LIBERTE CREATRICE
I. Introduction générale sur la liberté.
On distingue 3 domaines où se pose la question sur la liberté :
- domaine métaphysique
- domaine moral et/ou éthique
- domaine politique (politique=art de vivre ensemble dans la même cité ou le même Etat)
Ce débat nous ramène alors à un débat métaphysique :
Est-ce que nous sommes libre de choisir voire de créer notre comportement (ce qui suppose un libre arbitre) ?
Ou
est-ce que nos comportements sont dictés par les lois de la nature (c’est le déterminisme) ?
Nous essaierons donc de répondre à cette question en montrant ses implications morales et éthiques avant de revenir à la question politique dans une future leçon.
B. La liberté de faire ce que je veux est une liberté illusoire
Il faut absolument éviter, dans une dissertation, de définir la liberté comme liberté de faire ce que je veux. En général, une telle conception ne parvient pas à donner une place positive à la morale. La morale est alors vue seulement comme quelque chose qui m’empêche de faire ce que je veux.
Il y a plusieurs raisons de penser que la liberté de faire ce que je veux est une illusion.
1re raison :
Nous sommes limités par la nature. Notre liberté, si elle existe, ne peut pas facilement faire abstraction des limites du corps.
Nous sommes limités par la nature. Notre liberté, si elle existe, ne peut pas facilement faire abstraction des limites du corps.
2e raison :
La liberté de faire ce que je veux est une liberté infantile. Par exemple : Je ne peux pas désirer tout en même temps. Je ne peux pas vouloir travailler et en même temps ne rien faire.
La liberté de faire ce que je veux est une liberté infantile. Par exemple : Je ne peux pas désirer tout en même temps. Je ne peux pas vouloir travailler et en même temps ne rien faire.
3e raison :
La liberté de faire ce que je veux est souvent synonyme d’une faiblesse de la volonté. Notre volonté est souvent divisée. Nous sommes souvent incapables de mettre toute notre énergie dans une décision. Il reste toujours une énergie de regrets, de frustration. Nous sommes rarement engagés à 100 % dans une décision. Il y a toujours un pourcentage de notre énergie qui fait obstacle à notre décision.
La liberté de faire ce que je veux est souvent synonyme d’une faiblesse de la volonté. Notre volonté est souvent divisée. Nous sommes souvent incapables de mettre toute notre énergie dans une décision. Il reste toujours une énergie de regrets, de frustration. Nous sommes rarement engagés à 100 % dans une décision. Il y a toujours un pourcentage de notre énergie qui fait obstacle à notre décision.
Nous avons 2 objectifs dans cette leçon :
- Savoir si nous sommes déterminés par la nature ou si nous sommes libre de nature.
- S’il est possible de se libérer de la liberté infantile de faire ce qu’on veut.
II. Conscience subjective d’un libre arbitre et volonté de liberté absolue.
René Descartes (Français, XVIIe siècle) part du fait qu’on peut imaginer un Dieu trompeur ou un malin génie. Qu’est-ce qui nous empêche de penser qu’un Dieu tout puissant s’il existe ne soit pas trompeur ? En général on conçoit Dieu comme le reflet du bien qu’on conçoit usuellement, voire le bien au-delà même de ce qu’on peut concevoir comme le meilleur. Descartes nous invite à douter du sens positif du donné de la conscience. Tout ce qu’il y a dans mon esprit ne participe-t-il pas à la tromperie divine ? Même ce que je ressens positivement ne participe-t-il pas de l’erreur et de la tromperie : on me donne une bonne impression pour mieux me tromper… Mais ce doute doit être redoublé en n’oubliant pas que tout pourrait aussi signifier l’œuvre d’un Dieu de bonté.
Quoiqu’il en soit, si je participe au doute alors je pense que je doute. Ainsi moi j’existe qui pense que je doute. D’où la fameuse formulation de Descartes : « je pense, [donc] je suis ».
Avec Descartes nous avons aussi par là même ce qui définit la raison : est raisonnable ce dont on ne peut pas douter.
La volonté a alors une liberté fondamentale :
- elle peut consentir ou non à ses conceptions usuelles, à ses idées entachées de préjugés, à ses émotions qui lui impose un mouvement du corps et donc son action, à ses sensations qui peuvent être des illusions et non traduire les véritables lois de la nature ;
- Ou elle peut décider de ne plus consentir à ce qui ne dépend pas clairement d’elle et qui ne surmonte pas l’épreuve du doute. Toute la difficulté est de discerner ce qui dépend de moi, ce qui ne me trompe pas et ce qui n’en dépend pas et que je peux mettre en doute afin de ne plus en être affecté.
