ELEMENTS DE PHILOSOPHIE par Serge Durand
Ces éléments de philosophie sont issus de cours donnés en Terminales et en Premières. Ils s'inscrivent aussi dans la lignée du mouvement spirituel évolutionniste qui se repère à travers les œuvres de Henri Bergson, de Ken Wilber ou de Sri Aurobindo.
jeudi 5 décembre 2024
EXPLICATION D'UN PASSAGE DE LA CONSCIENCE ET LA VIE DE BERGSON A PROPOS DE LA JOIE CREATRICE
lundi 29 juillet 2024
JUSTICE. Version abrégée pour retenir l'essentiel.
JUSTICE 1 - UNE SOCIETE JUSTE PEUT-ELLE ETRE INEGALITAIRE ?
I. Introduction problématique.
Confondre l’égalité et l’uniformité revient à dicter à chaque individu une conduite, cela mène à une vision totale de la vie de chaque individu au service d’une masse, cela peut générer le totalitarisme. Toutefois nier l’égalité au nom de la différence ne risque-t-il pas de conduire à une autre logique de domination ? Une autre forme de totalitarisme cette fois fondé sur l’apologie de la force dominante. La logique communiste totalitaire confine à l’égalité comme uniformité, la logique fasciste à la différence comme inégalité de force entre les faibles et les forts qu’il faut défendre socialement des faibles. Pour répondre à la question « une société juste peut-elle s’accommoder d’inégalités ? », nous avons donc un équilibre à trouver entre quatre termes qui sont égalité et inégalité, différence et ressemblance. S’en tenir là ne permettrait pas de penser la situation d’aujourd’hui. Avec l’idée de liberté, nous pouvons rester vigilant face aux dérives totalitaires. Mais il faut nous demander dans quel rapport la liberté risque de légitimer une inégalité qui au fond à terme la nie : quel sens a le mot liberté pour quelqu’un qui vit en dessous du seuil de pauvreté ? Comme on avait précédemment vu que trop d’égalité finit par nuire à la liberté, il semble que trop de liberté justifie des inégalités de fait nuit à l’égalité de droit et au fond à la liberté. Une société juste est, on le voit, une société qui cherche à rester cohérente. Le mot « juste » évoque d’abord pour nous des relations sociales bien ajustées afin de ne pas se transformer en conflits d’intérêts généralisés. Le premier sens du mot juste nous envoie donc plutôt du côté des droits formels. L’égalité de droit peut-elle se penser avec un droit à la différence ? Puis prenant en compte le fait, il faut se demander si l’égalité de droit peut se passer d’une certaine égalité de fait ? Imposer une égalité de fait n’est-ce pas nier un droit à la liberté ?
II. Le pouvoir de la multitude.
Une première façon de légitimer l’inégalité de droit est de souligner l’inégale dignité des hommes. Il est du point de vue éthique impossible de nier une égale dignité formelle de tous les hommes mais la vie sociale et politique souligne l’écart net entre un potentiel de dignité, la possibilité de gagner en dignité par une quête éthique de plus en plus exigeante et les faits. L’indignité n’a jamais été autant en vue, c’est même elle qui règne au risque de menacer l’avenir même de l’humanité. Ainsi des logiques de domination économique justifient des choix contraires à nos connaissances de plus en plus fiables en ce qui concerne l’écologie ou la climatologie et donc ainsi et surtout le choix des hydrocarbures alors qu’il existe des énergies propres et sans conséquences majeures pour le climat. Voir même ces logiques conduisent à mener des guerres pour s’assurer de la fiabilité des fournisseurs… Platon déjà avait posé le problème. Que vaut la démocratie lorsqu’elle décide que Socrate doit se mettre à mort en tant qu’athée et corrupteur de la jeunesse ? Ne faudrait-il pas que le pouvoir soit entre les mains de ceux qui savent ? Ainsi sans mettre en cause l’égale dignité potentielle de tout être humain nous aurions avec le sage la garanti même de l’accès de chacun à un pouvoir dont enfin il serait effectivement digne. Toutefois cette approche ne nous semble pas raisonnable. Car qui est sage ? Et s’il y a un sage croirait-il qu’il est opportun d’occuper le pouvoir politique ? Si nous non sages désignons le ou les sages nous gouvernant, comment serons-nous sûr de notre choix ? Même dans le cas de son application limitée au sein d’une vision où l’expertise technocratique se substitue à la sagesse nous savons que des éléments de choix continuent d’exister. L’erreur technocratique n’est guère évitable sans un regard critique qui en démasque les choix implicites. Plus globalement les affaires humaines ne sauraient être technicisées dans leur totalité : il faut le sens du mouvement opportun en politique, il ne faut pas exclure une fibre créatrice. Nous revenons à Spinoza qui préfère proposer des institutions où s’incarne au mieux la puissance de la multitude qui sera sans doute éminemment rationnelle dans la mesure où s’harmoniseront au fil du temps les diverses passions humaines, les disposant même parfois à rechercher une forme de sagesse qui libère de l’esclavage émotionnel et passionnel. Mieux vaut disperser le pouvoir entre tous les êtres passionnés ou exceptionnellement sages car alors leurs institutions et le gouvernement chargés de les mettre en œuvre soumis directement au pouvoir de la multitude incarneront une égalité de droit fidèle à l’égale dignité potentielle de chacun. Le droit naturel du plus fort vis-à-vis du plus faible s’éclipsera seulement devant le droit naturel issu du pouvoir de la multitude. L’agrégation des faibles condamne les forts à plus ou moins brève échéance à intégrer le droit naturel issu de la multitude qui implique la reconnaissance de l’égale dignité potentielle de tout être humain. Enfin, le sage sera de plus en plus protégé par le droit rationnel issu de la multitude et il rencontrera de moins en moins d’obstacle pour répandre ses idées politiques sur la place publique.
