Eléments de corrigé du Sujet : Peut-on affirmer à la
fois que l'homme est libre et que la nature est soumise à des lois ?
[Analyse problématique :]
A première vue,
l’affirmation simultanée que l’homme est libre et la nature soumise à des lois
semble contradictoire. En effet, si la liberté est à entendre comme liberté de
décision alors l’appartenance de l’homme au moins par son corps à la nature ne
devrait pas agir sur ces décisions. Or s’il y a des lois de la nature, par son
corps, l’homme obéit à ces lois et forcément ses actes sont influencés par
elles. Ceci rend dès lors ces lois contraires à une liberté de décision sans
faille.
Cependant, il y a au
moins deux modes de considération de la question qui nous invitent à ne pas
nous en tenir à cette première réponse.
Tout d’abord, on peut entendre la question de la
liberté ici non sous le mode d’une libre décision sans influence externe mais sous
le mode d’une connaissance. En effet, plus je me connais
en connaissant ce qui me détermine, moins je subis ces déterminations. Par
exemple, je peux apprendre dès lors à contourner ces lois grâce à des
techniques. D’autre part, je peux peut-être repérer les illusions que ces lois
produisent au niveau de l’impression d’une libre décision et apprendre à m’en
méfier. La liberté comme chemin de connaissance n’est pas alors contraire au
fait que la nature soit soumise à des lois.
Par ailleurs, comme ici une interprétation de
la liberté réduite à la seule libre décision est un préjugé, notre
représentation de lois de la nature peut aussi l’être. Si nous entendons par lois, un processus matériel qui ne conduit qu’à une
seule série d’événements, nous associons les lois de la nature à un
déterminisme absolu. Or les sciences de la nature montrent désormais tant au
niveau des calculs que des faits que les lois génèrent un indéterminisme
événementiel. Dès lors dans nos actes liés à des décisions, il y a une marge
d’indétermination même si des lois sont à l’œuvre. En outre, il se peut même
que les lois de la nature ne soient pas éternelles. Ce sont peut-être comme des
jeux de processus habituels de la matière mais par le jeu du hasard des flux,
un cours d’eau peut modifier la nécessité de son écoulement dans un lit.
Enfin nous ne pouvons ignorer que des
traditions métaphysiques ont défendu un compatibilisme. Cette doctrine se présente par exemple avec l’idée d’un Divin omnipotent
connaissant par avance nos décisions, tout en maintenant l’idée que nos
décisions en bien ou en mal relevaient pour la majeure partie de notre choix et
donc de notre responsabilité. Ces doctrines sont un visage de ce qu’on appelle
le compatibilisme, un point de vue où le libre-arbitre peut être pensé
paradoxalement comme réel dans un univers régi par des lois et des
prédestinations.
I – Le compatibilisme affirme que
libre-arbitre et existence éternaliste de tous les événements sont compatibles.
A – Dans l’hypothèse du Divin
omnipotent, l’exigence morale aboutit au compatibilisme.
Si Dieu
connait à l’avance notre rapport au bien et au mal, pourquoi a-t-il créé des
êtres condamnés au mal sans retour ? S’il l’a fait n’a-t-il pas dès lors
contrevenu au bien. Or si le Divin et le Bien ne font qu’un, comment justifier
ceci ?
On peut
envisager une autre idée de l’omnipotence divine en s’inspirant des idées
développées par Leibniz, un philosophe allemand mort en 1715 ou par Philip K.
Dick, un auteur de science-fiction du 20ème siècle. En fait, à
chaque instant, tous les univers possibles liés à nos décisions existent,
l’univers où je me suis levé ce matin coexiste avec l’univers où je suis resté
au lit. Mais à la fin seule ma version gagnant la perfection du Bien existerait
pleinement. P. K. Dick a particulièrement développé cette idée dans son roman Le maître du haut-château : un
univers où les nazis alliés aux japonais ont triomphé des USA voit se
rencontrer des sujets avec ceux d’un autre univers où ces forces ne se sont pas
imposées. Peu à peu, cela grippe totalement le pouvoir en place et cela tend à
une configuration se rapprochant de celle où ces forces ont été vaincues.
