lundi 10 mars 2025

Eléments de corrigé sur le sujet : Peut-on affirmer à la fois que l'homme est libre et que la nature est soumise à des lois ?

 

Eléments de corrigé du Sujet : Peut-on affirmer à la fois que l'homme est libre et que la nature est soumise à des lois ?

 

[Analyse problématique :]

A première vue, l’affirmation simultanée que l’homme est libre et la nature soumise à des lois semble contradictoire. En effet, si la liberté est à entendre comme liberté de décision alors l’appartenance de l’homme au moins par son corps à la nature ne devrait pas agir sur ces décisions. Or s’il y a des lois de la nature, par son corps, l’homme obéit à ces lois et forcément ses actes sont influencés par elles. Ceci rend dès lors ces lois contraires à une liberté de décision sans faille.

Cependant, il y a au moins deux modes de considération de la question qui nous invitent à ne pas nous en tenir à cette première réponse.

Tout d’abord, on peut entendre la question de la liberté ici non sous le mode d’une libre décision sans influence externe mais sous le mode d’une connaissance. En effet, plus je me connais en connaissant ce qui me détermine, moins je subis ces déterminations. Par exemple, je peux apprendre dès lors à contourner ces lois grâce à des techniques. D’autre part, je peux peut-être repérer les illusions que ces lois produisent au niveau de l’impression d’une libre décision et apprendre à m’en méfier. La liberté comme chemin de connaissance n’est pas alors contraire au fait que la nature soit soumise à des lois.

Par ailleurs, comme ici une interprétation de la liberté réduite à la seule libre décision est un préjugé, notre représentation de lois de la nature peut aussi l’être. Si nous entendons par lois, un processus matériel qui ne conduit qu’à une seule série d’événements, nous associons les lois de la nature à un déterminisme absolu. Or les sciences de la nature montrent désormais tant au niveau des calculs que des faits que les lois génèrent un indéterminisme événementiel. Dès lors dans nos actes liés à des décisions, il y a une marge d’indétermination même si des lois sont à l’œuvre. En outre, il se peut même que les lois de la nature ne soient pas éternelles. Ce sont peut-être comme des jeux de processus habituels de la matière mais par le jeu du hasard des flux, un cours d’eau peut modifier la nécessité de son écoulement dans un lit.

Enfin nous ne pouvons ignorer que des traditions métaphysiques ont défendu un compatibilisme. Cette doctrine se présente par exemple avec l’idée d’un Divin omnipotent connaissant par avance nos décisions, tout en maintenant l’idée que nos décisions en bien ou en mal relevaient pour la majeure partie de notre choix et donc de notre responsabilité. Ces doctrines sont un visage de ce qu’on appelle le compatibilisme, un point de vue où le libre-arbitre peut être pensé paradoxalement comme réel dans un univers régi par des lois et des prédestinations.

 

I – Le compatibilisme affirme que libre-arbitre et existence éternaliste de tous les événements sont compatibles.

 

A – Dans l’hypothèse du Divin omnipotent, l’exigence morale aboutit au compatibilisme.


Si Dieu connait à l’avance notre rapport au bien et au mal, pourquoi a-t-il créé des êtres condamnés au mal sans retour ? S’il l’a fait n’a-t-il pas dès lors contrevenu au bien. Or si le Divin et le Bien ne font qu’un, comment justifier ceci ?

On peut envisager une autre idée de l’omnipotence divine en s’inspirant des idées développées par Leibniz, un philosophe allemand mort en 1715 ou par Philip K. Dick, un auteur de science-fiction du 20ème siècle. En fait, à chaque instant, tous les univers possibles liés à nos décisions existent, l’univers où je me suis levé ce matin coexiste avec l’univers où je suis resté au lit. Mais à la fin seule ma version gagnant la perfection du Bien existerait pleinement. P. K. Dick a particulièrement développé cette idée dans son roman Le maître du haut-château : un univers où les nazis alliés aux japonais ont triomphé des USA voit se rencontrer des sujets avec ceux d’un autre univers où ces forces ne se sont pas imposées. Peu à peu, cela grippe totalement le pouvoir en place et cela tend à une configuration se rapprochant de celle où ces forces ont été vaincues.


