LIBERTE METAPHYSIQUE- ETRE LIBRE EST-CE FAIRE CE QUE JE VEUX ?
1- Introduction problématique
Prisonnier du sens commun, on oppose la liberté de faire « ce que je
veux » aux interdits moraux qui « m’empêchent de faire ce que je veux ».
Il s’agit d’interroger les présupposés d’une telle opposition pour
mieux comprendre la nature de la liberté que la volonté exprime. On peut
constater que la volonté humaine n’est pas assez forte pour réaliser
tous ses désirs. Tout d’abord, les désirs ne sont-ils pas divisés si
bien que la volonté s’en trouve affaiblie ? La volonté d’être courageux
par exemple ne s’oppose-t-elle pas toujours à un désir de sécurité ? Il
convient alors de mettre en doute le présupposé selon lequel l’homme
aurait la liberté de vouloir ce qu’il désire. Davantage de connaissances
sont nécessaires pour se libérer des faiblesses de la volonté.
2- La liberté de dépasser la volonté infantile de réaliser tous ses désirs
Nous devons constater que notre volonté est aussi l’expression d’un
phénomène physico-chimique. Biologiquement les désirs et les peurs ne
sont pas les objets d’un choix volontaire et la volonté est la
résultante de leurs mécanismes physiologiques inconscients. Il y a bien
une volonté personnelle mais elle émerge aussi de mécanismes
impersonnels. La plupart des personnes se croient libre de leur choix
dans la mesure où il leur semble avoir déjà éliminé volontairement un
désir aux dépens d’un autre. Mais ceci est illusoire car ce qui fait
agir est toujours ce qui est le plus désiré. Les sentiments de sacrifice
ou de peur lors d’un choix ne sont-ils pas l’effet d’une volonté
infantile de réaliser tous ses désirs ? La réponse qui consiste à dire
« être libre, c’est faire ce que je veux » revient presque toujours à
nier « ce que je veux vraiment, c’est être libre ». Vouloir vraiment
être libre consiste à cesser de vouloir réaliser tous ses désirs.
Vouloir être libre veut donc dire connaître les mécanismes du désir à
partir de notre désir d’être libre !
3- La connaissance libératrice est de vouloir l’action de la nature
Pourquoi vouloir être libre ? La connaissance rationnelle nous met
devant le fait que les désirs, y compris nos préférences, ne sont que le
produit de la société et plus profondément encore, de la nature.
L’illusion est de se croire libre de préférer alors que les préférences
sont le fruit des lois de la nature. Toutes les connaissances objectives
disent que la nature est le seul auteur à travers ses lois physiques et
biologiques. Avec Spinoza, notre idée de la liberté est fausse quand
elle implique une conception de « l’homme dans la nature comme un empire
dans un empire », c’est-à-dire une conception de l’homme qui se croit
l’auteur de ses actes malgré son appartenance à la nature. La
connaissance des mécanismes du désir lié à une préférence permet de ne
plus y être soumis inconsciemment. Chaque préférence de la volonté
affaiblit son action puisque préférer une option implique une forme de
rejet des autres possibilités. La volonté de connaître est aussi un
désir mais son objectivité la rend libre des désirs passionnels formés
par nos préférences. L’individu dont les désirs se libèrent de la
préférence sait de plus en plus consciemment que sa volonté individuelle
représente l’action singulière qui exprime les lois de la nature.
4- De la connaissance libératrice à la liberté créatrice
L’idée de Spinoza selon laquelle la volonté exprime la nécessité des
lois de la nature, pourrait justifier la relativisation de conduites
immorales. Faut-il, au nom d’une responsabilité morale, postuler avec
Kant l’idée de libre choix ? Mais n’est-ce pas revenir alors à une
volonté prisonnière de la préférence même si elle est morale ? La
volonté n’est pas simplement ce qui émerge d’un complexe
physico-chimique. Un aspect de la volonté semble échapper complètement à
la nécessité : celui qui génère de nouvelles formes d’action technique
ou sociale. Il y a, pour Bergson, une participation de la volonté
individuelle à un élan évolutif en dehors des déterminations matérielles
ou de la simple reproduction d’une « morale close » sur ses
préférences. La volonté individuelle peut devenir une expression de plus
en plus consciente de l’élan créateur de l’univers.
5- Conclusion – Résumé
La liberté de la volonté a donc trois formes métaphysiques. Sous sa
première forme, la volonté s’identifie aux désirs comme préférence, mais
dans ce cas, elle est divisée et faible. Sous sa deuxième forme, la
liberté de la volonté émerge comme volonté de connaissance rationnelle.
La volonté se libère de ses préférences et peut se transformer en
conscience du jeu nécessaire de la nature. Sous sa troisième forme, la
liberté de la volonté n’est plus un choix, ni même une nécessité
consciente mais un élan créateur universel qui s’individualise.
Citations :
Spinoza : « […] l’expérience et la raison sont d’accord pour établir
que les hommes ne se croient libres qu’à cause qu’ils ont conscience de
leurs actions et ne l’ont pas des causes qui les déterminent », Ethique.
