Notre inconscient est-il un obstacle au bien ?
Introduction
[Accroche :] Nous faisons des promesses. Mais souvent survient un
désir que nous n’avions pas envisagé alors que nous donnions notre parole. La
promesse que nous pensions tenable devient alors difficile à respecter.
Parfois, nous pensons même réussir à cacher un écart à l’autre à qui nous
avions fait cette promesse. Nous commençons à trouver des justifications, nous
estimons conserver l’essentiel de la promesse même si nous ne nous y tenons que
partiellement. Le désir a des origines qui nous échappent. Nous l’approuvons ou
le désapprouvons, mais il semble surgir parfois avec une force à laquelle nous
ne savons pas résister. Le désir a bien une origine inconsciente qui semble
pouvoir faire obstacle au bien.
[Présentation du sujet :] Mais faut-il affirmer que
l’inconscient est un obstacle au bien ?
[Analyse problématique :] Si d’emblée l’origine inconsciente du désir semble souvent
contrevenir au bien moral. Néanmoins ce qui nous retient de donner une réponse affirmative
à notre sujet est que l’inconscient ne s’identifie pas forcément uniquement à
l’origine imperceptible de nos désirs. Dans notre inconscient, il peut y avoir aussi des résistances à nos
désirs. La honte, le dégoût, le sentiment de culpabilité semblent
eux-aussi surgir de l’inconscient et barrer la route à certains désirs a priori
immoraux. Par ailleurs, même si la honte, le dégoût, la culpabilité ne sont pas
pertinentes parfois, de notre
inconscient surgit parfois une aspiration au beau, au parfait, au juste et à
l’authentique qui soudain nous éloigne de toute complicité avec une attitude
collective valorisant des désirs funestes. La dissidence politique, dans
certains régimes autoritaires, amène certaines personnes à tout perdre pour ne
pas céder au simple désir de survivre qui rend complice d’atrocités.
Ainsi nous devons enquêter aux frontières de notre conscience
ordinaire et élargir notre conscience sur notre inconscient pour davantage être
assuré d’agir dans la perspective du bien. Toutefois, cette conquête de la conscience sur le
terrain de l’inconscient est-elle toujours possible ? Si la conscience n’est qu’une
illusion au sein d’un univers essentiellement mécanique, la notion de bien
elle-même ne serait-elle pas illusoire au final ? Distinguer ce qui
doit être moralement, ce qui ne doit pas être moralement de ce qui aurait
nécessairement lieu quoi qu’on en pense a-t-il du sens ?
Partie 1 : Si on associe le bien
à la conscience alors les motivations inconscientes doivent être rejetées au
profit de motivations rationnelles.
A – Un acte libre est un acte dont
les motivations sont conscientes. Si la source de notre acte est une préférence
dont les tenants et les aboutissants nous échappent alors il semble que nous
soyons plus dans un serf-arbitre qu’un libre-arbitre. La raison rend nos
motivations conscientes et donc les désirs et les penchants sont examinés et
suivis que lorsqu’ils ne contreviennent pas au libre-arbitre.
B – Toutefois, il n’est pas évident
de surmonter l’hétéronomie qui est inscrite subconsciemment en nous sous la
forme d’un surmoi. Notre moi est ainsi étroitement lié dans sa genèse au regard
d’autrui. Le surmoi est une conquête sociale du domaine du ça mais elle est un
résultat inconscient. Ce qui nous dégoûte comme sale ne sera pas tout à fait ce
qu’un autre élevé autrement trouvera dégoutant. Pour des étrangers à la culture
française les odeurs de certains fromages seront jugées dégoutantes alors que
pour un français, elles seront jugées appétissantes. Mais l’hétéronomie
produite par le surmoi peut aller plus loin. Aujourd’hui, peu de gens estiment
qu’il est immoral de manger de la viande qui suppose la souffrance de l’animal
mais demain. Par le passé, les familles esclavagistes et racistes de fait ne
trouvaient pas choquant d’avoir des esclaves. Aujourd’hui cela est devenu
criminel et suppose la honte ainsi que la culpabilité.
