de l’impulsion créatrice qui meut la multitude : l’avancée du troupeau est donnée non selon la position de sa tête mais de ceux qu’il néglige derrière. Les thèses de René Girard dans Le Bouc émissaire soulignent qu’on ne peut sacrifier personne pour le progrès du troupeau. Les retours des politiques sacrificielles tournant le dos à ce principe vital de notre civilisation ont produit les plus grands massacres de masse que la terre n’ait jamais connu. Et comme le souligne Jean-Pierre Dupuy à propos du libéralisme économique, la négligence de ce principe risque de produire de terribles injustices : on ne peut prétendre sacrifier quelque vie que ce soit au nom d’un bien-être futur.


IV. La politique est l’évolution de la qualité du dialogue. 


La liberté individuelle peut donc justifier des inégalités de fait concernant le partage politique des biens, que ce soit par exemple, l’éducation, la santé, le travail, le revenu, les loisirs, etc. Nous pouvons pour trouver un juste milieu entre liberté et égalité introduire la notion d’équité : il y a des partages égaux qui ne sont pas équitables. Un tel aura besoin de plus de soins que tel autre, par exemple. La liberté peut justifier des inégalités de fait mais elle ne peut justifier avec Rawls que les conditions matérielles et spirituelles des autres individus s’en trouvent détériorées. Il est normal que celui qui produit des richesses matérielles et spirituelles s’en trouve enrichi mais il n’est pas normal que son enrichissement provoque l’appauvrissement des autres. S’il ne s’agit pas là le plus souvent d’un sacrifice social qui entraîne la mort d’homme, il y a là encore malgré tout une dynamique sacrificielle. Le pouvoir appartient toujours à la multitude mais elle n’en a pas conscience et elle autorise alors des dynamiques sacrificielles. Aujourd’hui renoncer à l’action politique encadrant la vie économique revient forcément à faire le choix d’une politique sacrificielle. L’usage de la liberté est toujours au final dominé par les peurs et les désirs centrifuges qu’ils soient égocentriques, tribaux, ethniques, nationalistes, civilisationnels. Aujourd’hui, cette inégalité des mentalités politiques se croise aux inégalités économiques. Il s’agit donc d’incarner aujourd’hui un internationalisme lié à une évolution en faveur de la conscience de la multitude. Les résurgences communautaristes contemporaines loin de cibler politiquement cet internationalisme réagissent comme si les perturbations économiques internationales étaient d’origine communautaire. Ceux qui lient recherche de sagesse et évolution politique et qui rejettent toute forme d’inégalité injuste car sacrificielle sont ainsi prêts à proposer une ultradémocratisation s’appuyant sur l’exercice généralisé d’une communication éveillée dont l’origine lointaine est le dialogue dialectique. Les idéologies politiques seraient mortes car la politique ne serait plus l’application aveugle d’une idée mais la matérialisation sociale d’une mentalité éclairée par le dialogue authentique. Le citoyen serait celui qui participe au dialogue non celui qui vote pour un substitut de père ou de mère dont il attend tout. Peu à peu il deviendra évident que la politique n’est pas une lutte pour la représentation d’un système d’idées au pouvoir contre d’autres systèmes d’idées. Cette évidence n’aura plus rien de cynique dans la mesure où on n’acceptera plus de se contenter d’élire un homme politique mis en scène autour d’une rhétorique publicitaire comblant ainsi le déficit de la politique idéologique. L’action politique effective sera de plus en plus le fruit d’un dialogue qui connaîtra de moins en moins la situation où règne l’inégalité tyrannique d’une majorité imposant son point de vue à une minorité. Une impulsion collective émergera intuitivement de la communication éveillée. Pour décrire cette impulsion collective on peut considérer la volonté générale de Rousseau. La volonté générale est définie par lui comme l’intégration des volontés particulières où chacune est restituée dans son intégralité exceptée en ce qu’elle est divisée dans son choix de participer à l’action de la multitude. Le pouvoir selon notre approche est celui de la multitude quitte à ce que la multitude ne montre pas une forte conscience d’elle-même. Reste que le penseur et surtout le sage peuvent suggérer et participer par leur rayonnement culturel d’une autorité qui permet à la multitude de prendre conscience d’elle-même. Car l’autorité démocratique pour devenir légitime n’a pas à prendre le pouvoir politique. Elle se contente de suggérer ou mieux de rayonner et de témoigner dans l’action collective de la justesse de son impulsion évolutive. Cette autorité démocratique cherchant à inspirer la démocratie a pour atout son traitement non égocentrique, non ethnique, non clanique, etc. des problèmes sociaux. Elle peut être le vecteur culturel incarnant une autre façon de voir et de vivre. Cette autorité n’est pas seulement une force de résistance ou de dissidence, mais avant tout elle incarne une force créatrice qui ouvre la voie. Les révolutions passées se sont faites contre les représentants des forces du passé jusqu’à produire notre démocratie représentative et son économie de marché. Notre analyse relativise le conflit social et la logique d’opposition qui représentent seulement une nécessité quand manque une reconnaissance sociale et politique condition sine qua non du dialogue démocratique. La prochaine révolution sera sans doute non violente car elle ne renversera pas des dominations injustes mais nos propres verrous égocentriques qui empêche la fluidité créatrice du dialogue démocratique.



V. Conclusion - Résumé. 


Ainsi une société juste ne peut pas s’accommoder d’inégalités qui mettent en jeu une forme de sacrifice, qui empêchent une prise de conscience du pouvoir de la multitude humaine. Le paradoxe d’une telle société est qu’elle est animée par un sens de l’autorité qui implique une inégalité spirituelle implicite qui s’interdit pourtant tout usage de la domination dans la mesure où ce sens de l’autorité est fidèle à sa vocation d’une sagesse du dialogue.



Citations :


Jean-Paul Sartre : « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent. »


Simone Weil : « La vertu de justice consiste, si on est le supérieur dans le rapport inégal des forces, à se conduire exactement comme s’il y avait égalité. » 


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JUSTICE 2 - PEUT-ON JUGER AUTRUI ?


I. INTRODUCTION PROBLEMATIQUE. 

Le mot juger a deux orientations : mieux discerner ou émettre un verdict sur un être, le condamner éventuellement. Rendre justice semble nous imposer de juger moralement. Certes il s’agit d’établir les faits mais il faut bien juger les intentions, la nature de ce qui a conduit à l’acte : la folie, la préméditation, circonstances atténuantes, circonstances aggravantes, etc. Mais du point de vue moral, juger autrui comporte le risque de susciter la haine, la colère, la tristesse, etc., sentiments qui rendent immoraux. Juger autrui masque souvent une absence d’effort moral : « tu vois la paille dans l’œil du voisin, tu ne vois pas la poutre dans le tien », dit L’Evangile. Une éthique centrée sur la vérité condamnera le jugement moral comme vision illusoire du monde. Car tout acte que ce soient les miens, ceux des autres ou de l’univers n’obéit qu’à des lois universelles. Donc le jugement moral en attribuant l’acte à une personne est peu objectif. Rendre justice exige avant tout un acte de jugement objectif. Savoir s’il y a une justesse du jugement voire une justice a donc pour enjeu la question du libre choix et celle de la possibilité d’une action objective.


