dimanche 26 octobre 2014

Fiche de lecture sur Le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels.




LECTURE DU MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE DE KARL MARX ET DE FRIEDRICH ENGELS.

I - Corrigé de la fiche de lecture sur Le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels.

1) biographie sommaire de Marx. 

Karl Marx est né le 5 mai 1818. Il meurt le 14 mars 1883. De 1836 à 1843, Marx d’abord hégélien de gauche estime peu à peu que la philosophie est une forme d’aliénation, insuffisante pour penser le monde. De 1843 à 1845, Marx rejette de plus en plus l’Etat et se déclare communiste. Cette évolution se poursuit jusqu’au Manifeste, publié en 1848. Par la suite il travaillera au Capital un ouvrage centré sur la réalité économique et ses processus. De son vivant, le premier tome sera achevé. Il sera attentif à la Commune de Paris (1871) dont il fera un modèle de la révolution communiste à venir. Après sa mort son compagnon de lutte, Engels rassemblera son projet du Capital et continuera la diffusion de son œuvre.

2) dialectique et classe sociale 

a) Qu’est-ce que la dialectique selon Hegel ? En quoi le conflit est-il selon lui le moteur de l’histoire ?

Avec la dialectique, Hegel renverse sans aucun doute notre façon habituelle de penser le conflit et l’opposition. Sa dialectique du maître et de l’esclave est caractéristique de sa pensée dialectique. Hegel estime que le conflit primordial entre consciences individuelles humaines tient à la volonté de chacune d’être reconnue par l’autre. Chacune espère que l’autre désirera ce qu’elle désire qu’il désire. Chacune envisage donc la reconnaissance comme une soumission du désir de l’autre à son propre désir. C’est une situation de guerre qui s’engage alors. Cet autre est aussi en moi-même une autre partie de moi-même : cette lutte peut donc être comprise comme une lutte en divers aspect de notre personnalité. Des personnages en nous entrent dans une lutte à mort avec d’autres pour dominer notre personnalité. Dans une lutte à mort réelle, l’enjeu est la victoire mais aussi la mort. A vrai dire dans une lutte intérieure la partie de nous qui l’emportera et soumettra l’autre sera celle qui n’a pas peur d’une lutte à mort. Celui qui a peur et préfère la vie se soumettra à celui qui ne craignant pas la mort est prêt à la mort de l’un et de l’autre plutôt que de s’avouer vaincu. Ainsi l’un devient le maître de l’autre qui sera son esclave. La résignation apparente de l’un part d’une préférence pour la vie face à la folie de l’autre qui est prêt à mourir en entrainant éventuellement celle de l’autre plutôt que de céder sur son désir. La révolte est une lutte pour la reconnaissance elle-aussi mais dans un contexte où elle est perdue au dépend d’un autre. C’est une reprise de la lutte à mort initiale où personne encore ne dominait. En cas de victoire du dominé celui deviendra le maître et l’autre l’esclave : on a vu bien des révoltes n’aboutir qu’à un changement de visage de la tyrannie. Mais faut-il attendre quelque chose de la résignation ? Hegel affirme que l’esclave va travailler au service du désir de son maître. Sous le couvert de sa résignation, il va se rendre indispensable matériellement à son maître. Et dès lors, la révolte de l’esclave devient la hantise du maître qui prend conscience de sa dépendance au travail de l’esclave. Par ailleurs par son œuvre l’esclave obtient une reconnaissance qui ne se limite plus au cadre d’une lutte à mort pour la reconnaissance. Sa reconnaissance s’est matérialisée dans une œuvre qui persistera malgré sa mort. L’apparente résignation de l’esclave au travail lui a permis de gagner une reconnaissance par une œuvre. La révolution s’opère alors dans l’esprit même du maître : il adhère aux valeurs de celui qui fût son esclave c’est-à-dire qu’il se met lui-même au travail pour faire œuvre. Ainsi par un travail souterrain qui objective une idée nouvelle, une nouvelle mentalité se répand dont le changement social n’est au final que la cristallisation sociale superstructurelle. Au sein même d’un individu, la personnalité dominante peut ainsi se trouver renverser par une cristallisation qui l’intègre à une autre personnalité jusque là secondaire. Un conflit quel qu’il soit sera obligatoirement dépassé dès lors que la vision du monde des belligérants aura été intégré et englobé dans une vision plus large par l’un des deux au moins. Au final, un changement d’idée a des chances de succès si la vision qui la porte renouvelle et intègre ce contre quoi elle porte. Etre simplement contre revient toujours à se définir par rapport et cela aboutira en cas de succès à changer de domination, ce qui demeure un changement contingent, mais pas à susciter une nouvelle forme de communauté, ce qui semble obéir à une nécessité dialectique de l’histoire de l’Esprit d’où jaillit les Idées.

b) Qu’est-ce qui définit une classe sociale pour Marx ?

Marx renouvelle la notion de classe sociale en constatant qu’une société de classes s’organisent à partir de rapport de productions économiques. Dans Le manifeste, dès le début du livre I, Marx nous présente deux types d’organisation sociale qui ont précédé la présente. La première est la société antique. Il y distingue les esclaves, des plébéiens et des patriciens. La seconde est la société féodale, il y distingue les serfs des barons (la composante de base de la hiérarchie aristocratique), les compagnons (l’employé) des maîtres de jurandes (les membres de plein droit d’une corporation d’artisans). Il remarque donc que chaque société par ses rapports de production met face à face des classes sociales opprimées et des classes sociales d’oppresseurs. Dans La dialectique de la nature, Editions sociales,1968, Engels remonte en amont à la préhistoire. Il affirme P.176-177 : « Le travail commence avec la fabrication d’outils. Or quels sont les outils les plus anciens que nous trouvions ? Comment se présentent les premiers outils, à en juger d’après les vestiges retrouvés d’hommes préhistoriques et d’après le mode de vie des premiers peuples de l’histoire ainsi que des sauvages actuels les plus primitifs ? Comme instruments de chasse et de Pêche, les premiers servant en même temps d’armes. » Plus loin p.182, il ajoute : « Tous les modes de production passés n’ont visé qu’à atteindre l’effet utile le plus proche, le plus immédiat du travail. On laissait entièrement de côté les conséquences lointaines, celles qui n’intervenaient que par la suite, qui n’entraient en jeu du fait de la répétition et de l’accumulation progressives. La propriété primitive en commun du sol correspondait d’une part à un stade de développement des hommes qui limitait, somme toute, leur horizon à ce qui était le plus proche et supposait, d’autre part, un certain excédent du sol disponible qui laissait une certaine marge pour parer aux conséquences néfastes éventuelles de cet économie absolument primitive. Une fois cet excédent de sol épuisé, la propriété commune tomba en désuétude. Toutes les formes de production supérieures ont abouti à séparer la population en classes différentes et, par suite, à opposer classes dominantes et classes opprimées ; mais en même temps l’intérêt de la classe dominante est devenu l’élément moteur de la production, dans la mesure où celle-ci ne se limitait pas à entretenir de la façon la plus précaire l’existence des opprimés. » 
Ainsi pour Marx et Engels, les classes sociales se définissent à la fois par des facteurs de développement historique d’oppressions et par le développement de rapports de production liés à une économie où s’affirme un travail de plus en plus performant. C’est cet étrange paradoxe qui sans doute mène Marx à faire dans un Manifeste communiste en faveur des prolétaires une apologie de la classe bourgeoise qui vraiment porte le travail à son achèvement en assurant à l’humanité une production qui peut la mettre à l’abri de ses besoins matériels.

c) En quoi pour Marx la lutte des classes explique-t-elle l’histoire humaine depuis l’antiquité d’après Le manifeste ?

« L’histoire des sociétés n’a été que l’histoire des luttes de classes. », dit Marx en ouverture du livre I du Manifeste. Bien sûr comme nous l’avons vu dans le texte de Engels extrait de La dialectique de la nature dans la question précédente, cette lutte débute avec la fin de la préhistoire avec la fin de la propriété commune primitive. Marx prend le contrepied des historiographies habituelles d’alors qui focalisaient l’histoire sur les nations, leur formation à travers les combats menés par les dirigeants des divers peuples qui les composèrent. Il nous demande de nous tourner vers un autre type d’histoire. L’enjeu des guerres antiques n’étaient-ils pas au fond l’acquisition d’esclaves, comme Aristote l’explique dans Les politiques ? De même, l’enjeu des guerres féodales n’est-il pas l’acquisition de terre et de cités qui assureront aux Seigneurs une main-mise économique plus forte ? On peut mettre en avant des luttes exprimant le développement de nouvelles mentalités comme Hegel mais l’histoire montre une mondialisation de l’économie capitaliste qui rend accessoire les mobiles spirituelles. Si Hegel avait raison tous les Etats seraient d’origine chrétienne et seul les valeurs chrétiennes permettraient l’entrée dans la modernité. Aujourd’hui la Chine et L’Inde modernes donnent raison davantage à l’analyse de Marx qu’à celle de Hegel. La force de Marx est d’avoir saisi la force d’un point de vue matérialiste ou du moins économique (ce qui est lié à la production du travail humain) sur l’histoire.

d) En quoi la dialectique de Hegel inspire-t-elle la lutte des classes et en quoi est-elle différente chez Marx par rapport à Hegel ?

Marx hérite de l’idée que le conflit est un moteur de l’histoire. Cependant Hegel insiste sur des visions du monde qui se dépassent les unes les autres par le biais de leurs conflits. Il en conclut que l’Esprit, une conscience absolue se cherche à travers ces conflits et se révèle ainsi peu à peu par ce procédé. Pour, Marx aucune conscience n’existe en dehors de la matière. Un travail, une œuvre reste d’abord une nouvelle façon pour la matière de se considérer elle-même. Ce ne sont pas des visions du monde éthérées qui sont en jeu mais de façon de vivre la matérialité du monde. L’esclave est souvent condamné à la pénibilité du travail et le maître se réserve les tâches nobles des arts, des lettres, de la discussion politique. De même le capitaliste s’il travaille comme son employé n’a pas les tâches ingrates de ce dernier souvent répétitives et sans déshumanisantes. De plus, il dispose du droit de licencier cet employé ou de l’en menacer afin d’appauvrir encore plus le gain qu’il pouvait en tirer. Le contrat de travail qui lie le capitaliste à ses employés n’est pas un contrat social entre égaux. La lutte que la dialectique du maître et de l’esclave décrit ne peut pas décrire cette situation sociale d’exploitation et d’aliénation du travail des employés par les entrepreneurs capitalistes. Pour Marx, la logique capitaliste de concentration des capitaux conduira à une situation explosive due à l’exploitation et à l’appauvrissement des masses qu’elle entraîne et aboutira à une révolte des prolétaires qui s’empareront des moyens de production. Cette issue est inéluctable selon Marx. Mais il est possible d’accélérer le cours de l’histoire en s’emparant de l’Etat afin de mener le capitalisme plus vite à son terme et d’aboutir à une société véritablement sans classes sociales en lutte entre elles pour dominer et mettre à son service exclusif l’économie. Un parti communiste cristallisera cette possibilité en rassemblant les prolétaires qui ont pris conscience de ce mouvement de l’histoire où l’évolution de la matière et surtout du rapport avec elle peut devenir consciente d’elle-même sans plus passer inconsciemment par la lutte des uns contre les autres. Ce parti mettra en œuvre tout ce qui est possible y compris la révolution pour faire avancer l’histoire plus vite.

