dimanche 26 octobre 2014

Le progrès technique a-t-il des limites ?


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I – Introduction problématique.


Les progrès techniques et scientifiques s’accumulent : l’homme semble devenu le maître de l’évolution du vivant. Il peut agir sur son propre génome. Cependant, en ce domaine, n’est-il pas encore qu’un apprenti sorcier ? En effet, il ne saisit pas les conséquences écologiques et éthiques de telles modifications. Ce qui paraît à première vue un progrès incontestable ne s’avère-t-il pas le lieu de la révélation de nos limites. Il est donc légitime de se demander « Le progrès a-t-il des limites ? ».
La notion de progrès ne concerne pas que le domaine technoscientifique, elle peut recouper des plans distincts. Notre exemple présente d’ailleurs non seulement un plan technique du progrès mais aussi un plan moral. Et ce recoupement de divers types de progrès une fois mis au jour crée problème. Le progrès sur un plan technique n’est-il pas synonyme de décadence sur un plan moral ? Pour l’apologue du progrès (Condorcet, Marx entre autres), le sens du réel est l’augmentation de notre puissance grâce aux progrès scientifiques et techniques. Le progrès moral est une conséquence directe de ce premier type de progrès. Toute augmentation de puissance implique une nécessaire responsabilisation. D’autre part, la somme de connaissances mises en jeu implique un investissement collectif et par là même de plus en plus une responsabilisation collective. La révolution qu’est la génétique n’a d’intérêt que si elle sert l’épanouissement de l’espèce humaine. Ces avancées ne sont possibles que par un effort de plus en plus collectif, il est donc légitime de penser qu’elles ne peuvent être que bénéfiques pour toute la collectivité. Au contraire, le critique du progrès insistera sur la déconnexion évidente entre progrès scientifique et technique et le progrès moral. L’augmentation de puissance même acquise collectivement est toujours remise entre les mains d’un individu qui peut à tout moment être amoral ou immoral. Il ira même plus loin en mettant en cause la science et la technique elle-même. La technique surtout est jugée par essence néfaste : elle modifie notre condition à l’aveugle. Bien plus, elle modifie ce qui était en fait accepté car on n’avait pas imaginé et encore mois réalisé autre chose. Avec elle, on pense dominer la nature alors qu’en fait on ne la maîtrise pas : on introduit sans cesse de nouvelles formes sans savoir rien ou presque de 1’équilibre des formes dans la nature. Notre orgueil de dominateur alors que nous n’avons aucune maîtrise se retournera et se retourne inévitablement contre nous : ce sont les catastrophes écologiques et politiques en tout genre de ces dernières années en attendant les prochaines qui promettent ê irresponsable d’être plus terribles encore. Il est suicidaire de donner à l’être qu’est l’homme des moyens dont on ignore les fins ultimes de leur existence, résumera le critique du progrès (Testard, la deep ecology entre autres).
Nous voici entre les partisans d’un progrès total et inéluctable et ceux qui dénoncent l’illusion et le danger de tout ce qu’on nomme progrès. L’enjeu est métaphysique : le progrès et l’optimisme qui va de pair est-il inscrit métaphysiquement ou bien au contraire faut-il attendre la fin de l’humanité et apprendre à vivre dans l’horizon du pire ? Autrement dit, le plus secret de la réalité est-il bon pour nous ou non ?


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II. Le danger inhérent à la mentalité technicienne.


1 – La prise de conscience scientifique des limites de la science et plus tragiquement de la technoscience.