II. LE DETERMINISME REND INEPTE LE JUGEMENT MORAL. 


Juger moralement est illusoire puisqu’un déterminisme est à l’œuvre dans tous les actes : tout obéit à des lois nécessaires. Bien sûr, des développements récents de la physique laissent la place à un indéterminisme. Mais « Le hasard n’abolira jamais un coup de dés. » : l’indéterminisme ne fait pas de moi un être libre mais un être déterminé par le jeu du hasard. Ainsi même si le déterminisme n’est pas absolu, il suffit à rendre le jugement moral illusoire : lequel de mes actes est libre et dans quelle proportion ? Mais même si le déterminisme semble l’interprétation la plus efficace de ce qui apparaît dans la conscience, on ne peut pas statuer sur sa valeur concernant la réalité des choses. Les choses nous sont toujours connues à l’intérieur de l’esprit humain et jamais telles qu’elles sont en dehors de l’esprit humain : le réel que nous découvre la science ne peut que rester voilé. Malgré les apparences déterministes, Kant invite à parier sur le libre choix moral. Toutefois si le « moi » est vécu comme les choses c’est-à-dire que de l’intérieur de la conscience, comment le penser libre et non déterminé comme les choses ? N’ayant pas accès aux choses hors de l’esprit, n’y a-t-il pas plus de rigueur à bâtir une éthique à partir de ce qu’est la vie vécue du « moi » ? Il s’agit pour nous de mieux connaître les déterminations psychiques et ainsi de mieux agir. En acceptant ce qui arrive, on peut échapper aux limites du jugement moral. L’énergie que nous perdons à refuser ce qui arrive, sera de nouveau disponible. Au lieu de vivre avec l’idée de ce qui doit être du point de vue moral, nous commencerons « à simplement vivre au lieu de penser vivre ». Nous connaîtrons de moins en moins d’opposition entre notre expression individuelle, celles des autres et celle du tout qui se manifeste en nous. Au tribunal, le juge ayant intégré cette sagesse ne jugera pas moralement l’accusé, il se contentera de voir les faits grâce aux informations fournies lors du procès. Il jugera de la nature des déterminations qui menèrent au non respect de la loi et prendra les mesures qui en tiennent compte. Si l’individu est dangereux pour la vie sociale, on l’isolera pour l’empêcher de nuire. Mais on cherchera aussi à l’affranchir des déterminations qui l’ont poussé à ces actes afin de le réhabiliter socialement. Juger justement signifie ici voir et prendre conscience des déterminations afin de s’en libérer ou d’en libérer autrui de gré ou de force quand il menace la sécurité des personnes.


III. L’EFFORT DE JUGER : UNE ILLUSION BENEFIQUE. 


Mais nous avons vu que la morale elle-même affirme que le jugement moral en suscitant en nous des sentiments négatifs devient immoral. Juger moralement ne peut pas nous conduire à condamner radicalement l’autre. L’autre n’est jamais l’acte qu’il commet dans la mesure où la morale évoque un sujet non déterminé par ses choix. Il y ainsi par exemple une différence entre dire fermement à son enfant « tu as fait une bêtise, je vais te punir pour que tu y réfléchisses et ne le fasse plus » et lui dire d’un ton insultant et colérique « tu es bête ! Tu ne réfléchis jamais ! Je ne veux plus te voir ! Va dans ta chambre ou je te mets une baffe ! » : dans un cas le parent est au service de son enfant en lui donnant une bonne éducation, dans l’autre il sert inconsciemment son agressivité et sa morale reste superficielle. La morale nous permet de juger rationnellement des actes mais sans les refuser émotionnellement et sans les identifier à la dignité de la personne. Du point de vue pratique nous arrivons donc à réintégrer les principes éthiques exposés auparavant en évitant certaines difficultés. Dans la sagesse déterministe, en effet, il y a le rôle central de la connaissance. Il y a au fond la possibilité d’un effort ou non pour s’y adonner. Il y a donc bien un choix, insistera le moraliste. Le sage déterministe en réponse se distinguera du fataliste. On connaît l’argument paresseux. Inutile d’agir, ce qui doit avoir lieu aura lieu. En fait ce jugement induit une détermination : inutile d’agir. Le déterminisme inclut l’effort, il y a un effort de connaissance à mener. Mais il ne faudrait pas se faire d’illusion : ce n’est pas « mon » effort, c’est l’effort que le tout exprime à travers l’individu que je suis. Le « moi » entre en conflit avec soi, les autres et le monde car il n’aperçoit pas que tous les actes, les siens compris, sont le fruit des déterminations du tout. Etrange paradoxe : le sage m’invite à faire le choix pratique d’une connaissance de soi qui me montrera que le choix a toujours été illusoire. Il me montre qu’intimement nous sommes libres non en tant qu’une simple partie, mais comme une autodétermination du tout.


IV. JUGER : UNE PRISE DE CONSCIENCE CREATRICE. 


Juger moralement autrui prend ici un sens nouveau : il s’agit de lui donner la chance de se joindre à cet effort de prise de conscience. Nous pouvons lui et nous si notre amitié a cette teneur spirituelle nous aider à mieux voir. Il ne s’agit pas de s’autoriser des reproches ou d’exprimer à l’autre le refus de sa conduite mais de nous entraider à mieux voir ce qui nous détermine. Il ne s’agit ni de pardonner, ni de le condamner mais de se donner la possibilité de voir son illusion. Les décisions du moi relèvent de l’illusion mais le choix du refus de la connaissance de soi le rend davantage illusoire. Le bien et le mal du jugement sont relatifs puisqu’en soi tout est déterminé. Mais quelle acceptation de soi, de l’autre et du monde peut atteindre le meurtrier qui refuse à un autre de vivre ? En fait son meurtre part du refus de la réalité. Le sage connaît la relativité du jugement moral mais il sait qu’il y a là un préalable à la connaissance de soi, celui qui est incapable de respecter les règles sociales élémentaires refuse au fond d’accepter l’une des principales déterminations en présence : la puissance de l’ordre social. Par ailleurs il sait que le désordre social implique le désordre mental des gens, les victimes seront souvent blessées jusque dans leur compréhension de soi, des autres et du monde. La morale est donc un palier relatif mais un palier nécessaire en vue de la sagesse. Par ailleurs, si le sage se vit comme l’expression des déterminations du tout, il peut se découvrir une forme d’autonomie créatrice. L’immoralité apparaît bien plus qu’un refus de ce qui est, elle est un refus d’évoluer positivement, elle est un refus de créer qui amplifie les forces de destructions dans ce qui est. D’un point de vue, le sage veut la détermination du tout mais d’un autre point de vue, il est la conscience même du tout qui se donne des lois à soi-même et qui à travers ces lois qu’il se donne évolue. Lorsque nous nous donnons la loi morale à nous-même, lorsque face à autrui d’une autre culture morale que la nôtre nous trouvons des solutions inédites qui vont dans le sens du partage et de la rencontre, nous participons par cette autonomie à la conscience créatrice du tout. Cette autonomie s’avère créatrice, elle s’exprime par une intuition. Ici l’intuition n’est pas un pressentiment, l’intuition exprime l’évolution de l’union entre une partie singulière et le tout dans la conscience. Ainsi tel dilemme produira une solution inattendue rendant indépendante des conditionnements, c’est-à-dire de ce qui déterminait jusque là. Cette autonomie va plus loin que celle de Kant qui restait le résultat d’une procédure rationnelle. Celle de Kant pose ainsi des lois universelles définitives tandis que notre autonomie intuitive pose des lois universelles en devenir évolutif. Cette autonomie qui lie l’individu et la nature dans sa profondeur est la source de toutes les déterminations mais face à la singularité de situations inédites, nous voyons qu’elle n’est pas enfermée par les lois qu’elle a produites, elle fait émerger d’autres lois qui permettent de sortir des impasses suscitées par les vieilles lois. La sagesse s’inscrit donc au sein d’une évolution créatrice du tout qui ne cesse de remettre en chantier les morales relatives dans la rencontre avec les autres. Face à autrui, ce qui est en jeu est l’acte moral créateur qui puisse offrir à chacun de nous d’être davantage nous-même au service de nos rencontres. Du point de vue pratique, il convient alors de se demander si mon jugement me ferme ou non à la rencontre avec l’autre personne qu’elle ait commis un crime, qu’elle ait adopté un style de vie contraire à la morale qui est la mienne, etc.


V. CONCLUSION. 


Nous voudrions conclure en rappelant que le jugement d’autrui ne peut être considéré en dehors du jugement de soi-même et du monde. Nous ne pouvons jamais condamner l’autre moralement sans nous même nous condamner à refuser ce qui est et donc à être un facteur d’inertie pour l’évolution de ce qui est. Autrement dit condamner l’autre moralement c’est se condamner soi-même à l’illusion et à plus ou moins long terme à souffrir d’une évolution qui nous échappe de plus en plus. Bien sûr, il faut bien préserver la société des criminels. Mais nous courrons des risques à condamner des êtres humains sans soigner leurs blessures personnelles, sociales et culturelles : la criminalité continuera à croître. Les discours sécuritaires, les diatribes contre l’incivilité masquent une inertie morale qui sert une agressivité immorale sous-jacente et au fond un mépris de la dignité des autres humains : il est urgent de considérer l’évolution morale à laquelle nous appellent ces personnes sans repères (ou dans la confusion) pour la plupart blessées par manque d’amour.