III. Une sagesse authentique s’oppose à toute politique sacrificielle.
Ainsi le discours de la différence peut être entendu dans la mesure où une majorité risque de dominer telle ou telle minorité, où telle culture est menacée par telle autre, etc. Mais il s’agit de ne pas penser la différence et son respect en termes de lutte, de confrontations, de résistance. Il faut faire dialoguer les différences. Elles ne sont fructueuses resituées au sein d’une interaction de la multitude que le dialogue démocratique essaie de rendre conscient d’elle-même. Nos démocraties représentatives souffrent de ne pas avoir perçu à travers ses acteurs l’importance essentielle de la prise de conscience de la multitude par elle-même. Les acteurs politiques sont encore prisonniers d’une vision où au final la démocratie fonctionne comme une oligarchie par alternance de parties qui occupent sa tête. De ce point de vue le sens supérieur de la dignité qu’aurait un sage n’est pas isolable de la pluralité humaine car ce sens supérieur est éminemment un sens d’ouverture au dialogue.
Trois conceptions de dialogue sont pour lui envisageables.
Une première conception est celle considérée par Platon qui consiste pour le sage à tenir le rôle royal. La politique serait alors un système hiérarchique aspirant vers le haut en fonction du degré d’avancement spirituel qui rappelons-le se caractérise par la maîtrise philosophique du dialogue, c’est-à-dire de la dialectique. Voir dans les conceptions politiques de Platon une forme de totalitarisme revient à oublier la différence essentielle entre un pouvoir idéologique et un pouvoir s’exerçant à partir d’un savoir-faire dialectique. Platon juge la démocratie peu apte aux exigences du dialogue socratique puisqu’elle s’y est refusée et propose une alternative qui respecterait la dialectique, la forme de dialogue la plus authentique.
Une seconde conception est celle du passeur. Cette conception ne prétend pas posséder toute la sagesse, elle ne prétend pas posséder le seul accès aux terres de la sagesse. Elle sait juste connaître un passage. Le modèle royal manque d’humilité, comme si un disciple ne pouvait pas dépasser le maître. Le modèle de Platon est un modèle social où finalement un système hiérarchique figé domine. Socrate n’est pas un roi, Platon a certainement manqué le sens ultime de la maïeutique : un accoucheur est un passeur plus qu’un un roi. Socrate ne dirige pas le dialogue, il le guide vers son authenticité. Il y a l’acceptation dialoguée du pluralisme politique par un passeur. La sagesse à la suite de Spinoza dans son traité politique est de reconnaître que l’ordre social reste l’expression plus ou moins consciente de l’action de la multitude. Vous pouvez instituer les lois que vous voulez dans le sens de la vertu et de la solidarité mais si la multitude n’en a pas la mentalité, ces lois resteront lettre morte, les logiques de domination l’emporteront. Pour que les lois soient crédibles elles doivent s’accorder avec la lente marche de la multitude. Mais cette multitude va t-elle quelque part ? Le passeur ne fera passer que ceux qui s’intéressent à ces terres de sagesse. Le mouvement du passeur n’est guère un mouvement politique puisqu’il est tourné vers une autre rive qui souvent n’a pas l’air d’être de notre monde. Pour que la sagesse du passeur aie une conséquence, il faut qu’elle ne tire plus seulement en avant ceux qui sont les plus avancés.
Reste alors une troisième figure du dialogue et de la sagesse qui sans prétendre à une quelconque royauté de ce monde entend y jouer le rôle d’« un attracteur étrange » dans la mesure où il influence sans être toujours immédiatement perceptible. Le prophète, le réformateur social n’œuvrent que comme catalyseur de l’impulsion créatrice qui meut la multitude : l’avancée du troupeau est donnée non selon la position de sa tête mais de ceux qu’il néglige derrière. Les thèses de René Girard dans Le Bouc émissaire soulignent qu’on ne peut sacrifier personne pour le progrès du troupeau. Les retours des politiques sacrificielles tournant le dos à ce principe vital de notre civilisation ont produit les plus grands massacres de masse que la terre n’ait jamais connu. Et comme le souligne Jean-Pierre Dupuy à propos du libéralisme économique, la négligence de ce principe risque de produire de terribles injustices : on ne peut prétendre sacrifier quelque vie que ce soit au nom d’un bien-être futur.