Je ne peux pas faire ce que je veux car même si ma volonté veut infiniment être toute puissante, elle n’y parvient pas faute de disposer d’un entendement infini qui lui donnerait les moyens immédiats de réaliser son vœu de toute puissance.
Pour Descartes, ce vœu de toute puissance est cependant légitime et selon lui une nouvelle compréhension des phénomènes physiques doit permettre de devenir à plus ou moins long terme « comme maître et possesseur de la nature ». Le problème est que ce vœu peut rester vain tant que nous ne disposerons pas d’une méthode pour le réaliser.
Le « comme » du « comme maître et possesseur de la nature » semble une restriction : pour Descartes il y a déjà un être qui dispose simultanément d’une volonté infinie et d’un entendement infini, autrement dit il y a déjà un être tout-puissant : Dieu. Mais l’homme grâce à la technique et à la science peut espérer parvenir à une condition équivalente à Dieu. Ce dernier en effet veut en effet que nous partagions sa perfection.
Notre liberté demeurera donc infantile tant que nous ne progresserons pas quant à l’usage de notre entendement. Notre volonté infinie est aveuglante, son désir immédiat de toute puissance conduit à un manque de discernement. Descartes propose donc une méthode pour mieux raisonner. Selon lui « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » mais en même temps c’est la moins bien utilisée.
La critique de l’autorité est ici centrale.
Objections :
1) - Descartes maintient une autorité divine positive qu’il juge indispensable du point de vue de la valeur de l’être et donc de la validité de nos jugements sur les objets du monde : ce qui semble contraire en un sens à sa critique de l’autorité qui gêne le fonctionnement du bon sens comme exercice libre du doute ;
2) – Pour Descartes, notre entendement sera toujours limité par les choix créateurs de Dieu concernant les vérités logiques (les vérités éternelles).
Nous devrons nous soumettre à la volonté de Dieu concernant
les règles de l’entendement.
Ne pourrait-on pas penser une forme de rationalité véritablement autonome ?
Bilan :
Soit il faut revisiter notre conception de Dieu pour que Dieu s’il existe ne nous maintiennent pas en état de minorité, soit il faut revisiter notre conception du libre-arbitre et de la volonté vis-à-vis de l’entendement. Nous en tenant pour le moment à une position agnostique, nous allons approfondir ce qui dans le phénomène vécu de notre conscience suggère la liberté.
B. La liberté de la conscience.
Dans les extraits suivant de L’existentialisme est un humanisme (1946), Jean-Paul Sartre (Français, XXe s.) écrit :
« Lorsqu’on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s’est inspiré d’un concept ; il s’est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d’une certaine manière et qui, d’autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l’objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l’essence — c’est-à-dire l’ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l’existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l’existence. [...] L’existentialisme athée, que je représente, [...] déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c’est l’homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine1. Qu’est-ce que signifie ici que l’existence précède l’essence ? Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Tel est le premier principe de l’existentialisme. [...] Nous voulons dire que l’homme existe d’abord, c’est-à-dire que l’homme est d’abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir. L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible2, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être. »
Notes :
1 - Réalité-humaine : traduit l’allemand Dasein (littéralement « être-là »), qui désigne le mode d’existence de l’homme, en tant que ce qu’il est reste en projet.
2 - Au ciel intelligible : dans le ciel des Idées, où résident, selon Platon, les essences de toutes choses.
L’existentialisme athée, que Sartre représente, semble avoir une conception de la liberté plus cohérente que celle de Descartes faisant appel à Dieu.
Sartre déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept : cet être, c’est l’homme.
La conscience humaine ne coïncide pas avec elle-même dans la saisie de
ses contenus. Je suis sans cesse le témoin de moi-même, j’émerge sans
cesse comme un moi nouveau qui peut réinterpréter l’ancien moi.
Ainsi, pour Sartre, l’homme n’a pas de nature. Sa conscience est libre de toute nature.
Ainsi, pour Sartre, l’homme n’a pas de nature. Sa conscience est libre de toute nature.
