dimanche 6 juillet 2025

Une croyance en une réalité divine est-elle forcément contraire à la raison ? - Corrigé partiel

 

Une croyance en une réalité divine est-elle forcément contraire à la raison ?

 

Introduction

[Accroche :] On peut distinguer le théisme et le déisme. Du point de vue de cette opposition, être théiste, c’est adhérer à une révélation religieuse qui affirme la fausseté des autres et s’opposent à toutes les croyances qui vont à son encontre. Ainsi il arrive fréquemment que la démarche scientifique rationnelle entre en opposition avec les croyances théistes. au contraire, le déisme est une croyance au divin qui ne présuppose pas des dogmes, c’est une croyance qui se veut rationnelle. Par contre, il se peut que si le matérialisme scientifique est vrai, le déisme soit aussi une illusion au final irrationnelle.

[Présentation du sujet :] On peut donc se demander si une croyance en une réalité divine est forcément contraire à la raison.

[Analyse problématique :] On peut partir des critiques rationnelles athées de la religion. Dans quelle mesure certaines formes de théismes y échappent-elles ? Mais si on part des croyances religieuses ou spirituelles elles-mêmes, dans quelle mesure se veulent-elles rationnelles ? Le déisme des Lumières se veut éminemment rationnel et il affirme l’irrationalité du matérialisme athée. Les arguments rationnels cherchant à prouver l’existence de la réalité divine sont-ils solides ? Par ailleurs, une autre stratégie est de montrer que la raison ne peut pas tout et que cela laisse de la place à un fidéisme, c’est-à-dire une croyance qui assume son irrationalité en affirmant que la raison est victime de son rationalisme démesurée. Un courant religieux affirmera que la foi n’est pas tant une adhésion à une représentation mentale qu’une confiance.

 [Annonce du plan à faire]


 

Partie 1 : Les critiques athées de la religion montrent l’irrationalité de certaines croyances religieuses.

 

A – La critique politique marxiste et anarchiste des religions.

La critique marxiste et anarchiste des religions montre qu’elles sont souvent des idéologies qui justifient une hiérarchie sociale même aux yeux de ceux qui en sont les victimes. La religion est alors de façon ambiguë une consolation et une pression morale pour que les chaînes d’un ordre social soient sacralisées. La divin est une valorisation d’une réalité invisible qui justifie de sacraliser la réalité sociale visible.

Toutefois, les théismes bibliques sont porteurs de mouvements sociaux contre l’injustice. Par exemple, les droits de l’homme prennent source dans des courants de la spiritualité chrétienne comme les quakers ou les unitariens ou même la franc-maçonnerie. Les mouvements sociaux ont un rapport avec le millénarisme inhérent aux fois bibliques et coraniques.

 

B – La critique psychologique de la religion.

La critique psychologique de la religion a commencé avec la psychanalyse freudienne. La religion renforce le surmoi, l’intériorisation des interdits et des idéaux parentaux et sociaux. Dieu est un œil moral, un juge qui nous observe même quand la société ne le fait pas. Si la justice humaine ne nous prend en faute alors que nous sommes coupable, Dieu n’y manquera pas. Mais, à ce stade, la morale est de l’hétéronomie, on a peur du juge, du gendarme divin, on ne fait pas le bien parce que c’est le bien en toute autonomie et fidèlement à ce qui est rationnel, universalisable.

D’ailleurs, les religions condamnent souvent des mœurs qui, du point de vue rationnel, ne le semblent pas. Ainsi les religions du livre condamnent l’homosexualité, or la raison démontre que si un acte sexuel est consenti entre des adultes mûrs, il ne saurait y avoir de mal.

Pire, on peut soupçonner la religion de naître à causes de peurs enfantines irrationnelles. Le doudou, le rituel enfantin, l’ami imaginaire ne sont-ils pas à la source des éléments constitutifs de la religion ?

Plus profondément, la pratique religieuse offre des régressions car, comme fœtus dans le ventre de notre mère, nous étions à l’abri du monde et de toutes ses divisions, de son aveugle puissance destructrice, etc. Nous avons la nostalgie d’un monde fusionnel, chaud, avec ses rythmes cardiaques, etc. Freud parle de la nostalgie su sentiment océanique fœtal que les spiritualités religieuses proposent de combler. Mais cet état d’indistinction fusionnel est par excellence une régression irrationnelle.

 

C – Transition critique : Ce que manquent ces critiques athées de la religion est le mystère de l’intuition créatrice.

Ce sont des intuitions créatrices, non pas irrationnelles, mais au-delà du cours ordinaire de la réflexion, qui ont généré des forces sociales réformatrices. Les aventuriers spirituels déistes comme les philosophes évoquent des dépassements de la vie égocentrique dans une harmonie cosmique. Les platoniciens appellent à s’unir dans l’esprit à la source de ce qui existe, la source de toute beauté. Les stoïciens évoquent une participation du sage à l’intelligence de l’univers, l’intelligence divine. Ainsi les platoniciens et les stoïciens sont des déistes. Certains théistes chrétiens, juifs ou musulmans n’hésiteront pas à faire des emprunts à leurs spiritualités pour approfondir la leur. Ils accepteront alors l’idée que leur religion n’est pas vraie sur un plan littéral, mais qu’elle doit être réinterprétée rationnellement et spirituellement. C'est ainsi le déisme philosophique qui inspire un redressement herméneutique moral et spirituel des théismes.

 

Partie 2 : Certains arguments rationnels ou des expériences de conscience pourraient-ils justifier un engagement religieux ou spirituel ?

 

A – L’  argument cosmothéologique.

(Voir le cours)

Ces arguments ne sont pas absolument convaincants, ce sont des raisons de croire en un divin mais ce n’est pas une expérience du divin.

B – L’argument ontologique.

L’argument ontologique n’est pas qu’une preuve logique, c’est aussi dans sa version la plus forte, une expérience directe de méditation, une expérience d’exploration de la conscience.

On peut faire l’expérience d’une conscience infinie dans laquelle notre conscience personnelle finie se déploie.

 

C – Transition critique :

Comment interpréter l’expérience d’une conscience infinie ? S’agit-il d’une présence voilée d’un divin personnel ? S’agit-il d’une réalité divine impersonnelle ? Ou bien s’agit-il de la vacuité générée par un absolu inconscient ? Cette dernière hypothèse nous ramenant bien sûr vers des spiritualités athées.