IV. La politique est l’évolution de la qualité du dialogue.
La liberté individuelle peut donc justifier des inégalités de fait concernant le partage politique des biens, que ce soit par exemple, l’éducation, la santé, le travail, le revenu, les loisirs, etc. Nous pouvons pour trouver un juste milieu entre liberté et égalité introduire la notion d’équité : il y a des partages égaux qui ne sont pas équitables. Un tel aura besoin de plus de soins que tel autre, par exemple. La liberté peut justifier des inégalités de fait mais elle ne peut justifier avec Rawls que les conditions matérielles et spirituelles des autres individus s’en trouvent détériorées. Il est normal que celui qui produit des richesses matérielles et spirituelles s’en trouve enrichi mais il n’est pas normal que son enrichissement provoque l’appauvrissement des autres. S’il ne s’agit pas là le plus souvent d’un sacrifice social qui entraîne la mort d’homme, il y a là encore malgré tout une dynamique sacrificielle. Le pouvoir appartient toujours à la multitude mais elle n’en a pas conscience et elle autorise alors des dynamiques sacrificielles. Aujourd’hui renoncer à l’action politique encadrant la vie économique revient forcément à faire le choix d’une politique sacrificielle. L’usage de la liberté est toujours au final dominé par les peurs et les désirs centrifuges qu’ils soient égocentriques, tribaux, ethniques, nationalistes, civilisationnels. Aujourd’hui, cette inégalité des mentalités politiques se croise aux inégalités économiques. Il s’agit donc d’incarner aujourd’hui un internationalisme lié à une évolution en faveur de la conscience de la multitude. Les résurgences communautaristes contemporaines loin de cibler politiquement cet internationalisme réagissent comme si les perturbations économiques internationales étaient d’origine communautaire. Ceux qui lient recherche de sagesse et évolution politique et qui rejettent toute forme d’inégalité injuste car sacrificielle sont ainsi prêts à proposer une ultradémocratisation s’appuyant sur l’exercice généralisé d’une communication éveillée dont l’origine lointaine est le dialogue dialectique. Les idéologies politiques seraient mortes car la politique ne serait plus l’application aveugle d’une idée mais la matérialisation sociale d’une mentalité éclairée par le dialogue authentique. Le citoyen serait celui qui participe au dialogue non celui qui vote pour un substitut de père ou de mère dont il attend tout. Peu à peu il deviendra évident que la politique n’est pas une lutte pour la représentation d’un système d’idées au pouvoir contre d’autres systèmes d’idées. Cette évidence n’aura plus rien de cynique dans la mesure où on n’acceptera plus de se contenter d’élire un homme politique mis en scène autour d’une rhétorique publicitaire comblant ainsi le déficit de la politique idéologique. L’action politique effective sera de plus en plus le fruit d’un dialogue qui connaîtra de moins en moins la situation où règne l’inégalité tyrannique d’une majorité imposant son point de vue à une minorité. Une impulsion collective émergera intuitivement de la communication éveillée. Pour décrire cette impulsion collective on peut considérer la volonté générale de Rousseau. La volonté générale est définie par lui comme l’intégration des volontés particulières où chacune est restituée dans son intégralité exceptée en ce qu’elle est divisée dans son choix de participer à l’action de la multitude. Le pouvoir selon notre approche est celui de la multitude quitte à ce que la multitude ne montre pas une forte conscience d’elle-même. Reste que le penseur et surtout le sage peuvent suggérer et participer par leur rayonnement culturel d’une autorité qui permet à la multitude de prendre conscience d’elle-même. Car l’autorité démocratique pour devenir légitime n’a pas à prendre le pouvoir politique. Elle se contente de suggérer ou mieux de rayonner et de témoigner dans l’action collective de la justesse de son impulsion évolutive. Cette autorité démocratique cherchant à inspirer la démocratie a pour atout son traitement non égocentrique, non ethnique, non clanique, etc. des problèmes sociaux. Elle peut être le vecteur culturel incarnant une autre façon de voir et de vivre. Cette autorité n’est pas seulement une force de résistance ou de dissidence, mais avant tout elle incarne une force créatrice qui ouvre la voie. Les révolutions passées se sont faites contre les représentants des forces du passé jusqu’à produire notre démocratie représentative et son économie de marché. Notre analyse relativise le conflit social et la logique d’opposition qui représentent seulement une nécessité quand manque une reconnaissance sociale et politique condition sine qua non du dialogue démocratique. La prochaine révolution sera sans doute non violente car elle ne renversera pas des dominations injustes mais nos propres verrous égocentriques qui empêche la fluidité créatrice du dialogue démocratique.
V. Conclusion - Résumé.
Ainsi une société juste ne peut pas s’accommoder d’inégalités qui mettent en jeu une forme de sacrifice, qui empêchent une prise de conscience du pouvoir de la multitude humaine. Le paradoxe d’une telle société est qu’elle est animée par un sens de l’autorité qui implique une inégalité spirituelle implicite qui s’interdit pourtant tout usage de la domination dans la mesure où ce sens de l’autorité est fidèle à sa vocation d’une sagesse du dialogue.
Citations :
Jean-Paul Sartre : « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent. »
Simone Weil : « La vertu de justice consiste, si on est le supérieur dans le rapport inégal des forces, à se conduire exactement comme s’il y avait égalité. »
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JUSTICE 2 - PEUT-ON JUGER AUTRUI ?