3) Le manifeste et les classes sociales modernes : 

a) Qu’est-ce qui caractérise le passage de la féodalité à la modernité du point de vue des classes sociales dominantes ?

Pour Marx, « le caractère distinctif de notre époque, de l’ère de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. [...] La société se divise de plus en plus en deux grands camps opposés, en deux classes ennemies : la bourgeoisie et le prolétariat. » (livre I du Manifeste). Autrement dit la classe aristocratique qui dirigeait la société féodale a vu son pouvoir politique tomber aux mains de la bourgeoisie. La révolution française de 1789 est pour Marx caractéristique de ce changement social profond. Selon lui, il s’agit d’une révolution bourgeoise. 

Georges Lopès dans son commentaire du Manifeste, édition Bertrand-Lacoste, explique ce qui a mené à ce bouleversement :

« La société féodale commence à changer sous l’action des serfs qui se libèrent - par la lutte - du joug féodal. C’est ainsi qu’en Angleterre, dès la fin du XIVe siècle, le servage disparaît de fait. L’immense majorité de la population des campagnes ne se compose plus de serfs mais de paysans libres qui cultivent leur propre terre. Puis, au XVIe siècle, à la fois par la violence et par la ruse, ils sont chassés de leur terre, expropriés. Se constitue ainsi, à partir du XVIIe siècle, une classe de grands propriétaires fonciers, de fermiers « capitalistes », les futurs bourgeois. Cependant, une partie des paysans expropriés est embauchés à leur service, tandis que les autres - les plus nombreux - sont transformés par une « discipline sanguinaire » en prolétaires disponibles pour l’industrie, en « classe salariée ». Marx parle de la création violente d’un « prolétariat sans feu ni lieu ». [...] Que s’est-il passé, parallèlement à ce mouvement qui opposait les classes et en liaison avec lui ? D’une part, un développement remarquable des forces productives : nouveaux moyens de transport, découvertes de nouveaux continents, de nouveaux marché, colonisation, extension des échanges, de la production et des besoins... D’autre part , un changement essentiel dans le mode de production : la « manufacture » remplace peu à peu les corporations, en introduisant dans la production une nouveauté radicale : la coopération des travaux. Sous le régime des corporations, chaque artisan produisait la totalité d’un objet, avec ses propres outils, dans l’atelier du maître de Jurande et sous sa tutelle. Ainsi, une montre, par exemple, était une œuvre individuelle, fabriqué par un horloger. Dans une manufacture au contraire sous le commandement d’un même capital, les travailleurs coopèrent dans la fabrication d’une même production. »
L’aristocrate et le maître de Jurande voient donc leur prérogative économique disparaître au profit des propriétaires foncier et des propriétaires de manufacture, les capitalistes. Car ce sont des capitaux qui désormais permettent de disposer de la force de production non plus des savoirs faire artisanaux ou guerriers.
Le changement social et économique s’accentue lorsqu’on passe ensuite de la manufacture à l’industrie, c’est-à-dire quand grâce aux énergies et aux machines qu’elles permettent d’actionner, on peut développer considérablement la production. La petite bourgeoisie liée à la manufacture se distingue alors de la grande bourgeoisie liée à l’industrie. Les machines permettent aussi des moyens de transport (train, bateau à vapeur) qui ouvrent des débouchés de vente les plus lointains.

b) En quoi la classe bourgeoise est-elle une classe sociale révolutionnaire ? Contre quelle(s) classe(s) sociales se bat-elle ?

Tout d’abord comme nous l’avons précédemment la bourgeoisie a révolutionné les moyens de production. Elle a par son déplacement de la force brutale guerrière vers la force du capital bouleversé la société féodale. En effet l’aristocratie féodale était fondée sur la force guerrière, le capital c’est-à-dire la puissance financière est devenue plus forte encore. Dès la fin du XVIIIe siècle et plus encore au début du XIXe siècle, il apparaît nettement que les capitaux permettent des industries, les moyens de déplacement, etc. qui font la force d’une armée moderne recrutant des gens de toute classes sociales en cas de conflit. Elle a donc aussi posé les bases donc d’une révolution politique qui s’est concrétisée pour la première fois avec vigueur durant la Révolution française de 1789. Cette révolution a aboli les privilèges aristocratiques : l’aristocratie a été soit prolétarisée soit elle s’est embourgeoisée.
Enfin la bourgeoisie prolétarise la société : elle a créé des armées d’ouvriers et l’industrialisation en ce début du XIXe siècle amplifie ce mouvement. La concurrence économique élimine les petits bourgeois et concentre tous les capitaux entre quelques bourgeois. Ironiquement la bourgeoisie est donc révolutionnaire dans le sens où elle facilite la révolution communiste des prolétaires qui marquera l’aboutissement de l’anéantissement qu’elle mène inconsciemment à son propre égard.

c) Qu’est-ce que le prolétariat ?

Dans l’édition Nathan du Manifeste par Jean Jacques Barrère et Christian Roche on a p.84-85 un aperçu de la conception du prolétariat selon Marx. Nous nous en inspirerons ici.
Marx tout d’abord en donne une définition simple : 

« Le prolétariat, c’est la classe des ouvriers modernes ». Reste alors à savoir ce qui caractérise l’ouvrier moderne.
1° il est contraint à un travail coopératif lié à la mécanisation des tâches et à la division du travail dans la société industrielle. Il est salarié mais son salaire ne correspond pas à la valeur économique finale de son travail qui participe toujours à faire grandir le capital de ceux qui l’embauchent. Son salaire est soumis comme une marchandise à la loi de l’offre et de la demande. Il est donc soumis au chômage et à l’appauvrissement.
2° ceci est le fruit d’un processus historique qui depuis l’atelier artisanal du moyen âge a vu naître d’abord la manufacture (que Adam Smith décrit en introduisant la notion de division du travail) puis de l’industrie où les machines (des mécaniques motorisées) font des ouvriers des accessoires de la force mécanique. Ce processus a conduit à prolétariser la société toute entière, il a bouleversé les classes sociales du monde féodal. Le prolétariat prend conscience de lui même comme classe sociale en prenant conscience de l’oppression bourgeoise. Il commence à prendre conscience qu’il est porteur d’un projet politique qui s’imposera dès lors qu’il sera majoritaire.

L’idéal communiste est résumé par Marx en ces termes :

« A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement pour tous. »

d) En quoi la révolution bourgeoise prépare t-elle malgré elle l’avènement du communisme ?

La bourgeoisie en simplifiant les classes sociales par une prolétarisation de la société entière tend à mettre en place un antagonisme de classes simplifiés qui se retournera contre elle. Par ailleurs elle exploite le travail salarié et par les crises économiques liées à la surproduction inhérente au désir de gain qui l’anime, elle contribue à un appauvrissement global du prolétariat qui finira par lui donner le sentiment et la conscience des possibilités politiques inédites dont il est porteur du fait qu’il a été habitué à un travail coopératif.

e) Qui sont les petits-bourgeois et en quoi sont-ils contre-révolutionnaires ?

Les petits bourgeois sont une classe de petits propriétaires. En tant que propriétaire ils s’associent politiquement à la grande bourgeoisie contre les mouvements politiques issus du prolétariat. Mais ils ne perçoivent pas que la notion de propriété petite bourgeoise défendue par les grands bourgeois n’est qu’un façade idéologique. Ceux-ci en effet prolétarise toute la société et dépossèdent les petits bourgeois de leur moyen de production. Les petits bourgeois, c’est-à-dire les classes moyennes pour Marx retardent la prolétarisation de la société et surtout retardent la concrétisation des demandes politiques prolétaires. La grande bourgeoisie par son action accélère l’histoire et en prolétarisant la société elle n’est pas aussi contre-révolutionnaire que la petite bourgeoisie.
Ceci explique pourquoi dans la vulgate marxiste traiter quelqu’un de petit bourgeois ou lui dire qu’il a une telle mentalité est l’insulte majeure. L’idéologie petite bourgeoise est en un sens la plus contrerévolutionnaire.

4) La valeur travail chez Marx et le Lumpenprolétariat 

a) Qu’est-ce qu’un travail aliéné pour Marx ? Où dans Le manifeste avons-nous des échos de cette conception ?

Le concept d’aliénation qui chez Hegel garde un sens encore positif devient négatif avec Marx. Dans la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel, il y a une aliénation dans le travail : l’esclave se projette dans une œuvre, il s’y extériorise, son esprit y trouve une présence objective. Cette aliénation est alors ce qui va permettre sa reconnaissance. Avec Feuerbach, Marx commence d’abord par estimer que la religion est une aliénation négative puisque l’homme se projette, s’objectivise dans une pratique religieuse où finalement il se résigne à une existence misérable en éloignant toute la perfection humaine dans une représentation divine imaginaire. Revenant à la question du travail, contrairement à l’analyse de Hegel qui voit dans l’aliénation dans le travail de l’esclave au final une reconnaissance positive, Marx détecte dans l’aliénation du travail de l’ouvrier de l’industrie une aliénation qui reste seulement négative : l’ouvrier ne jouit pas de son travail ni amont parce qu’il est répétitif, mécanique ni en aval puisque le capitaliste se l’approprie contre un salaire misérable qui ne vaut pas la valeur d’échange (le prix) de ce qui a été produit.

Nous lisons dans le livre I du Manifeste :

« Le développement du machinisme et la division du travail, en faisant perdre au travail de l’ouvrier tout caractère d’autonomie, lui ont fait perdre tout attrait. Le producteur devient un simple accessoire de la machine, on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, ce que coûte l’ouvrier se réduit, à peu de chose près, au coût de ce qu’il lui faut pour s’entretenir et perpétuer sa descendance. Or, le prix du travail [7], comme celui de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur s’accroît avec le développement du machinisme et de la division du travail, soit par l’augmentation des heures ouvrables, soit par l’augmentation du travail exigé dans un temps donné, l’accélération du mouvement des machines, etc.
L’industrie moderne a fait du petit atelier du maître artisan patriarcal la grande fabrique du capitalisme industriel. Des masses d’ouvriers, entassés dans la fabrique, sont organisés militairement. Simples soldats de l’industrie, ils sont placés sous la surveillance d’une hiérarchie complète de sous-officiers et d’officiers. Ils ne sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, de l’Etat bourgeois, mais encore, chaque jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du contremaître et surtout du bourgeois fabricant lui-même. Plus ce despotisme proclame ouvertement le profit comme son but unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant.
Moins le travail exige d’habileté et de force, c’est-à-dire plus l’industrie moderne progresse, et plus le travail des hommes est supplanté par celui des femmes et des enfants. Les distinctions d’âge et de sexe n’ont plus d’importance sociale pour la classe ouvrière. Il n’y a plus que des instruments de travail, dont le coût varie suivant l’âge et le sexe.
Une fois que l’ouvrier a subi l’exploitation du fabricant et qu’on lui a compté son salaire, il devient la proie d’autres membres de la bourgeoisie : du propriétaire, du détaillant, du prêteur sur gages, etc., etc. »

ce texte sera expliqué dans notre partie II de cet article.

b) Que pense Marx du travail plus globalement ? Quelles sont les classes sociales qui le valorisent ? Laquelle selon lui dans Le manifeste incarne le mieux cette valeur et surtout pourquoi ?