 

Partie 3 : La foi du cœur sans être irrationnelle transcende le pluralisme spirituel et religieux.

 

A – Le cœur peut aller au-delà des limites de la raison.

Pascal propose de s’en tenir au cœur quand les limites de la raison sont atteintes. Selon lui le mathématicien pour fonder la logique fait appel à son cœur à l’encontre des déconstructions sceptiques qui voudraient montrer suspendre toute adhésion à une vérité. Mais Pascal, s’il entrevoit une puissance intuitive du cœur, n’en est pas moins pris dans les filets de son dogmatisme religieux. Il estime, par exemple, que tous ceux qui ne sont pas catholiques sont condamnés à un enfer éternel. C’est une vision à laquelle les catholiques contemporains n’adhèrent même plus pour leur majeure partie. En effet, si le divin est lié au cœur et à l’amour du prochain, comment pourrait-il condamner à un enfer éternel des hommes de bonne volonté quelles que soient par ailleurs leurs croyances.

On peut admettre que le cœur soit attiré par une forme religieuse ou l’autre, mais cette adhésion du cœur implique-t-elle que ce soit la seule vérité et qu’il faille condamner les autres ?

B – Mais un cœur ouvert n’est-il pas habité par une foi pluraliste malgré sa forme de foi privilégiée ?

Au contraire, le cœur ouvert semble assez grand pour d’une part choisir son chemin sans exclure que les autres chemins soient tout aussi bénéfique pour atteindre le sommet unique de l’amour. La rationalité peut parfois rigidifier un système, le rendre incapable dès lors de penser une autre logique possible et une autre représentation du réel tout aussi efficace et pertinente. En sciences physique, il y a ainsi aujourd’hui deux systèmes théoriques pour modéliser le réel matériel et en faire des prédictions : d’un côté la mécanique quantique et de l’autre la relativité générale initiée par Einstein.

Sans perdre son sens du discernement rationnel, une spiritualité déiste sera modeste pour accepter plusieurs chemins spirituels possibles favorisant l’ouverture du cœur. L’expérience de la conscience infinie est, par exemple, un point d’appui pour éviter de vivre centré sur son ego. Quelqu’un qui ne perd pas de vue la dimension infinie de sa conscience favorise l’ouverture de son cœur.

 

C – Ainsi la foi du cœur sans être irrationnelle transcende toujours toutes les formes, elle est une foi en la vie.

Le seul débat fondamental n’est pas tant entre spiritualités matérialistes et spiritualités déistes ou théistes. D’ailleurs, il est tout à fait possible d’envisager un matérialisme divin. Feuerbach voyait bien que le christianisme s’en rapprochait quand il affirme que Dieu s’est fait homme afin que l’homme soit fait Dieu.

Le vrai débat est entre le nihilisme et la foi en la vie. Si la vie est une poussée aveugle issue d’un absolu inconscient alors, au fond, rien n’a de sens et rien surtout ne peut prendre sens. De ce point de vue, il y a un matérialisme qui a foi en la vie et il y a des croyances religieuses qui n’ont pas du tout foi en la vie et en ce monde. Certaines critiquent le matérialisme nihiliste de l’occident mais ne prêchent que la guerre des religions et des civilisations, montrant par là leur adhésion inconsciente au nihilisme malgré leurs dires.

Le discernement de la raison n’est pas suffisant, car il y a des raisons multiples d’être nihiliste, surtout quand l’humanité menace les équilibres du vivant et quand l’humanité semble n’être qu’une forme de vie parasite.

Mais c’est là où le terme « divin » qui a l’origine signifie lumière et conscience a peut-être du sens dans une foi anti-nihiliste. Dès qu’on fige le divin dans une forme précise en rejetant toutes les autres, on perd de vue la profondeur d’une foi en la vie divine ouverte à toutes les possibilités malgré les signes contraires.

 

Conclusion de la dissertation

 

La foi n’est donc pas étrangère à la raison. Le déisme semble plus rationnel que le théisme, mais si on est ouvert au pluralisme spirituel alors il y a de la place pour des fois théistes qui pensent que le sommet du bien est accessible par diverses voies.

L’athéisme n’est pas irrationnel quand il est ciblé sur certaines formes de foi nihiliste.

Au fond, c’est le nihilisme qui est l’ennemi d’une foi authentique et des Lumières de la raison, car il est l’affirmation destructrice d’un non-sens de la vie.

Une foi authentique et une démarche rationnelle de vérité se veulent au service d’une universalisation du bien. En cela, une croyance en une réalité divine ne s’oppose pas forcément à la raison.




 

Faut-il privilégier le cœur ou la raison ? - Corrigé partiel

 

Faut-il privilégier le cœur ou la raison ?

Introduction

[Accroche :] La raison morale exige de punir tel enfant qui commet une injustice. Mais parfois on peut ressentir une bienveillance qui, sans sévir, ouvrira le cœur de l’enfant pour qu’il ressente ce qu’il n’a pas su voir d’injuste dans son comportement.

[Présentation du sujet :] Pour servir le progrès moral, par exemple, faut-il alors privilégier le cœur ou la raison ?

[Analyse problématique :] D’emblée, déjà si on se met à penser à cette question, pour être objective ou tendre à l’universel, la raison de notre réflexion doit l’emporter sur les mouvements de notre cœur. On peut soupçonner le cœur de s’aveugler et d’être un mauvais guide. Dans le domaine de la connaissance, les coups de cœur sont rarement inappropriés. Tel désir ou telle émotion qui nous semblent essentiels et nous tenir à cœur peuvent s’avérer finalement un égarement. Lorsque le cœur tourne le dos à la raison, cela ressemble souvent à une façon de justifier des envies et des préférences personnelles qu’à agir en s’appuyant sur un discernement rationnel.

Néanmoins la raison suffit-elle à agir moralement ? On peut discerner ce qui est rationnellement souhaitable et ne pas avoir cependant l’élan et l’énergie de le mettre en œuvre au moment opportun. Le cœur peut être entendu aussi comme la vertu qui donne l’élan et l’énergie dont la seule raison est dépourvue. Un scientifique sans passion pourrait-il mettre suffisamment d’énergie pour produire son travail ?