Nous croyons être conscient de nos actions mais cette conscience ne nous conduit-elle pas en aveugle ? Ne nous manque-t-il pas encore la véritable maîtrise du progrès ? Certes la conscience abstraite avec l’écologie et ses développements a trouvé un début de palliatif. Nous pensons désormais aux conséquences environnementales qu’ont nos inventions. Mais il s’avère que l’écosystème même si on parvenait à faire l’inventaire de ce qui le compose est à partir d’une certaine échelle de plus en plus imprévisible. En effet il devient de plus en plus incalculable tant par excès de données que par limites propres au calcul. Les approximations des réels transcendantaux, tel le nombre pi, sont en effet inévitables puisqu’ils semblent avoir après la virgule un nombre infini de chiffre ne présentant aucune constante dans leur apparition. L’ordinateur le plus approprié pour calculer l’avenir de l’univers semble l’univers lui-même et donc en tant qu’individu doté d’une conscience capable d’abstractions mentales son évolution précise nous échappe même si nous en avons des approximations et si notre participation est inévitable. Cependant sur ce dernier point plus éthique et politique, les impondérables se multiplient car les êtres humains cohabitent à différents stades d’évolution spirituelle c’est-à-dire d’engagements divers dans l’action libératrice et créatrice. Les représentations mentales divergentes et les actions contraires sèment la confusion. Nous n’avons pas de garantie que personne ne prenne le risque d’une catastrophe écologique.

2 – Le nihilisme du règne du quantitatif inhérent à la culture technoscientifique.


Nous mettrons dos à dos apologue et critique du progrès en rappelant que ces deux perspectives se construisent autour d’une ignorance fondamentale. Ni l’une ni l’autre ne savent à vrai dire ce que l’avenir nous réserve et elles se fondent sur le passé et le présent pour nous dire notre avenir. L’une et l’autre pensent une forme de continuité de l’avenir avec les temps qui le précédent. Il est assez désopilant de retourner à ce que les hommes prédisaient pour l’an 2000. Rien en tout cas de semblable à aujourd’hui. Nous ne sommes pas en mesure de prévoir les dévoilements que le temps offrira. Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne nous invite par exemple à voir que le propre de l’événement est d’être un commencement. L’humanité est pleine de ces événements techniques ou moraux qui sont des commencements de son histoire : la science de Galilée ou la naissance de la démocratie... Par essence, l’événement est imprévisible. Le seul accès légitime du philosophe à l’événement est d’y déceler en quoi il révèle le plus secret de la réalité, l’Être. l’Être est la source commune à tout ce qui est en train d’être (les étants). Cette source (l’Être) des étants (ce qui est en train d’être, ce qui existe) n’est donc rien de ce qu’est un étant. Elle n’a aucune propriété. Seuls les étants ont des propriétés. L ’Être dégagé des étants (au-delà de l’étant, à la source de l’étant) est donc néant ou presque tout en étant condition de possibilité de tout étant. Se poser la question « y a-t-il progrès ? » implique de se tourner vers l’Être, ce fond de la réalité qui est source et condition de l’événement et non pas vers le passé pour y déceler le présent. A la rigueur, le passé sera examiné en tant que lieu d’événements, on y ira y lire ce qui est vivant, neuf ; comment se présente le neuf. Heidegger dans La question de la technique ne nous parle pas des techniques mais de l’événement propre à la technique. Il ne peut, être question de progrès. L’essence de l’événement technique révèle dans l’Être (ou ce que nous avons appelé le plus secret de la réalité) une propension à considérer toute chose du point de vue d’une quantité, d’une énergie. De fait, la technique se moque des différenciations entre choses, elle a tendance à tout considérer de manière indifférenciée. Elle menace en fait jusqu’à l’individualité des choses. Attention, il ne s’agit pas d’un jugement ou d’une condamnation. Rappelons que l’événement technique ne traduit pas ici une action de l’humanité mais plutôt révèle l’Être. Le risque d’une catastrophe technique qui nous fasse sombrer dans l’indifférenciation est inhérent à l’Être lui-même. Rappelons que l’Être indifférencié, c’est-à-dire sans étant, hors l’étant, est quasi-néant. Certes néant créateur mais néant. L’homme se croit dominateur du phénomène technique ; en fait, tout événement, y compris celui de la technique, relève de l’Être. Le progrès concerne l’Être, il s’agit de son retour ou non au néant. Ce que nous appelons progrès humain habituellement est chez Heidegger un événement où s’exprime de la part de l’Être une propension à cesser en fait ses productions différenciées des choses. Toutefois, Heidegger entrevoit à côté de cette menace d’autres événements qui au contraire renforcent la différenciation tels la poésie et l’art. Et laissant la réponse à l’Être événementiel, il cite Hölderlin : « Là où croit le danger, croit aussi ce qui sauve ».