B – En physique, on peut raisonnablement poser la question de voyages dans notre propre futur, ceci suppose un éternalisme et ouvre un espace à des décisions contingentes donc libres.


Le passé est irréversible pour de nombreux physiciens. Je ne pourrais pas tuer mon arrière-grand père. Mais à partir d’un instant présent, un voyage vers un futur n’est qu’un chemin de devenir virtuel et donc réversible. Marty McFly dans Retour vers le futur change ainsi ses comportements en revenant vers son présent ayant constaté les effets nocifs de ses impulsivités pour lui, sa famille et ses amours.

Pour la science, il se pourrait que la lumière quand elle emprunte le chemin le plus économique, par exemple en changeant d’angle en entrant dans un liquide, le fasse grâce à des particules virtuelles lancées dans le futur et revenant l’informer. On a là comme une rétrocausalité du futur vers le présent.

Donc le compatibilisme peut être lié non seulement à des hypothèses métaphysiques adossées à des croyances religieuses, mais aussi à certaines approches des sciences de la nature.


C – Transition Critique : Cependant, malgré elle, cette hypothèse de pensée compatibiliste nous ramène vers l’idée d’une connaissance au fondement véritable de la liberté.

 

II – La philosophie du déterminisme comme voie de connaissance est une voie de libération.


A – il ne faut pas confondre le déterminisme et le fatalisme.

Voir cours. Prédéterminisme compatibiliste ou déterminisme absolu présentent le danger de générer du fatalisme.

Articulation vers le B : Le fatalisme relève du premier genre de connaissance. La pensée déterministe est fondée sur la raison, un deuxième genre de connaissance par rapport au premier de genre de connaissances qui est opinion, imagination, etc. Il permet des techniques de contournement des déterminations. Mais parfois la connaissance rationnelle de ce qui nous détermine ne semble pas nous en libérer. Le fumeur connaît les méfaits du tabac mais continue son tabagisme. Alors ?


B – Par le troisième genre de connaissance, le sage est celui qui intègre le corps de l’univers comme son corps, il se découvre une autodétermination de l’univers, il n’est plus déterminé de l’extérieur. [A développer en le précisant]


L’émotion n’est plus subie, le manque est vu comme subi, connu par identité, il devient une énergie dont on dispose pour agir. Ici on a une libération par une connaissance qui se fonde sur une vision englobante intuitive de l’autodétermination de la nature par elle-même. Du fait de cette vision englobante due à sa connaissance, pour le sage, il n’y a plus de forces le dominant de l’extérieur. Toutes les forces agissantes sont perçues par le sage comme ses propres forces et sa propre volonté. [A développer en le précisant]

C – Transition Critique :

La connaissance est un désir, un désir réfléchi, ce qui est un choix volontaire à un autre niveau. Une émotion peut être un processus causal ou devenir par connaissance une énergie libre indéterminée. Les lois de la nature ne relèvent donc pas alors d’un déterminisme absolu contrairement à ce qu’affirment Spinoza ou Laplace.

 

III – L’existence d’une liberté créatrice suggère que la nature n’est pas, à strictement parler, soumise à des lois, mais que la nature est le résultat d’une évolution de la matière où germent des formes habituelles et des formes nouvelles de vie.


A – L’évolution du vivant comme fleuve de la vie où le hasard redessine la nécessité.

L’élan de vie, le processus d’indéterminations qui s’insère dans le déterminisme matériel s’appuie aussi sur des systèmes d’interdépendances des processus vivants ainsi créés. Un écosystème est lié à un tissu d’interdépendances, en même temps que l’évolution du vivant modifie ce système sans cesse. On n’a pas ici affaire à des lois éternelles. Des équilibres nouveaux se font jour dans une transformation constante des processus.

La crise écologique actuelle montre que nous avons le privilège de faire des choix déséquilibrants pour le système vivant dans sa globalité, la biosphère. Ces déséquilibres ne menacent pas la vie, mais des écosystèmes avec lesquels notre existence dans des conditions vivables est soutenable.

La situation montre qu’on ne peut opposer dans la liberté la notion de choix et la notion de connaissance. Notre crise évolutive suggère que choix et connaissance doivent s’allier pour produire des innovations.

