Doit-on apprendre la bonté ?
Introduction
[Accroche :] La tâche éducative des parents ne peut être niée.
[Présentation du sujet :] Apprendre à être bon paraît donc une
évidence morale. Pourquoi alors poser la question « doit-on apprendre la
bonté ? » ?
[Analyse problématique :] En fait, des parents attentifs à
l’éducation éthique de leurs enfants affirment qu’ils peuvent s’appuyer sur des
ressentis de l’enfant ou sur sa réflexion. Au fond, l’éducation parentale ne fait que peut-être
protéger la voix de la bonté déjà présente en l’enfant contre les corruptions
externes qui menacent de la rendre inaudible.
Toutefois, certains protesteront contre une telle vision idyllique de l’innocence
enfantine. La corruption et le mal ne sont pas extérieurs, selon eux, à
l’enfant. L’enfant est un
pervers polymorphe, dira le psychanalyste, insistant sur la nécessité d’une
éducation pour intérioriser un surmoi. D’autres insisteront sur l’égocentrisme
propre à tout être humain, nos désirs sont forcément égocentriques. Être
moral à l’encontre de cette tendance implique un effort réflexif et une
vigilance contre des tendances immorales qui découlent de notre nature
désirante. Apprendre la bonté consiste alors à apprendre à déjouer
l’égocentrisme inhérent à notre nature désirante.
Ainsi deux visions s’opposent ici.
La
première suggère que la bonté est déjà présente en nous. Il ne s’agit alors pas
tant d’apprendre à être bon, qu’à mettre nos sentiments et notre intelligence à
l’écoute de cette bonté à l’encontre de ce qui pourrait la déformer et la
rendre inaudible. Une telle conception expliquerait que dans certaines
circonstances aient pu surgir, il y a des centaines d’années, des génies
éthiques dont le rayonnement soit encore pertinent moralement pour aujourd’hui.
La
seconde affirme que par nature, notre première tendance est immorale, car elle
privilégie nos intérêts sur ceux des autres. L’éducation morale est alors
indispensable pour contrebalancer cette tendance immédiate au mal. Mais la
bonté n’est pas seulement le fruit d’une éducation qui au fond déplace souvent
l’égocentrisme individuel vers des exigences communautaristes plus ou moins
étroites. Elle doit être le fruit d’une réflexion rationnelle universaliste. Ce
progrès de la bonté ne pourrait alors être envisagé culturellement que sur des
générations.
Partie 1 : Le bien est le fruit
de l’autonomie rationnelle qui s’apprend.
A – hétéronomie vs autonomie – la
nécessité éducative de passer de l’hétéronomie à l’autonomie. Les dangers d’une
obéissance à l’autorité déresponsabilisante (expérience de Milgram)
B – Le surmoi ressemble à une
conscience morale mais reste le fruit d’une intériorisation inconsciente des
idéaux souvent idéologiques et d’interdits parfois discutables.
C – Transition critique :
Toutefois l’autonomie rationnelle ne répond pas à toutes les situations. Même
la casuistique rationnelle ne suffit pas face à des dilemmes insolubles.
Comment choisir entre un sentiment filial et un sentiment patriotique quand ils
s’opposent ?
Partie 2 : Pour agir avec bonté au moment opportun, il faut cultiver des vertus.
A – La rationalité morale nous dit
quoi faire mais ce n’est pas parce qu’on sait quoi faire qu’on est en mesure de
le faire. Il nous faut développer des vertus, comme un sportif qui s’entraîne
et qui face à une situation inédite produira une action elle-même inédite.
Mais, au fond, il y parviendra grâce à son entraînement. Ou bien comme un
musicien entraîné qui grâce à sa maîtrise technique pourra improviser et créer.
B – Les vertus sont liées à nos
énergies et capacités. La tempérance est la maîtrise de nos pulsions ; le
courage ou la fortitude une maîtrise des émotions et des sentiments ; la
prudence ou la sagesse pratique est un pouvoir de discernement cultivé. La foi
en la vie et l’espérance dans la victoire du bien cultivent ce qui recevra la
grâce de l’intuition créatrice dans le cœur. Enfin il y a le pouvoir de la
bonté, désigné dans la spiritualité chrétienne comme charité ou agapè.
C – Transition critique : Le
terme de bonté en tant que vertu s’apprend mais si c’est une réalité
préexistante à laquelle on se connecte par nos efforts ? L’intuition du
mathématicien est de cet ordre, elle est le produit d’un effort mais elle
surgit comme une intuition qui vient et éclaire la conscience du mathématicien.
Partie 3 : Le cœur est une réalité à découvrir plus qu’une vertu à produire. Il faut apprendre à ne pas la dénaturer.
A – « Le cœur a ses raisons que
la raison ne connaît point. », Pascal
Pour Blaise Pascal (F, 17ème)
qui affirme que « le cœur a ses
raisons que la raison ne connait point », le cœur aurait un accès
privilégié à des intuitions, des principes évidents plus fins face à une morale
rationnelle. Chez Pascal, le cœur s'inscrit dans la tradition chrétienne. Il
est chrétien, catholique et janséniste. Selon les jansénistes, la majorité des
Hommes va finir en enfer et seule la grâce de Dieu sauve. Le jansénisme estime
qu’il faut souffrir pour réussir à attirer la grâce de Dieu. L'approche de
Pascal est donc marquée par la religion et un mouvement religieux critiquable.
A-t-elle une portée universelle ?
Les philosophes des Lumières ont
repris l'héritage de Pascal.
Deux grands philosophes pensent
« tout contre » Pascal : Voltaire et Rousseau.