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III. Un progrès de la technique sans progrès de la conscience est une impasse.


1 – La force d’âme face aux forces nihilistes de la mentalité technoscientifique.


L’analyse métaphysique de Heidegger nous laisse insatisfaits. Le devenir de l’étant, l’événement est juste affaire de l’Être. L’humain n’y a qu’une part illusoire. Sans sourciller, Heidegger évoque l’éventuelle disparition de l’humanité par le jeu inhérent au progrès technique. L’humain qui produit l’objet technique n’a, semble-t-il, aucune responsabilité envers l’autre être humain. Heidegger nie que l’humain ait à répondre de l’avenir. Contre Heidegger ne peut-on pas penser que l’être humain peut faire de l’événement d’Être un germe de monstruosité inhumaine ? Ici la question du progrès devient celle de la liberté. L’espérance de Heidegger nous paraît bien étroite : à quoi sert la poésie dans un camp de concentration ? Dans un accident nucléaire ou plus banalement quand les techniques sont les chaînes de l’asservissement économique causes d’une misère spirituelle et matérielle, seul un acte intégrant l’éthique peut nous sauver, et cet acte exige la responsabilité, c’est-à-dire une certaine forme de liberté.
Jusqu’ici le progrès humain a été vu plutôt comme progrès se signalant par des réalisations matérielles extérieures (techniques et institutionnelles), ici la question du progrès humain nous engage vers l’intériorité et l’élargissement de ce qu’elle transforme en elle y compris sa composante matérielle, autrement dit vers un nouveau saut évolutif du point de vue matériel. 
Nous pouvons reprocher à Bergson d’avoir associer le développement d’un nouveau type de conscience adéquate au progrès à une forme précise de croyance religieuse. Mais il est vrai que si on fait abstractions de croyances toujours arbitraires, les religions sont le dépôt de ceux qui ont mené une recherche intérieure et qui malgré elles pourraient être une base exploratoire et non le dernier mot de l’évolution spirituelle.
Accepter le progrès extérieur, c’est vouloir le progrès intérieur. Bergson parle d’une intuition créatrice lorsque l’homme arrive à certains tournants de son développement culturel. L’intuition éclaire la discontinuité introduite par l’événement de progrès : ce n’est pas l’intelligence à l’œuvre dans la représentation fondée sur le semblable, l’analogie entre passé et présent, elle n’est pas étrangère à la nouveauté radicale contrairement à l’intelligence représentative, elle est par excellence faculté créatrice antérieure au mental.

2 – Un besoin de liberté de l’âme qui s’est cherché à travers la technique n’est pas nihiliste.


Nous voyons bien que notre aspiration technologique est d’effacer toute médiation dans notre action de transformation de l’extérieur. Au lieu de taper sur un clavier, nous voudrions que les mots de notre pensée s’impriment directement sur l’écran comme nos intuitions se mettent en pensées puis en mots. En l’état, la technologie a toujours besoin de médiation, de circuits de transmission d’ordres dont le fonctionnement ne dépend pas de nous directement que ce soit en terme énergétique ou en terme de maintenance. La technologie est le fruit de la représentations et donc de cette intelligence généralisatrice à partir du passé et du présent, elle néglige donc de nombreux niveaux d’interaction qui pourtant provoqueront l’usure, la panne, une réaction environnementale inattendue.
La représentation dans ses contenus généralisateurs inspirés de l’observation de ce qui se reproduit dans la nature nie obligatoirement la nouveauté où elle se renouvelle pourtant. Elle oblitère l’intuition qui la refonde et qui est certainement plus proche de l’essence de la nouveauté. Elle fige donc toute prise de conscience de l’impulsion créatrice qui l’inspire comme une œuvre d’art fige l’instant créateur dans des formes données, le style donné d’une époque, d’un artiste. L’intuition fait entrevoir une action de transformation de ce qui nous entoure sans aucune médiation. Il s’agirait non plus d’une action sur la matière à partir de la matière instrumentée dont la médiation reste le point aveugle de l’action, le tout dirigé par une de nos représentations écartant la loi de la nouveauté mais d’une transformation consciente. Mais si l’intuition reste culturelle est-elle inhérente à la matière elle-même comme lors des évolutions passées ? Ceci n’est pas une simple lubie, ce point de vue d’une transformation inhérente à la matière, existe bien consigné dans nos représentations même s’il ne se tient effectivement qu’en dehors d’elles : il y a bien eu une évolution biologiques des espèces. L’intuition reste en l’état chez l’homme une saisie mentale dont la qualité est d’être parcellisée, linéarisée, recontextualisée. L’intuition est le processus évolutif de nos schémas culturels, nos mèmes comme le hasard et la nécessité semblent être le processus évolutif de nos gènes. Peut-on relier ces deux processus ? 