Nous avons à créer une nouvelle culture : déjà l’écoconception, l’économie circulaire ou le low-tech se répandent. Ces conceptions insistent sur l’imbrication des cycles naturels et industriels, la réparabilité contre l’obsolescence programmée. Mais ces solutions qui restent dans l’idée de se maintenir dans les équilibres écosystémiques sont-elles les seules solutions. Les solutions écomodernistes comme l’économie circulaire ou des solutions plus antimodernes comme le low-tech n’excluent pas une troisième voie : certains d’entre nous vont peut-être évoluer vers une autre forme de vie qui solutionnera ce déséquilibre. En tout cas, nous sommes les seuls êtres vivants capables de commencer à évoluer en conscience.

Nos créations ne sont pas soumises à des lois préexistantes que précisément elles contournent ou retournent en des chemins inédits. Cependant elles doivent trouver aussi de nouveaux équilibres respectant un équilibre systémique sous peine de couper la branche sur laquelle nous sommes assis. L’harmonie de nos choix et des équilibres systémiques n’est pas donnée, elle est aussi à rechercher et à créer.


B – La nécessaire réinterprétation du troisième genre de connaissance comme intuition créatrice au service de l’évolution globale du vivant.

La connaissance rationnelle de cette crise évolutive est malheureusement assez peu développée encore. Certains se rallient au fatalisme, au cynisme et au nihilisme. D’autres incapables de raison en restent à un genre de connaissance où l’opinion, l’imagination, et la simple satisfaction de ses pulsions égocentriques dans un cadre social suffisamment ordonné suffira.

Quel serait le type d’intuition créatrice qui, dans le contexte de ce que nous diagnostiquons comme une crise évolutive dont l’humain est la cause inconsciente, pourrait simultanément satisfaire à une liberté libre des déterminations sans contrevenir à des lois d’équilibres ? Ou plus exactement, dans la nouvelle forme que nous donnons donc à notre sujet, comment produire des systèmes de déséquilibres évolutifs suffisamment stables pour préserver la possibilité d’une vie digne de l’espèce humaine et ne pas s’interdire d’explorer des possibilités d’une espèce surhumaine ?

Une libre création artistique suggère que l’on peut se libérer de certains carcans mentaux et proposer une telle libération sans forcément utiliser la violence pour imposer une nouvelle manière de penser et de voir. Certains envisagent avec le transhumanisme une titanisation de l’humain ; l’influence, la longévité, les capacités de déplacement, etc. de certains seraient augmentées par rapport à d’autres. Les errances eugénistes du vingtième siècle et leurs violences ne sont pas loin. On ne fait pas du neuf en augmentant l’intensité de certains traits humains comme l’intelligence mentale, la force, l’influence, etc. Là encore, l’art comme espace de liberté créatrice nous prévient par ses dystopies et, par contraste, peut nous ouvrir à de réelles utopies, de nouveaux équilibres écosystémiques.

Après tout, comme un chat ou un chien ne comprennent que partiellement leurs maîtres dotés de conscience mentale évoluée, pouvons-nous comprendre mentalement une innovation qui consisterait à un mode de conscience au-delà de la connaissance mentale, proprement axé sur une connaissance intuitive par identité et créatrice ?

Ce n’est ni une connaissance libératrice sur fond de déterminations ni une liberté de décision détachée des équilibres environnementaux qui sera en harmonie évolutives avec les processus de la nature. L’affirmation que l’homme est libre et que la nature est soumise à des lois prend un nouveau visage ici. Elle a le visage d’un idéal devant nous. Un idéal qui s’efforcera d’être réaliste pour éviter une catastrophe au genre humain. Elle est une aspiration à une intuition créatrice qui ne soit plus obligée de se cristalliser sur le plan mental en perdant sa dynamique et son harmonie avec l’élan de la vie et son flux évolutif global.

 

Corrigé du sujet "Suis-je esclave de mon inconscient?"

 

CORRIGE – SUIS-JE ESCLAVE DE MON INCONSCIENT ?

 

Introduction

[Accroche :]

Le psychotique semble esclave de son inconscient. Son comportement s’explique non pas par des décisions conscientes, mais par des forces irrationnelles qui l’emportent sur tout sens social, tout sens du réel, etc.

[Présentation du sujet :]

Mais nous autres, qui supposons une transparence de notre conscience suffisante pour être pourvu d’assez de bon sens, sommes-nous sûrs de ne pas être esclave de notre inconscient ?