Enfin, toujours en partant d’abord de l’activité rationnelle, nous pouvons faire face à des dilemmes ou des situations que la seule raison ne permet pas de clarifier. Une intuition créatrice peut alors seule changer et transcender la perspective que l’intelligence rationnelle ordinaire ne savait pas démêler. Une tradition philosophique fait alors du cœur non pas seulement un centre émotionnel ou une vertu, mais une faculté intuitive par-delà les limites de la raison et du sentiment. N’est-ce qu’une rhétorique pour valoriser des croyances irrationnelles ?

 

 

 

 

Partie 1 : L’autonomie se fonde plus clairement sur la raison plus que sur les sentiments et les émotions.

 

A – Les sentiments et émotions morales, elles-mêmes, sont dus à un surmoi qui a intériorisé des idéaux et des interdits fruits de l’hétéronomie.

 

 

B – Par ailleurs, nos émotions accompagnent nos désirs qui sont souvent des penchants amoraux ou immoraux : les suivre c’est le serf-arbitre, le libre-arbitre se fonde sur la raison.

 

 

C – Transition critique : aucune morale n’est satisfaisante sans des sentiments moraux.

Kant lui-même admet dans sa morale déontologique que le respect est un sentiment nécessaire pour que le devoir envers soi-même prenne du sens. Par ailleurs, ses conceptions de l’autonomie et du libre-arbitre basées sur un examen de la qualité rationnelle et universalisable de nos intentions négligent le point de vue du moindre mal. Kant ignore cette autre conception rationnelle de morale qui considère une action morale pensée à partir de la minimisation de la souffrance et de la maximisation du bien-être.

 

Partie 2 : Il peut y avoir une synergie de l’intelligence émotionnelle et de l’intelligence rationnelle.

 

A – L’éthique des vertus propose une juste organisation entre raison, émotion et appétits.

 

Là où la raison déontologique propose une domination stricte de la raison sur les appétits, l’éthique des vertus considère aussi les appétits et les émotions comme une énergie nécessaire au progrès éthique. La vertu consiste à trouver un ordre harmonieux plutôt que de vivre en constant combat entre sa raison et ses appétits. L’eudémonisme est inhérent à une éthique des vertus car une lutte entre son désir et sa raison ne peut produire que de la souffrance. La pulsion est une force brute impulsive, le désir est déjà une pulsion réfléchie. Le désir réfléchi seul peut nous amener au bonheur du plaisir d’exister, au contentement d’être harmonieusement.

 

B – La vigilance réfléchie qui est une vertu centrale des eudémonismes suppose de distinguer l’émotion et le sentiment, car l’émotion trouble nos raisonnements tandis que le sentiment accroit leur objectivité.

L’émotion est étymologiquement un mouvement (motion) hors de (é-). L’émotion est un trouble de l’attention. Si je suis pris par une émotion de tristesse, je ne prêterai moins attention à la souffrance de l’autre, je ne me soucierai moins de savoir comment lui se sent. Si je suis pris de colère, mes mots ne seront plus soupesés, je peux dire des propos que je regretterai lorsque la colère tombera. Plus gravement, le désir de nier ce qui me met en colère peut me conduire à des actes de violences dommageables et irréversibles.

Le sentiment est étymologiquement lié au ressenti, à la perception des émotions, à leur observation. Un acteur produit des émotions mais n’est pas pris par elles lorsqu’il joue un rôle. Le sentiment est aussi une faculté d’expression des émotions maîtrisée. On peut produire une pensée sans y être forcément attachée, on est capable de la modifier si on le juge nécessaire du point de vue de sa perfection. De même l’intelligence émotionnelle est une production d’émotions jugées nécessaires en fonction de la situation ressentie : ce ne seront pas les émotions fictives d’un acteur,  ce seront des émotions authentiques générées pour perfectionner une relation…

 

C – Transition critique : l’attention va au-delà d’une simple synergie de l’intelligence rationnelle et de l’intelligence émotionnelle.

Le terme attention en français est synonyme de vigilance mentale et émotionnelle. La concentration suppose un focus. L’attention est une conscience défocalisée : être vigilant, c’est l’être à 360 degrés, multidirectionnellement, que ce soit sur le plan des sens, des désirs, des émotions et des idées.

L’attention est donc le fait de cultiver une perception déjà disponible mais une perception qui transcende la conscience mentale, émotionnelle, sensitive et même pulsionnelle.

Mais le terme attention renvoie aussi en français à l’idée de prendre soin des personnes, d’avoir des égards pour elles. Elle pointe une intelligence psychique, une compréhension au niveau de l’essence des personnes.

Cette intelligence et cette perception serait aussi l’ouverture à une capacité d’intuition supraconsciente. Il s’agit encore de conscience, mais elle est inconsciente pour une conscience ordinaire. Car la culture de l’attention nous rend de plus en plus éloigné d’un vécu ordinaire. Cette intelligence supraconscient est autre chose que cette vie ordinaire qui se résume à un enchaînement de pensées plus ou moins cohérentes les unes avec les autres et à des traversées de vagues émotionnelles et pulsionnelles plus ou moins intenses et gérables.  En cultivant l’attention, se découvre le cœur. Ce serait le noyau de concentration naturelle de l’attention mais aussi l’espace propice à l’intuition créatrice.

 

Partie 3 : Le cœur en tant que faculté intuitive n’est pas un rejet de la raison (une misologie) mais son dépassement.

 

A – « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. », Pascal

Pour Blaise Pascal (F, 17ème) qui affirme que « le cœur a ses raisons que la raison ne connait point », le cœur aurait un accès privilégié à des intuitions, des principes évidents plus fins face à une morale rationnelle. Chez Pascal, le cœur s'inscrit dans la tradition chrétienne. Il est chrétien, catholique et janséniste. Pour lui, le cœur est corrompu par le péché originel d’Adam et Eve. Pascal surenchérit sur la théorie d’une transmission du péché originel à partir de sa lecture d’Augustin d’Hippone. Et il justifie là une foi au contour plutôt du côté du fidéisme et de tentations misologiques. Selon les jansénistes, en effet, la majorité des Hommes va finir en enfer et seule la grâce de Dieu peut les en sauver à condition qu’ils embrassent la foi chrétienne catholique. Le jansénisme estime aussi qu’il faut souffrir pour réussir à attirer la grâce de Dieu.