Citations :


Jésus-Christ : « Comment peux-tu dire à ton frère : ‘frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil', toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? »


Victor Hugo : « Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison. »

 


VERITE. Une version abrégée pour retenir l'essentiel.

 Une vidéo sur la notion de vérité au programme par la chaîne antisèche avec Cyrus North :

La Vérité - Philosophie - Terminale - YouTube

Elle propose une autre approche que ce qui suit.

 

DEBAT N°1 : PEUT-ON DOUTER DE TOUT ?

 

INTRODUCTION

 

 

Si je démontre que je peux douter de tout, je n’aurai pas douté du raisonnement qui m’amène au doute. Y a-t-il une contradiction indépassable de toute tentative d’établir la possibilité d’une démarche sceptique ? Par ailleurs, peut-on se permettre de douter de certaines de nos obligations morales en ne les accomplissant pas ?

 

A – SUSPENDRE NOS JUGEMENTS PAR LE DOUTE AVEC LES SCEPTIQUES.

 

Une vidéo sur le scepticisme : micro-philo : le scepticisme - YouTube

 

On doit douter pour être vraiment heureux, d’après les sceptiques.

1 - les objections faites aux sceptiques.

Il y a trois objections classiques faites aux sceptiques. Premièrement, douter de tout confine à la folie puisqu’il n’y a plus moyen de se fonder sur rien dans les relations sociales pour échanger. Deuxièmement, douter de tout menace notre sécurité (insécurité) puisque doutant du danger on ira vers lui sans précaution. Troisièmement, douter de tout conduit à douter de la morale et donc justifie la pire immoralité.

2 - Réponses aux objections faites au scepticisme.

a - A propos de la folie.

Un fou doute rarement de sa folie. Si on suit Freud et la psychanalyse, la plupart des gens sont des névrosés mais, faute de se mettre en doute, il n’examine pas leur folie. Le sceptique authentique ne se contente pas de douter de tout. Il faut aussi qu’il sache douter de ses doutes. Au final il ne sait pas si ce qu’il voit, ce qui apparaît dans sa conscience est une illusion ou une réalité.

b - A propos de l’irresponsabilité face au danger.

La peur sert, il est vrai, à réagir face au danger. Douter du danger et donc de sa peur pourrait être dommageable. Mais le sceptique ne nie pas qu’il y ait des apparences de danger et des apparences de peur dans sa conscience. Son doute n’est pas un doute qui consisterait à tenir simplement ces impressions pour des illusions : il ne sait pas si elles sont illusoires ou réelles mais de fait en se positionnant ainsi il est sûr de ne jamais paniquer, il apprend de façon certaine à maîtriser sa peur qui se transforme alors en dynamisme pour l’action. Un sceptique authentique serait un guerrier redoutable puisqu’il ne craint pas la mort.

c - A propos de l’amoralité sceptique.

Quand le sceptique doute de la morale, il n’est guère authentique car au fond il est très aisé de douter de la morale. En vérité il est bien plus difficile de douter de ses doutes à propos de la morale car un sceptique authentique doit parvenir à douter de son ego jusqu’à le percevoir comme une apparence comme les autres. Bien plus il doit réaliser qu’il n’y a pas un théâtre de la conscience dirigé par un ego mais que le théâtre de la conscience est indissociable des apparences qui le composent et qu’il y a une illusion à le croire centré sur un ego. L’égocentrisme naturel de la conscience est l’obstacle le plus difficile sur le chemin du doute sceptique authentique.

3 - L’intérêt d’être sceptique.



 Libre de nos traumatismes du passé, libre de la crainte de la mort et de la douleur et enfin libre de notre désir égocentrique, ne serons-nous pas heureux ? L’ataraxie décrite comme un état de tranquillité et de sérénité quelles que soient les circonstances n’apparaîtra-t-il pas spontanément lors d’une démarche sceptique authentique qui ne se contentera pas d’être intellectuelle, mais qui sera aussi émotionnelle et physique ?

 

B – RENONCER A AVOIR TOUTE LA VERITE N’EST PAS RENONCER A ETRE EN VERITE.

1 – TRANSITION CRITIQUE - Les paradoxes du scepticisme.

a- Le paradoxe de l’enseignement du scepticisme.

Toutefois, dans l’optique d’une doctrine sceptique, comment justifier un enseignement ? Si on doute de tout et si on doute même de nos doutes, comment enseigner ? Si le sceptique s’identifie à une école de sagesse, il semble ne pas douter de tout. S’il doute de ses doutes à propos d’une telle école, elle ne pourra être considérée, ainsi que son enseignement, que comme des apparences. Comment exercer une pratique du doute fidèle à un enseignement considérée comme une apparence ?

Il y a là de nombreux paradoxes en perspective. Wittgenstein a bien montré dans De la certitude que le doute systématique interdisait de construire un enseignement. Il faut bien ne pas tout questionner systématiquement pour avancer au niveau des contenus d’un enseignement.

 

b - Le paradoxe d’une authenticité du scepticisme.

On peut répondre à ce premier paradoxe que le scepticisme est précisément un enseignement qui libère de l’idée d’enseignement, de maître à penser et d’école qui sont caractéristiques du dogmatisme, du sectarisme dans la façon de penser. L’enseignement sceptique serait comme un virus qui déconstruirait tout enseignement, y compris lui-même, dans ses tendances dogmatiques.

Mais alors il faudrait tout de même admettre qu’il y a des critères d’authenticité du scepticisme. Un scepticisme qui n’irait pas jusqu’à la déconstruction de sa doctrine ne serait pas authentique. L’authenticité demeure une forme de vérité.

2 - la vérité d’un Soi.

Une vidéo sur l’expérience de pensée du cerveau dans une cuve de Hilary Putnam (US, 20ème s.) et la réponse de Descartes :

#filosofix: «LE CERVEAU DANS UNE CUVE» (Français) - YouTube



Descartes montre qu’il faut bien un auteur du doute, que le doute sceptique, s’il élimine tout facteur d’égocentrisme intellectuel, passionnel ou physique ne peut pas nier qu’il y a quelqu’un capable d’exercer une liberté d’indifférence. Le quelqu’un en question n’a rien d’un quoi, d’une chose contenue dans la conscience dont on pourrait aisément douter. Ce quelqu’un n’a donc rien de commun avec notre personnalité, son caractère, son identité sexuelle, pulsionnelle, émotionnelle, mentale : c’est une dimension de notre conscience qui permet paradoxalement de nous identifier à notre personnalité et de nous en détacher.




Douglas Edison Harding et d’autres proposent de distinguer l’unique première personne qui surgit pure conscience et notre troisième personne, notre personnalité physique, pulsionnelle, émotionnelle et mentale. En cette première personne je suis aussi capable de m’identifier à une autre identité que celle de ma troisième personne. 



Cette première personne est la capacité d’être conscient de façon aussi égale de sa personnalité que d’une autre qui y apparaît. L’analyse de Douglas Edison Harding se relie aux traditions mystiques chrétiennes ou hindoues où la dimension divine de la conscience est seule authentique car source de liberté et créatrice d’identités diverses parmi lesquelles notre personne.

 

 

 

C – VIVRE EN VERITE AVEC UNE LIBERTE CREATRICE.


Le scepticisme s’il se contente d’atteindre l’ataraxie ne remarquera pas la liberté créatrice que sa démarche peut permettre de révéler au cœur de la conscience. Certes nous avons vu que Descartes insistait sur la liberté d’indifférence produit par la démarche sceptique pour la dépasser, mais sa vision de la conscience restait malgré tout celle d’un individu, d’une âme individuelle. Douglas Edison Harding permet d’envisager comme les platoniciens que notre âme soit intimement unie à toutes les âmes dans la conscience par essence divine. Reprenant Maître Eckhart, on peut dire que, selon Harding, l’œil par lequel je vois est l’œil par lequel Dieu me voit. 




Par la notion de divin ici sécularisée, nous pouvons, en nous détachant de toute religion constituée, évoquer la source des phénomènes de la conscience, la source de ce qui est. En tant qu’individu nous avons non seulement une liberté d’indifférence qui nous détache des phénomènes mais nous avons en nous une liberté d’intervenir parmi eux pour participer à leur évolution créatrice.

Le scepticisme comme de nombreuses conceptions de la vérité s’avèrent au final une forme de conformisme. Le scepticisme permet d’échapper au dogmatisme, mais il n’offre guère de moyen d’échapper au conformisme vu qu’il ne s’intéresse pas à faire évoluer le monde des phénomènes.