[Analyse problématique :]

A première vue, outre cette impression de transparence de notre conscience à nous-mêmes, nous sommes pourvus d’un sens critique qui nous fait remettre en cause nos désirs spontanés, qui nous permet de ne pas nous laisser emporter par certaines émotions.

Néanmoins, ce qui nous retient d’en rester à cette réponse est le fait que la conscience de nos désirs ne nous assure pas d’en connaître clairement les causes. Pourquoi certains désirs sont-ils masqués dans nos rêves ? Pourquoi certains désirs sociaux semblent malgré nous nous porter ? Par ailleurs, certaines craintes nous hantent alors qu’elles sont infondées. Nous sommes victimes d’actes manqués, de lapsus qui parfois ont des conséquences néfastes sur nos vies. Enfin la nuit, nos rêves et nos cauchemars suggèrent qu’une vie psychique en arrière-plan est bien plus importante qu’il nous parait. Ne nous réveillons-nous pas parfois marqués émotionnellement par une situation onirique.

[Annonce du plan :]

Table des matières

Introduction. 1

I – Ce sont les rejets du Soi par le moi qui nous rendent esclaves de notre Soi devenu ainsi inconscient. 2

A – Avec Nietzsche, il faut réaliser qu’avant d’être un moi, nous sommes un Soi. 2

B – Notre Soi conscient est la source des marges de manœuvres de notre ego mais notre ego se sépare de lui et se centre sur lui-seul. 2

C – TC - Le Soi est-il surconscient ou faut-il admettre une dimension subconsciente dont nous sommes esclave ?. 3

II – « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison », Freud. 4

A – La thérapie psychanalytique : « Wo Es war, soll Ich werden », Là où le ça était, le moi doit advenir, nous dit Freud. 4

B – Les problématiques de libération liées au surmoi 5

C – Les techniques de connaissance de Soi psychanalytique et psychologique. 5

III – Au sein des ténèbres du Soi, il y a des lumières surconscientes qui seules peuvent nous aider à conquérir le monde nocturne  subconscient. 6

A – TC - Pouvons-nous aller à la conquête des obscurités notre ça subconscient  héritées du vital animal à la seule lumière de nos lampes de poche limitées à des représentations mentales ? La connaissance intuitive par identité issue du SOI est nécessaire. 6

B – L’intuition n’est pas seulement connaissance par identité libératrice, elle est aussi créatrice d’un élargissement de la conscience. 7

C – Par exemple, dans le rêve lucide, ces opérations intuitives pointent une individuation du Soi qui se joue dans la vie de l’ego : je ne suis pas l’esclave de mon inconscient, je suis un lieu d’aventure de la Conscience. 8

CONCLUSION.. 8

 

I – Ce sont les rejets du Soi par le moi qui nous rendent esclaves de notre Soi devenu ainsi inconscient.

A – Avec Nietzsche, il faut réaliser qu’avant d’être un moi, nous sommes un Soi.

Des psychanalystes comme Freud ont contesté à tort la possibilité de rêves lucides. Ce présupposé leur permet d’affirmer que nos rêves sont le produit de forces inconscientes. Le Soi qui fabrique le rêve est alors la partie inconsciente de nous-même bien plus vaste que notre moi, puisqu’elle prend racine à même le jeu des forces matérielles physiologiques qui nous composent.

Or il y a là un préjugé. Nos rêves lucides et la possibilité de cultiver la lucidité dans le rêve ont été établis ces dernières années. Isabelle Arnulf a montré que le récit des rêveurs lucides coïncidait avec leurs mouvements oculaires ou l’activité cérébrale durant leur sommeil paradoxal.

Nietzsche, lecteur assidu de Schopenhauer, avait bien vu ce Soi du rêve lucide bien plus vaste que notre ego, fruit de notre socialisation. C’est en allant boire aux forces vitales du Soi que l’individuation de notre ego peut s’émanciper de l’individualisation sociale et culturelle qui en limite la portée. Le psychologue Carl Gustav Jung part de ce principe pour constituer à l’encontre du freudisme la base de ce qui nourrit le mouvement psychologique transpersonnel américain.

B – Notre Soi conscient est la source des marges de manœuvres de notre ego mais notre ego se sépare de lui et se centre sur lui-seul.