Ainsi l'approche du cœur proposée par Pascal est donc marquée par la religion et un mouvement religieux critiquable. A-t-elle, malgré tout, une portée universelle ?

Plusieurs philosophes des Lumières ont repris l'héritage de Pascal.

Deux grands philosophes pensent « tout contre » Pascal : Voltaire et Rousseau.

Ils sont contre Pascal car, selon eux, la spiritualité ne doit pas dépendre d'une révélation religieuse. Ils sont philosophes défendant l'autonomie rationnelle, on ne doit pas être soumis à l'autorité d'une tradition. La foi chrétienne catholique dont Pascal fait la condition de l’éveil du cœur risque de s’avérer un fidéisme complice d’une misologie.

Dans ses Pensées, dans le fragment 110 (édition Lafuma), Pascal avoue d’ailleurs qu’il aurait préféré un monde ne nécessitant pas l’usage du raisonnement :

« Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire ; plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connaissions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien »

La faiblesse de l’attachement à la raison au profit de l’attachement à sa croyance aveugle en partie Pascal sur le cœur. Par son dogmatisme religieux, il en manque l’ouverture à l’autre. Chez les Lumières, on distingue le déisme où on croit en Dieu, mais auquel on accède sans se limiter à un texte sacré, sans se soumettre à une autorité religieuse et le théisme, selon lequel la religion consiste à se lier à une tradition, à des textes sacrés et à se soumettre à des autorités.

Pour Voltaire, déiste nourri de spiritualité chrétienne, il n'y a pas d'amour du prochain, s'il n'y a pas un minimum de tolérance. Tolérer, ce n'est pas aimer, mais parvenir à supporter quelqu'un qui nous est difficilement supportable. Pour Voltaire, on doit pouvoir défendre la liberté de pensée de gens avec qui nous ne sommes pas d'accord. D’ailleurs, la pluralité des points de vue favorise la liberté et la qualité de la réflexion. La tolérance est une vertu préparatoire à l'amour qui ne peut être qu’une ouverture inconditionnelle à autrui.

Il ne faut pas cependant confondre la vertu de tolérance et le droit à la liberté d'expression. La limite de la tolérance est une compromission avec l'injustice qu’on laisserait faire.

B – La bonté du cœur est naturelle, la bonne éducation ne la dénature pas.

Rousseau critique la notion de péché originel comme tâche ou souillure héréditaire intrinsèque. Pour lui, l'homme est bon par nature, c'est la société qui le corrompt.

Dans La profession de foi du vicaire savoyard, un passage de l’Emile, livre IV, Rousseau décrit la conscience morale du cœur.

Dans ce passage, Rousseau présente sa théorie de la religion. Il présente une voix du cœur qui est donc le fruit d’une sécularisation puisqu’héritée du théisme sans y souscrire. Pour lui, le sentiment moral est naturel, si on ne dénature pas les enfants dans l'éducation. Entendre la voix du cœur est une question de nature humaine et non pas de religion révélée.

La chance d'avoir une autonomie est plus grande chez l'enfant quand la violence physique n'est pas utilisée. La soumission à des autorités et à des traditions passe souvent par la violence comme on peut l’observer encore aujourd’hui dans certaines pratiques religieuses.

 

Pour Rousseau, la morale ne nécessite pas un intellect surdéveloppé. La morale n'est pas liée à une pensée intellectuelle subtile, c'est une évidence qu'on trouve dans son cœur, si on n'a pas été dénaturé.

Rousseau nous donne une idée de conscience morale en pointant une situation où elle est repoussée. Pour lui, en effet, quand on cherche des justifications, on est en train de faire du mal. La justification de soi cache souvent le mal. Quand je fais le bien, j’ai rarement le besoin de me justifier.

Pour Rousseau, l'amour de soi nous permet d'entendre notre cœur, contrairement à l'amour propre. L’amour propre est un amour qui soit se surestime, soit se sous-estime mais qui n’est pas capable de sincérité sur nos imperfections et nos perfections. Si j'arrive à m'aimer moi-même de manière juste, j'arriverai à aimer les autres plus justement, indique Rousseau.

Les désirs sont parfois très égocentriques, et on va prétendre qu'ils sont naturels. Pour Rousseau, la conscience morale est la voix de l'âme, tandis que les passions (désirs vains) sont la voix du corps.

Ceci fait écho à l’approche de Platon, pour qui Eros est la voix de la conscience morale. Eros est « désir » de la beauté, aspiration à la perfection consciente en opposition au « désir » appétit, à la soumission à une mécanique pulsionnelle.

Déjà chez les animaux émerge une capacité d’empathie et de compassion. La moralité n'est pas un privilège humain, elle existe déjà en germe dans la nature. Les observations de Rousseau préfigurent l'éthologie, l’étude du comportement animal aussi bien que ce qui deviendra l’anthropologie. On sait grâce à la science éthologique que de nombreux mammifères ont un sentiment moral. La morale a pour origine l’instinct, en tant que régulation automatique des pulsions. Chez les loups, les pulsions d’agressivité sont ainsi régulées par des signaux qui calment le vainqueur d’un combat. Chez beaucoup d’animaux, l'instinct régule les appétits. Chez les animaux plus évolués, le cœur comme illumination intuitive se substitue peu à peu à l’instinct comme régulation automatique. La raison est en quelque sorte un pont entre la régulation instinctive automatique et une illumination intuitive du cœur qui elle transformerait et sublimerait l’énergie des pulsions.

Pour Rousseau, le désir pour ce qui est beau et les désirs appétits sont rendus confus à cause des valorisations sociales de l’avoir au détriment de l’être, de l’apparaître ou du paraître au détriment du naturel. C’est pourquoi la voix du cœur s’entendra davantage, selon Rousseau, si on se libère par la sincérité et le rapprochement avec la nature.

C – Le cœur n’est pas qu’une illusion due au surmoi.