Le doute peut servir à regarder les phénomènes comme des apparences au lieu de s’y soumettre. Mais au-delà, le doute est nécessaire aussi pour se libérer de l’idée d’un impossible. Le doute devrait libérer du conformisme. Les génies créateurs sont ceux qui reculent les frontières de l’impossible.

Que signifie l’amplitude du doute sceptique sinon que notre conscience mentale n’est pas une connaissance intégrale de la vérité dans la mesure où elle n’a affaire qu’à des apparences. Contrairement à ce que pensait Descartes, la raison ne nous permet pas de tout connaître des apparences, jusqu’au point où derrière elles, la réalité apparaîtrait. Notre approche de la vérité est donc enfermée dans les limites d’une conscience humaine mentale. Serait-il possible que notre conscience dépasse cette limite-ci aussi en découvrant davantage en soi cette dimension de liberté créatrice ? Bergson parle d’intuition créatrice.




 

DEBAT N°2 : RENONCER A LA VERITE N’EVITERAIT-IL PAS DE L’IMPOSER AUX AUTRES ?

 

 

 

INTRODUCTION

 

Le perspectivisme affirme que chacun a un point de vue unique sur le réel. Cette singularité de point de vue n’est pas à déplorer car au fond si on l’accepte c’est un gage de tolérance. Affirmer une vérité, c’est affirmer la vérité de sa seule perspective et vouloir l’imposer aux autres. Il y aurait alors un dogmatisme inhérent au fait d’affirmer une croyance en la vérité universelle de sa perspective. Elle va à l’envers d’une vertu de tolérance.

Cependant si ma perspective est la tyrannie arbitraire sur les autres, si ma perspective est de leur imposer de servir mes désirs sans leur demander d’adhérer à ma vérité, le relativisme des perspectives ne se heurte-t-il pas dès lors à une limite morale ?

 

 

 

A - LA TOLERANCE RELATIVISTE ET SES LIMITES.

 

L’intolérance a toujours pour origine le fait que quelqu’un croit avoir la vérité et qu’il est prêt à l’imposer par la force aux autres. Si personne ne pensait avoir la vérité de façon absolue, il n’y aurait plus d’intolérance. La tolérance n’est-elle pas immédiate dès lors qu’on renonce à l’idée de vérité absolue ?


Du point de vue relativiste pluraliste et démocrate, toute croyance peut être tolérée hormis celles qui menacent les autres personnes.


 

Le relativisme affirme qu’il n’y a que des perspectives individuelles sur la vie. Le scepticisme affirme que la conscience mentale ne permet pas de trouver la vérité même si elle existe, mais malgré cela, il entend affirmer l’authenticité de son point de vue. Le relativiste affirme, lui, qu’il y a une authenticité individuelle, c’est-à-dire une forme de vérité vivante inhérente à toute perspective individuelle sur la vie.



Dans les dialogues interculturels, les difficultés viennent souvent du fait de perspectives bien plus hétérogènes que peuvent l’être des perspectives individuelles au sein d’une même culture. Au sein d’une culture, quand quelqu’un a une perspective hétérogène, on peut le soupçonner de folie.



 

Mais face à une autre culture, cette attitude est impensable. Cependant dialoguer ne nécessite-il pas de comprendre la perspective de l’autre ? Au fond, devant une perspective hétérogène parce que géniale, au bout d’un certain temps, une compréhension émerge. Si la tolérance relativiste consiste en ce que des perspectives individuelles ou culturelles se côtoient sans essayer de se comprendre, ne risque-t-on pas de peu à peu glisser vers le conflit pour obtenir une reconnaissance de l’autre ? La tolérance est une vertu insuffisante pour fonder la paix sociale et, plus encore, la solidarité. Le relativisme permet de développer une perspective individuelle, mais cette perspective ne risque-t-elle pas d’être égocentrique si elle n’est pas animée du désir de compréhension ?

 

 

 

 

 

B - IL NE FAUT PAS RENONCER A UNE CERTAINE VERITE DES SCIENCES POUR DEPASSER NOS ERREURS ET DECOUVRIR DE NOUVEAUX PHENOMENES.

 



La science cherche à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Pour elle comprendre ce monde consiste à l’expliquer dans ses processus.

Les sciences mathématiques essaient de nous défaire des erreurs de raisonnement tout en explorant des mondes fictifs cohérents du point de vue d’une logique et de certains axiomes.

La science physique ou la biologie émettent des théories prédictives dont des expériences testeront les prédictions. Une théorie scientifique n’est jamais une vérité absolue, la science est en perpétuel progrès cependant car elle esquisse des théories de plus en plus prédictives et qui résistent de mieux en mieux aux tests expérimentaux. En outre elle découvre de plus en plus d’objets et de phénomènes jusque-là inconnus.

L’explication scientifique nous offre une explication de plus en plus détaillée de l’évolution de l’espace-temps énergie jusqu’à l’apparition de notre espèce humaine.

Certaines lignes de faits s’imposent de plus en plus à nous à travers la démarche scientifique. On ne peut pas renoncer à cette vérité dès lors que nous nous sommes souvent servi des théories et découvertes scientifiques pour inventer de nouvelles technologies et que les limites de ces technologies nous sont souvent révélées par la science elle-même. La toxicité de certains produits inventés par des scientifiques nous est ainsi découverte par d’autres scientifiques. A l’heure où la question d’une crise écologique majeure se pose à nous, la science et ses esquisses de vérités nous sont plus que jamais nécessaires.

 

C - AU-DELA DES VALEURS ET DES FAITS OBJECTIF, L’EXPLORATION SPIRITUELLE DE FAITS SUBJECTIFS.

 

La tolérance implique de laisser libre cours à des valeurs subjectives permettant aux personnes de vraiment s’individualiser. Cependant cette individualisation personnelle et culturelle risque d’être égocentrique si elle ne s’appuie pas sur la valeur objective de la compréhension. La science fait écho à cette valeur objective en cernant des faits objectifs. Expliquer permet souvent de mieux comprendre et réciproquement.

Mais ces approches, si elles sont complémentaires, risquent d’oublier en quelque sorte une quatrième dimension de la question de la vérité. Il y a des traits subjectifs qui ne sont ni simplement personnels ni simplement interpersonnels. Il y a comme des faits subjectifs transpersonnels.




Une expérience de beauté n’est pas une question de préférence personnelle ou culturelle même si l’œuvre d’art exprime un style personnel. En effet la beauté semble effacer la confrontation entre un sujet qui observe et un objet observé : il y a le rayonnement de l’œuvre d’art devenu conscient. La beauté ravit la conscience de l’observateur, il n’y a plus un sujet face à un objet d’art. L’art devient comme le sujet d’un rayonnement ravissant la conscience à l’observateur qui semblait la maîtriser jusque-là. A vrai dire, si l’expérience de beauté a cette profondeur, on peut ouvrir la question de la vérité d’un fait subjectif à explorer. Il y a là une façon d’être vérité qui s’impose à certains et dont la spiritualité religieuse et philosophique a tenté de témoigner en évoquant le fait intérieur de la conscience infinie.

 

Il faut cependant admettre des interprétations et des perspectives diverses sur une expérience dont le fond est le même.



 



Piste pour aller plus loin :

Cliquez sur l'image pour la voir en détail. Le schéma à droite est une synthèse des perspectives sur l'infini de la conscience en débat sur le schéma de gauche.

dimanche 28 juillet 2024

PEUT-ON VIVRE AU MOMENT PRESENT ?

 

Introduction problématique

Du point de vue du temps objectif, il n’est pas possible de vivre autre part qu’au présent.

Qu’est-ce que le temps objectif ? Il est lié à une mesure du temps basée sur des rythmes et mouvements cosmiques : la course du soleil, l'écoulement, les saisons, les lunaisons, etc.



Distinguons le temps objectif mesuré et mesurable du temps subjectif.

Remarquons que le temps objectif est un ensemble de temporalités diverses apparaissant dans le vécu de la conscience, ce vécu temporel est intérieur ou temps subjectif propre à la conscience :








Accroche :

Le sujet prend sens du point de vue du temps subjectif, du temps vécu et non du temps mesuré.

On ne peut être heureux demain. Le bonheur s’il existe n’exige-t-il pas de vivre au présent ? Et plus précisément au présent du présent ?