Cette transcendance de l’ego qu’est le Soi met en jeu la vacuité de conscience qu’il est. Jean-Paul Sartre met en avant cette dimension de vacuité de la conscience, de néant dans le processus de choix libre. C’est ce vide, néant de la conscience qui nous permet à chaque instant de ne pas coïncider avec nous-même. Cette non coïncidence n’est pas d’ailleurs liée au temps, une pensée venant après une pensée nous permettant de ne plus nous lier à la pensée précédente. A vrai-dire, c’est à l’instant où une pensée émerge que la transcendance de la conscience liée à sa vacuité peut être vue comme nous arrachant à l’identification pure et simple à la pensée surgissant.

Il y a là un pouvoir de défusion cognitive. A l’instant, la proposition « je ne suis pas cette pensée » est vue clairement comme une proposition qui décrit bien ma présence consciente comme étant fondamentalement non identifié à ce qui s’y présente.

La thérapie Act (d’acceptation et d’engagement), développée d’abord par Steven C. Hayes, propose ainsi des techniques de défusion cognitive. Prenons un énoncé négatif, répétons-le en ajoutant « je pense que », au bout d’un moment il apparaît vide de sens. La présence consciente où s’effectue la technique de défusion apparaît non identifiée à cette pensée d’abord ressentie comme une vérité indubitable.  

C’est par mauvaise foi, par une habitude inauthentique, semble-t-il, que nous semblons nous identifier purement et simplement à telle pensée. La non-identification inhérente à la vacuité de notre conscience, à sa dimension de néant où s’ouvre son temps et son espace conscient est ainsi rejetée dans l’oubli. Le Soi authentique de la présence consciente est ainsi occulté en faveur d’une auto-interprétation égocentrique de la conscience. Ainsi, selon nous, l’ego s’empare du pouvoir du Soi, sa source de liberté pour la nier dans des identifications, dans le durcissement de son identité. La mauvaise foi dont parle Sartre peut donc être réinterprétée comme l’occultation du Soi par égocentrisme, comme l’occultation de sa lucidité première y compris dans le rêve.

Notre interprétation du rapport entre le moi et le Soi entraperçu dans le rêve lucide suggère que l’inconscient est aussi le produit de la mauvaise foi de notre ego vis-à-vis de la liberté de son Soi autant que de l’individualisation sociale qui est partie prenante de son identité.

C – TC - Le Soi est-il surconscient ou faut-il admettre une dimension subconsciente dont nous sommes esclave ?

Il est vrai que la constitution de l’ego est aussi l’intériorisation du jugement d’autrui, le narcissisme de l’ego a lieu dans le miroir qu’est le regard d’autrui. Plus lourd de conséquence est le trauma, cet événement résultant de la négligence d’autrui, de son égoïsme, etc. Cette individualisation de notre ego construite par des idéaux sociaux et des traumas relationnels relatifs les uns aux autres reste un ensemble de faits qui ne relève pas de notre mauvaise foi.

La sidération face à une situation traumatisante pourrait être une absorption temporaire de l’ego dans le Soi. Ainsi absorbé dans le Soi, la situation est comme déréalisée. Le réel devient, pour un moment, comme un cauchemar lucide. Cependant il n’en reste pas moins que l’ego a été traumatisé réellement. Quand cette absorption du moi cesse, le moi se retrouve dans son corps avec une mémoire traumatique active. La liberté du Soi est liée à sa vacuité, à son néant disions-nous. Le danger alors est que l’ego traumatisé ait la nostalgie de ce néant du Soi. La philosophie de Schopenhauer n’est-elle pas un nihilisme en ce sens ? Ne nous invite-t-elle pas à abandonner la vie traumatisante qui ôte toute liberté à l’ego que seule libérera son absorption dans le Soi et le retour au néant originaire qui précède toute vie ?

 

II – « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison », Freud

A – La thérapie psychanalytique : « Wo Es war, soll Ich werden », Là où le ça était, le moi doit advenir, nous dit Freud.

La liberté n’est pas en jeu que du côté de la vacuité et du néant, sinon c’est bien le nihilisme spirituel d’un Schopenhauer qui devrait prévaloir. Si l’ego et la personnalité sont seulement des illusions causes de nos malheurs, nous devrions effectivement nous fondre exclusivement dans la vacuité de notre présence consciente en attendant la résorption de notre personne dans le néant en lequel s’ouvre cette présence.