B – En physique, on peut raisonnablement
poser la question de voyages dans notre propre futur, ceci suppose un
éternalisme et ouvre un espace à des décisions contingentes donc libres.
Le passé
est irréversible pour de nombreux physiciens. Je ne pourrais pas tuer mon
arrière-grand père. Mais à partir d’un instant présent, un voyage vers un futur
n’est qu’un chemin de devenir virtuel et donc réversible. Marty McFly dans Retour vers le futur change ainsi ses
comportements en revenant vers son présent ayant constaté les effets nocifs de
ses impulsivités pour lui, sa famille et ses amours.
Pour la
science, il se pourrait que la lumière quand elle emprunte le chemin le plus
économique, par exemple en changeant d’angle en entrant dans un liquide, le
fasse grâce à des particules virtuelles lancées dans le futur et revenant
l’informer. On a là comme une rétrocausalité du futur vers le présent.
Donc le
compatibilisme peut être lié non seulement à des hypothèses métaphysiques
adossées à des croyances religieuses, mais aussi à certaines approches des
sciences de la nature.
C – Transition Critique : Cependant,
malgré elle, cette hypothèse de pensée compatibiliste nous ramène vers l’idée
d’une connaissance au fondement véritable de la liberté.
II – La philosophie du déterminisme
comme voie de connaissance est une voie de libération.
A – il ne faut pas confondre le
déterminisme et le fatalisme.
Voir cours.
Prédéterminisme compatibiliste ou déterminisme absolu présentent le danger de
générer du fatalisme.
Articulation
vers le B : Le fatalisme relève du premier genre de connaissance. La
pensée déterministe est fondée sur la raison, un deuxième genre de connaissance
par rapport au premier de genre de connaissances qui est opinion, imagination,
etc. Il permet des techniques de contournement des déterminations. Mais parfois
la connaissance rationnelle de ce qui nous détermine ne semble pas nous en
libérer. Le fumeur connaît les méfaits du tabac mais continue son tabagisme.
Alors ?
B – Par le troisième genre de
connaissance, le sage est celui qui intègre le corps de l’univers comme son
corps, il se découvre une autodétermination de l’univers, il n’est plus
déterminé de l’extérieur. [A développer en le précisant]
L’émotion
n’est plus subie, le manque est vu comme subi, connu par identité, il devient
une énergie dont on dispose pour agir. Ici on a une libération par une
connaissance qui se fonde sur une vision englobante intuitive de
l’autodétermination de la nature par elle-même. Du fait de cette vision
englobante due à sa connaissance, pour le sage, il n’y a plus de forces le
dominant de l’extérieur. Toutes les forces agissantes sont perçues par le sage
comme ses propres forces et sa propre volonté. [A développer en le précisant]
C – Transition Critique :
La
connaissance est un désir, un désir réfléchi, ce qui est un choix volontaire à
un autre niveau. Une émotion peut être un processus causal ou devenir par
connaissance une énergie libre indéterminée. Les lois de la nature ne relèvent
donc pas alors d’un déterminisme absolu contrairement à ce qu’affirment Spinoza
ou Laplace.
III – L’existence d’une liberté
créatrice suggère que la nature n’est pas, à strictement parler, soumise à des
lois, mais que la nature est le résultat d’une évolution de la matière où
germent des formes habituelles et des formes nouvelles de vie.
A – L’évolution du vivant comme
fleuve de la vie où le hasard redessine la nécessité.
L’élan de
vie, le processus d’indéterminations qui s’insère dans le déterminisme matériel
s’appuie aussi sur des systèmes d’interdépendances des processus vivants ainsi
créés. Un écosystème est lié à un tissu d’interdépendances, en même temps que
l’évolution du vivant modifie ce système sans cesse. On n’a pas ici affaire à
des lois éternelles. Des équilibres nouveaux se font jour dans une
transformation constante des processus.
La crise
écologique actuelle montre que nous avons le privilège de faire des choix
déséquilibrants pour le système vivant dans sa globalité, la biosphère. Ces
déséquilibres ne menacent pas la vie, mais des écosystèmes avec lesquels notre
existence dans des conditions vivables est soutenable.