Si partant de mon présent du passé, il y a nostalgie ou réminiscence traumatique, je ne suis pas heureux.

Si je me tiens dans le présent de l’avenir, en attente avec des espoirs ou des craintes, je ne suis pas heureux au présent du présent.

Cependant sans considérer le futur, est-ce qu’on ne reste pas une personne immature qui préfère s’amuser plutôt que de contribuer à l’avenir ?

Présentation du sujet :

Alors peut-on vivre au moment présent ? Peut-on vivre au moment présent et y trouver le bonheur ?

Analyse Problématique :

Tout d’abord, il faudra se demander si cela est possible. Ensuite nous nous demanderons donc si nous devons ou non vivre au moment présent. Cependant le présent du présent s’il n’est que douleur ou souffrance, comment y trouver le bonheur ? Ne faudrait-il pas basculer du présent à une atemporalité pour échapper au moindre être du temps qui cause la douleur et la souffrance ? Mais si cela est possible, n’est-ce pas fuir les obstacles et une tâche évolutive qui a lieu dans le temps ?

 

Plan

 

I – il est possible et il est mieux de vivre au moment présent.          

        

II - Non pas au moment présent mais à partir de la dimension atemporelle de la conscience.


III – L’aspiration à créer nous fait aspirer à plus de perfection que la perfection du présent ou de la nécessité éternelle.   


 

I – Il est possible et il est mieux de vivre au moment présent

 

A – La position métaphysique du présentisme peut nous faire réaliser nos illusions mentales sur le temps et nous procurer le plaisir d’exister au présent.



Si le présentisme est vrai : le passé n’existe plus et le futur n’existe pas encore. Du point de vue objectif, ceci n’empêche pas une suite causale d’événements mais le passé est une trace plus ou moins évanescente dans le présent et le futur ne peut germer que du présent. Le hasard rend le futur improbable et inattendu. Il n’est pas déductible du présent même si des tendances peuvent être prévisibles.

Le présentisme laisse une place pour notre libre-arbitre.

B - S’émanciper psychologiquement du passé et du futur est alors possible.

Si le passé ne nous détermine jamais strictement, on peut au présent se détache des traces qu’il a laissé.

Psychologiquement, pour préserver notre liberté, nous pouvons utiliser la méthode zététique (l’art de douter rationnellement) pour nous détacher des émotions qui s’associent à nos souvenirs du passé ou à nos anticipations du futur.

Exemple 1 : l’attention au moment présent amoindrit nos souffrances psychologiques



Du point de vue psychologique, on voit que souvent, ce qui nous éloigne du présent a tendance à créer un état déplaisant. Les souffrances psychologiques sont liées pour la plupart à la réactualisation du passé ou à des considérations pessimistes du futur.

Nos émotions sont souvent des agitations du moment présent parce qu’on souscrit à une réactualisation du passé ou des craintes concernant le futur. La tristesse est un refus d’un événement déjà passé. La colère vient du refus d’un événement passé que je reproche à une de mes relations présentes. Est-ce que ces émotions ne réduisent pas notre attention au présent ?

Mais que faire si toute notre attention est comme captée par la douleur ?

Exemple 2 : l’attention au moment présent empêche la pensée d’ajouter de la souffrance psychologique à de la douleur.

Lorsqu’on affirme avoir mal depuis trois jours, on confond mentalement la douleur physique présente et un souvenir des douleurs passées qui, elles, ne sont pas présentes sauf par une fiction mémorielle. On passe donc d’une douleur sensible présente à une souffrance psychologique.



 


Tout l’enjeu de cette réflexion est éventuellement de basculer de la pensée du temps objectif et du temps psychologique vers la perception présente de la vie sans être prisonnier d’aucune de ses apparences.

 

En arrière-plan de nos mentalisations qui font exister le temps psychologique négatif de la souffrance, nous pouvons reposer dans un vide silencieux, qui nourrit spontanément notre détachement.

La zététique nourrit la méditation, l’apprentissage de la jouissance de l’attention.

S’exercer à jouir de l’attention à 360 degrés permet de découvrir le plaisir en repos, le plaisir simple d’exister sans rien faire, sans désir autre que de prendre ce plaisir d’exister.

Cette attention à 360 degrés bien entraînée évite de se concentrer exclusivement sur nos drames et nos douleurs qui inévitablement un jour ou l’autre prendront place au moment présent.



C – TC : Mais le moment présent, n’est-ce qu’un flux temporel de la conscience selon Husserl (D, 19-20ème siècle) ?



Ce schéma résume l’approche phénoménologique du temps par Husserl. Il remarque que nous retenons dans notre présence consciente des traces du passé immédiat. Il appelle ceci la rétention. Il remarque que nous la conjuguons avec la perception à l’instant ainsi qu’avec l’attente ou l’intention tournée vers ce qui va suivre, qu’il nomme la protention.

Sans cette rétention et cette protention œuvrant avec la perception de l’instant présent, notre présence consciente ne parviendrait pas à entendre une mélodie ou lire une phrase. Nos musiques et nos actes de paroles reposent sur la présence consciente qui outre sa perception sensible à l’instant présent s’étire dans le passé et se tend vers le futur.

Nous pouvons mentalement éviter certaines illusions liées à ce phénomène quand elles renforcent la souffrance. Mais notre pensée, nos facultés proprement humaines, nos progrès nécessitent cette durée inhérente à la conscience présente ainsi que notre mémoire.


II – Non pas au moment présent mais à partir de la dimension atemporelle de la conscience.

 

A – Réalisation de la dimension atemporelle de la conscience



Cette illustration pointe vers une horloge, sa lecture nécessite la mémoire, saisir le déplacement de l’aiguille des secondes met en jeu la rétention, la protention et la perception sensible. Mais le doigt qui pointe vers l’activité intérieure de la perception pointe un espace consciente invisible. Même si elle est invisible, la transparence de cette conscience est perceptible puisqu’elle la conscience englobant tous les phénomènes y compris le phénomène construit mentalement qu’est la temporalité.



Lorsqu’on s’endort la conscience phénoménale s’absorbe dans la seule conscience invisible, vide de phénomène(s), il n’y a plus de flux de pensée d’un ego, et il n’y a plus de notion de temps. Lorsqu’on se réveille, on ne sait jamais combien de temps on a dormi et parfois on n’a pas idée de l’heure qu’il peut être si la chambre est plongée dans le noir.

La conscience dans son intériorité au-delà de notre subjectivité, des activités mentales, vitales et sensibles est sans forme, sans couleur, sans taille, etc. et donc pure présence atemporelle.

Notre expérience phénoménologique du temps se déroule dans la présence consciente au-delà du temps. Notre présence consciente comprend notre conscience subjective personnelle qui, elle, est liée au temps.

Le moment présent est basé sur la perception sensible distinguée de la rétention et de la protention ainsi que de la mémoire. Ici la présence la plus intérieure de la conscience est atemporelle, englobant le cours temporel des phénomènes. Ceci permet un détachement du cours temporel de notre vie subjective. Notre vie intérieure la plus intérieure est atemporelle, immuable, paisible donc, sans agitation, sans trouble, sans souffrance, sans douleur.

L’attention méditative nous ouvre à cette dimension atemporelle libre de tous les méfaits associés au temps…

Reste à approfondir le rapport entre le cours temporel et la présence atemporelle.

L’éternalisme est une première réponse. Est-elle spirituellement et moralement convaincante ?


B – L’éternalisme scientifique : la relativité d’Einstein

 


Ce qui est prévu à partir de la conception galiléenne et newtonienne :

 



Ce que l’expérience de Morley Michelson montre :



https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Michelson_et_Morley

 

Le raisonnement d’Einstein :





D’où la vision d’un espace-temps tel que dans le film Interstellar :

 

https://www.youtube.com/watch?v=0j-FqAmPf80

 

https://www.youtube.com/watch?v=xg33BL6VEZs



C – La conception éternaliste implique une acceptation du réel tel quel : « par réalité et perfection, il faut entendre la même chose », dit Spinoza.



L’éternalisme philosophique dont Spinoza est un défenseur ainsi qu’Albert Einstein, dans sa théorie de la relativité générale, présuppose que tous les phénomènes du temps sont comme tous existant éternellement.


Une présentation de cette thèse éternaliste par Etienne Klein, un physicien et philosophe :

https://www.youtube.com/watch?v=qtK_F4W0KJ0

Le déterminisme absolu en sciences physiques fait de cette thèse un lien possible entre la temporalité et la dimension atemporelle dont nous avons l’intuition en exploration la conscience infinie en laquelle nous percevons le temps.