Condition d’être en situation : Mais pour Sartre, la conscience ne peut pas exister en-dehors d’un corps, et donc en-dehors d’un monde matériel (on voit donc la nécessité pour lui d’être dans le monde).
Paradoxe : Il y a un paradoxe : d’un côté, la conscience est libre de toute identité sociale individuelle, intellectuelle, culturelle (on peut changer de culture, d’idées, de sexe, etc.), mais de l’autre côté : la conscience hérite à chaque instant du monde dans lequel ma conscience s’est constituée. On peut donc avoir l’impression d’être jeté au monde, d’être confronté à une situation qu’on n’a pas choisi ou qu’on avait choisi alors qu’on était un autre.
Sartre reproche aux personnes de dire « mais c’est ma nature d’être comme ça : d’être paresseux » alors qu’en fait, personne n’est par nature paresseux pour Sartre. Pour Sartre : c’est la nécessité pour moi d’être dans le monde qui m’oblige à faire le projet de travailler ou de paresser. La mauvaise est d’invoquer comme nature ce qui n’est qu’un projet pour saboter un autre projet. Nos projets qui supposent un effort échouent souvent à cause de notre mauvaise foi qui masque notre projet de paresse.
Limites : On sait par la science du comportement que cette conscience ne peut pas se développer hors d’un monde social humain.
Par exemple : un enfant lâché dans la nature avec les loups, vivra comme eux.
Il y a une donc nécessité d’être inséré dans le monde pour devenir conscient.
Il y a des conditions optimales d’émergence de la conscience : elles sont matérielles, émotionnelles et mentales.
++++
III. Le déterminisme
a) Nous ne sommes pas « un empire dans un empire ».
Dans une approche matérialiste, les phénomènes de la conscience sont parallèles à des phénomènes physiologiques. Nos désirs et nos pensées sont parallèles à des phénomènes hormonaux, biochimiques, neuronaux, etc.
Spinoza (Hollandais, XVIIe siècle) affirme que l’homme dans la nature n’est pas un « empire dans un empire ». Pour lui, les lois de la nature valent pour l’être humain car il est une partie de la nature. Ses actes et ses comportements dépendent de l’ensemble de la nature. [Au final, tout ce qu’on fait ne dépend presque pas de nous mais de la société, famille, corps, etc.] Nos actes sont des productions de la nature et des structures qui forment notre humanité. Nous sommes programmés physiquement, biologiquement, familialement, socialement, etc.
Si nous ne sommes pas un « empire dans un empire » notre sentiment d’un moi face à du non-moi est-il authentique ? Qui nous dit alors que le moi existe réellement ?
Ce que j’appelle le « moi » n’est-ce pas une illusion qu’on m’a peu à peu appris à croire réelle ?
b) Le faux-moi.
Quand on cherche à se représenter soi-même face à un miroir, la plupart du temps, on se représente comme vue de l’extérieur face au miroir (comme si quelqu’un nous prenait en photo).
D’après ce schéma on situe sa conscience dans sa tête (le mental) et son
corps (par le biais des sens). On confond l’intériorité (le vécu de la
conscience) et notre subjectivité (celui qui vit personnellement la
conscience). On oppose le moi au reste du monde du point de vue de la
conscience. Le moi est un sujet alors que le monde est un objet dans la
conscience.
c) Notre conscience authentique.
En fait, notre expérience véritable est que nous pouvons voir notre visage de l’extérieur sur le miroir. Mais en face du miroir, nous n’avons qu’une tête transparente.
Ceci nous invite à la suite de Douglas Edison Harding à distinguer la
conception de nous-même selon un point de vue extérieur (en troisième
personne) et une conscience de nous-même seulement intérieure (en
première personne). Nos problèmes concernent toujours le moi tel qu’il
est représenté de l’extérieur. C’est ce moi apparent (en troisième
personne) qui est soi-disant plus ou moins laid, plus ou moins souriant…
C’est ce moi apparent (entroisième personne) qui a des comportements
sociaux. La représentation de soi de l’extérieur nous identifie à une
image impliquant toujours le regard des autres.
Le moi subjectif apparent (notre troisième personne) est ici clairement un processus de la conscience. Autrement dit notre subjectivité personnelle apparente (en troisième personne) n’est pas identifiable à notre intériorité (en première personne). Le « je pense, [donc] je suis » de Descartes risque de masquer cette distinction chez ses lecteurs. Mais le "je" en première personne est-il seulement le "je" individuel de Descartes ? La dimension de conscience en première personne qui échappe au doute n’est pas la subjectivité individuelle et son sentiment d’agir librement, car l’intériorité de la conscience reflète notre appartenance à l’univers et notre continuité avec lui.