Pour Marx ce sont la grande bourgeoisie, la petite bourgeoisie et le prolétariat qui valorisent le travail. L’aristocratie reste celle issue du monde féodal qui valorise la force la plus brutale du guerrier et pour qui le travail est ce qui caractérise les autres classes. Le monde féodal est associé à la paresse : ce que la bourgeoisie a précisément permis de condamner. Toutefois la grande bourgeoisie ne fait qu’exploiter le travail des prolétaires pour augmenter son capital. Par ailleurs la petite bourgeoisie valorise elle-aussi le travail mais elle est appelée en tant que classe moyenne à être prolétarisée. Son travail même s’il a une certaine autonomie n’est pas coopératif comme l’est par la force des choses celui du prolétariat. De ce point de vue la petite bourgeoisie s’associe souvent à la bourgeoisie en défendant la propriété privée justifiée par l’appropriation jugée légitime d’un profit acquis par un travail autonome mais son destin est d’être prolétarisé par une bourgeoisie qui a une idéologie du travail qui masque qu’elle ne travaille pas vraiment sauf à exploiter les prolétaires pour augmenter son capital.

c) Qu’est-ce que le Lumpen-prolétariat (sous-prolétariat) ou la voyoucratie dans notre texte ? En quoi cette classe sociale est-elle contre-révolutionnaire ? En quoi dévalorise-t-elle le travail ?

Le sous-prolétariat désigne un sous-produit du capitalisme. L’aristocratie habituée à des gains économiques obtenus par la violence et le parasitage inspire au fond un certain banditisme et un esprit de mendicité contraire au sens du travail prolétaire. En fait, ce sous-prolétariat mime la bourgeoisie par le bas : il exploite la misère économique prolétaire. Son idéal est comme pour la bourgeoisie la constitution d’un capital par exploitation.

d) Dans notre vocabulaire contemporain, comment appelle-t-on ceux qui composent le Lumpen-prolétariat ? N’y a-t-il pas des appellations qui suggèrent une différence d’appréciation de cette réalité sociale par rapport à ce qu’en dit Marx ?

On parlerait plutôt aujourd’hui d’exclus du circuit économique contraint et tenté de mettre en œuvre une économie souterraine n’ayant pas accès de plein droit à notre société de consommation par l’entremise du travail ou des quelques aides sociales qu’on leur alloue. On insisterait sur des considérations socio-culturelles les empêchant malgré l’éducation gratuite d’accéder à de meilleurs statuts sociaux. Sur ce sujet on retrouve une pertinence à une analyse psycho-spirituelle de la vie sociale contrairement à une analyse marxiste fondée sur les seuls critères économiques.

5) Marx et la démocratie libérale des droits de l’homme dans Le manifeste. 

a) En quoi les droits de l’homme de 1789 sont-ils pour Marx au service de la bourgeoisie ? Pour répondre à cette question on lira les droits de l’homme de 1789 qu’on comparera à ce qui dit Marx de la propriété et du libre-échange dans Le manifeste.

Yvon Quiniou dans Karl Marx, idées reçues, édition le Cavalier Bleu, p.87 écrit :

« Quand Marx réfléchit sur les conditions politiques du passage au communisme, il intègre toujours les acquis de la Révolution française de 1789. C’est ainsi que dans La question juive (1843), qui procède à une analyse critique de La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il n’invalide jamais cette déclaration, contrairement à ce que beaucoup de commentateurs prévenus ont pu dire. S’il montre qu’elle défend les droits d’un homme bourgeois égoïste (à travers la défense de la propriété privée, par exemple), il ne récuse jamais les droits du citoyen en eux-même, et ne les qualifie pas de bourgeois. Il indique seulement que l’émancipation que ces derniers apportent n’est que partielle, puisqu’elle n’existe que dans le champ politique sans toucher à l’économique et au social, et qu’à ce titre, elle peut être source d’illusion ou de mystification. Et il précise clairement qu’il faut voir dans cette liberté conquise, un « intermédiaire nécessaire » et « assurément, un grand progrès » dans la voie d’une émancipation humaine complète. Comment pourrait-il en être autrement que si l’on songe qu’il n’a lui-même cessé de combattre pour la liberté politique dans son Allemagne d’origine et ailleurs ? »

Dans La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est question de liberté et d’un droit de propriété. Marx dans le livre II du Manifeste écrit :

« Et c’est l’abolition d’un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l’abolition de l’individualité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s’agit effectivement d’abolir l’individualité, l’indépendance, la liberté bourgeoises.
Par liberté, dans les conditions actuelles de la production bourgeoise, on entend la liberté de commerce, la liberté d’acheter et de vendre.
Mais si le trafic disparaît, le libre trafic disparaît aussi. Au reste, tous les grands mots sur la liberté du commerce, de même que toutes les forfanteries libérales de notre bourgeoisie, n’ont un sens que par contraste avec le trafic entravé avec le bourgeois asservi du moyen âge ; ils n’ont aucun sens lorsqu’il s’agit de l’abolition, par le communisme, du trafic, du régime bourgeois de la production et de la bourgeoisie elle-même.
Vous êtes saisis d’horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C’est précisément parce qu’elle n’existe pas pour ces neuf dixièmes qu’elle existe pour vous. Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut exister qu’à la condition que l’immense majorité soit frustrée de toute propriété. En un mot, vous nous accusez de vouloir abolir votre propriété à vous. En vérité, c’est bien ce que nous voulons. »

Marx nous montre ici que la liberté individuelle dont parlent les bourgeois est celle du capitaliste de même que le droit à la propriété privée puisqu’au fond le prolétaire est privé lui de liberté individuelle et de propriété.
Dans la partie II de notre Lecture du Manifeste de Marx et Engels nous examinerons plus en détail la critique de la propriété par Marx.

b) Qu’est-ce la dictature du prolétariat d’après Marx ?

Sur ce point nous suivrons Emmanuel Renault dans son Vocabulaire de Karl Marx, Ellipses, p.14.
Celui remarque que Marx évoque des phases qui conduiront de la révolution à une véritable émancipation positivement accomplie au niveau de la mentalité prolétaire.
On distingue ainsi 3 phases du processus communiste.
La dernière et troisième phase mettra fin à la division du travail, elle opérera une répartition des biens suivant les besoins de chacun et contribuera à l’épanouissement universel des individus.
La deuxième phase que dans la vulgate marxiste on nomme socialiste consiste à se remettre des « stigmates de l’ancien ordre » (Tome I en pléiade des œuvres de Marx, p.1419). On y satisfera les besoins en fonction des capacités de chacun.
La première phase est précisément la dictature du prolétariat qui procédera à un démantèlement du pouvoir bourgeois en s’emparant de l’Etat et en abolissant la propriété privée des moyens de production.

c) En quoi dans sa deuxième partie, Le manifeste offre une conception du pouvoir fondée implicitement sur la dictature du prolétariat ?

On peut lire peu avant l’énoncé des 10 points du programme communiste présentés par Le Manifeste :
« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives
Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c’est-à-dire par des mesures qui, économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier. »
On reconnaît effectivement la première phase du processus communiste appelé dictature du prolétariat.

d) Quand Marx parle de démocratie dans Le manifeste, quelle objection pourrait-on lui faire ?

Marx utilise clairement le terme de Démocratie dans la passage qui précède cet extrait précédent qui évoque la dictature du prolétariat :
« Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »
Pour Yvon Quiniou dans Karl Marx, idées reçues, p.87-88, « Ce qui a faussé le débat à ce sujet, c’est qu’il a préconisé « la dictature du prolétariat » comme mode d’exercice du pouvoir révolutionnaire, formule qui a suscité un contresens majeur sur son rapport à la démocratie, y compris quand elle a été abandonnée par de nombreux partis communistes. Outre qu’elle renvoyait à un processus politique majoritaire et, donc, en ce sens, démocratique, elle ne se prononçait pas en faveur de procédures « dictatoriales » au sens où le XXe siècle en a connues ; elle indiquait seulement que tout pouvoir est un pouvoir de classe, et qu’il exerce donc une contrainte inévitable sur une partie du corps social, fût-ce à travers des moyens parfaitement démocratiques dans leur forme. On comprend mieux que Marx ait pris parti pour la Commune de Paris, tentative de démocratie intégrale, dans laquelle son ami Engels a pu voir la réalisation de cette « dictature du prolétariat », précisément. »

Digression critique :

Toutefois on pourrait contester la prétention du parti communiste à représenter tout le prolétariat : faute de dialogue ne risque-t-il pas de croire qu’il est l’incarnation du prolétariat quand ce n’est pas le cas ? Les anarchistes ont dès le début dénoncé le rapport des communistes à l’Etat. En somme le marxisme de Marx est-il indemne de tendances idéologiques que, par ailleurs, il dénonce ?

6) La science marxienne des idéologies. 

a) Qu’est-ce qu’une idéologie selon Marx ?

Marx a repéré une illusion dans nos discours : ils sont rarement conscients des intérêts de classe sociale qu’ils camouflent. Un tel discours qui véhicule des intérêts de classe est selon lui idéologique. Marx nous invite donc toujours à revenir aux faits matériels et économiques pour ôter le masque idéologique et voir les intérêts prosaïques à l’œuvre. Paul Ricoeur repérant l’importance de ce point de vue pour l’interprétation des discours (l’herméneutique) dira de Marx avec Nietzsche et Freud qu’il est un maître de l’herméneutique du soupçon.
On pourra consulter sur ce point le site de Denis Collin.

b) En quoi les critiques bourgeoises du communisme sont-elles idéologiques dans Le manifeste ?