I. INTRODUCTION PROBLEMATIQUE.
Le mot juger a deux orientations : mieux discerner ou émettre un verdict sur un être, le condamner éventuellement. Rendre justice semble nous imposer de juger moralement. Certes il s’agit d’établir les faits mais il faut bien juger les intentions, la nature de ce qui a conduit à l’acte : la folie, la préméditation, circonstances atténuantes, circonstances aggravantes, etc. Mais du point de vue moral, juger autrui comporte le risque de susciter la haine, la colère, la tristesse, etc., sentiments qui rendent immoraux. Juger autrui masque souvent une absence d’effort moral : « tu vois la paille dans l’œil du voisin, tu ne vois pas la poutre dans le tien », dit L’Evangile. Une éthique centrée sur la vérité condamnera le jugement moral comme vision illusoire du monde. Car tout acte que ce soient les miens, ceux des autres ou de l’univers n’obéit qu’à des lois universelles. Donc le jugement moral en attribuant l’acte à une personne est peu objectif. Rendre justice exige avant tout un acte de jugement objectif. Savoir s’il y a une justesse du jugement voire une justice a donc pour enjeu la question du libre choix et celle de la possibilité d’une action objective.
II. LE DETERMINISME REND INEPTE LE JUGEMENT MORAL.
Juger moralement est illusoire puisqu’un déterminisme est à l’œuvre dans tous les actes : tout obéit à des lois nécessaires. Bien sûr, des développements récents de la physique laissent la place à un indéterminisme. Mais « Le hasard n’abolira jamais un coup de dés. » : l’indéterminisme ne fait pas de moi un être libre mais un être déterminé par le jeu du hasard. Ainsi même si le déterminisme n’est pas absolu, il suffit à rendre le jugement moral illusoire : lequel de mes actes est libre et dans quelle proportion ? Mais même si le déterminisme semble l’interprétation la plus efficace de ce qui apparaît dans la conscience, on ne peut pas statuer sur sa valeur concernant la réalité des choses. Les choses nous sont toujours connues à l’intérieur de l’esprit humain et jamais telles qu’elles sont en dehors de l’esprit humain : le réel que nous découvre la science ne peut que rester voilé. Malgré les apparences déterministes, Kant invite à parier sur le libre choix moral. Toutefois si le « moi » est vécu comme les choses c’est-à-dire que de l’intérieur de la conscience, comment le penser libre et non déterminé comme les choses ? N’ayant pas accès aux choses hors de l’esprit, n’y a-t-il pas plus de rigueur à bâtir une éthique à partir de ce qu’est la vie vécue du « moi » ? Il s’agit pour nous de mieux connaître les déterminations psychiques et ainsi de mieux agir. En acceptant ce qui arrive, on peut échapper aux limites du jugement moral. L’énergie que nous perdons à refuser ce qui arrive, sera de nouveau disponible. Au lieu de vivre avec l’idée de ce qui doit être du point de vue moral, nous commencerons « à simplement vivre au lieu de penser vivre ». Nous connaîtrons de moins en moins d’opposition entre notre expression individuelle, celles des autres et celle du tout qui se manifeste en nous. Au tribunal, le juge ayant intégré cette sagesse ne jugera pas moralement l’accusé, il se contentera de voir les faits grâce aux informations fournies lors du procès. Il jugera de la nature des déterminations qui menèrent au non respect de la loi et prendra les mesures qui en tiennent compte. Si l’individu est dangereux pour la vie sociale, on l’isolera pour l’empêcher de nuire. Mais on cherchera aussi à l’affranchir des déterminations qui l’ont poussé à ces actes afin de le réhabiliter socialement. Juger justement signifie ici voir et prendre conscience des déterminations afin de s’en libérer ou d’en libérer autrui de gré ou de force quand il menace la sécurité des personnes.
III. L’EFFORT DE JUGER : UNE ILLUSION BENEFIQUE.
Mais nous avons vu que la morale elle-même affirme que le jugement moral en suscitant en nous des sentiments négatifs devient immoral. Juger moralement ne peut pas nous conduire à condamner radicalement l’autre. L’autre n’est jamais l’acte qu’il commet dans la mesure où la morale évoque un sujet non déterminé par ses choix. Il y ainsi par exemple une différence entre dire fermement à son enfant « tu as fait une bêtise, je vais te punir pour que tu y réfléchisses et ne le fasse plus » et lui dire d’un ton insultant et colérique « tu es bête ! Tu ne réfléchis jamais ! Je ne veux plus te voir ! Va dans ta chambre ou je te mets une baffe ! » : dans un cas le parent est au service de son enfant en lui donnant une bonne éducation, dans l’autre il sert inconsciemment son agressivité et sa morale reste superficielle. La morale nous permet de juger rationnellement des actes mais sans les refuser émotionnellement et sans les identifier à la dignité de la personne. Du point de vue pratique nous arrivons donc à réintégrer les principes éthiques exposés auparavant en évitant certaines difficultés. Dans la sagesse déterministe, en effet, il y a le rôle central de la connaissance. Il y a au fond la possibilité d’un effort ou non pour s’y adonner. Il y a donc bien un choix, insistera le moraliste. Le sage déterministe en réponse se distinguera du fataliste. On connaît l’argument paresseux. Inutile d’agir, ce qui doit avoir lieu aura lieu. En fait ce jugement induit une détermination : inutile d’agir. Le déterminisme inclut l’effort, il y a un effort de connaissance à mener. Mais il ne faudrait pas se faire d’illusion : ce n’est pas « mon » effort, c’est l’effort que le tout exprime à travers l’individu que je suis. Le « moi » entre en conflit avec soi, les autres et le monde car il n’aperçoit pas que tous les actes, les siens compris, sont le fruit des déterminations du tout. Etrange paradoxe : le sage m’invite à faire le choix pratique d’une connaissance de soi qui me montrera que le choix a toujours été illusoire. Il me montre qu’intimement nous sommes libres non en tant qu’une simple partie, mais comme une autodétermination du tout.