La conscience prend bien sûr une dimension personnelle et subjective en se manifestant toujours comme processus d’une individualisation de la matière, des émotions et des idées impersonnelles qui existent d’abord et semblent la constituer. Ainsi notre dimension la plus personnelle et la plus individuelle, notre première personne selon Douglas Edison Harding peut sembler tout autant une dimension impersonnelle et universelle.
Le déterminisme philosophique cherche à nous faire prendre conscience de cette dimension impersonnelle et universelle première qui la plupart du temps nous échappe pour notre malheur. En effet la plupart du temps nous vivons notre personnalité et notre individualité en conflit avec le reste de l’univers sans voir que notre personnalité et notre individualité sont un effet de l’univers. On pourrait comparer cette tragédie à une vague qui refuserait les autres vagues qui la menacent dans son intégrité individuelle sans voir qu’elle et les autres vagues sont des formes d’une même mer.
Notre conscience semble donc être d’un point de vue déterministe l’expression de l’univers entier. Chaque échelle de l’univers contribue à son émergence : l’échelle des galaxies, l’échelle stellaire, l’échelle planétaire, l’échelle humaine, l’échelle biologique, moléculaire, atomique, etc... Le Tout (infini) seul nous fait émerger « je suis ».
Notre conscience authentique peut contenir l’infini ou est le résultat d’un processus de l’univers infini. Certes notre moi subjectif personnel a souvent le vertige devant l’infini. Blaise Pascal (Français ; XVIIe siècle) dit : « le silence éternel de ces espaces infinis effraie ». Cette citation montre que le moi humain est insignifiant s’il prend conscience de l’univers infini. Mais Pascal ne voit pas que paradoxalement, le vertige devant l’infini disparaît si nous prenons conscience d’être surgi de presque rien du tout.
Notre conscience n’est pas simplement nos contenus de pensées : notre conscience est la conscience singulière de nos pensées au contenu les plus généraux. De même, elle n’est pas nos émotions mais la conscience de celles-ci. Elle n’est pas que le corps personnel mais elle est la conscience de l’organisation mécanique et physiologique biologique de l’univers en corps. Notre conscience est comme un rien qui exprime individuellement le Tout : la conscience est la pensée d’un presque rien du tout.
Reste à savoir quel est le rapport entre la conscience et le corps ?
Quoi qu’il en soit, la conscience est beaucoup plus que ce que nous sommes en tant qu’individu. Si le moi accepte que sa conscience ne soit presque rien du tout, alors il n’est plus seulement centré sur ses intérêts. La découverte du presque rien du tout de la subjectivité nous permet de ne plus être égocentrique. On accepte plus facilement les processus de changements universels (l’impermanence pour les bouddhistes, la nécessité universelle chez Spinoza). La conscience, en amont du moi, n’est jamais affectée par les échecs du moi (-1).
La distinction du moi subjectif personnel et de l’intériorité impersonnelle de la conscience permet d’atteindre l’ataraxie, le fait d’être en profondeur d’un sentiment égal en toute circonstance.
Vu la consistance du paradoxe ceci demande des éclaircissements que nous essaierons de donner plus clairement d’un point de vue spinoziste.
Le moi subjectif apparent (notre troisième personne) est ici clairement un processus de la conscience. Autrement dit notre subjectivité personnelle apparente (en troisième personne) n’est pas identifiable à notre intériorité (en première personne). Le « je pense, [donc] je suis » de Descartes risque de masquer cette distinction chez ses lecteurs. Mais le "je" en première personne est-il seulement le "je" individuel de Descartes ? La dimension de conscience en première personne qui échappe au doute n’est pas la subjectivité individuelle et son sentiment d’agir librement, car l’intériorité de la conscience reflète notre appartenance à l’univers et notre continuité avec lui.
La conscience prend bien sûr une dimension personnelle et subjective en se manifestant toujours comme processus d’une individualisation de la matière, des émotions et des idées impersonnelles qui existent d’abord et semblent la constituer. Ainsi notre dimension la plus personnelle et la plus individuelle, notre première personne selon Douglas Edison Harding peut sembler tout autant une dimension impersonnelle et universelle.