Marx en répondant aux attaques les plus courantes contre le communisme dans le livre II du Manifeste implicitement montre qu’il s’agit d’attaques et de réactions idéologiques, même si dans ici le terme n’est pas explicitement utilisé.
Sur la question de la propriété, le grand bourgeois défend une conception idéologique dans la mesure où il s’appuie sur une vision petite bourgeoise de l’appropriation justifiée par le travail alors qu’il a complètement défiguré une telle conception dans les faits en dépossédant les ouvriers de leur travail.
Le grand bourgeois accuse le communisme d’une communauté des femmes et défend une conception du mariage monogamique fondement de l’éducation des enfants par la famille alors que sa vision capitaliste fait du sexe une marchandise collective et qu’il exploite ouvertement les enfants dans les usines à cette époque.
Enfin on reproche aux communistes de nier la nation. Marx montre que les grands bourgeois prennent de plus en plus des positions économiques internationales et au fond utilisent le nationalisme à leur fin. Ce ne sont jamais eux qui mènent les guerres mais ce sont toujours eux qui en profitent quand le nationalisme aboutit à ces extrémités.
Dernier point, on reproche aux communistes leur irreligiosité. Marx montre dans Le manifeste que les religions font pleinement parti de l’idéologie et donc qu’elles varient avec les rapports de production. La religion chrétienne qui au début du moyen-âge a permis en partie la fin de l’esclavage a permis de justifier le servage. Elle sert maintenant encore d’« opium du peuple », écrit-il dans Critique de la philosophie politique de Hegel. Dès lors qu’elle fleurit les chaînes de l’exploitation en promettant aux miséreux le paradis après leur mort, elle détourne le prolétaire de la lutte des classes et justifie l’ordre régnant. L’aliénation religieuse qui transfert l’idéal humain sur le divin masque l’aliénation sociale dans le travail prolétarisé.

c) En quoi le communisme incarne-t-il l’idéologie du prolétariat ? A vrai dire peut-on encore parler d’idéologie du prolétariat ? Quel statut la pensée communiste du prolétariat revendique-t-elle ?

La terminologie d’idéologie n’est pas adaptée au discours communiste qui offre au prolétariat la prise de conscience de ce qu’il est. Le début du livre II pose clairement que « les communistes sont donc la partie la plus résolue, la plus avancée des partis ouvriers de tous les pays ; théoriquement, ils se distinguent avantageusement du reste du prolétariat par leur intelligence nette des conditions, de la marche et du but du mouvement prolétarien ».
Digression : Le lecteur conscient de la distinction entre un discours monologique et un discours dialogique reste étonné d’une telle prétention. A la même époque le discours anarchiste par exemple n’a-t-il pas aussi tenté d’exprimer et de comprendre l’oppression du prolétariat ? 
Les communistes ne seraient-ils pas victimes eux-mêmes d’une illusion idéologique ?

7) Critique de la scientificité du marxisme : 

a) Qu’est-ce que la falsifiabilité d’une théorie selon Karl Popper ? En quoi est-elle garante de la scientificité d’une théorie ?

La science se bâtit à partir des faits observés et des faits expérimentés. Mais l’activité théorique est très importante car en rassemblant des faits, elle essaie de produire des algorithmes à partir de ce fait qui permettent d’en déduire et d’en prévoir de nouveaux. La science ne consiste pas en une somme de faits, elle serait plutôt à la recherche de formules mathématiques, de lois, de processus qui les expliquent. Une théorie est comme une synthèse tirée de l’induction. Mais il ne faut pas confondre le procédé inductif de formation d’un énoncé scientifique en science de la nature avec ce qui caractérise une théorie scientifique. La force déductive d’une théorie scientifique est par excellence ce qui teste la validité d’une théorie. Etant issue de l’induction, toute théorie scientifique non mathématique n’est qu’une conjecture, une approximation de la réalité qui permet à partir de conditions initiales de déduire et prévoir approximativement des conditions terminales. Plus une théorie résiste à l’expérience plus elle est fiable. Et surtout plus une théorie prête le flanc à l’expérience plus elle est falsifiable ou réfutable, plus si elle résiste, sa force théorique sera avérée. Karl Popper fait de ce critère de falsifiabilité des théories le critère de scientificité par excellence. C’est donc l’expérience et l’observation qui en dehors des sciences mathématiques semble être le critère prédominant. Si un scientifique exhibe une expérience reproductible invalidant une théorie, celle-ci devra être corrigée ou bien une autre théorie devra s’y substituer.
Par exemple, quand on s’est aperçu qu’un rayon de lumière émis depuis la terre avait la même vitesse qu’on la mesure sur terre ou de puis l’espace, il est apparu que la vitesse de la terre n’entrait pas dans le calcul. En effet cette vitesse depuis la terre est c (environ 300000km.s-1), et depuis l’espace selon la théorie de Newton elle devrait être c + ou - un facteur vitesse vt (vitesse de la terre dans l’espace). Or la vitesse constatée reste c. L’expérience de Morley-Mickelson qui a constaté ce fait a entre autre relancé la recherche scientifique d’une théorie autre que celle de Newton : ceci aboutît à la théorie de la relativité de Einstein.
La discussion scientifique est donc canalisée par des critères de vérité extérieurs à la discussion théorique et qui précèdent ou déplacent la discussion théorique. A la suite de Karl Popper, la falsifiabilité, c’est-à-dire le fait qu’une théorie scientifique soit testable, assure donc qu’elle soit bien scientifique. Plus une théorie scientifique est falsifiable, plus son degré de falsifiabilité est grand, plus elle a un haut degré de scientificité.

b) En quoi la théorie marxiste n’est-elle pas falsifiable selon Karl Popper ?

Voici ce qu’en dit Popper lui-même dans La quête inachevée, Presses Pocket, 1989, p.53-57 :
« C’est au début de cette période que je poussai plus loin idées concernant la démarcation entre théories scientifiques (comme celles d’Einstein) et théories pseudo scientifiques (comme celles de Marx, Freud ou Adler). il parut alors clairement que ce qui donnait une valeur scientifique à une théorie ou à un énoncé c’était sa capacité d’éliminer, ou d’exclure, certains événements possibles de défendre, ou d’interdire, l’occurrence de ces événements. Ainsi, plus une théorie porte d’interdits, plus elle nous renseigne .
Bien que cette idée soit très liée à celle du « contenu informatif » d’une théorie, et renferme cette dernière comme résumée en quelques mots, à l’époque je n’allai pas plus loin dans son développement. J’étais cependant préoccupé par le problème de la pensée dogmatique dans son rapport avec la pensée critique. Ce qui m’intéressait surtout, c’était l’idée que la pensée dogmatique, que je considérais comme préscientifique, était une étape nécessaire à l’épanouissement de la pensée critique. Il fallait que la pensée critique s’appuie sur quelque chose d’antérieur pouvoir fonctionner, et ceci, pensais-je, était le résultat de l’existence de la pensée dogmatique.
Laissez-moi ajouter quelques mots sur le problème de démarcation et sur la solution que je propose.
1° Le problème, tel qu’il m’est apparu pour la première n’est pas celui de séparer la science et la métaphysique mais la science et la pseudo-science. A cette époque je ne m’intéressais pas du tout à la métaphysique. Ce n’est que plus tard que je lui étendis mon critère de démarcation.
2° Mon idée essentielle en 1919 était la suivante. Qui que ce soit, proposant une théorie scientifique, devrait, tout comme Einstein, pouvoir répondre à cette question : « Quelles sont les conditions dans lesquelles j’admettrais que ma théorie est insoutenable ? » Autrement dit, quels sont les faits concevables dont j’admettrais qu’ils apportent des réfutations, ou des falsifications, à ma théorie .
3° J’avais été choqué par le fait que les marxistes (dont la revendication principale était que leur théorie fût comptée au rang des sciences sociales), et les psychanalystes de toute appartenance, étaient capables d’interpréter n’importe quel fait imaginable comme venant à l’appui de leurs théories. Ceci, ajouté à mon critère de démarcation, me conduisit à penser que seules les tentatives de réfutation qui échouaient en tant que réfutations pouvaient être considérées comme des « vérifications ».
4° Je maintiens toujours le 2°. Mais, lorsqu’un peu plus tard j’introduisis, à titre expérimental, la notion de falsifiabilité* (ou testabilité ou réfutabilité) d’une théorie comme critère de démarcation, je m’aperçus très vite que théorie peut être « immunisée » contre la critique pour reprendre l’excellent terme de Hans Albert. Si nous laissons cette immunisation se produire, alors une théorie ne peut plus être falsifiée. Il faut donc proscrire au moins, quelques immunisations.
Par ailleurs, je m’aperçus qu’il ne fallait pas proscrire es les immunisations, pas même celles qui introduisent des hypothèses auxiliaires ad hoc. Par exemple, l’observation de la révolution d’Uranus aurait pu être considérée comme une falsification de la théorie de Newton. Au lieu de cela, l’hypothèse auxiliaire d’une planète extérieure fut introduite de manière ad hoc, immunisant ainsi la théorie. Ce qui s’avéra être une bonne chose, car l’hypothèse auxiliaire pouvait être testée, même si cela était difficile, et elle passa parfaitement ces tests.
Tout cela montre qu’un certain degré de dogmatisme fructueux, même dans le domaine scientifique, mais que, logiquement, la falsifiabilité, ou la testabilité, ne peut pas être considérée comme un critère très sélectif. Plus tard, dans ma Logik der Forschung, je traitai ce problème plus complètement. J’introduisis des degrés dans la testabilité ; il se trouva que ceux-ci étaient non seulement étroitement liés à des degrés de contenu, mais encore étonnamment fertiles : l’accroissement du contenu devint le critère selon lequel on pouvait ou non accepter à titre d’essai une hypothèse auxiliaire.
En dépit du fait que tout ceci, était clairement exposé ma Logik der Forschung en 1934, on répandit toute une série de légendes à propos de mes conceptions. Premièrement, on dit que j’avais introduit la falsifiabilité comme un critère de signification plutôt que comme un critère de démarcation. Deuxièmement, on dit que je n’avais pas vu que l’immunisation était toujours possible, que j’avais ainsi négligé le fait qu’aucune théorie ne pouvait être décrite comme « falsifiable » puisque toutes pouvaient échapper à la falsification. En d’autres termes, dans légendes, on faisait de mes propres résultats des raisons pour rejeter mon approche du problème.
En guise de résumé, il est peut-être utile de montrer, par des exemples, comment différents types de systèmes théoriques fonctionnent par rapport aux processus de testabilité (ou de falsifiabilité) et d’immunisation.
a) Il y a des théories métaphysiques qui sont d’une nature purement existentielle (elles font plus particulièrement le sujet de Conjectures et Réfutations).
b) Il y a des théories comme les théories psychanalytiques de Freud, d’Adler et de Jung, ou comme le savoir (suffisamment vague) de l’astrologie.
Ni (a) ni (b) ne sont falsifiables ni testables.
c) Il y a ce qu’on pourrait appeler des théories « non sophistiquées » du genre : « Tous les cygnes sont blancs », ou la théorie géocentrique : « Toutes les étoiles autres que les planètes se déplacent en cercle. » On peut inclure dans ce registre les lois de Kepler (bien qu’à beaucoup d’égards elles soient hautement sophistiquées). Ces théories sont falsifiables bien qu’évidemment on puisse éviter les falsifications : l’immunisation est toujours possible. Mais les manoeuvres de protection seraient en général malhonnêtes : elles consisteraient, par exemple, à nier qu’un cygne noir est un cygne, ou qu’il est noir ; à nier qu’une planète non keplérienne est une planète.
d) - Le cas du marxisme est intéressant. Comme je l’ai fait remarquer dans mon livre La Société ouverte on peut considérer que la théorie de Marx a été réfutée par les événements qui se sont produits durant la révolution russe. Selon Marx, les changements révolutionnaires partent de la base ; autrement dit : les moyens de production sont les premiers à changer, puis ce sont les conditions sociales de production, ensuite le pouvoir, politique et, enfin, les croyances idéologiques, qui changent en dernier. Mais , dans la révolution russe c’est le pouvoir politique qui a changé le premier. Et l’idéologie (Dictature et Electrification) a commencé, par le haut, à transformer les conditions sociales et les moyens de production. La réinterprétation de la théorie de la révolution de Marx, destinée à échapper à cette falsification, l’a immunisée contre toute attaque ultérieure, la transformant en un marxisme vulgaire (ou socio-analytique) qui nous dit que les « motivations économiques » et la lutte des classes imprègnent la vie sociale.
e) Il y a des théories plus abstraites, comme les théorie de la gravitation de Newton ou d’Einstein. Elles sont falsifiables : par exemple, lorsqu’on ne trouve pas les perturbations prévues, ou lorsque, autre exemple, des tests au radar se révèlent négatifs par rapport aux observations directes d’une éclipse solaire. Mais, dans leur cas, on peut, échapper à ce qui paraît au premier abord une falsification seulement par des immunisations sans intérêt, aussi, comme dans le cas de figure Uranus-Neptune, introduisant une hypothèse auxiliaire testable, de telle sorte que le contenu empirique du système - constitué théorie de départ, à laquelle s’ajoute l’hypothèse auxiliaire - soit plus grand que celui du système original. On peut considérer cela comme un accroissement du contenu informatif, comme un cas de progrès de notre connaissance. Il y a aussi, bien sûr, des hypothèses auxiliaires qui visent simplement à immuniser et à protéger de la critique une théorie. Elles diminuent le contenu. Tout suggère la règle méthodologique de refuser toute œuvre qui tend à une réduction du contenu (ou, dans la terminologie de Imre Lakatos, tout « déplacement du problème qui entraîne sa dégénérescence »).