Mais grâce à l’appui des distinctions conceptuelles, on peut encore aller plus loin pour faciliter une illumination du cœur. Car il s’agit non seulement de se libérer du joug du déterminisme des pulsions mais plus globalement du subconscient qui comprend aussi un surmoi qui empêche une pleine et entière autonomie. Une telle autonomie s’ancrant dans une réalisation du cœur suppose une véritable intelligence émotionnelle autant qu’une intelligence intellectuelle.

Le stade du miroir implique la reconnaissance de soi aussi bien qu’une intériorisation du regard d’autrui avec ses idéaux et ses interdits. Le stade du miroir implique u apprentissage par mimétisme : je m’identifie au reflet auquel l’autre m’identifie sur le miroir. Le mimétisme est une opération centrale lors de tous nos apprentissages mais il amène à des illusions égocentriques et à une concurrence mimétique. Le surmoi intériorise certains interdits limitant la concurrence mimétique, mais il en valorise souvent certains aspects au détriment d’un cœur et d’une bonté authentique.

Avec le stade du miroir, nous avons intériorisé une confusion entre le point de vue en troisième personne et le point de vue en première personne. Nous avons été chosifié par le point de vue intersubjectif. Mais cette chosification qui a mis en nous un surmoi avec ses déterminations n’a rien de définitif. Nous ne sommes pas condamnés à une confrontation avec l’autre. Nous ne sommes pas condamnés à être le moi haïssable dénoncé pour son incapacité à accueillir l’altérité de l’autre et toujours vouloir chosifier l’infini du visage de l’autre. C’est parce que nous-même sommes chosifiés en tant qu’ego et que nous vivons ainsi dans une intersubjectivité chosifiante que nous trahissons l’infini que découvre le visage de l’autre.

Le surmoi est une surimposition de la conscience au même titre que l’ego égo-centrique : la réalité première de la conscience morale ou de l’ouverture du cœur est une relation entre un visage et une conscience infinie en première personne.

Avoir une âme, c’est redonner la place à cette relation originaire, c’est s’écarter de la relation entre autrui et notre conscience infinie qui précède toute relation personnelle entre nous et autrui. C’est aussi et en même temps trouver notre relation authentique avec cette même conscience infinie.

Trouver le cœur pour notre individualité, ce serait alors trouver le sens vrai de notre individuation. L’intuition créatrice ne se cantonnerait plus à des moments de grâce, elle deviendrait une manière d’être qui s’avèrerait le devenir en perfection de notre âme ainsi qu’une participation consciente à l’évolution du vivant.

 

 

Conclusion


 

Notre inconscient est-il un obstacle au bien ? - Corrigé partiel

 

Notre inconscient est-il un obstacle au bien ?

Introduction

[Accroche :] Nous faisons des promesses. Mais souvent survient un désir que nous n’avions pas envisagé alors que nous donnions notre parole. La promesse que nous pensions tenable devient alors difficile à respecter. Parfois, nous pensons même réussir à cacher un écart à l’autre à qui nous avions fait cette promesse. Nous commençons à trouver des justifications, nous estimons conserver l’essentiel de la promesse même si nous ne nous y tenons que partiellement. Le désir a des origines qui nous échappent. Nous l’approuvons ou le désapprouvons, mais il semble surgir parfois avec une force à laquelle nous ne savons pas résister. Le désir a bien une origine inconsciente qui semble pouvoir faire obstacle au bien.

[Présentation du sujet :] Mais faut-il affirmer que l’inconscient est un obstacle au bien ?

[Analyse problématique :] Si d’emblée l’origine inconsciente du désir semble souvent contrevenir au bien moral. Néanmoins ce qui nous retient de donner une réponse affirmative à notre sujet est que l’inconscient ne s’identifie pas forcément uniquement à l’origine imperceptible de nos désirs. Dans notre inconscient, il peut y avoir aussi des résistances à nos désirs. La honte, le dégoût, le sentiment de culpabilité semblent eux-aussi surgir de l’inconscient et barrer la route à certains désirs a priori immoraux. Par ailleurs, même si la honte, le dégoût, la culpabilité ne sont pas pertinentes parfois, de notre inconscient surgit parfois une aspiration au beau, au parfait, au juste et à l’authentique qui soudain nous éloigne de toute complicité avec une attitude collective valorisant des désirs funestes. La dissidence politique, dans certains régimes autoritaires, amène certaines personnes à tout perdre pour ne pas céder au simple désir de survivre qui rend complice d’atrocités.

Ainsi nous devons enquêter aux frontières de notre conscience ordinaire et élargir notre conscience sur notre inconscient pour davantage être assuré d’agir dans la perspective du bien. Toutefois, cette conquête de la conscience sur le terrain de l’inconscient est-elle toujours possible ? Si la conscience n’est qu’une illusion au sein d’un univers essentiellement mécanique, la notion de bien elle-même ne serait-elle pas illusoire au final ? Distinguer ce qui doit être moralement, ce qui ne doit pas être moralement de ce qui aurait nécessairement lieu quoi qu’on en pense a-t-il du sens ?

 

Partie 1 : Si on associe le bien à la conscience alors les motivations inconscientes doivent être rejetées au profit de motivations rationnelles.

 

A – Un acte libre est un acte dont les motivations sont conscientes. Si la source de notre acte est une préférence dont les tenants et les aboutissants nous échappent alors il semble que nous soyons plus dans un serf-arbitre qu’un libre-arbitre. La raison rend nos motivations conscientes et donc les désirs et les penchants sont examinés et suivis que lorsqu’ils ne contreviennent pas au libre-arbitre.

 

B – Toutefois, il n’est pas évident de surmonter l’hétéronomie qui est inscrite subconsciemment en nous sous la forme d’un surmoi. Notre moi est ainsi étroitement lié dans sa genèse au regard d’autrui. Le surmoi est une conquête sociale du domaine du ça mais elle est un résultat inconscient. Ce qui nous dégoûte comme sale ne sera pas tout à fait ce qu’un autre élevé autrement trouvera dégoutant. Pour des étrangers à la culture française les odeurs de certains fromages seront jugées dégoutantes alors que pour un français, elles seront jugées appétissantes. Mais l’hétéronomie produite par le surmoi peut aller plus loin. Aujourd’hui, peu de gens estiment qu’il est immoral de manger de la viande qui suppose la souffrance de l’animal mais demain. Par le passé, les familles esclavagistes et racistes de fait ne trouvaient pas choquant d’avoir des esclaves. Aujourd’hui cela est devenu criminel et suppose la honte ainsi que la culpabilité.