Le déterminisme philosophique cherche à nous faire prendre conscience de cette dimension impersonnelle et universelle première qui la plupart du temps nous échappe pour notre malheur. En effet la plupart du temps nous vivons notre personnalité et notre individualité en conflit avec le reste de l’univers sans voir que notre personnalité et notre individualité sont un effet de l’univers. On pourrait comparer cette tragédie à une vague qui refuserait les autres vagues qui la menacent dans son intégrité individuelle sans voir qu’elle et les autres vagues sont des formes d’une même mer.
Notre conscience semble donc être d’un point de vue déterministe l’expression de l’univers entier. Chaque échelle de l’univers contribue à son émergence : l’échelle des galaxies, l’échelle stellaire, l’échelle planétaire, l’échelle humaine, l’échelle biologique, moléculaire, atomique, etc... Le Tout (infini) seul nous fait émerger « je suis ».
Notre conscience authentique peut contenir l’infini ou est le résultat d’un processus de l’univers infini. Certes notre moi subjectif personnel a souvent le vertige devant l’infini. Blaise Pascal (Français ; XVIIe siècle) dit : « le silence éternel de ces espaces infinis effraie ». Cette citation montre que le moi humain est insignifiant s’il prend conscience de l’univers infini. Mais Pascal ne voit pas que paradoxalement, le vertige devant l’infini disparaît si nous prenons conscience d’être surgi de presque rien du tout.
Notre conscience n’est pas simplement nos contenus de pensées : notre conscience est la conscience singulière de nos pensées au contenu les plus généraux. De même, elle n’est pas nos émotions mais la conscience de celles-ci. Elle n’est pas que le corps personnel mais elle est la conscience de l’organisation mécanique et physiologique biologique de l’univers en corps. Notre conscience est comme un rien qui exprime individuellement le Tout : la conscience est la pensée d’un presque rien du tout.
Reste à savoir quel est le rapport entre la conscience et le corps ?
Quoi qu’il en soit, la conscience est beaucoup plus que ce que nous sommes en tant qu’individu. Si le moi accepte que sa conscience ne soit presque rien du tout, alors il n’est plus seulement centré sur ses intérêts. La découverte du presque rien du tout de la subjectivité nous permet de ne plus être égocentrique. On accepte plus facilement les processus de changements universels (l’impermanence pour les bouddhistes, la nécessité universelle chez Spinoza). La conscience, en amont du moi, n’est jamais affectée par les échecs du moi (-1).
La distinction du moi subjectif personnel et de l’intériorité impersonnelle de la conscience permet d’atteindre l’ataraxie, le fait d’être en profondeur d’un sentiment égal en toute circonstance.
Vu la consistance du paradoxe ceci demande des éclaircissements que nous essaierons de donner plus clairement d’un point de vue spinoziste.
B. La morale relative à l’éthique déterministe
Mais comment penser la morale quand on est déterministe ?
La philosophie de Spinoza est-elle la justification de toutes les horreurs de la nature ?
Exemple : Le lion est programmé pour manger la gazelle. De même, un criminel est programmé pour faire des crimes.
Remarque : Ici, la morale n’a pas le même sens que l’éthique. Pour Spinoza, l’éthique est la prise de conscience de ce qui nous détermine. Connaître ce qui nous a déterminé/programmé permet de nous en libérer éventuellement.
L’éthique n’est pas un fatalisme. Le fataliste est un paresseux qui justifie son absence d’efforts en disant que quoi qu’il fasse, c’est son destin. Un fataliste malade pensera que son destin seul le guérira ou le fera mourir. Il ne devrait donc logiquement ne faire aucun effort pour guérir.
Exemple : Si son destin est de guérir, qu’il paye le médecin ou non, il guérira. Si son destin est de mourir de sa maladie, qu’il paye le médecin ou non, il mourra.
Un déterministe n’est pas un fataliste car il fait des efforts pour comprendre ce qui le détermine. Le point commun entre la morale & l’éthique est l’effort. Le déterministe croit que son effort est déterminé d’avance (comme sa volonté) mais cela ne l’empêche pas de vouloir faire plus d’efforts. La morale est vue du point de vue de l’éducation. On doit donc déterminer les enfants à faire des efforts moraux. La morale n’a rien à voir avec un libre choix quand on est un enfant. C’est une morale imposée par nos parents et notre société.