 

* Falsifier et ses dérivés, pris au sens poppérien, sont des néologismes tels qu’il est souvent arrivé aux philosophes d’en créer. La traductrice de La Connaissance objective (éd. Complexe) a choisi d’éviter d’employer le verbe falsifier, en arguant du fait qu’en français il ne signifie pas réfuter mais adultérer, et s’est référée à un accord de Popper pour ce choix de traduction. Mais en anglais aussi « falsification », pris au sens poppérien, est un néologisme, et dans une lettre du 23 octobre 1979 adressée à Renée Bouveresse, Sir Karl a changé d’avis, écrivant qu’il lui paraissait indispensable que le terme falsifier et ses dérivés continuent à être employés dans la littérature poppérienne francophone. Outre l’avantage qu’il y a, du point de vue de la richesse d’expression, à disposer de deux termes (réfutation et falsification il est nécessaire, puisque dans le Postscript Popper distingue les théories philosophiques complètement irréfutables et non perfectibles par la critique de celles qui sont susceptibles d’une sorte de réfutation, de pouvoir distinguer la réfutation d’une théorie philosophique telle que l’inductivisme, de la falsification (ou réfutation par des tests empiriques) d’une théorie scientifique. Pour d’autres arguments, voir l’article de Renée Bouveresse « Remarque terminologique à propos des traductions de Popper : de la "falsification" des théories scientifiques" », dans la revue Fundamenta Scientiae, vol. 3, n° 2, pp. 215-219 (N.d.T.) »

c) En quoi la pensée de Marx influence aujourd’hui encore les sciences historiques ou les sciences sociales ?

Pierre Bourdieu en sociologie ou Eric Hobsbawn, Fernand Braudel ou son disciple Immanuel Wallerstein en histoire montrent la vigueur des concepts marxistes pour comprendre nos sociétés ou notre histoire. L’archéologue de la préhistoire qui part des résidus matériels laissés par une société sans écrit part d’une analyse de la production d’une telle société pour ensuite en induire l’organisation voire l’idéologie. Ce n’est pas par hasard qu’un marxiste est ainsi l’initiateur de l’idée d’une révolution néolithique.
Louis Chauvel montre dans ses ouvrages que la notion de classes sociales voire de luttes des classes n’est pas aussi périmées qu’on le dit.

d) De quel point de vue, peut-on alors revendiquer une scientificité pour la démarche marxiste ?

Karl Popper lui-même reconnaît que la théorie de Marx n’est pas contrairement au marxisme vulgaire immunisé contre la réfutation : elle a posée des prédictions historiques qui permettent de la réfuter.
Toutefois cette réfutation historique induit-elle son total rejet ?
Habermas contre Popper insistera sur une spécificité d’une science sociale qui s’inscrit dans le cours des choses qu’elle décrit et anticipe. Là où la science physique permet une prédictibilité objective des phénomènes, les sciences sociales contribuent à en modifier le devenir en ayant des conséquences politiques. Marx a construit une théorie critique de la société qui a infléchi son histoire : le travail des enfants qu’il dénonce dans le programme du Manifeste a été interdit en partie grâce aux marxistes ; L’Etat a mis en place une éducation publique gratuite ; l’intervention de l’Etat pour constituer un palliatif aux dérives économiques est devenue une règle même si certains ont souhaité l’abolir ces dernières années. Certaines prévisions comme la mondialisation, la constitution de multinationales plus puissantes que certains Etats, l’apparition d’un chômage endémique, etc. sont confirmées. Au nom de la critique sociale initiée par Marx, on a aussi critiquer les pays communistes. Les initiateurs du mouvement socialisme et barbarie ont utilisé des concepts de Marx ou inspirés de lui pour critiquer les Etats des pays de l’est se prétendant communistes. 
Une explication peut être invalidée en science mais elle garde souvent une pertinence dans certains domaines du réel : la théorie de Newton invalidée par celle d’Einstein reste encore utilisée. En science physique les anciennes explications sont en fait un cas particulier des nouvelles valant comme approximation selon telles et telles conditions. La théorie de Marx contient des explications mais reste aussi une interprétation, une compréhension. Peut-on totalement rejeter une interprétation ? Ses illusions recèlent toujours une part de vérité. Une théorie critique comme celle de Marx ôte des voiles en nous montrant par exemple ce qu’est une idéologie. Elle-même manque des faits et donc a des voiles dans son interprétation qu’il est nécessaire d’ôter mais au fond en étant à l’écoute de sa démarche et non en la rejetant totalement. Une théorie en science physique est soit fausse soit partiellement vraie et à subsumer dans une nouvelle théorie plus vaste. Une théorie en sciences sociales ou plus largement en sciences humaines apporte un degré de compréhension mais parfois au prix de certaines illusions mais elle ne pourra jamais être totalement illusoire dès lors qu’elle a contribué à chasser certaines illusions. Karl Popper en privilégiant politiquement la liberté au dépend de toute forme d’égalité autre qu’en terme de dignité n’est-il pas victime d’une illusion ? 
Par exemple, les critiques du marxisme par Habermas ou par Hannah Arendt nourries d’une volonté de ne pas rejeter tout son héritage nous semblent plus fructueuses. Habermas perçoit l’importance des rapports de domination mais il repère avec l’interaction communicationnelle l’impensé du marxisme : on ne peut prôner une démocratie prolétaire radicale et mettre en place une institution monologique voire autistique comme la dictature du prolétariat. Hannah Arendt perçoit des contradictions dans la pensée marxiste du travail faute de distinguer le travail lié à la nécessité de la vie d’un effort lié à une œuvre individuelle et/ou collective dégagée du devoir de gagner sa vie. 

Pour prolonger ce point on peut lire le compte rendu d’une intervention de Sylvie Courtine-Denamy.

++++

II - Textes du Manifeste expliqués et mis en parallèle avec d’autres auteurs. 

Préambule :
Lors d’une explication orale, il faut nous le rappelons :


présenter le contexte du passage dans le reste du livre ;
présenter le thème précis du passage ;
présenter la thèse du passage et l’expliquer ;
présenter le plan du texte ;
présenter une explication linéaire ;
faire une conclusion qui examine les enjeux du texte. Les explications qui suivent ne présentent que l’explication linéaire du texte et une explication ici sous-entend celles qui précèdent ainsi que les éléments vus dans la fiche de lecture alors que votre explication ne le doit pas, elle doit au contraire expliciter ce qui aurait été expliqué à propos d’autres passages. En fait il est du meilleur effet de se référer aux autres passages du livre pour expliquer le passage qui nous a été donné. N’oubliez pas alors de les compléter.

1) Comment la conscience est le produit du contexte de la production matérielle ? 

« Quant aux accusations portées d’une façon générale contre le communisme, à des points de vue religieux, philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas un examen approfondi. 
Est-il besoin d’une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ? 
Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. 
Lorsqu’on parle d’idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d’une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence. 
Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir. 
"Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées au cours du développement historique. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations. 
"Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d’en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur." 
A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours était faite d’antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes. 
Mais, quelle qu’ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes. », Marx, Le Manifeste, Livre II.


« § 343
L’histoire de l’Esprit est son acte, car il est seulement ce qu’il fait ; son acte est devenir lui même, tel qu’il est entant qu’Esprit, objet de sa conscience, de se connaître en s’explicitant pour lui-même. Cette connaissance est son être et son principe ; et son accomplissement est en même temps son aliénation et sa transition. L’Esprit qui, en termes formels, connaît à nouveau cette connaissance ou, ce qui est la même chose, revient à lui-même de l’aliénation, est l’esprit du degré supérieur par rapport à ce qu’il était dans son savoir antérieure.
Le problème de la perfectibilité et de l’éducation de l’espèce humaine se pose ici. Ceux qui ont affirme cette perfectibilité ont pressenti quelque chose de la nature de l’Esprit, de sa nature qui a comme loi de son être le « Connais-toi toi-même » ; ils ont compris que, lorsqu’il se conçoit comme il est, il se donne par là même une forme supérieure à celle qui constituait son être. Mais, pour ceux qui ont rejeté cette idée, l’Esprit est resté un mot vide, et l’histoire, un jeu superficiel d’aspirations et de passions accidentelles, - soi-disant seulement humaines. Si, néanmoins, par les termes de Providence et de Plan Providentiel, ils expriment la croyance à un gouvernement supérieur, cela reste une représentation incomplète, car ils donnent expressément le Plan de la Providence comme inconnaissable et inconcevable. », Hegel, Principes de la philosophie du droit.