 

C – Transition critique : En désignant la source de la vie inconsciente comme un « ça », Freud le détermine comme subconscient. Pour Freud, la liberté visée par une thérapie consiste en ce que où le ça dominait, le moi advienne. L’activité rationnelle de la conscience ordinaire ne suffit pas à nous libérer des mécanismes inconscients. La morale kantienne ou utilitariste n’ont guère suffit face aux montées collectives de la violence du XXème siècle.

 

Partie 2 : Il ne faut pas seulement se tenir à distance de l’inconscient en s’accrochant à la raison, il faut rendre conscient l’inconscient pour triompher des maux enracinés dans l’inconscient.

 

A – Avec le rêve, la libre-association des pensées et des émotions nous pouvons prendre conscience de certaines fixations sur des objets de désir qui sont le fruit de réactions à des situations passées.

Descartes évoque son attirance pour les femmes avec un strabisme. Il avoue que ce penchant curieux le trouble. Mais il en a retrouvé la source : son amour d’enfance pour une petite fille avec un strabisme. C’est cette association première entre amour et strabisme qui explique son penchant mécanique qui s’avère au fond une limitation de sa liberté.

B – Le modèle freudien ne surmonte pas la pédagogie noire dénoncée par Alice Miller entre autres.

Il faut en revenir en amont de la concurrence mimétique et des régulations sociales intériorisées de cette dernière. La violence éducative participe à produire le sentiment de culpabilité, la peur excessive de mal faire, etc. L’absence de tout surmoi pourrait être problématique : intérioriser les idéaux exogamiques et les interdits de l’inceste est une base d’une vie sociale saine et morale. Mais intérioriser une certaine légitimité de la cruauté éducative est très troublant. Le complexe d’Œdipe paraît un enfant d’une violence déjà intériorisée qu’il ne faudrait pas retourner contre des parents violents… A bien y regarder, il y a peu d’enfants qui s’en prennent violemment à leurs parents. Dans les faits, ce sont les enfants qui subissent la violence éducative ; elle prend parfois un tour cruel et elle aboutit même à ce que des parents blessent irréversiblement l’intégrité psychique et physique de leurs enfants. Et si on prend au sérieux le mimétisme, une intégration de ces défaillances par imprégnation mimétique pourrait alors s’étendre sur des générations. Le mal commis et subi d’une génération sera donc un héritage de la suivante…

 

C – Transition critique : Cependant connaître l’enracinement d’un processus subconscient ne revient pas forcément à s’en libérer. Comment s’assurer de se détacher de ce processus même si on en connaît la cause. Et d’ailleurs, être informé ne signifie pas forcément comprendre assez en profondeur pour s’en libérer. Savoir que fumer tue sur le plan des informations scientifiques ne conduit pas le fumeur à s’arrêter de fumer dans la mesure où cela ne lui permet pas de comprendre directement par lui-même les nuisances du tabagisme sur son corps. L’information sur le bien et le mal n’est malheureusement pas une expérience directe et profonde du bien et du mal.

 

Partie 3 : Dans sa dimension surconsciente, l’inconscient est loin d’être un obstacle au bien puisqu’il offre la possibilité de réaliser l’ouverture de notre cœur.

 

A – Parfois avant de s’enfoncer dans les poubelles du subconscient, il vaudrait mieux d’abord en apercevoir les beautés et les bontés surconscientes avant de s’y affronter.

Freud identifie inconscient et subconscient. Mais une tradition qui va de Socrate et Platon à Bergson en passant par Rousseau et Pascal défend l’idée que le bien est au-delà de la conscience ordinaire. Il faut se connaître intérieurement pour libérer son âme ou entendre mieux son cœur et ainsi participer plus consciemment à une évolution créatrice de la vie.

 

B – Le rêve n’est pas seulement un conflit entre un ça et un surmoi au milieu duquel un moi cherche à grandir. Carl Gustav Jung a une autre thèse que Freud, qui là encore met en avant un inconscient surconscient au lieu d’un inconscient seulement subconscient. Pour Jung, le rêve lucide est possible. La totalité du rêve est l’expression d’un Soi dans lequel s’individue notre moi. Le bien n’est pas ici réductible à un moralisme. Le bien est associé à un devenir authentique de notre personne en harmonie avec une conscience plus vaste qui semble mieux nous connaître nous-mêmes que nous le pouvons. Devenir ce que nous sommes au-delà de l’individualisation que la société a produit par le jeu des mimétismes, des idéaux et des interdits met en jeu la vertu d’authenticité et de sincérité. Déjà Rousseau avait vu ce lien avec l’écoute de la voix du cœur.

 

C – Tant que nous vivons au niveau des jugements et des représentations, nous ne pouvons pas avoir une connaissance directe de notre âme, de nos émotions ou de nos désirs. D’ailleurs ce sont bien des jugements et des représentations qui ont commandé notre individualisation qui à la fois est le lieu de notre individuation et lui fait obstacle. Car en fait notre individualisation a fait de nous un ego séparé d’autrui. Pour faire le bien, certains pensent que la seule voie est de haïr notre ego. Mais c’est une voie qui nie en nous l’individuation d’un Soi absolu en lequel ma personne en évolution et l’autre sommes un.