C – Transition critique : En
désignant la source de la vie inconsciente comme un « ça », Freud le
détermine comme subconscient. Pour Freud, la liberté visée par une thérapie
consiste en ce que où le ça dominait, le moi advienne. L’activité rationnelle
de la conscience ordinaire ne suffit pas à nous libérer des mécanismes
inconscients. La morale kantienne ou utilitariste n’ont guère suffit face aux
montées collectives de la violence du XXème siècle.
Partie 2 : Il ne faut pas seulement se tenir à distance de l’inconscient en s’accrochant à la raison, il faut rendre conscient l’inconscient pour triompher des maux enracinés dans l’inconscient.
A – Avec le rêve, la
libre-association des pensées et des émotions nous pouvons prendre conscience
de certaines fixations sur des objets de désir qui sont le fruit de réactions à
des situations passées.
Descartes évoque son attirance pour
les femmes avec un strabisme. Il avoue que ce penchant curieux le trouble. Mais
il en a retrouvé la source : son amour d’enfance pour une petite fille
avec un strabisme. C’est cette association première entre amour et strabisme
qui explique son penchant mécanique qui s’avère au fond une limitation de sa
liberté.
B – Le
modèle freudien ne surmonte pas la pédagogie noire dénoncée par Alice Miller
entre autres.
Il faut en revenir en amont de la
concurrence mimétique et des régulations sociales intériorisées de cette
dernière. La violence éducative participe à produire le sentiment de
culpabilité, la peur excessive de mal faire, etc. L’absence de tout surmoi
pourrait être problématique : intérioriser les idéaux exogamiques et les
interdits de l’inceste est une base d’une vie sociale saine et morale. Mais
intérioriser une certaine légitimité de la cruauté éducative est très
troublant. Le complexe d’Œdipe paraît un enfant d’une violence déjà
intériorisée qu’il ne faudrait pas retourner contre des parents violents… A
bien y regarder, il y a peu d’enfants qui s’en prennent violemment à leurs
parents. Dans les faits, ce sont les enfants qui subissent la violence
éducative ; elle prend parfois un tour cruel et elle aboutit même à ce que
des parents blessent irréversiblement l’intégrité psychique et physique de
leurs enfants. Et si on prend au sérieux le mimétisme, une intégration de ces
défaillances par imprégnation mimétique pourrait alors s’étendre sur des
générations. Le mal commis et subi d’une génération sera donc un héritage de la
suivante…
C – Transition critique : Cependant
connaître l’enracinement d’un processus subconscient ne revient pas forcément à
s’en libérer. Comment s’assurer de se détacher de ce processus même si on en
connaît la cause. Et d’ailleurs, être informé ne signifie pas forcément
comprendre assez en profondeur pour s’en libérer. Savoir que fumer tue sur le
plan des informations scientifiques ne conduit pas le fumeur à s’arrêter de
fumer dans la mesure où cela ne lui permet pas de comprendre directement par
lui-même les nuisances du tabagisme sur son corps. L’information sur le bien et
le mal n’est malheureusement pas une expérience directe et profonde du bien et
du mal.
Partie 3 : Dans sa dimension
surconsciente, l’inconscient est loin d’être un obstacle au bien puisqu’il
offre la possibilité de réaliser l’ouverture de notre cœur.
A – Parfois avant de s’enfoncer dans
les poubelles du subconscient, il vaudrait mieux d’abord en apercevoir les
beautés et les bontés surconscientes avant de s’y affronter.
Freud identifie inconscient et
subconscient. Mais une tradition qui va de Socrate et Platon à Bergson en
passant par Rousseau et Pascal défend l’idée que le bien est au-delà de la
conscience ordinaire. Il faut se connaître intérieurement pour libérer son âme
ou entendre mieux son cœur et ainsi participer plus consciemment à une
évolution créatrice de la vie.