IV. JUGER : UNE PRISE DE CONSCIENCE CREATRICE.
Juger moralement autrui prend ici un sens nouveau : il s’agit de lui donner la chance de se joindre à cet effort de prise de conscience. Nous pouvons lui et nous si notre amitié a cette teneur spirituelle nous aider à mieux voir. Il ne s’agit pas de s’autoriser des reproches ou d’exprimer à l’autre le refus de sa conduite mais de nous entraider à mieux voir ce qui nous détermine. Il ne s’agit ni de pardonner, ni de le condamner mais de se donner la possibilité de voir son illusion. Les décisions du moi relèvent de l’illusion mais le choix du refus de la connaissance de soi le rend davantage illusoire. Le bien et le mal du jugement sont relatifs puisqu’en soi tout est déterminé. Mais quelle acceptation de soi, de l’autre et du monde peut atteindre le meurtrier qui refuse à un autre de vivre ? En fait son meurtre part du refus de la réalité. Le sage connaît la relativité du jugement moral mais il sait qu’il y a là un préalable à la connaissance de soi, celui qui est incapable de respecter les règles sociales élémentaires refuse au fond d’accepter l’une des principales déterminations en présence : la puissance de l’ordre social. Par ailleurs il sait que le désordre social implique le désordre mental des gens, les victimes seront souvent blessées jusque dans leur compréhension de soi, des autres et du monde. La morale est donc un palier relatif mais un palier nécessaire en vue de la sagesse. Par ailleurs, si le sage se vit comme l’expression des déterminations du tout, il peut se découvrir une forme d’autonomie créatrice. L’immoralité apparaît bien plus qu’un refus de ce qui est, elle est un refus d’évoluer positivement, elle est un refus de créer qui amplifie les forces de destructions dans ce qui est. D’un point de vue, le sage veut la détermination du tout mais d’un autre point de vue, il est la conscience même du tout qui se donne des lois à soi-même et qui à travers ces lois qu’il se donne évolue. Lorsque nous nous donnons la loi morale à nous-même, lorsque face à autrui d’une autre culture morale que la nôtre nous trouvons des solutions inédites qui vont dans le sens du partage et de la rencontre, nous participons par cette autonomie à la conscience créatrice du tout. Cette autonomie s’avère créatrice, elle s’exprime par une intuition. Ici l’intuition n’est pas un pressentiment, l’intuition exprime l’évolution de l’union entre une partie singulière et le tout dans la conscience. Ainsi tel dilemme produira une solution inattendue rendant indépendante des conditionnements, c’est-à-dire de ce qui déterminait jusque là. Cette autonomie va plus loin que celle de Kant qui restait le résultat d’une procédure rationnelle. Celle de Kant pose ainsi des lois universelles définitives tandis que notre autonomie intuitive pose des lois universelles en devenir évolutif. Cette autonomie qui lie l’individu et la nature dans sa profondeur est la source de toutes les déterminations mais face à la singularité de situations inédites, nous voyons qu’elle n’est pas enfermée par les lois qu’elle a produites, elle fait émerger d’autres lois qui permettent de sortir des impasses suscitées par les vieilles lois. La sagesse s’inscrit donc au sein d’une évolution créatrice du tout qui ne cesse de remettre en chantier les morales relatives dans la rencontre avec les autres. Face à autrui, ce qui est en jeu est l’acte moral créateur qui puisse offrir à chacun de nous d’être davantage nous-même au service de nos rencontres. Du point de vue pratique, il convient alors de se demander si mon jugement me ferme ou non à la rencontre avec l’autre personne qu’elle ait commis un crime, qu’elle ait adopté un style de vie contraire à la morale qui est la mienne, etc.
V. CONCLUSION.
Nous voudrions conclure en rappelant que le jugement d’autrui ne peut être considéré en dehors du jugement de soi-même et du monde. Nous ne pouvons jamais condamner l’autre moralement sans nous même nous condamner à refuser ce qui est et donc à être un facteur d’inertie pour l’évolution de ce qui est. Autrement dit condamner l’autre moralement c’est se condamner soi-même à l’illusion et à plus ou moins long terme à souffrir d’une évolution qui nous échappe de plus en plus. Bien sûr, il faut bien préserver la société des criminels. Mais nous courrons des risques à condamner des êtres humains sans soigner leurs blessures personnelles, sociales et culturelles : la criminalité continuera à croître. Les discours sécuritaires, les diatribes contre l’incivilité masquent une inertie morale qui sert une agressivité immorale sous-jacente et au fond un mépris de la dignité des autres humains : il est urgent de considérer l’évolution morale à laquelle nous appellent ces personnes sans repères (ou dans la confusion) pour la plupart blessées par manque d’amour.
Citations :
Jésus-Christ : « Comment peux-tu dire à ton frère : ‘frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil', toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? »
Victor Hugo : « Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison. »
VERITE. Une version abrégée pour retenir l'essentiel.
Une vidéo sur la notion de vérité au programme par la chaîne antisèche avec Cyrus North :
La Vérité -
Philosophie - Terminale - YouTube
Elle propose une autre approche que ce qui suit.