L’approche phénoménologique d’un Douglas Harding paraît ici essentielle pour surmonter une surimposition inconsciente qui fait un obstacle majeur au bien. Nous croyons rencontrer autrui en un face à face, le visage de l’autre est là-bas et ici en face, il y aurait mon visage que l’autre rencontre et à travers je rencontre l’autre. Mais déjà ceci est le fruit du surmoi et de l’individualisation de notre ego par le regard de l’autre lors su stade du miroir. Je me suis identifié avec l’image que voyait l’autre pour dire que ce reflet qui se trouvait sur le miroir c’était moi. J’ai accepté que l’arrière-plan de conscience sur fond duquel tout apparaît devienne inconscient. A vrai dire, la donnée immédiate de la conscience, du Soi est que l’autre est accueilli tel quel dans une transparence qui se tient au-dessus de nos épaules. La notion de face à face est une représentation que nous avons intériorisée et non une donnée phénoménologique. Je ne vois pas mon visage à moins de disposer d’un reflet. L’ouverture de conscience qui englobe mon ego et autrui n’est pas à confondre avec une représentation de moi-même habitée inconsciemment par les représentations de ceux qui m’ont éduqué. Cette ouverture est un chemin vers le cœur. Elle est un accueil inconditionnel de l’autre comme de soi-même, elle ne juge pas, elle est la lumière dans laquelle nous surgissons moi et l’autre. Ce n’est ni une lumière intellectuelle ni une lumière sensible. Cela veut autrui comme moi-même tel quel, tels que nous sommes. Mais sans exclure une prise de conscience transformatrice de cette unité où nous pouvons nous rencontrer sans séparation. Si le bien est une réalité essentielle du réel alors c’est en approfondissant nos relations et notre individuation en ce Soi, cet arrière-plan de conscience qu’elle se révèlera à nous. Cette révélation sera davantage de l’ordre de l’intuition que de l’ordre des représentations mentales, des émotions ou des sentiments à travers laquelle elle s’exprimera.

Cultivant cette lumière, peut-être reviendrons-nous vers le subconscient pour mieux y conquérir l’animal redoutable que nous demeurons au niveau de nos pulsions.

 

Conclusion

Doit-on apprendre la bonté ? - Corrigé partiel

Doit-on apprendre la bonté ?

Introduction

[Accroche :] La tâche éducative des parents ne peut être niée.

[Présentation du sujet :] Apprendre à être bon paraît donc une évidence morale. Pourquoi alors poser la question « doit-on apprendre la bonté ? » ?

[Analyse problématique :] En fait, des parents attentifs à l’éducation éthique de leurs enfants affirment qu’ils peuvent s’appuyer sur des ressentis de l’enfant ou sur sa réflexion. Au fond, l’éducation parentale ne fait que peut-être protéger la voix de la bonté déjà présente en l’enfant contre les corruptions externes qui menacent de la rendre inaudible.

Toutefois, certains protesteront contre une telle vision idyllique de l’innocence enfantine. La corruption et le mal ne sont pas extérieurs, selon eux, à l’enfant. L’enfant est un pervers polymorphe, dira le psychanalyste, insistant sur la nécessité d’une éducation pour intérioriser un surmoi. D’autres insisteront sur l’égocentrisme propre à tout être humain, nos désirs sont forcément égocentriques. Être moral à l’encontre de cette tendance implique un effort réflexif et une vigilance contre des tendances immorales qui découlent de notre nature désirante. Apprendre la bonté consiste alors à apprendre à déjouer l’égocentrisme inhérent à notre nature désirante.

Ainsi deux visions s’opposent ici.

La première suggère que la bonté est déjà présente en nous. Il ne s’agit alors pas tant d’apprendre à être bon, qu’à mettre nos sentiments et notre intelligence à l’écoute de cette bonté à l’encontre de ce qui pourrait la déformer et la rendre inaudible. Une telle conception expliquerait que dans certaines circonstances aient pu surgir, il y a des centaines d’années, des génies éthiques dont le rayonnement soit encore pertinent moralement pour aujourd’hui.

La seconde affirme que par nature, notre première tendance est immorale, car elle privilégie nos intérêts sur ceux des autres. L’éducation morale est alors indispensable pour contrebalancer cette tendance immédiate au mal. Mais la bonté n’est pas seulement le fruit d’une éducation qui au fond déplace souvent l’égocentrisme individuel vers des exigences communautaristes plus ou moins étroites. Elle doit être le fruit d’une réflexion rationnelle universaliste. Ce progrès de la bonté ne pourrait alors être envisagé culturellement que sur des générations.

 

 

 

Partie 1 : Le bien est le fruit de l’autonomie rationnelle qui s’apprend.

 

A – hétéronomie vs autonomie – la nécessité éducative de passer de l’hétéronomie à l’autonomie. Les dangers d’une obéissance à l’autorité déresponsabilisante (expérience de Milgram)

 

B – Le surmoi ressemble à une conscience morale mais reste le fruit d’une intériorisation inconsciente des idéaux souvent idéologiques et d’interdits parfois discutables.

 

C – Transition critique : Toutefois l’autonomie rationnelle ne répond pas à toutes les situations. Même la casuistique rationnelle ne suffit pas face à des dilemmes insolubles. Comment choisir entre un sentiment filial et un sentiment patriotique quand ils s’opposent ?

 

Partie 2 : Pour agir avec bonté au moment opportun, il faut cultiver des vertus.

 

A – La rationalité morale nous dit quoi faire mais ce n’est pas parce qu’on sait quoi faire qu’on est en mesure de le faire. Il nous faut développer des vertus, comme un sportif qui s’entraîne et qui face à une situation inédite produira une action elle-même inédite. Mais, au fond, il y parviendra grâce à son entraînement. Ou bien comme un musicien entraîné qui grâce à sa maîtrise technique pourra improviser et créer.

 

B – Les vertus sont liées à nos énergies et capacités. La tempérance est la maîtrise de nos pulsions ; le courage ou la fortitude une maîtrise des émotions et des sentiments ; la prudence ou la sagesse pratique est un pouvoir de discernement cultivé. La foi en la vie et l’espérance dans la victoire du bien cultivent ce qui recevra la grâce de l’intuition créatrice dans le cœur. Enfin il y a le pouvoir de la bonté, désigné dans la spiritualité chrétienne comme charité ou agapè.

 

C – Transition critique : Le terme de bonté en tant que vertu s’apprend mais si c’est une réalité préexistante à laquelle on se connecte par nos efforts ? L’intuition du mathématicien est de cet ordre, elle est le produit d’un effort mais elle surgit comme une intuition qui vient et éclaire la conscience du mathématicien.

 

Partie 3 : Le cœur est une réalité à découvrir plus qu’une vertu à produire. Il faut apprendre à ne pas la dénaturer.