Explication :

Dans ce passage que Marx présente ironiquement comme secondaire en disant que la réfutation de ceux qui prétendent que le communisme est irréligieux, anti-philosophique ou amoral, on a pourtant une présentation de ce qu’est son matérialiste dialectique et en quoi il nourrit une critique des idéologies (voir dans la fiche la question 6 qui concerne l’idéologie). Par ailleurs on peut voir en quoi Marx déplace la conception de la philosophie de l’histoire par Hegel en faisant de la dialectique une dialectique matérialiste et non une dialectique de l’Esprit. 
Marx présente la thèse centrale de son matérialisme dialectique comme une évidence : les conceptions, les idées et les visions du monde c’est-à-dire la conscience des hommes se modifie avec leurs relations sociales. Bien entendu, la thèse inverse existe : ce seraient les changements de visions du monde qui présideraient aux changements des relations sociales. Mais la position de Marx est que les évolutions dans les productions matérielles sont synonymes d’évolutions dans les productions intellectuelles. A vrai dire, il ne s’agit pas tant d’un rapport de causes à conséquences qu’une forme élaborées de parallélisme entre réalités de la conscience et réalités matérielles. Quand on regarde l’histoire de la pensée, cette approche est fructueuse : Michel Serres un philosophe français contemporain a lié la topique psychanalytique où pulsions du ça, refoulements du surmoi et désir du moi avec le développement de la thermodynamique qui explique le fonctionnement des moteurs. « Les machines à feu miment la thermodynamique de l’organisme », dit Michel Serres. La pulsion est en effet comme la pression énergétique qui exerce sa force dans le moteur. Ainsi la psychanalyse n’eut pas été possible sans la production matérielle mettant en jeu le moteur.
De même quand on considère la méthode de Descartes, on peut suivre Pierre Thuillier dans La grande implosion et estimer que la méthode cartésienne généralise une méthode liée à la mécanique horlogère : repérage des pièces défectueuses à remplacer par des pièces fonctionnelles (règle de l’évidence indubitable), démontage qui doit savoir s’arrêter aux éléments de base d’un mécanisme sous peine de casser ses pièces de base (règle de décomposition jusqu’aux éléments simples), remontage qui privilégie non pas l’ordre d’importance des pièces dans la mécanique (l’ordre de la nature) mais l’ordre de montage (l’ordre des raison) et enfin règle de révision (terme qui convient aussi bien à la mécanique qu’au raisonnement). Plus récemment certains comme Pierre Lévy ont essayé de voir en quoi l’informatique détermine un nouveau mode de pensée. Tous ces travaux montrent la fécondité de la thèse de Marx.
Mais cette thèse est surtout évidente dans l’esprit de Marx pour ses lecteurs prolétaires. Un prolétaire sait que l’intelligence manuelle détermine l’intelligence intellectuelle. Le travail manuel induit des manières de penser. Pour inverser la thèse d’Aristote selon laquelle l’homme a des mains parce qu’il est le plus intelligent des animaux et non le plus démuni biologiquement comme le disait le mythe de Protagoras, nous pouvons dire que l’intelligence est précisément le produit d’un usage des mains.
Ceci posé. Marx en vient à ce qu’il nomme dans d’autres écrits l’idéologie.
 
Sur ce point on relira donc le 6) de notre fiche de lecture.

Une manière de pensée n’est pas seulement liée à la production matérielle mais aussi et surtout pour Marx à l’organisation sociale qui se structure autour d’un certain type de production matérielle. Elle va justifier cette organisation sociale et va s’ingénier à justifier ce qui est injustifiable car injuste. L’idéologie générée par un mode de relation sociale attenante à une certaine production matérielle va donc être d’abord le discours de ceux qui sont privilégiés dans l’organisation sociale, c’est-à-dire que l’idéologie est d’abord le discours des classes dominantes. Dans une sociétés à plusieurs classes en lutte les unes contre les autres comme le fût la société qui précéda la fin de l’ancien régime en France, on aura donc plusieurs idéologies concurrentes. Les idées des Lumières ne sont peut-être pas la cause de la fin de l’ancien régime avec la révolution française mais sont plutôt le symptôme d’un changement de nature des relations sociales.
Marx suggère alors que comme le christianisme a marqué la fin de l’organisation sociale antique et a été l’idéologie des dominants du monde féodal, la philosophie (des Lumières) aura été l’idéologie de la bourgeoisie révolutionnaire. Il révèle que les discours sur la liberté de conscience, la tolérance sont des discours qui au fond masquent les nouveaux types de dominations engendrés par la libre concurrence. En effet la libre concurrence économique qui est le socle de la société dominée par la bourgeoisie capitaliste selon lui a besoin que dans le domaine intellectuel il y ait une reconnaissance de la libre concurrence des idées.
Toutefois certains avancent qu’il y a des vérités éternelles s’agissant de la liberté et de la justice. Selon eux une idée a une validité en dehors de son contexte social et des appartenances sociales de celui qui l’émet. Le communisme ne rompt-il avec cette conception de la raison universelle ?
Pour Marx, celui qui parle parle depuis sa condition sociale, à travers son discours s’exprime qu’il le veuille ou non des intérêts de classe. Plus encore une idéologie ou un discours exprimé à partir d’une condition sociale exprime son positionnement dans la lutte des classes. Un discours est un point dans la lutte des classes. En un sens on peut alors voir des positions éternelles dans le cours de l’histoire. Les conceptions de la justice et de la liberté renvoient toujours à la lutte des classes et à la dénonciation des dominations injustes. Marx ici s’inscrit donc bien en continuité avec les philosophies des Lumières que selon lui le communisme parachève. Sa critique des droits de l’homme par exemple a été souvent comprise comme menant à un rejet source de la catastrophe totalitaire dû au marxisme. Ici nous comprenons que sa critique vise leur parachèvement qui selon lui implique surtout l’abolition du droit à la propriété privée. C’est cette rupture qu’il estime la plus forte avec les revendications usuelles de justice et de liberté dans le prolongement desquels il s’inscrit.
Remarque : Si on suit la logique de Marx, il y a donc dans le christianisme des prémisses de liberté et de justice dont héritent les Lumières et enfin le communisme. Sur ce point n’y a-t-il pas une ambiguïté dès lors qu’il a surtout souligné dans le christianisme les promesses faites aux pauvres et aux exploités d’un paradis après la mort ? Dans cette foi, il y a aussi l’idée d’une justice mais elle est idéologique puisqu’elle détourne le regard de l’injustice du monde pour faire espérer une justice postmortem.

PS : un extrait expliqué de La critique du droit politique de Hegel est intéressant de rapprocher de ce passage du Manifeste.

2) Le droit à la propriété est-il un droit exclusivement bourgeois ? 

« Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.
La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise.
Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise.
Or, la propriété privée d’aujourd’hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d’appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l’exploitation des uns par les autres.
En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée.
On nous a reproché, à nous autres communistes, de vouloir abolir la propriété personnellement acquise, fruit du travail de l’individu, propriété que l’on déclare être la base de toute liberté, de toute activité, de toute indépendance individuelle.
La propriété personnelle, fruit du travail et du mérite ! Veut-on parler de cette forme de propriété antérieure à la propriété bourgeoise qu’est la propriété du petit bourgeois du petit paysan ? Nous n’avons que faire de l’abolir, le progrès de l’industrie l’a abolie et continue à l’abolir chaque jour.
Ou bien veut-on parler de la propriété privée d’aujourd’hui, de la propriété bourgeoise ?
Mais est-ce que le travail salarié, le travail du prolétaire crée pour lui de la propriété ? Nullement. Il crée le capital, c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire encore et encore du travail salarié, afin de l’exploiter de nouveau. Dans sa forme présente, la propriété se meut entre ces deux termes antinomiques ; le Capital et le Travail. Examinons les deux termes de cette antinomie.
Etre capitaliste, c’est occuper non seulement une position purement personnelle, mais encore une position sociale dans la production. Le capital est un produit collectif : il ne peut être mis en mouvement que par l’activité en commun de beaucoup d’individu, et même, en dernière analyse, que par l’activité en commun de tous les individus, de toute la société.
Le capital n’est donc pas une puissance personnelle ; c’est une puissance sociale.
Dès lors, si le capital est transformé en propriété commune appartenant à tous les membres de la société, ce n’est pas une propriété personnelle qui se change en propriété commune. Seul le caractère social de la propriété change. Il perd son caractère de classe. », Marx et Engels, Le Manifeste du parti communiste.


« Celui qui se nourrit des glands qu’il a ramassés sous un chêne, ou des pommes qu’il a cueillies aux arbres d’un bois, se les est certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces aliments soient à lui. Je demande donc : Quand est-ce que ces choses commencent à être à lui ? Lorsqu’il les a digérées, ou lorsqu’il les a mangées, ou lorsqu’il les a fait bouillir, ou lorsqu’il les a rapportées chez lui, ou lorsqu’il les a ramassées ? Il est clair que si le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne les a pas rendues siennes, rien d’autre ne le pourrait. Ce travail a établi une distinction entre ces choses et ce qui est commun ; il leur a ajouté quelque chose de plus que ce que la nature, la mère commune de tous, y a mis ; et, par là, ils sont devenus sa propriété privée. Quelqu’un dira-t-il qu’il n’avait aucun droit sur ces glands et sur ces pommes qu’il s’est appropriés de la sorte, parce qu’il n’avait pas le consentement de toute l’humanité pour les faire siens ? était-ce un vol, de prendre ainsi pour soi ce qui appartenait à tous en commun ? si un consentement de ce genre avait été nécessaire, les hommes seraient morts de faim en dépit de l’abondance des choses [...]. Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par convention, c’est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de l’arracher à l’état où la laisse la nature qui est au commencement de la propriété, sans laquelle ces terres commune ne servent à rien. Et le fait qu’on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement explicite de tous. Ainsi, l’herbe que mon cheval a mangée, la tourbe qu’a coupée mon serviteur et le minerai que j’ai déterré, dans tous les lieux où j’y ai un droit en commun avec d’autres, deviennent ma propriété, sans que soit nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui était le mien, d’arracher ces choses de l’état de possessions communes où elles étaient, y a fixé ma propriété. », LOCKE, Second traité du gouvernement civil.