La
situation montre qu’on ne peut opposer dans la liberté la notion de choix et la
notion de connaissance. Notre crise évolutive suggère que choix et connaissance
doivent s’allier pour produire des innovations.
Nous avons
à créer une nouvelle culture : déjà l’écoconception, l’économie circulaire
ou le low-tech se répandent. Ces conceptions insistent sur l’imbrication des
cycles naturels et industriels, la réparabilité contre l’obsolescence
programmée. Mais ces solutions qui restent dans l’idée de se maintenir dans les
équilibres écosystémiques sont-elles les seules solutions. Les solutions
écomodernistes comme l’économie circulaire ou des solutions plus antimodernes
comme le low-tech n’excluent pas une troisième voie : certains d’entre
nous vont peut-être évoluer vers une autre forme de vie qui solutionnera ce
déséquilibre. En tout cas, nous sommes les seuls êtres vivants capables de
commencer à évoluer en conscience.
Nos
créations ne sont pas soumises à des lois préexistantes que précisément elles contournent ou retournent en des chemins inédits. Cependant elles doivent trouver aussi
de nouveaux équilibres respectant un équilibre systémique sous peine de couper la branche sur laquelle nous sommes assis. L’harmonie de nos
choix et des équilibres systémiques n’est pas donnée, elle est aussi à
rechercher et à créer.
B – La nécessaire réinterprétation du
troisième genre de connaissance comme intuition créatrice au service de
l’évolution globale du vivant.
La
connaissance rationnelle de cette crise évolutive est malheureusement assez peu
développée encore. Certains se rallient au fatalisme, au cynisme et au
nihilisme. D’autres incapables de raison en restent à un genre de connaissance
où l’opinion, l’imagination, et la simple satisfaction de ses pulsions égocentriques
dans un cadre social suffisamment ordonné suffira.
Quel serait
le type d’intuition créatrice qui, dans le contexte de ce que nous
diagnostiquons comme une crise évolutive dont l’humain est la cause
inconsciente, pourrait simultanément satisfaire à une liberté libre des
déterminations sans contrevenir à des lois d’équilibres ? Ou plus
exactement, dans la nouvelle forme que nous donnons donc à notre sujet, comment produire des systèmes de déséquilibres évolutifs suffisamment
stables pour préserver la possibilité d’une vie digne de l’espèce humaine et ne
pas s’interdire d’explorer des possibilités d’une espèce surhumaine ?
Une libre
création artistique suggère que l’on peut se libérer de certains carcans
mentaux et proposer une telle libération sans forcément utiliser la violence
pour imposer une nouvelle manière de penser et de voir. Certains envisagent
avec le transhumanisme une titanisation de l’humain ; l’influence, la
longévité, les capacités de déplacement, etc. de certains seraient augmentées
par rapport à d’autres. Les errances eugénistes du vingtième siècle et leurs
violences ne sont pas loin. On ne fait pas du neuf en augmentant l’intensité de
certains traits humains comme l’intelligence mentale, la force, l’influence,
etc. Là encore, l’art comme espace de liberté créatrice nous prévient par ses
dystopies et, par contraste, peut nous ouvrir à de réelles utopies, de nouveaux
équilibres écosystémiques.
Après tout,
comme un chat ou un chien ne comprennent que partiellement leurs maîtres dotés
de conscience mentale évoluée, pouvons-nous comprendre mentalement une
innovation qui consisterait à un mode de conscience au-delà de la connaissance
mentale, proprement axé sur une connaissance intuitive par identité et
créatrice ?
Ce n’est ni
une connaissance libératrice sur fond de déterminations ni une liberté de
décision détachée des équilibres environnementaux qui sera en harmonie
évolutives avec les processus de la nature. L’affirmation que l’homme est libre
et que la nature est soumise à des lois prend un nouveau visage ici. Elle a le
visage d’un idéal devant nous. Un idéal qui s’efforcera d’être réaliste pour
éviter une catastrophe au genre humain. Elle est une aspiration à une intuition
créatrice qui ne soit plus obligée de se cristalliser sur le plan mental en
perdant sa dynamique et son harmonie avec l’élan de la vie et son flux évolutif
global.