Bergson : « Bref, la matière est inertie, géométrie, nécessité. Mais
avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et libre. L’être vivant
choisit ou tend à choisir. », L’énergie spirituelle.
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LIBERTE POLITIQUE- PEUT-ON SE LIBERER DES RAPPORTS DE DOMINATION ?
1- Introduction problématique
Vivre ensemble crée des rapports de domination issus du conflit entre
les intérêts individuels et les intérêts communautaires. D’un côté, la
communauté opprime les individus craignant leur créativité
déstabilisatrice. De l’autre, les individus aspirant à une liberté sans
contrainte ignorent plus ou moins la justice et produisent des rapports
de domination qui fragilisent le groupe. La vie politique (en grec
« politique » signifie l’art de vivre ensemble dans la même cité) peut
être vue comme l’art d’échapper à ces deux dangers. La liberté politique
apparaît quand la créativité individuelle se libère des rapports de
domination et que simultanément la puissance de l’action communautaire
croît.
2 - Quels individus veulent être libres ?
Dans Les frères Karamazov de Dostoïevski, l’inquisiteur justifie sa
démarche en disant : « est-ce que des révoltés peuvent être heureux ? ».
Pour lui, seule la soumission aux croyances communautaires garantit la
tranquillité et finalement le bonheur individuel. Ceci montre la
tendance des individus à nourrir la domination communautaire contre ceux
qui voudraient mettre en cause ses lois et ses croyances. Le conflit
entre les intérêts individuels et les intérêts communautaires a lieu en
chaque individu composant une communauté car les obligations sociales
sont déposés en chacun. Il n’y a donc pas de libération politique sans
un changement de mentalité individuel.
3 - Le courage de la dissidence face à la tyrannie
La Boétie, philosophe français du XVIe
siècle montre que la tyrannie n’est pas seulement ce pouvoir injuste
d’un seul sur toute une communauté. Le tyran trouve sa force dans la
conjonction de ses intérêts avec ceux d’un groupe de complices. Ce
groupe hiérarchique de complices étend ses ramifications dans toute la
société si bien que personne n’ose proclamer sa révolte, craignant
d’être seul contre tous. Les systèmes communistes des pays de l’est se
sont ainsi prolongés jusqu’en 1989 alors que la majorité n’y croyait
plus depuis longtemps. La prise de conscience d’un pouvoir de changer
une telle situation politique n’a lieu pour cette large majorité que si
certains individus isolés ont d’abord le courage de la dissidence face à
la tyrannie.
4 - L’idéal de la volonté générale
Quand le rapport de domination oppose clairement un groupe organisé
au reste du peuple, une dissidence peut la pointer. Mais aujourd’hui
dans les sociétés démocratiques occidentales, les croyances
communautaires sont centrées sur la tolérance, le sens des libertés
individuelles. Les rapports de domination en général sont donc
dispersés, multiples et s’entrecroisent : l’un exploite l’autre dans un
sens tandis que ce même autre l’exploite par ailleurs. Comment trouver
alors un équilibre entre individu et communauté ? Comment nos sociétés
peuvent-elles aller vers plus de cohésion sans nier la créativité
individuelle ?
Une politique axée sur la répression nécessaire des actes criminels ne
suffira jamais. Car cette criminalité estime que ceux qui proposent une
telle politique de répression masquent à peine l’immoralité de leurs
propres activités économiques. Seul un nouveau sens du dialogue
démocratique permettra d’harmoniser les diverses morales existantes sans
nier leur diversité et leur créativité. Rousseau distingue la volonté
générale de la volonté de tous. La volonté de tous est un consensus
obtenu par un compromis où chacun cède sur certaines exigences. La
volonté générale entend intégrer toutes les exigences individuelles dès
lors qu’elles ne s’opposent pas au bien commun. Cet idéal d’une volonté
générale politique n’est pas impossible et peut être recherché. Par
exemple, les groupes musicaux sont déjà des groupes où chacun improvise
personnellement et participe à l’harmonie de l’ensemble.
5 – conclusion– Résumé
La libération politique conciliant les intérêts de l’individu et de
la communauté suppose d’abord l’effort de se libérer des limitations de
certaines obligations sociales. Dans un second temps, elle implique le
courage de la dissidence. Mais cette logique d’opposition ne suffit
guère dans nos sociétés libérales sur le plan des mœurs et des opinions.
On ne peut donc se libérer des tyrannies contemporaines qu’en impulsant
un nouveau sens du dialogue démocratique inspiré de la volonté générale
de Rousseau.
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LIBERTE MORALE - DOIT-ON AIMER AUTRUI ?
1 – Introduction problématique
Philosophie et spiritualités religieuses proclament : « Tu aimeras
ton prochain comme toi-même ». Il y a une contradiction entre aimer, qui
est plus de l’ordre du désir, et devoir, qui est plus de l’ordre de
l’obligation. On peut donc se demander : « doit-on aimer autrui ? ».