Si on devient quelqu’un qui veut comprendre ses déterminations, alors on comprend l’intérêt de la morale. La morale peut alors devenir rationnelle. La morale peut être comprise comme la garantie d’une vie sociale harmonieuse. On découvre que la morale n’est pas absolue : elle est relative à la vie sociale.
Exemple : La politesse est
conventionnelle.
C. De l’éthique de l’effort
Pour un déterministe, les efforts ne sont pas à éviter. On peut remarquer un effort primaire : « Tout être s’efforce de persévérer de son être » (Spinoza). [Plus simplement : Une grande feignasse est obligée de faire un minimum d’efforts pour vivre.] Tout être vivant s’efforce de vivre. Même un suicidaire se suicide en pensant à une vie meilleure. Notre effort pour vivre est seulement plus ou moins bien déterminé à comprendre ce qui nous détermine.
Ce que propose Spinoza consiste à observer à partir de la conscience de ce désir de persévérer dans son être pourquoi nous sommes mal déterminé/mal programmé/mal éduqué. Spinoza espère que, grâce à cette observation, nous constaterons qu’il n’y a pas de problème. Si nous acceptons d’être un « programme de la nature », quel que soit le programme, il n’y aurait plus de problème.
[Exemple : Si quelqu’un est agressé en restant conscient que tout n’est qu’un programme, si il croit que lui et son agresseur ne sont que des programmes issus du seul programme de la nature, il n’aura pas peur. Par contre, si il se croit étranger à cet homme qui veut l’agresser, si il pense que lui et l’agresseur sont bels et bien deux êtres séparés, il peut être plus facilement envahi et immobilisé par la peur.]
Les problèmes surgissent dans la conscience parce qu’on les interprète comme des forces conflictuelles alors que ce sont des sous parties d’un unique programme. Ce sont comme des vecteurs (au sens mathématique et physique) s’appliquant sur un même ensemble qui finiront avec le temps par s’additionner de façon inéluctable et prédéterminée.
Pour emprunter un vocabulaire oriental (bouddhiste, védantiste et soufi) autre que celui de Spinoza, on peut dire qu’il y a une croyance erronée dans des dualités (dualité vient de deux au sens de duel, de conflit) de la conscience. Les forces en apparence conflictuelles appartiennent toutes au champ de conscience et forment son unité (cf. notre schéma B). Ainsi dans les termes de Spinoza, ce qui crée à la racine les problèmes est la distinction du corps matériel vis-à-vis du reste de l’univers matériel : on se croit un empire dans un empire. Le désir de persévérer dans notre être individuel nous isole alors qu’il est une détermination de l’univers instant après instant. Notre effort de persévérer individuellement dans l’être est un acte de l’univers et il parvient à nous faire persévérer dans notre être individuel tant qu’il est effectivement une action de l’univers.
Le désir de connaître nous fera comprendre comment nos émotions expriment l’impression de dualités dans la conscience, comment elles surgissent d’un décalage entre nos intentions personnelles et l’action réelles de l’univers. Dans le vocabulaire de Spinoza, il faut chercher à avoir non seulement une connaissance rationnelle théorique de nos passions (les émotions subies) mais une connaissance intuitive (intuitus) de nos passions car une connaissance singulière adéquate de nos passions les assimile à notre puissance d’action sous la forme d’un amour intellectuel de la nature.
On peut essayer d’appliquer ce principe à des exemples.
Exemple 1 : La peur est ainsi souvent paradoxalement liée à une attirance (le vertige est à la fois une peur du vide mais aussi un appel fascinant qui nous attire dans le vide). Une préférence par ailleurs est souvent liée à un dégoût ou une répulsion. L’émotion surgit donc quand l’intention se divise d’avec la totalité (ce qui caractérise le tout de l’univers comme tout de l’univers).
Exemple 2 : Il y a une dualité sexuelle qui nous pose problème. Mais du point de vue de la conscience qui observe, il n’y a pas de dualité sexuelle. Ce sont deux forces à l’œuvre pour propager le vivant. Il y a malgré une dualité sexuelle une non dualité de la conscience.
Remarque : Le romantisme a été développé dans ses origines au Moyen Age pour permettre aux hommes d’avoir plus de liberté vis-à-vis de l’énergie sexuelle en intégrant une sensibilité féminine, la découverte d’une aspiration à une égale dignité d’âme qui cherche plus de conscience face à l’impulsion sexuelle.