 

A – « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. », Pascal

Pour Blaise Pascal (F, 17ème) qui affirme que « le cœur a ses raisons que la raison ne connait point », le cœur aurait un accès privilégié à des intuitions, des principes évidents plus fins face à une morale rationnelle. Chez Pascal, le cœur s'inscrit dans la tradition chrétienne. Il est chrétien, catholique et janséniste. Selon les jansénistes, la majorité des Hommes va finir en enfer et seule la grâce de Dieu sauve. Le jansénisme estime qu’il faut souffrir pour réussir à attirer la grâce de Dieu. L'approche de Pascal est donc marquée par la religion et un mouvement religieux critiquable.

A-t-elle une portée universelle ?

Les philosophes des Lumières ont repris l'héritage de Pascal.

Deux grands philosophes pensent « tout contre » Pascal : Voltaire et Rousseau.

Ils sont contre Pascal car, selon eux, la spiritualité ne doit pas dépendre d'une révélation religieuse. Ils sont philosophes défendant l'autonomie rationnelle, on ne doit pas être soumis à l'autorité d'une tradition. Pour Voltaire, il n'y a pas d'amour du prochain, s'il n'y a pas un minimum de tolérance. Tolérer, ce n'est pas aimer, mais parvenir à supporter quelqu'un qui nous est difficilement supportable. Pour Voltaire, on doit pouvoir défendre la liberté de pensée de gens avec qui nous ne sommes pas d'accord. La tolérance est une vertu préparatoire à l'amour.

Il ne faut pas confondre la vertu de tolérance et le droit à la liberté d'expression. La limite de la tolérance est l'injustice.

Chez les Lumières, on distingue le déisme où on croit en Dieu, mais auquel on accède sans texte sacré, sans autorité religieuse et le théisme, selon lequel la religion doit s'accompagner de textes sacrés, d'autorité.

Chez Pascal, le cœur est corrompu par le péché originel d’Adam et Eve. Pascal surenchérit sur la théorie d’une transmission du péché originel à partir de sa lecture d’Augustin d’Hippone.

B – La bonté du cœur est naturelle, la bonne éducation ne la dénature pas.

Rousseau critique la notion de péché originel comme tâche ou souillure héréditaire intrinsèque. Pour lui, l'homme est bon par nature, c'est la société qui le corrompt.

Rousseau dans La profession de foi du vicaire savoyard, un passage de l’Emile, livre IV décrit la conscience morale du cœur.

Dans ce passage, Rousseau présente sa théorie de la religion. Il présente une voix du cœur qui est donc sécularisée puisqu’héritée du théisme sans y souscrire. Pour lui, le sentiment moral est naturel si on ne dénature pas les enfants dans l'éducation. Entendre la voix du cœur est une question de nature humaine et non pas de religion révélée.

La chance d'avoir une autonomie est plus grande chez l'enfant quand la violence physique n'est pas utilisée.

Pour Rousseau, la morale ne nécessite pas un intellect surdéveloppé. La morale n'est pas liée à une pensée intellectuelle subtile, c'est une évidence qu'on trouve dans son cœur, si on n'a pas été dénaturé.

Rousseau nous donne une idée de conscience morale en pointant une situation où elle est repoussée. Pour lui, en effet, quand on cherche des justifications, on est en train de faire du mal. La justification de soi cache souvent le mal. Quand je fais le bien, j’ai rarement le besoin de me justifier.

Pour Rousseau, l'amour de soi nous permet d'entendre notre cœur, contrairement à l'amour propre. L’amour propre est un amour qui soit se surestime, soit se sous-estime mais qui n’est pas capable de sincérité sur nos imperfections et nos perfections. Si j'arrive à m'aimer moi-même de manière juste, j'arriverai à aimer les autres plus justement, indique Rousseau.

Les désirs sont parfois très égocentriques, et on va prétendre qu'ils sont naturels. Pour Rousseau, la conscience morale est la voix de l'âme, tandis que les passions (désirs vains) sont la voix du corps.

Chez Platon, Eros est la voix de la conscience morale, désir de la beauté en opposition au désir appétit.

Même les animaux ont une âme. La moralité n'est pas un privilège humain, ça existe déjà dans la nature. Rousseau préfigure l'éthologie, l’étude du comportement animal. On sait grâce à cette science que les animaux ont un sentiment moral. La morale est un instinct, une régulation automatique de nos pulsions. Chez les animaux, l'instinct régule les appétits.

Pour Rousseau, le désir pour ce qui est beau et les désirs appétits sont rendus confus à cause des valorisations sociales de l’avoir au détriment de l’être, de l’apparaître ou du paraître au détriment du naturel. C’est pourquoi la voix du cœur s’entendra davantage, selon Rousseau, si on se libère par la sincérité et le rapprochement avec la nature.

C – Le cœur n’est pas qu’une illusion due au surmoi.

Le stade du miroir implique la reconnaissance de soi aussi bien qu’une intériorisation du regard d’autrui avec ses idéaux et ses interdits. Le stade du miroir implique u apprentissage par mimétisme : je m’identifie au reflet auquel l’autre m’identifie sur le miroir. Le mimétisme est une opération centrale lors de tous nos apprentissages mais il amène à des illusions égocentriques et à une concurrence mimétique. Le surmoi intériorise certains interdits limitant la concurrence mimétique, mais il en valorise souvent certains aspects au détriment d’un cœur et d’une bonté authentique.

Avec le stade du miroir, nous avons intériorisé une confusion entre le point de vue en troisième personne et le point de vue en première personne. Nous avons été chosifié par le point de vue intersubjectif. Mais cette chosification qui a mis en nous un surmoi avec ses déterminations n’a rien de définitif. Nous ne sommes pas condamnés à une confrontation avec l’autre. Nous ne sommes pas condamnés à être le moi haïssable dénoncé pour son incapacité à accueillir l’altérité de l’autre et toujours vouloir chosifier l’infini du visage de l’autre. C’est parce que nous-même sommes chosifiés en tant qu’ego et que nous vivons ainsi dans une intersubjectivité chosifiante que nous trahissons l’infini que découvre le visage de l’autre.

Le surmoi est une surimposition de la conscience au même titre que l’ego égo-centrique : la réalité première de la conscience morale ou de l’ouverture du cœur est une relation entre un visage et une conscience infinie en première personne. Avoir une âme, c’est redonner la place à cette relation originaire, c’est s’écarter de la relation entre autrui et notre conscience infinie qui précède toute relation personnelle entre nous et autrui.

 

Conclusion