Montrer qu’il ne s’agit pas là d’une simple contradiction implique
certaines questions : quelle est la légitimité du devoir pour s’imposer
au désir ? Comment le désir peut-il s’orienter vers l’amour ? Quel amour
peut dépasser le conflit entre devoir et désir ?
2 – Le Devoir moral doit prévaloir sur le désir
Pour Kant, le devoir moral s’oppose aux penchants, à des inclinations
intéressées. L’amour dont parle la morale est celui de l’obligation
morale. Kant, comme Les Evangiles chrétiennes, insiste sur un
commandement d’amour où la difficulté est plutôt d’apprendre à respecter
ce qui ne nous est pas sympathique. Pour Kant, le désir ou le sentiment
ne produisent pas d’eux-mêmes l’amour moral en nous, seule la raison le
fait. En effet le désir ou le sentiment sont presque toujours l’effet
de déterminations biologiques, psychologiques, sociologiques. L’amour
véritable et son sentiment sont le fruit de la raison, qui manifeste en
nous la liberté. Plus précisément, la raison morale ou l’autonomie
consiste à penser l’action en écartant les désirs personnels, les
valeurs familiales, ethniques, etc. pour la penser en fonction de
l’humanité et de son avenir.
3 – Le désir reste moteur de la raison morale
Cependant la vision de Kant ne nous condamne-t-elle pas à un combat
perpétuel entre désir et morale ? Et même si, pour lui, l’action morale
rend digne du bonheur, elle ne rend personne heureux en raison de ce
combat. Si la volonté rationnelle est une forme du désir, ne peut-on pas
envisager une conciliation de la morale et du désir ? Trois méthodes
peuvent y contribuer.
La première concerne la satisfaction des désirs. Epicure, philosophe
grec de l’antiquité, distingue les désirs naturels des désirs vains
comme la recherche de la gloire ou de la richesse. La satisfaction de
désirs naturels seule produit un plaisir qui ensuite permet de découvrir
le « plaisir en repos ». Ce « plaisir en repos » est le simple bonheur
d’être vivant que ne trouble plus le désir. Si l’amitié et l’amour moral
du prochain sont des désirs naturels, ils ne troubleront que des
plaisirs vains et non le bonheur d’être vivant. Donc, nos désirs centrés
sur la recherche du bonheur d’être vivant vie manifesteront des vertus
morales.
La seconde méthode procède par la satisfaction fictive des désirs même
les plus immoraux en évitant ainsi de faire du mal à quiconque. Selon
les psychanalystes comme Dolto, cette méthode produit une liberté de
modifier les contenus du désir. En apprenant à faire du désir l’objet
d’une fiction, l’imagination apprend donc aussi à l’adapter au respect
d’autrui. Lorsque l’imagination satisfait le désir sans conséquence
destructrice, elle souligne l’importance des interdits moraux.
La troisième méthode sera la philosophie de l’éthique. Celle-ci repose
sur un discernement rationnel de la qualité de vie produite par nos
actes. Elle est l’intelligence des deux autres méthodes. Elle est la
capacité rationnelle de se donner des principes éthiques à portée
universelle qui concilient morale et bonheur, c’est-à-dire une autonomie
éthique et non plus seulement morale.
4 – Le paradoxe de l’amour éthique
L’éthique peut espérer cette conciliation entre le bonheur et le
respect du prochain sous la forme d’une joie d’aimer son prochain comme
soi-même. Mais la plupart des désirs impliquent une préférence pour une
chose et donc un moindre amour pour une autre. Comment alors une
préférence pour l’éthique pourrait paradoxalement libérer les désirs de
toute préférence ? Toutefois si la préférence éthique signifie une
extension des intérêts du « moi » jusqu’à ceux de toute l’humanité, de
la vie et de la nature, elle nourrit sans le contredire un amour qui
sera libre de tout jugement impliquant une préférence. Les jugements
liés aux préférences du « moi », comme ceux produits par l’orgueil
égoïste ou la haine de soi jugée à tort morale, seront dépassés. Une
unité de l’amour de la vie, de soi-même et du prochain pourra être
ressentie (tout ceci sera approfondi avec Spinoza dans la leçon
suivante).
5 – Conclusion – Résumé
Le devoir moral crée les conditions d’un amour authentique. Mais le
véritable amour invite aussi à apprendre à satisfaire le désir pour ne
pas opposer morale et désir. Un amour éthique est inconditionnel,
c’est-à-dire libre de préférence. Il repose sur une attention élargie de
la conscience où le « moi », l’autre et le monde sont aimés avec la
même intensité.
Citations :
Epicure : « […] il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour
qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non
plus dans le fait de ne pas vivre. », Lettre à Ménécée.
Kant : « […] faire le bien précisément par devoir, alors qu’il n’y a
pas d’inclination pour nous y pousser, et même qu’une aversion naturelle
et invincible s’y oppose, c’est là un amour pratique et non
pathologique », Fondements de la métaphysique des mœurs.
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