Du point de vue pratique, cette théorie affirme que ce que nous vivons au présent ne peut être autrement qu’il n’est. La sagesse est dons d’accepter ce qui est vécu non pas seulement en s’y résignant mais en le voulant.



 

Pour le déterminisme absolu, les événements sont considérés comme immuables : les refuser amplifie leur caractère tragique du point de vue individuel.



On ne peut pas vivre sereinement au moment présent tant qu’on est identifié seulement à un esprit individuel, un ego dans un corps.




Vivre au moment présent en étant conscient d’être le tout vivant une expérience à travers notre personne relativise l’horizon vécu du corps et de l’ego qui inévitablement finirons par se dissoudre dans le tout… Selon la sagesse du déterminisme absolu, Tout est Un et notre durée individuelle limitée existera éternellement dans le tout qui existe lui éternellement.

Mais vouloir ce qui est inclut aussi notre action individuelle. Le sage indien Ramakrishna racontait une histoire invitant à éviter le fatalisme quand on commence à vivre le tout comme une perfection divine :

« Un certain guide spirituel enseignait à son disciple que toute chose créée était Vishnou (DIEU). Et son disciple le prit au mot. Un jour il rencontra un éléphant dans la rue. L’animal s’avançait vers lui et le cornac criait : « Ecarte-toi, écarte-toi ! » Le disciple raisonna dans son esprit : « Pourquoi m’écarterais-je ? Je suis Vishnou, l’éléphant aussi ; quelle crainte Vishnou peut-il avoir de Soi-même ? » Dans cette pensée il ne bougea pas. Finalement l’éléphant le souleva avec sa trompe et le jeta au loin. Il fut grièvement blessé, et, quand il retourna chez son maître, il lui raconta toute l’aventure. Le gourou dit : « C’est bien, mon fils. Tu es bien VISHNOU et l’éléphant l’est aussi. Mais pourquoi n’avoir pas écouté les avertissements du cornac VISHNOU qui te demandait de t’écarter ? » »

Le fatalisme est ainsi une impasse spirituelle mentale et pratique de l’adhésion au déterminisme absolu.


D – Transition critique : la position du déterminisme absolu risque d’effacer la question du mal, c’est-à-dire d’une perfectibilité individuelle et collective.


Si tous les temps sont nécessaires et s’inscrivent, par avance, dans une éternité, un danger spirituel est de ne pas voir que ce qui semble nécessaire et inéluctable peut parfois être transformé, si on veut bien soumettre ce qui est perfectible au perfectionnement.

Si le mal est reconnu comme une imperfection, les événements même s’ils sont parfaits sont aussi muables vers plus de plus de perfection.

Ceci est la thèse du compatibilisme. Le moment présent est alors ouvert à différents futurs possibles.

Les stoïciens mettent l’acceptation au centre de leur sagesse, mais pour eux nous pouvons par la sagesse gagner en liberté intérieure.

L’homme ordinaire soumis à ses désirs et ses émotions est un peu comme un cylindre sur une pente qui sera entraîné malgré lui par certaines forces. Le sage qui aura développé des vertus aura pris une forme intérieure qui lui en donnera une maîtrise relative. Des événements difficiles l’agiteront mais ne l’entraînerons pas dans une chute fatale.



L’instant présent est dès lors à la fois parfait et un lieu d’opportunités pour se perfectionner.

Vivre au moment présent est une vertu qui permet de ne pas être déterminé par notre passé, notre nostalgie, nos regrets ou de ne pas succomber à la crainte du futur ou à des espoirs fantasmatiques. Mais c’est aussi un lieu de conquête et de progrès de vertus qui nous confèrent comme une forteresse intérieure qui nous libère de la soumission à certaines forces qui suscitent des troubles psychologiques.

Le compatibilisme introduit l’idée de possibilités nouvelles, des chemins du temps qui n’étaient pas absolument déterminés à l’avance.



Certes ces possibilités, comme des chemins, existaient. Ils pouvaient être pris ou non. Mais les prendre ou non relève de certaines de nos décisions.

La vie serait alors semblable à ces jeux vidéo dans lesquels nos choix influent sur le scénario.



Au final, nous serions la conscience intemporelle en première personne s’identifiant à l’un des personnages d’un jeu à choix multiple en fonction des situations.

La sagesse consisterait à se souvenir qu’en arrière-plan du personnage que nous sommes temporellement appelé à jouer, nous demeurons ce joueur immuable, atemporel. Le jeu lui-même nous donnerait des opportunités de ne pas oublier notre véritable nature.

La sagesse compatibiliste stoïcienne est une philosophie de l’action et du perfectionnement. Ce n’est pas une philosophie de la résignation contrairement à certaines interprétations qui en sont faites. D’ailleurs, des monothéistes, qui sont aussi compatibilistes, ont perpétué cette pratique. Le philosophe et théologien américain Reinhold Niebhur qui au XXème siècle s’est opposé à diverses injustices en est un exemple remarquable. Sa célèbre prière qui a inspiré Martin Luther King et l'association des alcooliques anonymes doit tout à cette philosophie :



Il s’agit bien ici de vivre pleinement au moment présent avec à l’esprit d’agir au mieux. Il s’agit d’ouvrir la perfection du moment présent à une perfection future plus grande.



Pour vivre présent au moment, il ne s’agit pas dans l’action de se prendre pour l’univers, mais de jouer ce rôle que l’univers s’est donné à travers nous. Il ne s’agit pas là encore de résignation, mais de ce que la psychologie contemporaine appelle une juste estime de soi-même.

 

 

 

III – L’aspiration à créer nous fait aspirer à plus de perfection que la perfection du moment présent.

 

A – Peut-on moralement refuser ce qui est temporel et se réfugier dans l’éternel ?

Toutefois les traditions compatibilistes qui s’opposent à l’éternalisme du déterminisme absolu avec l’affirmation d’un possibilisme ne sont pas toutes aussi optimistes quant au perfectionnement possible sur le plan terrestre.

La tradition platonicien parle de la contingence, le fait que quelque chose puisse être autrement qu'il n'est. Celle-ci ouvre une dimension possibiliste, mais pour Platon, elle est due à une image instable de l’éternité qui, elle, est, par définition, immuable et parfaite.



Pour Platon, cette instabilité essentielle est une imperfection insurmontable du monde matériel.

Pour lui, nos vertus doivent nous tourner vers la perfection des mondes éternels, le monde temporel étant définitivement enchaîné à l’imperfection.

Schopenhauer va plus loin encore en disant que le temps lui-même est le commencement d’une manifestation d’une poussée aveugle de vie qui, par essence, est souffrance.

La dévalorisation du matériel au profit du spirituel est juste quand elle condamne le matérialisme égocentrique, mais elle semble moins authentique quand au lieu d’améliorer le cours de l’histoire, on s’en détache avec mépris.



Ce sont des attitudes nihilistes qui se basent sur la dimension atemporelle de la conscience pour dévaloriser le moment présent et s’en détourner.

Certes l’idée de ne chercher qu’à profiter du plaisir au moment présent n’est qu’une forme de perpétuation problématique. Le désir de sempiternité est l’erreur de chercher une prolongation indéfinie, elle sera forcément ennuyeuse ; c’est l’erreur de chercher l’éternité où elle n’est pas, ce désir sera forcément illusoire.

Mais le désir de créer, c’est dans le moment présent, saisir les opportunités de s’ouvrir au futur, de s’ouvrir à une nouveauté imprévisible. Le désir de créer, c’est le désir de vivre une aventure évolutive au lieu de se tourner spirituellement vers l’éternité en perpétuant une société figée. Car ces éternalistes comme Platon ou Schopenhauer qui méprisent le monde temporel estiment que le sage s’épanouirait mieux, si cela se présente, au sein d’institutions politiques pyramidales, voire hiérarchiques. Pour eux, des sociétés où font autorité des traditions même imparfaites sont préférables à ces sociétés libérales où les individus s’égarent spirituellement. Mais l’aventure spirituelle authentique, n’est-ce pas parfois s’égarer pour évoluer en une forme de vie nouvelle ? Enfermer la spiritualité et la philosophie dans une forme éternelle, c’est déjà  privilégier l’Être et/ou le néant sur le Devenir. Le rejet du Devenir, c’est couper la réalité et le tout en deux.