DEBAT N°1 : PEUT-ON DOUTER DE TOUT ?
INTRODUCTION
Si je démontre que je peux douter de tout, je n’aurai pas douté du
raisonnement qui m’amène au doute. Y a-t-il une contradiction indépassable de
toute tentative d’établir la possibilité d’une démarche sceptique ? Par
ailleurs, peut-on se permettre de douter de certaines de nos obligations
morales en ne les accomplissant pas ?
A – SUSPENDRE NOS JUGEMENTS PAR LE DOUTE AVEC LES
SCEPTIQUES.
Une vidéo sur le scepticisme : micro-philo
: le scepticisme - YouTube
On doit douter pour être vraiment heureux,
d’après les sceptiques.
1 - les objections faites aux
sceptiques.
Il y a
trois objections classiques faites aux sceptiques. Premièrement, douter de tout
confine à la folie
puisqu’il n’y a plus moyen de se fonder sur rien dans les relations sociales
pour échanger. Deuxièmement, douter de tout menace notre sécurité (insécurité) puisque
doutant du danger on ira vers lui sans précaution. Troisièmement, douter de
tout conduit à douter de la morale et donc justifie la pire immoralité.
2 - Réponses aux objections faites
au scepticisme.
a - A propos de la folie.
Un fou
doute rarement de sa folie. Si on suit Freud et la psychanalyse, la plupart des gens sont des
névrosés mais, faute de se mettre en doute, il n’examine pas leur folie.
Le sceptique authentique ne se contente pas de douter de tout. Il faut aussi
qu’il sache douter de ses doutes. Au final il ne sait pas si ce qu’il voit, ce
qui apparaît dans sa conscience est une illusion ou une réalité.
b - A propos de l’irresponsabilité face au danger.
La peur
sert, il est vrai, à réagir face au danger. Douter du danger et donc de sa peur
pourrait être dommageable. Mais le sceptique ne nie pas qu’il y ait des
apparences de danger et des apparences de peur dans sa conscience. Son doute
n’est pas un doute qui consisterait à tenir simplement ces impressions pour des
illusions : il ne sait pas si elles sont illusoires ou réelles mais de
fait en se positionnant ainsi il est sûr de ne jamais paniquer, il apprend de
façon certaine à maîtriser sa peur qui se transforme alors en dynamisme pour
l’action. Un sceptique authentique serait un guerrier redoutable puisqu’il ne
craint pas la mort.
c - A propos de l’amoralité sceptique.
Quand
le sceptique doute de la morale, il n’est guère authentique car au fond il est
très aisé de douter de la morale. En vérité il est bien plus difficile de
douter de ses doutes à propos de la morale car un sceptique authentique doit
parvenir à douter de son ego jusqu’à le percevoir comme une apparence comme les
autres. Bien plus il doit réaliser qu’il n’y a pas un théâtre de la conscience
dirigé par un ego mais que le théâtre de la conscience est indissociable des
apparences qui le composent et qu’il y a une illusion à le croire centré sur un
ego. L’égocentrisme naturel de la conscience est l’obstacle le plus difficile
sur le chemin du doute sceptique authentique.
3 - L’intérêt d’être sceptique.
Libre
de nos traumatismes du passé, libre de la crainte de la mort et de la douleur
et enfin libre de notre désir égocentrique, ne serons-nous pas heureux ?
L’ataraxie décrite comme un état de tranquillité et de sérénité quelles que
soient les circonstances n’apparaîtra-t-il pas spontanément lors d’une démarche
sceptique authentique qui ne se contentera pas d’être intellectuelle, mais qui
sera aussi émotionnelle et physique ?
B – RENONCER A AVOIR TOUTE LA VERITE N’EST PAS RENONCER
A ETRE EN VERITE.
1 – TRANSITION CRITIQUE - Les
paradoxes du scepticisme.
a- Le paradoxe de l’enseignement du scepticisme.
Toutefois,
dans l’optique d’une doctrine sceptique, comment justifier un
enseignement ? Si on doute de tout et si on doute même de nos doutes,
comment enseigner ? Si le sceptique s’identifie à une école de sagesse, il
semble ne pas douter de tout. S’il doute de ses doutes à propos d’une telle
école, elle ne pourra être considérée, ainsi que son enseignement, que comme
des apparences. Comment exercer une pratique du doute fidèle à un enseignement
considérée comme une apparence ?
Il y a
là de nombreux paradoxes en perspective. Wittgenstein a bien montré dans De
la certitude que le doute systématique interdisait de construire un enseignement.
Il faut bien ne pas tout questionner systématiquement pour avancer au niveau
des contenus d’un enseignement.
b - Le paradoxe d’une authenticité du scepticisme.
On peut
répondre à ce premier paradoxe que le scepticisme est précisément un enseignement
qui libère de l’idée d’enseignement, de maître à penser et d’école qui sont
caractéristiques du dogmatisme, du sectarisme dans la façon de penser.
L’enseignement sceptique serait comme un virus qui déconstruirait tout
enseignement, y compris lui-même, dans ses tendances dogmatiques.
Mais
alors il faudrait tout de même admettre qu’il y a des critères d’authenticité
du scepticisme. Un scepticisme qui n’irait pas jusqu’à la déconstruction de sa
doctrine ne serait pas authentique. L’authenticité demeure une forme de vérité.