Ils sont contre Pascal car, selon
eux, la spiritualité ne doit pas dépendre d'une révélation religieuse. Ils sont
philosophes défendant l'autonomie rationnelle, on ne doit pas être soumis à
l'autorité d'une tradition. Pour Voltaire, il n'y a pas d'amour du prochain,
s'il n'y a pas un minimum de tolérance. Tolérer, ce n'est pas aimer, mais
parvenir à supporter quelqu'un qui nous est difficilement supportable. Pour
Voltaire, on doit pouvoir défendre la liberté de pensée de gens avec qui nous
ne sommes pas d'accord. La tolérance est une vertu préparatoire à l'amour.
Il ne faut pas confondre la vertu de
tolérance et le droit à la liberté d'expression. La limite de la tolérance est
l'injustice.
Chez les Lumières, on distingue le
déisme où on croit en Dieu, mais auquel on accède sans texte sacré, sans
autorité religieuse et le théisme, selon lequel la religion doit s'accompagner
de textes sacrés, d'autorité.
Chez Pascal, le cœur est corrompu par
le péché originel d’Adam et Eve. Pascal surenchérit sur la théorie d’une
transmission du péché originel à partir de sa lecture d’Augustin d’Hippone.
B – La bonté du cœur est naturelle,
la bonne éducation ne la dénature pas.
Rousseau critique la notion de péché
originel comme tâche ou souillure héréditaire intrinsèque. Pour lui, l'homme
est bon par nature, c'est la société qui le corrompt.
Rousseau dans La profession de foi du
vicaire savoyard, un passage de l’Emile, livre IV décrit la conscience
morale du cœur.
Dans ce passage, Rousseau présente sa
théorie de la religion. Il présente une voix du cœur qui est donc sécularisée
puisqu’héritée du théisme sans y souscrire. Pour lui, le sentiment moral est
naturel si on ne dénature pas les enfants dans l'éducation. Entendre la voix du
cœur est une question de nature humaine et non pas de religion révélée.
La chance d'avoir une autonomie est
plus grande chez l'enfant quand la violence physique n'est pas utilisée.
Pour Rousseau, la morale ne nécessite
pas un intellect surdéveloppé. La morale n'est pas liée à une pensée
intellectuelle subtile, c'est une évidence qu'on trouve dans son cœur, si on
n'a pas été dénaturé.
Rousseau nous donne une idée de
conscience morale en pointant une situation où elle est repoussée. Pour lui, en
effet, quand on cherche des justifications, on est en train de faire du mal. La
justification de soi cache souvent le mal. Quand je fais le bien, j’ai rarement
le besoin de me justifier.
Pour Rousseau, l'amour de soi nous
permet d'entendre notre cœur, contrairement à l'amour propre. L’amour propre
est un amour qui soit se surestime, soit se sous-estime mais qui n’est pas
capable de sincérité sur nos imperfections et nos perfections. Si j'arrive à
m'aimer moi-même de manière juste, j'arriverai à aimer les autres plus
justement, indique Rousseau.
Les désirs sont parfois très
égocentriques, et on va prétendre qu'ils sont naturels. Pour Rousseau, la
conscience morale est la voix de l'âme, tandis que les passions (désirs vains)
sont la voix du corps.
Chez Platon, Eros est la voix de la
conscience morale, désir de la beauté en opposition au désir appétit.
Même les animaux ont une âme. La
moralité n'est pas un privilège humain, ça existe déjà dans la nature. Rousseau
préfigure l'éthologie, l’étude du comportement animal. On sait grâce à cette
science que les animaux ont un sentiment moral. La morale est un instinct, une
régulation automatique de nos pulsions. Chez les animaux, l'instinct régule les
appétits.
Pour Rousseau, le désir pour ce qui est
beau et les désirs appétits sont rendus confus à cause des valorisations
sociales de l’avoir au détriment de l’être, de l’apparaître ou du paraître au
détriment du naturel. C’est pourquoi la voix du cœur s’entendra davantage,
selon Rousseau, si on se libère par la sincérité et le rapprochement avec la
nature.
C – Le cœur n’est pas qu’une illusion
due au surmoi.
Le stade du miroir implique la
reconnaissance de soi aussi bien qu’une intériorisation du regard d’autrui avec
ses idéaux et ses interdits. Le stade du miroir implique u apprentissage par
mimétisme : je m’identifie au reflet auquel l’autre m’identifie sur le
miroir. Le mimétisme est une opération centrale lors de tous nos apprentissages
mais il amène à des illusions égocentriques et à une concurrence mimétique. Le
surmoi intériorise certains interdits limitant la concurrence mimétique, mais
il en valorise souvent certains aspects au détriment d’un cœur et d’une bonté
authentique.
Avec le stade du miroir, nous avons
intériorisé une confusion entre le point de vue en troisième personne et le
point de vue en première personne. Nous avons été chosifié par le point de vue
intersubjectif. Mais cette chosification qui a mis en nous un surmoi avec ses
déterminations n’a rien de définitif. Nous ne sommes pas condamnés à une
confrontation avec l’autre. Nous ne sommes pas condamnés à être le moi
haïssable dénoncé pour son incapacité à accueillir l’altérité de l’autre et
toujours vouloir chosifier l’infini du visage de l’autre. C’est parce que
nous-même sommes chosifiés en tant qu’ego et que nous vivons ainsi dans une
intersubjectivité chosifiante que nous trahissons l’infini que découvre le
visage de l’autre.
Le surmoi est une surimposition de la
conscience au même titre que l’ego égo-centrique : la réalité première de
la conscience morale ou de l’ouverture du cœur est une relation entre un visage
et une conscience infinie en première personne. Avoir une âme, c’est redonner
la place à cette relation originaire, c’est s’écarter de la relation entre
autrui et notre conscience infinie qui précède toute relation personnelle entre
nous et autrui.
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