B – La durée et l’éternité avec Bergson et Louis Lavelle (F, 20ème siècle)

 

1) La durée contre le temps spatialisé


- Le paradoxe d’Achille et la tortue selon Zénon D’Elée


- La réponse de Bergson : la durée

 

Une réponse au paradoxe d’Achille et la tortue :

https://www.martingrandjean.ch/bergson-paradoxes-zenon-achille-tortue/

 

 Voici un texte de Bergson sur la durée :


 « Mais quant à la vie psychologique, telle qu'elle se déroule sous les symboles qui la recouvrent, on s'aperçoit sans peine que le temps en est l'étoffe même.

   Il n'y a d'ailleurs pas d'étoffe plus résistante ni plus substantielle. Car notre durée n'est pas un instant qui remplace un instant : il n'y aurait alors jamais que du présent, pas de prolongement du passé dans l'actuel, pas d'évolution, pas de durée concrète. La durée est le progrès continu du passé qui ronge l'avenir et qui gonfle en avançant. Du moment que le passé s'accroît sans cesse, indéfiniment aussi il se conserve. La mémoire, comme nous avons essayé de le prouver, n'est pas une faculté de classer des souvenirs dans un tiroir ou de les inscrire sur un registre. Il n'y a pas de registre, pas de tiroir, il n'y a même pas ici, à proprement parler, une faculté, car une faculté s'exerce par intermittences, quand elle veut ou quand elle peut, tandis que l'amoncellement du passé sur le passé se poursuit sans trêve. En réalité le passé se conserve de lui-même, automatiquement. Tout entier, sans doute il nous suit à tout instant : ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance est là, penché sur le présent qui va s'y joindre, pressant contre la porte de la conscience qui voudrait le laisser dehors. Le mécanisme cérébral est précisément fait pour en refouler la presque totalité dans l'inconscient et pour n'introduire dans la conscience que ce qui est de nature à éclairer la situation présente, à aider l'action qui se prépare, à donner enfin un travail utile. Tout au plus des souvenirs de luxe arrivent-ils, par la porte entrebâillée, à passer en contrebande. Ceux-là, messagers de l'inconscient, nous avertissent de ce que nous traînons derrière nous sans le savoir. Mais, lors même que nous n'en aurions pas l'idée distincte, nous sentirions vaguement que notre passé nous reste présent. Que sommes-nous, en effet, qu'est-ce que notre caractère, sinon la condensation de l'histoire que nous avons vécue depuis notre naissance, avant notre naissance même, puisque nous apportons avec nous des dispositions prénatales ? Sans doute nous ne pensons qu'avec une petite partie de notre passé; mais c'est avec notre passé tout entier, y compris notre courbure d'âme originelle, que nous désirons, voulons, agissons. Notre passé se manifeste donc intégralement à nous par sa poussée et sous forme de tendance, quoiqu'une faible part seulement en devienne représentation.

   De cette survivance du passé résulte l'impossibilité, pour une conscience, de traverser deux fois le même état. Les circonstances ont beau être les mêmes, ce n'est plus sur la même personne qu'elles agissent, puisqu'elles la prennent à un nouveau moment de son histoire. Notre personnalité, qui se bâtit à chaque instant avec de l'expérience accumulée, change sans cesse. En changeant, elle empêche un état, fût-il identique à lui-même en surface, de se répéter jamais en profondeur. C'est pourquoi notre durée est irréversible, Nous ne saurions en revivre une parcelle, car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi. Nous pourrions, à la rigueur, rayer ce souvenir de notre intelligence, mais non pas de notre volonté.

   Ainsi notre personnalité pousse, grandit, mûrit sans cesse. Chacun de ses moments est du nouveau qui s'ajoute à ce qui était auparavant. Allons plus loin: ce n'est pas seulement du nouveau, mais de l'imprévisible. Sans doute mon état actuel s'explique par ce qui était en moi et par ce qui agissait sur moi tout à l'heure. Je n'y trouverais pas d'autres éléments en l'analysant. Mais une intelligence, même surhumaine, n'eût pu prévoir la forme simple, indivisible, qui donne à ces éléments tout abstraits leur organisation concrète. Car prévoir consiste à projeter dans l'avenir ce qu'on a perçu dans le passé, ou à se représenter pour plus tard un nouvel assemblage, dans un autre ordre, des éléments déjà perçus. Mais ce qui n'a jamais été perçu, et ce qui est en même temps simple, est nécessairement imprévisible. Or, tel est le cas de chacun de nos états, envisagé comme un moment d'une histoire qui se déroule: il est simple, et il ne peut pas avoir été déjà perçu, puisqu'il concentre dans son indivisibilité tout le perçu avec, en plus, ce que le présent y ajoute. C'est un moment original d'une non moins originale histoire. »,   Bergson (1859 - 1941), L'Evolution créatrice (1907), pp. 497 - 499, éd. PUF du Centenaire

 

Peut-on représenter la durée dès lors ? Quelques images et leurs limites :



Le présent ne vient pas comme une couche sur les couches du passé ! Il vient plutôt colorer toute la durée existentielle préexistente. Le vécu du présent réinterprète le vécu du passé.



Le défaut de cette seconde image est l’idée d’un spectateur conscient externe. Dans la durée, la conscience vécue n’est pas extérieure même si son ouverture créatrice ne l’identifie pas de manière figée à sa durée.


2) La durée tempiternelle


+ Louis Lavelle :

« Ainsi le temps, qui autrefois nous paraissait masquer la réalité et la dissiper en apparences fuyantes, devient non seulement son soutien, mais le principe même qui la fait être ; et pour mieux accuser le rôle métaphysique qu’il lui attribue, Henri Bergson se sert du terme robuste de durée, entendant par là non pas seulement cette fluidité par laquelle les êtres ne cessent de changer, mais encore cette poussée continue par laquelle ils s’établissent dans l’existence, résistant à toutes les causes de destruction, choisissant le rythme de leur propre développement, conservant en eux, pour en grossir sans cesse leur propre nature, tout le passé qui est derrière eux et traçant ainsi le sillon de leur vie personnelle à l’intérieur de l’éternité », Louis Lavelle, La philosophie française entre les deux guerres.

Louis Lavelle réinterprète la durée de Bergson comme une vie créatrice de l’éternité.

Opposer l’éternité et le temps, oublier l’éternité de la durée, c’est ignorer la tempiternité, cette réalité englobant temps et l’atemporalité.

Dans la même ligne que Lavelle, selon Raimon Panikkar, «La réalité ne s’exauce pas dans la temporalité ; elle n’est pas maintenant temporelle et après éternelle, mais en même temps tempiternelle» (Culto e secolarità).

« L’expérience de tempiternité est vivre le présent comme expérience intense de l’instant sans référence au passé qui fut et au futur qui sera. C’est le présent sempiternel dans lequel se réalise une action en tant que telle, ou encore authentique et, par conséquent, unique.

La tempiternité sert à signifier que l’être et le temps sont en interrelation de telle façon qu’il n’y ait rien qui demeure intouché par le temps, pas même l’éternité. En même temps l’aspect temporal de la réalité totale est «seulement un aspect partial de la nature tempiternelle des choses».

[…] Alors que la temporalité implique présent, passé et futur, la tempiternité représente «la cristallisation du moment temporel sans extensions ultérieures». La réalité ne s’exauce pas dans la temporalité: elle n’est pas maintenant temporelle et ensuite éternelle, mais tempiternelle. Le futur en tant que tel n’existe pas; la véritable espérance, qui improprement est dite «du futur», doit essayer de découvrir dans chaque instant la plénitude que nous recherchons: on peut trouver «le futur dans le présent». Le temps est un autre aspect de ce que l’on a continué à appeler éternité, de sorte que temps et éternité forment ce qui peut se dire tempiternité. L’éternité ne vient pas après le temps, ni n’existait avant. La vie de l’homme sur la terre n’est pas un simple pèlerinage vers Dieu, la réincarnation ou le rien, mais constitue un rythme dans lequel chaque moment est habité par l’autre aspect éternel (The Cosmotheandric Experience). »,

https://www.raimon-panikkar.org/francese/gloss-tempiternite.html

Une telle approche peut être selon nous clarifiée encore davantage en revisitant l’éros socratique à l’aide de sa réinterprétation par Hans Jonas.