Pour ne pas déconsidérer la vie personnelle et matérielle, nous devons considérer l’émergence de nos pulsions à l’origine de nos désirs puis de nos volontés personnelles.

Si le Soi a une dimension « surconsciente » de vacuité et de néant, on ne peut pas penser la vie sans envisager la dimension subconsciente d’un pôle pulsionnel que les psychanalystes ont baptisé le ça.

Ce n’est pas parce que je suis conscient de ce que je désire et que je peux même me détacher de mon objet de désir que je suis libre de mon désir et de ma vie pulsionnelle. Ainsi pensait déjà Spinoza. Ce n’est pas parce que mon désir peut même avoir pour objet son néant que je suis un Soi libre ! Car au fond, même conscient de l’objet de mon désir, je reste ignorant de la cause du désir qui demeure occulte. La volonté même de se réabsorber dans le néant reste une volonté de néant et n’est pas un néant de la volonté et donc du désir, comme Nietzsche le montre.

C’est bien du côté du ça qu’il nous faut nous aventurer pour conquérir une liberté incarnée au lieu de nous désincarner dans une tentation spirituelle nihiliste obscure.

Freud a montré que le ça était aussi bien pulsion de vie que pulsion de mort. Il a suggéré que la dimension sexuelle de la vie animale et humaine comporte cette double nature de vie et de mort. Naître sexuellement, c’est forcément mourir, c’est être appelé à la mort pour que d’autres vies nées sexuellement prennent notre place d’individu. Mais notre humanité qui a vu le retrait des instincts qui régulent chez les animaux leur pulsion au seul profit de l’espèce est dès lors confrontée à des perversions de la pulsion de vie et de la pulsion de mort.

Le nihilisme dénoncé par Nietzsche dans la tentation spirituelle de Schopenhauer de fuir la vie et le désir est peut-être une perversion maladive de la pulsion de mort ? La dépression, ce qu’autrefois on nommait la mélancolie ou la neurasthénie, est certainement à la base du nihilisme spirituel de Schopenhauer. A vrai dire, l’effort thérapeutique de la psychologie face à la démultiplication des dépressions et des auto-agressions des personnes envers elles-mêmes est significatif.

B – Les problématiques de libération liées au surmoi

Sur le chemin de la reconquête d’un ça perverti par notre socialisation et nos choix rendus moteurs de mécanismes inconscients, il nous faut mettre devant nous le regard intériorisé d’autrui. Avec la psychanalyse, il semble bien que ce regard intériorisé de l’idéal et des interdits sociaux et éducatifs forme un surmoi. Le surmoi est une instance inconsciente et préconsciente qui s’est constituée en soubassement à l’ego. Le surmoi génère ainsi diverses émotions qui affectent notre ego sans qu’il puisse en décider autrement : ainsi le dégoût est-il le fruit de l’intériorisation du sale et du propre, ainsi la honte est-elle l’intériorisation de notre indignité relative à l’absence de maîtrise sociale du corps (habillement, propreté corporelle, etc.), ainsi la culpabilité et le remords sont des émotions issues de l’intériorisation du jugement moral de nos éducateurs.

C – Les techniques de connaissance de Soi psychanalytique et psychologique.

Voici pêle-mêle, quelques techniques psychanalytiques :

L’interprétation des rêves ; l’observation du sens des lapsus et autres actes manqués ; l’hypnose et l’association d’idées.

La confrontation au transfert thérapeutique.

Ce sont divers moyens d’appui pour développer une connaissance de Soi du côté subconscient.

On aura aussi des techniques du côté des thérapies cognitives comportementales.

Par exemple :

-        Tal Ben-Shahar reprend le calcul épicurien des plaisirs et désirs, il en démontre expérimentalement l’intérêt pour ne être victime de désirs vains irréalistes ;

-        Albert Ellis, qui a développé les thérapies comportementales-cognitives, montre l’intérêt et l’efficacité de la pratique du changement de nos représentations tels que les stoïciens l’ont proposée, car à la base de nos errances, il y a de faux jugements suscitant des mécanismes inconscients vicieux, l’émotion négative nourrissant d’autres émotions qui la renforcent ;

 

III – Au sein des ténèbres du Soi, il y a des lumières surconscientes qui seules peuvent nous aider à conquérir le monde nocturne  subconscient.