B – Le rêve n’est pas seulement un
conflit entre un ça et un surmoi au milieu duquel un moi cherche à grandir.
Carl Gustav Jung a une autre thèse que Freud, qui là encore met en avant un
inconscient surconscient au lieu d’un inconscient seulement subconscient. Pour
Jung, le rêve lucide est possible. La totalité du rêve est l’expression d’un
Soi dans lequel s’individue notre moi. Le bien n’est pas ici réductible à un
moralisme. Le bien est associé à un devenir authentique de notre personne en
harmonie avec une conscience plus vaste qui semble mieux nous connaître
nous-mêmes que nous le pouvons. Devenir ce que nous sommes au-delà de
l’individualisation que la société a produit par le jeu des mimétismes, des
idéaux et des interdits met en jeu la vertu d’authenticité et de sincérité.
Déjà Rousseau avait vu ce lien avec l’écoute de la voix du cœur.
C – Tant que nous vivons au niveau
des jugements et des représentations, nous ne pouvons pas avoir une connaissance
directe de notre âme, de nos émotions ou de nos désirs. D’ailleurs ce sont bien
des jugements et des représentations qui ont commandé notre individualisation
qui à la fois est le lieu de notre individuation et lui fait obstacle. Car en
fait notre individualisation a fait de nous un ego séparé d’autrui. Pour faire
le bien, certains pensent que la seule voie est de haïr notre ego. Mais c’est
une voie qui nie en nous l’individuation d’un Soi absolu en lequel ma personne
en évolution et l’autre sommes un.
L’approche phénoménologique d’un
Douglas Harding paraît ici essentielle pour surmonter une surimposition
inconsciente qui fait un obstacle majeur au bien. Nous croyons rencontrer
autrui en un face à face, le visage de l’autre est là-bas et ici en face, il y
aurait mon visage que l’autre rencontre et à travers je rencontre l’autre. Mais
déjà ceci est le fruit du surmoi et de l’individualisation de notre ego par le
regard de l’autre lors su stade du miroir. Je me suis identifié avec l’image
que voyait l’autre pour dire que ce reflet qui se trouvait sur le miroir
c’était moi. J’ai accepté que l’arrière-plan de conscience sur fond duquel tout
apparaît devienne inconscient. A vrai dire, la donnée immédiate de la
conscience, du Soi est que l’autre est accueilli tel quel dans une transparence
qui se tient au-dessus de nos épaules. La notion de face à face est une
représentation que nous avons intériorisée et non une donnée phénoménologique.
Je ne vois pas mon visage à moins de disposer d’un reflet. L’ouverture de
conscience qui englobe mon ego et autrui n’est pas à confondre avec une
représentation de moi-même habitée inconsciemment par les représentations de
ceux qui m’ont éduqué. Cette ouverture est un chemin vers le cœur. Elle est un
accueil inconditionnel de l’autre comme de soi-même, elle ne juge pas, elle est
la lumière dans laquelle nous surgissons moi et l’autre. Ce n’est ni une
lumière intellectuelle ni une lumière sensible. Cela veut autrui comme moi-même
tel quel, tels que nous sommes. Mais sans exclure une prise de conscience
transformatrice de cette unité où nous pouvons nous rencontrer sans séparation.
Si le bien est une réalité essentielle du réel alors c’est en approfondissant
nos relations et notre individuation en ce Soi, cet arrière-plan de conscience
qu’elle se révèlera à nous. Cette révélation sera davantage de l’ordre de
l’intuition que de l’ordre des représentations mentales, des émotions ou des
sentiments à travers laquelle elle s’exprimera.
Cultivant cette lumière, peut-être
reviendrons-nous vers le subconscient pour mieux y conquérir l’animal
redoutable que nous demeurons au niveau de nos pulsions.
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