2 - la vérité d’un Soi.
Une
vidéo sur l’expérience de pensée du cerveau dans une cuve de Hilary Putnam (US,
20ème s.) et la réponse de Descartes :
#filosofix: «LE CERVEAU DANS UNE CUVE» (Français) - YouTube
Descartes
montre qu’il faut bien un auteur du doute, que le doute sceptique, s’il élimine
tout facteur d’égocentrisme intellectuel, passionnel ou physique ne peut pas
nier qu’il y a quelqu’un capable d’exercer une liberté d’indifférence. Le
quelqu’un en question n’a rien d’un quoi, d’une chose contenue dans la
conscience dont on pourrait aisément douter. Ce quelqu’un n’a donc rien de
commun avec notre personnalité, son caractère, son identité sexuelle, pulsionnelle,
émotionnelle, mentale : c’est une dimension de notre conscience qui permet
paradoxalement de nous identifier à notre personnalité et de nous en détacher.
Douglas Edison Harding et d’autres proposent de distinguer l’unique première personne qui surgit pure conscience et notre troisième personne, notre personnalité physique, pulsionnelle, émotionnelle et mentale. En cette première personne je suis aussi capable de m’identifier à une autre identité que celle de ma troisième personne.
Cette première personne est la capacité d’être conscient de
façon aussi égale de sa personnalité que d’une autre qui y apparaît. L’analyse
de Douglas Edison Harding se relie aux traditions mystiques chrétiennes ou
hindoues où la dimension divine de la conscience est seule authentique car
source de liberté et créatrice d’identités diverses parmi lesquelles notre
personne.
C – VIVRE EN VERITE AVEC UNE LIBERTE CREATRICE.
Le scepticisme s’il se contente d’atteindre l’ataraxie ne remarquera pas la liberté créatrice que sa démarche peut permettre de révéler au cœur de la conscience. Certes nous avons vu que Descartes insistait sur la liberté d’indifférence produit par la démarche sceptique pour la dépasser, mais sa vision de la conscience restait malgré tout celle d’un individu, d’une âme individuelle. Douglas Edison Harding permet d’envisager comme les platoniciens que notre âme soit intimement unie à toutes les âmes dans la conscience par essence divine. Reprenant Maître Eckhart, on peut dire que, selon Harding, l’œil par lequel je vois est l’œil par lequel Dieu me voit.
Par la notion de
divin ici sécularisée, nous pouvons, en nous détachant de toute religion
constituée, évoquer la source des phénomènes
de la conscience, la source de ce qui est. En tant qu’individu nous avons non
seulement une liberté d’indifférence qui nous détache des phénomènes mais nous
avons en nous une liberté d’intervenir parmi eux pour participer à leur
évolution créatrice.
Le
scepticisme comme de nombreuses conceptions de la vérité s’avèrent au final une
forme de conformisme. Le scepticisme permet d’échapper au dogmatisme, mais il
n’offre guère de moyen d’échapper au conformisme vu qu’il ne s’intéresse pas à
faire évoluer le monde des phénomènes.
Le
doute peut servir à regarder les phénomènes comme des apparences au lieu de s’y
soumettre. Mais au-delà, le doute est nécessaire aussi pour se libérer de
l’idée d’un impossible. Le doute devrait libérer du conformisme. Les génies
créateurs sont ceux qui reculent les frontières de l’impossible.
Que
signifie l’amplitude du doute sceptique sinon que notre conscience mentale
n’est pas une connaissance intégrale de la vérité dans la mesure où elle n’a
affaire qu’à des apparences. Contrairement à ce que pensait Descartes, la
raison ne nous permet pas de tout connaître des apparences, jusqu’au point où
derrière elles, la réalité apparaîtrait. Notre approche de la vérité est donc
enfermée dans les limites d’une conscience humaine mentale. Serait-il possible
que notre conscience dépasse cette limite-ci aussi en découvrant davantage en
soi cette dimension de liberté créatrice ? Bergson parle d’intuition
créatrice.
DEBAT N°2 : RENONCER A
LA VERITE N’EVITERAIT-IL PAS DE L’IMPOSER AUX AUTRES ?
INTRODUCTION
Le
perspectivisme affirme que chacun a un point de vue unique sur le réel. Cette
singularité de point de vue n’est pas à déplorer car au fond si on l’accepte
c’est un gage de tolérance. Affirmer une vérité, c’est affirmer la vérité de sa
seule perspective et vouloir l’imposer aux autres. Il y aurait alors un
dogmatisme inhérent au fait d’affirmer une croyance en la vérité universelle de
sa perspective. Elle va à l’envers d’une vertu de tolérance.
Cependant
si ma perspective est la tyrannie arbitraire sur les autres, si ma perspective
est de leur imposer de servir mes désirs sans leur demander d’adhérer à ma
vérité, le relativisme des perspectives ne se heurte-t-il pas dès lors à une
limite morale ?
A
- LA TOLERANCE RELATIVISTE ET SES LIMITES.
L’intolérance a toujours pour origine le fait que
quelqu’un croit avoir la vérité et qu’il est prêt à l’imposer par la force aux
autres. Si personne ne pensait avoir la vérité de façon absolue, il n’y aurait plus
d’intolérance. La tolérance n’est-elle pas immédiate dès lors qu’on renonce à
l’idée de vérité absolue ?