A – TC - Pouvons-nous aller à la conquête des obscurités notre ça subconscient  héritées du vital animal à la seule lumière de nos lampes de poche limitées à des représentations mentales ? La connaissance intuitive par identité issue du SOI est nécessaire.

La connaissance de notre trauma et notre familiarisation avec lui ne suffisent pas à nous en libérer. Souvent l’enkystement de la force active négative du trauma s’enracine plus facilement grâce à un surmoi qui nous empêche aussi de qualifier des traumas éducatifs mineurs.

Spinoza distinguait 3 genres de connaissance.

La connaissance du premier genre est une connaissance par opinion et imagination. Le danger des thérapies est souvent de créer des faux-souvenirs. Il y a le danger de préserver son égocentrisme dans son imagination et ses opinions, dans son amour propre en désignant des faux-coupables extérieurs à soi. Les mécanismes déterministes sont alors renforcés et ignorés.

La connaissance du second genre par généralités est plus sensible aux faits, elle est la recherche de la vérité, d’une juste estime de soi, c’est un progrès. De fait certains névrotiques et beaucoup de psychotiques ne parviennent pas à s’établir dans ce deuxième genre de connaissance. Mais la raison ne suffit pas pour l’homme rationnel ne soit plus emporter par des affections passives, par des émotions passionnelles. Un langage discursif est inadéquat face aux nœuds émotionnels. D’ailleurs savoir rationnellement que fumer tue suffit-il pour arrêter de fumer ? Il faut commencer à ressentir concrètement la passivité du phénomène d’addiction pour s’en détacher.

C’est la connaissance par un troisième genre de connaissance qui pourra peut-être faire l’opération alchimique de guérison espérée. C’est l’alliage du ressenti le plus fin avec la raison qui permet de connaitre dans l’instant l’émotion. Il s’agit de voir dans l’instant la causalité proposée par l’émotion dans une connaissance par identité mais non identifiée pour ne plus en être victime.

On passe ici d’une connaissance médiate par représentation discursive à une connaissance par identité transformant la détermination externe en autodétermination interne.

La connaissance discursive de nos émotions ne permet pas de les connaître pour elles-mêmes et les transformer. Quand nous voulons les maîtriser par la pensée, nous n’avons affaire qu’à des pensées, nous oscillons le plus souvent alternativement entre des justifications de l’émotion et des refus de leur violence, des craintes d’être emporté comportementalement par leur force.

Par le ressenti intuitif, nous pouvons avoir une vision de l’énergie de l’affection. Derrière une peur, il y a une énergie qui vue et intuitionnée clairement et distinctement devient une énergie active et non subie. Le pic d’adrénaline de la peur est alors réinvesti dans une action plus lucide, plus efficace, etc. Lorsqu’on monte dans un manège comme le grand huit, la peur peut nous envahir, mais nos cris de peur dans le contexte sécurisé du manège bientôt peuvent se transformer en énergie active, la seule trace de passion est alors la joie.

La connaissance intuitive de l’émotion, l’affection passive est une réabsorption de son énergie vitale subie en énergie pour l’action. La passion positive de la connaissance est une action qui transforme la passion négative et subie en une extension de la puissance d’action.

Aujourd’hui les thérapies comportementales cognitives de troisième génération sont utiles :

-        Jon Kabat-Zinn a ainsi repris des techniques méditatives bouddhistes qu’il extrait de tout contexte religieux et de toute relation disciple-gourou ; l’expérimentation scientifique a montré l’efficacité thérapeutique de cette « Mindfullness-Based Stress Reduction » fondée sur la réalisation intuitive de la vacuité de notre intériorité distincte de notre subjectivité que Schopenhauer avait aussi expérimentée avec laquelle l’intuition des affections passives (des émotions) est facilitée.

 

B – L’intuition n’est pas seulement connaissance par identité libératrice, elle est aussi créatrice d’un élargissement de la conscience.