Explication :

La Révolution française dans les droits de l’homme et du citoyen a consacré un droit à la propriété. Il n’est pas sans rappeler la justification de Locke du droit à la propriété qui a inspiré la constitution américaine de 1787 initiée par la déclaration d’indépendance le 4 juillet 1776. La Révolution française a subi cette influence étant donné que des français comme Lafayette furent des acteurs importants de l’indépendance américaine comme de la Révolution française de 1789.
Pour Marx cette conception de la propriété ressort d’une conception petite bourgeoise. L’idée que nous appartient ce que nous nous sommes appropriés par un travail selon lui ne peut pas convenir à la pratique bourgeoise de la propriété privée fondée sur le capital et l’exploitation des salariés.
La propriété est apparue dès lors que l’homme s’est appropriée l’exclusivité d’une production tirée de la nature. En effet l’être humain a dû défendre initialement son bien des autres animaux avant de le défendre contre d’autres êtres humains.
Avec l’apparition de l’agriculture, ce que nous appelons la révolution néolithique d’après d’ailleurs un historien marxiste, Gordon Childe, est apparu une appropriation en fonction de classes sociales. Dans Le manifeste, il est question de l’époque historique (dont on a des témoignages par des écrits traductibles) (c’est précisé par une note de Engels au début du livre I), à savoir la société antique. L’agriculture génère en effet des fonctions régaliennes liées à la religion, la guerre et aux travaux publics. Dans la société antique les classes sociales liées aux fonctions régaliennes prennent le pas sur la production qui est imposées aux vaincus des guerres qui sont désormais des esclaves. L’esclave rpoduit mais n’est même pas propriétaire de lui-même.
Marx en matérialiste explique donc l’évolution sociale de la propriété en fonction de la production, c’est-à-dire en fonction d’un rapport de la matière à elle-même par le biais du travail humain. La nature n’appartient à personne en droit mais en fait elle se déduit d’une organisation sociale fondée sur une production donnée. La propriété peut-elle entièrement se justifier dès lors que l’appropriation de l’un conduit à la désappropriation de l’autre ? Pour Proudhon que Marx a beaucoup discuté la propriété reste du vol. L’appropriation génère forcément une forme d’injustice et donc d’aliénation. Le travail nous rend humain, il est caractéristique de l’homme qui planifie son activité alors que les savoirs faire animaux sont en quelque sorte instinctif mais le revers de cette humanisation par le travail, l’aliénation donc au sens de Marx consiste toujours en une désapproriation du travail par les classes sociales qui l’organisent. Le travail est aliéné car la production du travailleur revient à un autre (alien=l’autre). Le travail de l’esclave ne lui donne pas à la propriété et Marx estime que dans la société organisée par la bourgeoisie, le travail des prolétaires ne leur donne pas droit à une appropriation. La définition et la justification de la propriété par Locke n’est pas valable dans les pratiques bourgeoises. en fait, seule la petite bourgeoisie peut s’y reconnaître puisque c’est son travail qui permet son appropriation mais la bourgeoisie se sert de cette conception idéologique pour en fait exploiter les prolétaires et pour justifier la prolétarisation des petits bourgeois. La conception de la propriété colportée par les droits de l’homme et du citoyen et justifiée par Locke mène immanquablement à masquer le vol d’un surtravail ouvrier. En effet le salaire de l’ouvrier est largement inférieur à la valeur réelle de son travail : le capitaliste dégage une marge de profit en faisant travailler pour lui en partie gratuitement les prolétaires. Le salaire n’est qu’un dédommagement partiel du travail réel. Marx remarque que le salaire des prolétaires leur permet à peine de quoi s’approprier les biens vitaux. Ils vivent dans des conditions déplorables en effet à cette époque tant su point de vue du logement, de l’hygiène que de la nourriture. En outre la concurrence économique inhérente au capitalisme mène à des crises économiques où les prolétaires perdent leur emploi et donc tout moyen de vivre puisqu’à l’époque il n’existe rien de semblable à l’assurance chômage. Le travail salarié qui demeure en tant de crise par la loi de l’offre et de la demande est encore alors amoindri. Les capitalistes qui restent à flot voient leur marge augmenter et peuvent s’emparer des moyens de production de leur concurrent tout en rognant sur les salaires des prolétaires. La logique du profit seule importe.
A vrai dire les salaires sont une des variables d’ajustement les plus aisées à diminuer pour dégager plus de profit tout en baissant le prix de vente de la production et tout en gardant une marge de manœuvre pour des investissements en machines plus performantes et en matière première nécessaire à la production. Les machines permettent d’augmenter la production et de baisser ainsi le coût de revient, elles sont un investissement plus nécessaire que les salaires. Elles permettent de moins embaucher à taux de production supérieur.
Pour Marx et Engels une des premières mesures d’une révolution prolétarienne consistera donc à abolir la propriété privée au sens bourgeois même si idéologiquement elle est fondée sur une conception petite bourgeoise. Il ne s’agit pas de déposséder les bourgeois que de redonner à ceux qui vraiment travaillent les outils de la production qui légitimement leur appartiennent. En un sens la propriété doit revenir à ceux qui travaillent. Mais au fond cette appropriation n’a pas la nature petite bourgeoise égoïste où chacun travaille pour soi. Les prolétaires travaillant en commun auront un sens collectif de la propriété au point où le terme de propriété paraît inadapté pour rendre compte du partage naturel des ressources que ce sens collectif induira. Une société communiste par son sens du partage abolira vraiment tout sens de la propriété par définition égoïste et créateur d’aliénation.

3) Le communisme libère-t-il vraiment de l’aliénation du travail ? 

« Le développement du machinisme et la division du travail, en faisant perdre au travail de l’ouvrier tout caractère d’autonomie, lui ont fait perdre tout attrait. Le producteur devient un simple accessoire de la machine, on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, ce que coûte l’ouvrier se réduit, à peu de chose près, au coût de ce qu’il lui faut pour s’entretenir et perpétuer sa descendance. Or, le prix du travail [7], comme celui de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur s’accroît avec le développement du machinisme et de la division du travail, soit par l’augmentation des heures ouvrables, soit par l’augmentation du travail exigé dans un temps donné, l’accélération du mouvement des machines, etc.
L’industrie moderne a fait du petit atelier du maître artisan patriarcal la grande fabrique du capitalisme industriel. Des masses d’ouvriers, entassés dans la fabrique, sont organisés militairement. Simples soldats de l’industrie, ils sont placés sous la surveillance d’une hiérarchie complète de sous-officiers et d’officiers. Ils ne sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, de l’Etat bourgeois, mais encore, chaque jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du contremaître et surtout du bourgeois fabricant lui-même. Plus ce despotisme proclame ouvertement le profit comme son but unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant.
Moins le travail exige d’habileté et de force, c’est-à-dire plus l’industrie moderne progresse, et plus le travail des hommes est supplanté par celui des femmes et des enfants. Les distinctions d’âge et de sexe n’ont plus d’importance sociale pour la classe ouvrière. Il n’y a plus que des instruments de travail, dont le coût varie suivant l’âge et le sexe.
Une fois que l’ouvrier a subi l’exploitation du fabricant et qu’on lui a compté son salaire, il devient la proie d’autres membres de la bourgeoisie : du propriétaire, du détaillant, du prêteur sur gages, etc., etc. », Marx et Engels, Le manifeste du parti communiste.
« Plus proche, également décisif peut-être, voici un autre événement non moins menaçant. C’est l’avènement de l’automation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité. Là, encore, c’est un aspect fondamental de la condition humaine qui est en jeu, mais la révolte, le désir d’être délivré des peines du labeur ne sont pas modernes, ils sont aussi vieux que l’histoire. Le fait même d’être affranchi du travail n’est pas nouveau non plus ; il comptait jadis parmi les privilèges les plus solidement établis de la minorité. A cet égard, il semblerait simplement qu’on s’est servi du progrès scientifique et technique pour accomplir ce dont toutes les époques avaient rêvé sans pouvoir y parvenir. », Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne.


« L’époque moderne s’accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. Le souhait se réalise donc, comme dans les contes de fées, au moment où il ne peut que mystifier. C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et, parmi les intellectuels, il ne reste plus que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. », Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne.


Explication :

Dans Le Manifeste, Marx nous donne à voir clairement le passage à une nouvelle forme de travail. A l’époque féodale les artisans travaille dans un atelier dirigé par un maître de Jurande. Chaque ouvrier mène une tâche relativement autonome et il produit souvent un artefact dans son entièreté ou du moins sa production implique de nombreux savoir faires. Quand il s’agirait par exemple de fabriquer une montre ou une horloge, l’artisan ouvrier réaliserait cet ouvrage seul. Dans la manufacture le travail devient davantage coopératif car on introduit une division du travail d’un nouveau type. On confie à chacun une tâche simple et répétitive dans le processus commun de production d’un objet. Cette transformation du travail en travail coopératif n’est pas pour Marx totalement négative puisqu’elle nourrira la mentalité communiste mais dans la manufacture et plus encore dans l’industrie la division du travail aliène le travail en lui retirant l’autonomie qui faisait son intérêt précédemment. Le communisme futur devra donc tout en cultivant la dimension coopérative retrouver cette dimension d’autonomie et de créativité individuelle.
Avec l’industrialisation, le travail subit une aliénation plus grande encore que dans la manufacture. En effet l’ouvrier devient comme un accessoire de la machine : la machine impose son rythme à l’ouvrier et il fait un travail qu’une machine plus sophistiquée pourrait faire. Marx anticipe ici sur ce que sera le taylorisme. La division du travail s’opèrera alors le long d’une chaîne de production, qui emmènera d’un poste de travail à l’autre la production. Nous voici alors dans les Temps modernes de Chaplin qui montre un ouvrier soumis aux machines au point de perdre la raison.
Le travail est monotone, la tâche ne nécessite aucune qualification. La machine qui épargne physiquement l’ouvrier permet d’envisager de le faire travailler bien plus longtemps. Son salaire se réduira d’ailleurs à de quoi se nourrir, s’habiller et se loger pour retourner au travail.
L’aliénation des conditions de travail s’ajoute à l’aliénation la plus ancienne qui consiste en une désappropriation du travail de l’ouvrier au profit du capital (à ce sujet on lira l’explication de texte précédente qui détaille cette aliénation plus précisément).
Le sens du profit qui anime la classe bourgeoise explique l’organisation quasi militaire. La tyrannie et son mode de fonctionnement hiérarchique (on pourra préciser ce point en se servant de La Boétie et de sa description du pouvoir hiérarchique) est nécessaire pour briser les résistances ouvrières au cœur même du fonctionnement de l’usine. Les ouvriers sont dans des conditions de vie pénitentiaires. Par ailleurs, la machine permet de mettre au travail tous les sexes et tous les âges puisqu’elle rend en un sens les êtres humains égaux en terme de puissance physique en leur fournissant à tous une force identique. L’aliénation du travail a des conséquences sociales désastreuses sur l’enfance qui devrait être un moment d’apprentissage. Les femmes certes gagnent en égalité sociale mais au prix d’une aliénation économique comme toutes les composantes du prolétariat : ce sera le communisme qui permettra vraiment aux femmes une libération des femmes de l’aliénation sociale.
Enfin comme l’explique Marx la figure bourgeoise cause de l’aliénation se retrouvera en dehors de l’usine puisque le salaire sera absorbé par les autres représentants de la bourgeoisie : prêteurs, logeurs, etc.
Une fois cette aliénation constatée, on pourra confronter la pensée du travail de Marx avec celle d’Hannah Arendt. Celle-ci aperçoit une nouvelle étape dans le développement technologique, l’outil de l’artisan fut supplanté par la mécanique de la manufacture puis par la machine dotée de la force d’un moteur à vapeur puis plus tard à explosion ou électrique, Hannah Arendt est contemporaine de l’automatisation dont l’aboutissement est le robot capable de gérer des tâches mécaniques et répétitives autrefois dévolues à un ouvrier parce que difficile à mécaniser. Le robot sommet de l’automatisation est doté d’un cerveau électronique qui accomplit sans mal ce type de tâche. Marx et Engels dans leur programme en 10 points du livre II du Manifeste parlaient étrangement d’une armée industrielle disciplinée. Ce point contraste avec l’idée d’un travail autonome défendue par Marx ou l’idée d’un épanouissement individuel auquel aboutirait le communisme qui est énoncée comme objectif à atteindre après ceux du programme. Hannah Arendt repère donc chez Marx une ambiguïté dans sa conception du travail due à une distinction essentielle connue dans l’antiquité entre travailler et œuvrer. Le travail est toujours lié à la nécessité du vivant, à ses besoins de base incontournables. Chaque jour, nous devons manger, nous habiller, ranger, nettoyer et de temps en temps nous devons nous reloger. L’œuvre nous renvoie à une action créatrice qui transcende le temps tandis que le travail nous renvoie à une tâche répétitive qui revient inéluctablement au cours du temps. Marx en confondant ces deux ordres laissent des contradictions qui malheureusement conduiront les protagonistes du marxisme à échouer. Toutefois Arendt reste une héritière de Marx car elle montre que l’action pour mener une œuvre se doit d’être coopérative dans le domaine politique. Elle indique que les politiciens même libéraux ignorent tout de cette distinction et qu’ils pensent eux aussi leur action politique comme un travail où il s’agit de mettre techniquement en application telle mesure sociale.