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IV. Une supra-intuition dépassant l’intuition mentale résoudrait-elle la crise évolutive inhérente à la croissance du mental humain ?


1 – D’une intuition mentale à une supra-intuition matérielle ?


Une supra-intuition pourrait être la saisie directe de ce qui est et elle serait une conscience du processus évolutif de ce qui est sans médiation. Dans le champ de nos représentations, l’intuition est en nous le processus évolutif, pour agir l’intuition prend le chemin habituel mental qui finit par la cristalliser dans l’inertie de nos représentations. Faut-il juger impossible une supra-intuition qui provenant au-delà de l’intuition elle-même transforme la matière de l’intérieur d’elle-même en évitant les limites d’une conscience mentale dans l’action ? Bergson restait embarrassé à la fin de Les deux sources de la morale et de la religion entre la mystique et la révolution technologique, il sentait une confrontation de ces deux mouvements mais n’en voyait pas exactement la figure concrète à moins de renoncer à limiter l’aventure technologique pour faire prédominer l’aventure mystique. Mais si la mystique n’a pas un pouvoir supérieur à la technique, celle-ci n’aura-t-elle pas le dernier mot même s’il est catastrophique ? 

Si nous acceptons l’idée que au cours de l’évolution toutes les prises de conscience ont été transcendées par des prises de conscience plus profondes au sein d’organisme biologique plus évolué, ne peut-on pas envisager l’incarnation d’une conscience supérieure à la conscience mentale ? La conscience du moustique n’est-elle pas moindre que celle du chien mais si un chien estimait avoir la conscience la plus profonde, la plus haute, ne semblerait-il pas ridicule. Souvent les hommes estiment être le sommet de l’évolution de la conscience, ils l’affirment religieusement : leur vision de l’évolution reste anthropocentrique. Les scientifiques eux-mêmes lorsqu’ils envisagent l’évolution de l’espèce humaine n’envisage qu’un super-homme doté de super-pouvoir d’homme mais titaniser l’homme reste une conception anthropocentrique de l’évolution. Selon nous on peut en toute rigueur envisager la possibilité d’un saut évolutif de la conscience au-delà de la conscience mentale et même de l’intuition qui la renouvelle en considérant l’éventualité d’une supra-intuition.
Cette supra-intuition naîtrait au sommet de l’intuition dans la crise rencontrée par les limites de nos représentations mentales, émotionnelles, sensorimotrices et de sa figure instrumentale technologique. Cette supra-intuition serait la profondeur au-delà de l’intuition et de ses limites mentales qui ferait se rejoindre le processus évolutif de la nature elle-même avec le processus évolutif de la culture. La médiation propre à la représentation et à la technologie nous amène ressentir de plus en plus cruellement les erreurs, les accidents et les pannes intrinsèques à sa nature au-delà même de l’irresponsabilité égocentrique sous ses formes mentales, émotionnelles et sensorimotrices. Mais est-ce seulement d’un mysticisme intuitif tel que l’envisage Bergson dont nous avons besoin pour résoudre la crise évolutive de la conscience mentale humaine même s’il est une étape nécessaire ? En allant plus loin que Bergson nous ressentons une aspiration à une supra-intuition vraiment libérée des limites mentales et vitales auxquelles restent attachée une intuition qui s’y interprète. La situation nécessite que l’intuition mentale fasse place à une supra-intuition matérielle, une supra-intuition cellulaire puisque la matière universelle s’y rencontre en nous.