 

C – L’éros socratique peut être réinterprété comme une manifestation partielle d’un éros cosmogonique, une aspiration évolutive de l’univers matériel à la perfection (Socrate - Hans Jonas).

 

Pour vivre pleinement au moment présent, nous pouvons et devons espérer contre toute désespérance qu’il est le lieu de l’autocréation ou l’auto-engendrement de l’englobant du temps et de l’atemporalité à travers nous et l’univers.

Est-ce là un volontarisme, une surestimation de ce qu’on peut vouloir, est-ce une illusion de la volonté portée par un idéalisme fantasmatique ?



Socrate nous invite à distinguer le désir comme appétit et le désir comme amour du Beau, de la perfection. Il n’ignore pas que dans l’expérience ordinaire de la plupart des gens, ces deux formes de désir s’entremêlent. Avec Platon, l’amoureux des beaux corps, des actions gracieuses et des belles âmes, la confusion peut demeurer. C’est avec la conversion philosophique, le retournement de la conscience subjective vers la beauté intérieure que la distinction s’opère plus nettement. Eros n’est pas simplement une envie imaginaire, c’est une substance réelle, un pressentiment inaliénable d’une beauté et d’une perfection au-delà de l’imagination, au-delà de toute pensée.

Toutefois Eros, cette aspiration au beau, au vrai et au bien, laisse l’âme devant une bifurcation. Comme le repère Raimon Panikkar, soit la vie de l’homme sur la terre s’arrête à un pèlerinage vers la félicité divine éternelle, la paix immuable et silencieuse d’un rien ; soit elle entre dans une aventure évolutive. Elle vit de plus en plus consciemment la présence rythmique d’une force créatrice transformant toutes les obscurités subconscientes en soi et alentour.



Bergson parle d’un élan vital et il montre qu’il est à l’œuvre dans l’évolution de l’univers et du vivant. Devant les exemples pris par Bergson dans son opuscule La conscience et la vie, nous pourrions voir  un éros cosmogonique concomitant à l’élan vital.

Avec Bergson, on peut en effet distinguer le désir de consommer, de se perpétuer et le désir de créer qui correspondent presque traits pour traits aux désirs appétits et à l’aspiration érotique au beau, au vrai et au Bien chez Socrate.

Chez un parent, les deux types de désirs se mélangent le plus souvent. Chez un entrepreneur, un artiste, un inventeur ou un découvreur aussi. C’est un regard philosophique qui les distingue. Chez le mystique ou le sage qui ne cherchent pas à se réfugier dans l’atemporalité au mépris du Devenir, la perception de leur distinction est une expérience métaphysique. L’aspiration érotique au beau, à l’authentique et au bien est aussi un éros cosmogonique (terme de Hans Jonas). C’est une aspiration à l’élan vital créateur pour qu’il élargisse notre conscience figée dans son intelligence qui consiste en techniques mentales que nos IA surpassent de plus en plus.


D – Si à l’aspiration créatrice répond une venue de l’intuition créatrice, le futur s’ouvre et n’est plus simplement la répétition ou l’effet du passé [Bergson et les philosophies d’une évolution consciente de la conscience].

Le possibilisme du compatibilisme était l’idée que nous étions dans un jeu à scénario multiple déjà préécrit. Le moment présent était comme une multitude de chemins qu’un Dieu pourrait contempler depuis son éternité. Et bien plus, cet être tout-puissant, capable de voyager dans le temps, de voir les temps à venir, aussi bien que les temps passés, saurait à l’avance quelles seraient nos décisions.

 


Cette conception était celle d’un Malebranche ou d’un Leibniz. Le mot de Kant parlant de la théorie leibnizienne est resté célèbre: « la liberté du tournebroche » !


  Avec Bergson, une création est, par essence, imprévisible. Ce qui apporte, selon lui, l’éclair créateur, l’intuition créatrice ne peut pas se réduire à un raisonnement de l’intelligence. L’intelligence cherche des variations autour de ce qui se ressemble, elle induit ; elle tire d’une proposition des déductions cohérentes, c’est-à-dire quelque chose qui était enveloppé dans la proposition et qu’il suffit de tirer de là puisqu’elle y était déjà. Une création ne s’induit pas, ne se déduit pas, c’est la venue de l’inconnu dans la conscience, une autre manière d’être de la vie consciente.




 Le moment présent est le lieu par excellence de l’éclosion du nouveau. Ce qui englobe en nous l’atemporalité et la temporalité prend conscience de lui-même à travers nous dans l’intuition créatrice.

 

D’ailleurs, quelqu’un qui voyagerait dans le temps n’en continuerait pas moins à vivre dans son moment présent et quels que soient les lignes d’événements qu’il traverserait, son moment présent continuerait à être un lieu potentiel de création. Il déferait et retisserait immanquablement les lignes des événements.



A vrai dire, seuls les moments spirituels où l’intuition créatrice surgit seraient tempiternellement présents indépendamment des lignes temporelles qu’indiquent les horloges.


Bergson infère à partir de ces bases une immortalité possible.


 

Pour mieux le comprendre, il suffit de reprendre un point de vue en première personne où se superposent plusieurs temporalités et la dimension atemporelle de notre présence consciente aux temporalités.



Ici et maintenant se superposent les temporalités bien diverses des étoiles lointaines dont j’observe maintenant le passé lointain, même le soleil que je vois était celui d’il y a quelques minutes, et cela vaut pour les objets plus près de mon corps. Je fais face aussi à plusieurs calendriers. Le temps calendaire est marqué par ma culture mais j’assiste au nouvel an chinois, à des événements du calendrier lunaire arabo-musulman. Enfin j’ai des vécus de vitesse du temps variable qui rencontre les vécus subjectifs des autres.

Et en regard de ces diverses temporalités ou durées qui s'entrecroisent en la présence consciente où se déploie ma propre durée, il y a en même temps éternité (atemporelle). Mais le Devenir harmonieux de ces durées ne s'enracine-t-il pas dans une autocréation de ce qui manifeste temporellement au sein même de l'atemporalité ? Ma participation à cette autocréation ne s'inscrit-elle pas dans une tempiternité ? Cette sensibilité ne peut pas être développée qu'avec le seul principe de vivre le moment présent !


 


CONCLUSION


Vivre le moment présent a plusieurs niveaux de profondeur.

Il y a un intérêt psychologique à vivre au moment présent pour ne pas vivre tourné vers notre passé psychologique ou vivre dans l’espoir subjectif plus ou moins égocentrique d’un futur improbable.

Mais vivre au présent dans la seule subjectivité, c’est encore ignorer l’atemporalité qui seule nous libère d’une identification pesante à l’ego. Il s’agit de ne plus vivre seulement dans la bourgade de notre seule subjectivité mais de vivre de la vie cosmique et de la présence atemporelle qui incluent notre vie subjective individuelle.

Négliger la transformation de notre monde subjectif au nom d’un déterminisme cosmique revient à paresser dans le fatalisme, à laisser s’écouler le temps passivement et à ne vivre pleinement les possibilités qu’offre le moment présent. La découverte de la vie cosmique et de notre dimension atemporelle n’interrompt pas le caractère décisif des choix subjectifs individuels.

Par ailleurs, la découverte de la présence atemporelle qui nous détache des misères subjectives peut risquer de nous faire mépriser la dimension temporelle et la vie cosmique. Ceci reviendrait à ignorer l’aventure évolutive qui se joue au moment présent.

Vivre pleinement présent, c’est embrasser les dimensions temporelles et atemporelles.

C’est d’abord à la croisée de l’atemporalité de la conscience et de ses temporalités que se joue l’aventure évolutive.

Vivre à la croisée du temps et de l’éternité, c’est vivre pleinement le paradoxe de la perfection et de la perfectibilité du moment présent. C’est sentir de plus en plus que notre aspiration créatrice est plus centrale que nos désirs appétits. C’est entrer de plus en plus intensément dans le courant évolutif et autocréateur de la vie. Car c’est cette dimension qui nous révèlera notre tempiternité en croissance, notre véritable dimension immortelle individuelle. Notre ego qui n’existe que dans les dimensions du temps est un agrégat où les désirs appétits ne se distinguent pas encore des désirs créateurs, de l’aspiration à la perfection ou de la foi inaliénable en la vie absolue. Il n’est qu’une partie nourricière de l’œuf dont a besoin l’âme pour véritablement enfin éclore.