Devant un spectacle ce n’est pas tant une purgation des émotions, des affections passives, dont il s’agit que d’une subtile alchimie des passions en énergie active. La catharsis est d’abord une sublimation des énergies vitales. L’art en produisant des affects et en maîtrisant leur déroulement, comme un manège sécurisé, produit une alchimie de nos énergies vitales.

L’intuition lorsqu’elle est créatrice transforme la souffrance émotionnelle en aspiration à la création, le feu de l’aspiration créatrice croit en consumant les souffrances qui lui sont offertes. Il y faut une foi et une confiance. L’obstacle s’avère toujours le matériau de la future marche qu’on pourra gravir. Le sage stoïcien nous invite à voir dans toute difficulté existentielle une opportunité de progrès spirituel en sagesse. La foi et la confiance dont il s’agit est alors une confiance en une dimension providentielle favorable à notre recherche de sagesse.

Le créateur artistique sait par la connaissance de ses prédécesseurs que les imperfections et les faiblesses de sa technique et de son style peuvent être transformées en forces originales, qu’elles doivent être le ferment d’un style qui se déploiera dans son œuvre comme la marque de sa création.

L’intuition créatrice est précisément ce moment où une dimension surconsciente se révèle au niveau du Soi. Parfois l’intuition créatrice paraît sans que le moi ego soit présent. D’où la fausseté ressentie de se voir attribué personnellement le mérite d’un génie qui ne se manifeste qu’impersonnellement ou plus finement transpersonnellement.

C’est cette lumière de l’intuition créatrice qui peut éclairer davantage les ténèbres lumineuses de ce que nous sommes. Changer de vision de Soi n’est pas simplement mieux se connaître ici, ce n’est pas un simple changement comme quand on déplace des meubles et qu’on y retrouve des objets cachés. Une autre vision de Soi est aussi une autre façon d’être Soi, elle est aussi une évolution consciente de la conscience, dont l’éclairage éclaire davantage simultanément surconscient et subconscient. Ce sont des lumières plus hautes, plus subtiles qui nous donnent accès à des espaces plus obscures, plus sombres.

C – Par exemple, dans le rêve lucide, ces opérations intuitives pointent une individuation du Soi qui se joue dans la vie de l’ego : je ne suis pas l’esclave de mon inconscient, je suis un lieu d’aventure de la Conscience.

Le rêve lucide n’est pas qu’un lieu où les désirs de l’ego peuvent être enfin satisfaits sans conséquences morales, sociales, etc.

Le rêve lucide permet l’exploration des pulsions et des pulsions sans que cela prenne le risque d’affecter nos actes défavorablement. Par exemple, le rêve lucide est un laboratoire pour apprendre à tirer de sa peur l’énergie pour agir.

Le rêve lucide est aussi bien entendu un lieu où ce qui fait obstacle à notre création reçoit souvent des réponses pertinentes.

Descartes pratiquait ce que nous appelons des rêves lucides d’après son biographe Adrien Baillet. Il y a eu de nombreuses solutions à des problèmes mathématiques, il y a la manifestation de son intuition du cogito et de la conscience infinie comme solution à sa démarche sceptique. La liberté du moi s’enracine dans le Soi du rêve lucide. Les divers masques de notre personnalité sont alors les masques sociaux et psychologiques d’un principe d’individuation qui peut réenvisager l’usage de ces masques et même leur facture. Une dimension de l’inconscient semble se dévoiler qui concerne l’essence de la personne avec une participation individuelle consciente à l’autocréation de ce qui est.

 

CONCLUSION

L’aventure de la conscience ne semble possible que parce que dans l’ouverture de notre présence consciente, il y a de l’inéclairé. Platon déjà pointait que la découverte de la source du Beau était aveuglante et qu’il fallait s’y acclimater comme notre vue le doit lorsqu’on sort d’un espace ombragé pour se tenir dans un espace très ensoleillé. Mais cette lumière surconsciente elle-même dont le sage a l’intuition pose problème inversement quand on revient dans la caverne ombragée. Platon reste assez pessimiste quant à une conquête du domaine subconscient matériel. En cela notre psychologie a progressé et donne à l’aventure de la conscience plus de dimensions. Nous sommes esclaves de l’inconscient que, pour autant, nous temporisons quant à l’aventure de la conscience. Nous sommes esclaves de notre inconscient quand nous sommes satisfaits de l’ouverture de conscience dont on dispose.