La représentation d’un objet est l’œuvre d’un sujet par essence illusoirement déconnecté du tout auquel elle participe pourtant : elle menace avec l’arme nucléaire ou bactériologique toute l’humanité, plus insidieusement elle introduit des transformations de l’environnement qui nous sont inconnues et qui menacent peut-être aussi notre espèce ou sinon qui cherchent la maintenir sous le joug de telle ou telle représentation sociale et politique. Les inventions technologiques ont toujours servi des logiques de domination. 
Comment lutter efficacement contre cet usage d’apprenti sorcier de la technique ? La responsabilisation collective peut-elle se cristalliser assez vite comme une conscience collective responsable au niveau de toute l’humanité avant qu’un individu ou un groupe ne commette le pire ? Une transformation spirituelle radicale des plans mentaux, émotionnels et sensorimoteurs créera-t-elle une culture suffisante de l’impulsion créatrice pour cadrer ces dangers ? Au-delà du plan sensorimoteur une conscience supra-intuitive de la vie cellulaire et matérielle elle-même n’est-elle pas envisageable qui abolisse toutes ces menaces sur l’avenir évolutif de l’impulsion créatrice sur la planète terre ? En effet si par hasard certains êtres humains échappaient à la catastrophe qui se dessine de plus en plus précisément aujourd’hui, ils rencontreraient eux ou leurs descendants cette même limite évolutive propre à une conscience seulement mentale. Nous ne pouvons pas éviter de pressentir le saut évolutif nécessaire inhérent à la crise en cours qui n’est pas seulement économique, technologique, éthique et politique. La crise en cours est une crise écologique évolutive, parce que la nature c’est-à-dire l’impulsion évolutive elle-même nous invite à explorer plus avant la conscience pour engendrer parmi nous un niveau type de conscience.
Transition : L’intuition peut nous fournir les bases d’une psychologie spirituelle qui nous arrache aux extensions bestiales de nos pulsions. Mais civiliser les dimensions pulsionnelles de sexualité, d’appropriation, de reconnaissance pour permettre un meilleur usage de nos pouvoirs technologiques sera-t-il suffisant. L’intuition mystique ne résout pas la faiblesse inhérente à nos représentations mentales qui peut s’en nourrir mais continuer à la nier dans son regard technoscientifique déterministe. L’intuition mystique ne répond pas à la limite de notre action mentale sur la matière : elles ont un caractère indirect qui laisse un point aveugle qui a tout moment peut laisser surgir la panne, l’accident et donc l’échec. Une supra-intuition au-delà de l’intuition représente un saut de conscience éventuel qui pourrait mettre fin aux limitations de notre conscience dans son univers mental. Ceci est une traduction de l’idée de sri Aurobindo Ghose, un philosophe indien du XXe siècle qui disait que "l’homme est un être de transition".

2 – Une supra-intuition matérielle au regard de la science.