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Du point de vue relativiste pluraliste et démocrate, toute croyance peut être tolérée hormis celles qui menacent les autres personnes. |
Le relativisme affirme qu’il n’y a que des perspectives
individuelles sur la vie. Le scepticisme affirme que la conscience mentale ne
permet pas de trouver la vérité même si elle existe, mais malgré cela, il
entend affirmer l’authenticité de son point de vue. Le relativiste affirme, lui,
qu’il y a une authenticité individuelle, c’est-à-dire une forme de vérité
vivante inhérente à toute perspective individuelle sur la vie.
Dans
les dialogues interculturels, les difficultés viennent souvent du fait de
perspectives bien plus hétérogènes que peuvent l’être des perspectives
individuelles au sein d’une même culture. Au sein d’une culture, quand
quelqu’un a une perspective hétérogène, on peut le soupçonner de folie.
Mais face à une autre culture, cette attitude est
impensable. Cependant dialoguer ne nécessite-il pas de comprendre la
perspective de l’autre ? Au fond, devant une perspective hétérogène parce
que géniale, au bout d’un certain temps, une compréhension émerge. Si la
tolérance relativiste consiste en ce que des perspectives individuelles ou
culturelles se côtoient sans essayer de se comprendre, ne risque-t-on pas de
peu à peu glisser vers le conflit pour obtenir une reconnaissance de
l’autre ? La tolérance est une vertu insuffisante pour fonder la paix
sociale et, plus encore, la solidarité. Le relativisme permet de développer une
perspective individuelle, mais cette perspective ne risque-t-elle pas d’être
égocentrique si elle n’est pas animée du désir de compréhension ?
B
- IL NE FAUT PAS RENONCER A UNE CERTAINE VERITE DES SCIENCES POUR DEPASSER NOS
ERREURS ET DECOUVRIR DE NOUVEAUX PHENOMENES.
La science cherche à
comprendre le monde dans lequel nous vivons. Pour elle comprendre ce monde
consiste à l’expliquer dans ses processus.
Les sciences mathématiques essaient de nous défaire des
erreurs de raisonnement tout en explorant des mondes fictifs cohérents du point
de vue d’une logique et de certains axiomes.
La science physique ou la biologie émettent des théories
prédictives dont des expériences testeront les prédictions. Une théorie
scientifique n’est jamais une vérité absolue, la science est en perpétuel
progrès cependant car elle esquisse des théories de plus en plus prédictives et
qui résistent de mieux en mieux aux tests expérimentaux. En outre elle découvre
de plus en plus d’objets et de phénomènes jusque-là inconnus.
L’explication scientifique nous offre une explication de
plus en plus détaillée de l’évolution de l’espace-temps énergie jusqu’à
l’apparition de notre espèce humaine.
Certaines lignes de faits s’imposent de plus en plus à
nous à travers la démarche scientifique. On ne peut pas renoncer à cette vérité
dès lors que nous nous sommes souvent servi des théories et découvertes
scientifiques pour inventer de nouvelles technologies et que les limites de ces
technologies nous sont souvent révélées par la science elle-même. La toxicité
de certains produits inventés par des scientifiques nous est ainsi découverte
par d’autres scientifiques. A l’heure où la question d’une crise écologique
majeure se pose à nous, la science et ses esquisses de vérités nous sont plus
que jamais nécessaires.
C
- AU-DELA DES VALEURS ET DES FAITS OBJECTIF, L’EXPLORATION SPIRITUELLE DE FAITS
SUBJECTIFS.
La tolérance implique de laisser libre cours à des valeurs subjectives permettant aux personnes de vraiment s’individualiser. Cependant cette individualisation personnelle et culturelle risque d’être égocentrique si elle ne s’appuie pas sur la valeur objective de la compréhension. La science fait écho à cette valeur objective en cernant des faits objectifs. Expliquer permet souvent de mieux comprendre et réciproquement.
Mais ces approches, si elles sont complémentaires,
risquent d’oublier en quelque sorte une quatrième dimension de la question de
la vérité. Il y a des traits subjectifs qui ne sont ni simplement personnels ni
simplement interpersonnels. Il y a comme des faits subjectifs transpersonnels.
Une expérience de beauté n’est pas une question de
préférence personnelle ou culturelle même si l’œuvre d’art exprime un style
personnel. En effet la beauté semble effacer la confrontation entre un sujet
qui observe et un objet observé : il y a le rayonnement de l’œuvre d’art
devenu conscient. La beauté ravit la conscience de l’observateur, il n’y a plus
un sujet face à un objet d’art. L’art devient comme le sujet d’un rayonnement
ravissant la conscience à l’observateur qui semblait la maîtriser jusque-là. A
vrai dire, si l’expérience de beauté a cette profondeur, on peut ouvrir la
question de la vérité d’un fait subjectif à explorer. Il y a là une façon
d’être vérité qui s’impose à certains et dont la spiritualité religieuse et
philosophique a tenté de témoigner en évoquant le fait intérieur de la
conscience infinie.
Il faut cependant admettre des interprétations et des
perspectives diverses sur une expérience dont le fond est le même.
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Cliquez sur l'image pour la voir en détail. Le schéma à droite est une synthèse des perspectives sur l'infini de la conscience en débat sur le schéma de gauche. |