4) Le communisme condamne-t-il la famille comme forme sociale bourgeoise ? 

« Les déclamations bourgeoises sur la famille et l’éducation, sur les doux liens qui unissent l’enfant à ses parents deviennent de plus en plus écœurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail. 
Mais la bourgeoisie tout entière de s’écrier en chœur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes ! 
Pour le bourgeois, sa femme n’est autre chose qu’un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation. 
Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément d’arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production. 
Rien de plus grotesque, d’ailleurs, que l’horreur ultra-morale qu’inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n’ont pas besoin d’introduire la communauté des femmes ; elle a presque toujours existé. 
Nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement. 
Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d’une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu’avec l’abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c’est-à-dire la prostitution officielle et non officielle. », Marx, Le Manifeste, livre II.


« Si donc il apparaît que les deux sexes diffèrent entre eux pour ce qui est de leur aptitude à exercer certain art ou certaine fonction, nous dirons qu’il faut assigner cet art ou cette fonction à l’un ou à l’autre ; mais si la différence consiste seulement en ce que la femelle enfante et le mâle engendre, nous n’admettrons pas pour cela 454e comme démontré que la femme diffère de l’homme sous le rapport qui nous occupe, et nous continuerons à penser que les gardiens et leurs femmes doivent remplir les mêmes emplois.
[…]
nombre de femmes sont supérieures à nombre d’hommes, en maints travaux. Mais en général la chose se présente comme tu dis.
Par suite, mon ami, il n’est aucun emploi concernant l’administration de la cité qui appartienne à la femme en tant que femme, ou à l’homme en tant qu’homme ; au contraire, les aptitudes naturelles sont également réparties entre les deux sexes, et il est conforme à la 455e nature que la femme, aussi bien que l’homme, participe à tous les emplois, encore qu’en tous elle soit plus faible que l’homme.

Parfaitement.

Assignerons-nous donc tous les emplois aux hommes et aucun aux femmes ?
Comment agir de la sorte ?

Mais il est, dirons-nous, des femmes qui naturellement sont propres à la médecine ou à la musique, et d’autres qui ne le sont pas.

Certes.

Et n’en est-il pas qui sont propres aux exercices gymniques 456 et militaires ; d’autres qui n’aiment ni la guerre ni le gymnase ?

Je le crois.

Mais quoi n’est-il pas de femmes qui aiment et d’autres qui haïssent la sagesse ? n’en est-il pas d’irascibles et d’autres sans ardeur (19) ?

Si

Il y a donc des femmes qui sont propres à la garde et d’autres qui ne le sont pas. Or n’avons-nous pas choisi, pour en faire nos gardiens, des hommes de cette nature (20) ?

Si.

Donc la femme et l’homme ont même nature sous le rapport de leur aptitude à garder la cité, réserve faite que la femme est plus faible et l’homme plus fort.

Il le semble.

Et par suite il faut choisir des femmes semblables à 456b nos guerriers qui vivront avec eux et avec eux garderont la cité, puisqu’elles en sont capables et que leurs natures sont parentes. 
[…]
Cette disposition de la loi sur les femmes est, pouvons-nous dire, comme une vague à laquelle nous venons d’échapper à la nage. Et non seulement nous n’avons pas été submergés en établissant que nos gardiens et nos 457c gardiennes doivent faire tout en commun, mais notre discours est en quelque sorte convenu avec lui-même que la chose est à la fois possible et avantageuse.
Vraiment, ce n’est pas à une petite vague que tu viens d’échapper !
Tu ne diras pas qu’elle est grande quand tu verras celle qui vient après.

Parle donc ; montre-la-moi.

A cette loi et aux précédentes fait suite, je pense, celle-ci.

Laquelle ?

Les femmes de nos guerriers seront communes toutes à tous : aucune d’elles n’habitera en particulier avec 457d aucun d’eux ; de même les enfants seront communs, et les parents ne connaîtront pas leurs enfants ni ceux-ci leurs parents. », Platon, République.

Explication :

On accuse les communistes de vouloir abolir la famille. Pour Marx et Engels, il s’agit alors de voir de regarder quelle est la conception de la famille que l’on défend ainsi. Selon eux, on a affaire là aussi à une question idéologique. Les discours sur la famille cachent à l’évidence des intérêts économiques. Le programme communiste propose à l’évidence une mesure de taille concernant la famille : il faut abolir le travail des enfants que génère la société industrielle capitaliste.
Mais qu’en est-il par exemple du statut des femmes ?
Notre passage va précisément s’intéresser aux fantasmes que génèrent le communisme au sujet des femmes. On prête aux communistes l’intention de mettre les femmes en commun tout comme autrefois Platon dans la République le proposait. Pour Marx les déclamations bourgeoises sur la famille sont hypocrites car c’est l’organisation sociale bourgeoise qui détruit la famille prolétaire en lui imposant des relations commerciales. Ce ne sont pas simplement les enfants qui sont condamnés à servir l’industrie mais aussi les femmes. Le machinisme en fournissant une force de travail supplémentaire à l’ouvrier permet de mettre au travail les enfants et les femmes des prolétaires, avons-nous vu déjà en considérant la nature de l’aliénation dans le travail. Sur ce point, la société industrielle a produit comme malgré elle une forme d’égalitarisme entre hommes et femmes au sein de la classe prolétaire. Les femmes et les hommes peuvent réaliser les mêmes tâches. Platon dans l’antiquité estimait que les femmes pouvaient avoir pour quelques unes des qualités qu’on considéraient exclusivement masculines. Dans certains domaines physiques les femmes peuvent avoir des capacités similaires aux hommes selon lui. Dans sa cité idéale certaines pourraient donc être des gardiennes. Dans le domaine philosophique, d’autres pourraient avoir autant si ce n’est plus de valeur que la plupart des hommes. Le machinisme gomme la différence physique. Marx et Engels ont donc anticipé du point de vue économique la racine des futurs mouvements féministes.
Le Manifeste accuse les bourgeois d’une lecture fausse du communisme. La mise en commun des moyens de production qu’une révolution prolétaire arracherait aux capitalistes bourgeois n’implique nullement la mise en commun des femmes. L’erreur de compréhension des bourgeois vient de ce que sous les habits de leurs discours idéologiques concernant la famille ils considèrent leurs femmes et plus généralement toutes les femmes comme des instruments de production. Les femmes de prolétaires sont elles-aussi prolétarisées mises au service de la production industrielle tandis que les femmes des bourgeois doivent produire des enfants.
Marx et Engels affirme que la communauté des femmes existent déjà en fait et qu’elle forme une communauté exploitée. En effet les bourgeois prennent les femmes des prolétaires outre leurs propres femmes et ils ont développé un marché économique de la prostitution. Sous les dehors de leur idéologie de la famille, les bourgeois usent d’une communauté des femmes en tant qu’exploiteurs. Avec Marx et Engels, il devient évident qu’il y a une prolétarisation des femmes sur le plan sexuel auquel le communisme entend mettre fin en rendant aux femmes leur dignité et leur droit à un épanouissement individuel (cf. le passage qui suit la présentation du programme communiste). Contrairement à Platon qu’on a souvent taxé de communisme avec sa conception de la cité idéale dans La République, le communisme n’a en vue aucun programme eugénique. Platon estime qu’il faut une reproduction sexuelle sélective et que les enfants qui en seront le produit n’appartiendrons à personne mais seront à la charge de la cité. On ne peut pas comprendre le communisme de Marx et Engels si on ne considère pas l’importance qu’ils accordent à l’individu et à son épanouissement en dehors justement de tout logique de production et donc de reproduction. Pour les communistes, l’abolition de la prostitution sera la marque du renoncement à une logique du tout commercialisable. L’égale dignité des individus ne sera pas un vain mot derrière lequel se cachera une domination économiques des hommes sur les femmes. La prolétarisation des femmes les unit à la cause prolétaires. La révolution prolétaires sera en conséquence une libération des femmes de leur condition d’exploitation.

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III - Bibliographie :

Editions du Manifeste :
  • sur internet, on lira ici le Manifeste ;
  • aux éditions Mille et une nuits avec une postface de Raoul Vaneigem ;
  • au Livre de poche avec une introduction de François châtelet.
  • Notre édition de travail en classe aux éditions Nathan dans la collection Les intégrales de philo offre un plan détaillé, une présentation de concepts centraux, l’explication de plusieurs extraits.
Ouvrages de référence :
  • Collectif, Marx, Le point hors série, juin-juillet 2009, numéro 3 ;
  • Collectif, Marx, les raisons d’une renaissance, Le Magazine Littéraire, octobre 2008 ;
  • Louis Althusser, Pour Marx, François Maspero ;
  • Raymond Aron, Le marxisme de Marx, Livre de poche ;
  • Daniel Bensaïd, Marx, mode d’emploi, Zones ;
  • Jean-Yves Calvez, La pensée de Karl Marx, seuil ;
  • Terry Eagleton, Marx, points seuil essais ;
  • Christian Elleboode, Karl Marx, vie-œuvres-concepts, ellipses ;
  • Roger Garaudy, Karl Marx, seghers ;
  • Michel Henry, Le socialisme selon Marx, Sulliver ;
  • Henri Lefebvre, Le Marxisme, Que sais-je ? puf ;
  • Georges Lopès, Karl Marx-Friedrich Engels, Le Manifeste du parti communiste, Parcours philosophique, Bertrand-Lacoste ;
  • Yvon Quiniou, Karl Marx, idées reçues, Le cavalier bleu ;
  • Emmanuel Renault, Le vocabulaire de Karl Marx, ellipses.
Sites internet sur Marx ou le Manifeste :



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