Mais avant d’en arriver là nous pouvons déjà esquisser ce que pourraient être les conséquences d’une intervention directe d’une forme de conscience sur les cellules du corps. Nous savons de mieux en mieux que le monde vivant forme un tout où les informations matérielles circulent par le biais des bactéries qui forment le tissu du vivant (voir L’univers bactériel de Margulis et Sagan). Les évolutions d’un pluricellulaire mettent en jeu l’évolution du vivant en entier par le biais des bactéries capables de transporter des protéines, des brins d’ARN ou même d’ADN. Les biologistes de l’évolution d’aujourd’hui ne privilégient plus la seule loterie ADN de la reproduction pour expliquer l’évolution du vivant. Certaines évolutions s’avèrent donc une adaptation acquises et transmises par symbiose entre pluricellulaires et unicellulaires (voir Beyond the Gene de Jan Sapp). Aujourd’hui en biologie même si l’évolution des espèces est pour tous un fait, certains dogmes centraux du néodarwinisme s’effritent : par exemple, la non transmission de caractères acquis (ici par la symbiose du vivant) ou encore l’idée d’une lutte aveugle pour la vie qui exclut coopération ou coévolution. Ainsi l’acquis évolutif d’un seul individu peut se transmettre au monde vivant en entier. L’information matérielle du vivant comme l’ADN est au fond le miroir cristallin autour duquel se développe un tout pluricellulaire placé dans un certain milieu propice. La supra-intuition dominerait directement ces miroirs et leurs mécanismes par le biais de son action non-locale et acausale. Un être supra-intuitif ferait évoluer son corps à volonté et par contagion pourrait transmettre à d’autres la même faculté. Même si des acteurs nouveaux surgissent comme récemment les prions qu’on avait négligés dans une logique réductionniste du tout génétique, ils ne font que souligner le rôle crucial du chaos qui sont selon nous est l’espace même où peut croître une supra-intuition. 
Par ailleurs les travaux de Jean-Claude Ameisen exposés entre autres dans La sculpture du vivant soulignent le lien entre nos défenses immunitaires, les processus de création et de destruction et nos façons de penser. Ce lien, si nos idées d’intuition voire un jour de supra-intuition sont justes, serait encore plus conscient. L’organisme est un tout en création et donc pour ce faire en destruction même si des phénomènes comme le cancer, les maladies auto-immunes ou la mort en montrent une certaine déficience. Toutefois il est à noter que la mort reste utile pour l’évolution globale tant l’individu s’enferme dans une forme quelconque d’inertie. Si l’approfondissement de l’intuition c’est-à-dire d’une démarche intégralement créatrice est possible la mort comme processus de liquidation de l’inertie individuelle devient moins nécessaire logiquement. Cet approfondissement de l’activité intuitive de façon consciente aux cellules du corps donnerait une maîtrise de plus en plus directe de ses processus de création et de destruction.

3 – Les technosciences peuvent-elles favoriser l’émergence d’une supra-intuition ?


La science nous donne donc une connaissance indirecte de ce que nous pourrons peut-être un jour manipuler directement même si dans un premier temps nous apprenons à le manipuler grâce à des moyens technologiques d’observation. Il serait intéressant d’avoir une vue extérieure grâce à la technologie des effets de nos pensées et de nos actes sur le corps et sa relation à son environnement du strict point de vue chimique. Nous ne manquerions pas d’associer telles sensations à tel événement chimique et sur plusieurs générations qui nous dit que l’appareillage technologique d’observation chimique de soi-même soit alors encore utile ? Notre conscience cellulaire de nous-même et son interaction environnementale ne serait-elle pas immédiate ? supra-intuitive ?


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V - OUVERTURE.


Le progrès véritable est avant tout celui de la conscience. L’événement qu’est la conscience mentale pour l’évolution de l’univers, n’a-t-il pas produit son progrès ? N’est-il pas temps de laisser s’installer un nouveau type de conscience ? N’est-ce pas du côté de l’intuition créatrice qu’il faut l’attendre ? En un sens Descartes l’avait bien souligné, il n’y aura progrès que quand tant intérieurement qu’extérieurement, la mort, ce néant fondamental, aura été traversée. Mais contrairement à ce qu’espérait Descartes ce ne sera pas l’immortalité d’un ego (d’un « moi » lié à une représentation de soi-même) mais d’une conscience individuelle (elle aura un caractère personnel car elle sera apparue au sein de l’humanité), universelle (elle aura une connaissance du tout sans médiation par des représentations scientifiques) et transcendante (s’harmonisant au surgissement même de l’Être) dont la vie spirituelle l’aurait amené à une supra intuition matérielle. Ne s’agirait-il pas alors d’une nouvelle espèce telle qu’elle a été entrevue par Aurobindo et ses disciples ? Faut-il prendre au sérieux leur entreprise d’exploration en direction de cette nouvelle espèce ?

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