L’attention à soi-même, quand elle est assez avancée, réaspire l’énergie qui se perdait dans l’impression de dualité c’est-à-dire de lutte entre soi et le monde ou entre soi et soi-même. Elle sait en utiliser les forces pour gagner en puissance d’observation jusqu’à embrasser d’un seul regard la totalité de ce qui se présente dans sa conscience comme sa propre volonté. Le désir de persévérer dans son être coïncide de nouveau avec l’action réelle de l’univers. Il n’entraîne pas un décalage entre intention et action, désir et effort de la volonté. Il se transforme en prise de conscience de la nature par elle-même au sein d’une conscience individuelle.
++++
IV. L’indéterminisme et la liberté
Le déterminisme est une doctrine qui repose sur le présupposé scientifique que tout est un enchaînement de causes et d’effets [tout ce qui se passe est déterminé à l’avance]. Fin XIXe, début XXe, la science va mettre en cause le déterminisme.
Exemple 1 : Poincaré (Français, XIXe, Mathématicien) montre qu’un système d’équations décrivant plus de 3 planètes n’a pas qu’une seule solution. En fait, ce système est chaotique, donc il y a plusieurs solutions possibles, donc une indétermination.
Exemple 2 : L’étude des petites particules, en mécanique-quantique, montre un phénomène fondamental d’indétermination. Une particule est en fait un paquet d’ondes d’énergies. Ce dernier empêche de connaître simultanément la vitesse et la position de la particule. Des physiciens prennent l’exemple d’un poisson soluble (1). Quand on le plonge dans une mare, comme un morceau de sel, il se répand dans toute la mare. On ne peut donc plus le situer dans la mare. Sa position est indéterminée (2). Par contre, c’est quand on le pêche que sa position indéterminée se détermine (3). Le niveau macroscopique ne détermine pas absolument la matière, l’indéterminisme microscopique fondamental entraîne l’existence d’un chaos déterministe macroscopique (4).
La matière microscopique n’est donc pas absolument déterminée. Mais du point de vue scientifique, les phénomènes matériels macroscopiques impliquent aussi un mélange de hasard et de nécessité.
Exemple 3 : Nous savons aussi que l’évolution du vivant est liée à un mélange de hasard et de nécessité. Darwin montre à l’image de la sélection artificielle bien connue des agriculteurs qu’il y a un principe de sélection naturelle des espèces. Celui-ci est constitué des nécessités du milieu naturel de vie de la plante ou de l’animal (au lieu des nécessités agricoles) et des hasards dus à la reproduction sexuelle qui mélange les caractères d’un mâle et d’une femelle.
On peut résumer la nouvelle conception scientifique sous-jacente avec une métaphore empruntée à Rupert Sheldrake (Anglais –fin XXe - XXIe). On peut comparer le hasard et sa nécessité au fleuve et son lit. Le fleuve est une masse d’eau chaotique, tandis que le lit du fleuve est plus fixe. Ce dernier impose un trajet à l’eau du fleuve. Le fleuve peut modifier son lit en l’érodant, en transportant de la terre/des pierres. Il peut compléter son lit. Le fleuve modifie son lit comme le hasard modifie la nécessité. La nécessité ne doit pas être pensée comme les six faces d’un dé qui limite le hasard à six possibilités équivalentes. La nécessité est en constante émergence de sa confrontation avec le hasard. Elle se révèle comme un ensemble d’habitudes prises par l’univers.
Cette image nous permet de comprendre l’évolution de l’univers et des espèces : le hasard peut modifier la nécessité et la nécessité stabilise les effets chaotiques du hasard. Car si tout était indéterminé, s’il n’y avait que du hasard, aucune stabilité ne serait possible.
Conclusion (de ce A) : Le hasard ne démontre pas que nous sommes libre dans la mesure où un hasard peut être inconscient alors qu’un acte libre est conscient. Mais le hasard est la condition nécessaire pour que la liberté soit possible [la liberté ne peut pas s’exercer sans transformer la nécessité] car seul le hasard permet d’infléchir la nécessité habituelle telle que nous l’avons interprétée ici avec l’image de l’eau du fleuve et de son lit. Il nous reste donc à montrer que le hasard c’est-à-dire l’indétermination peuvent être conscients.
REMARQUE : Certains religieux rejettent l’évolution. Mais si Dieu ou une forme de divin impersonnel (le bouddhisme pense un divin impersonnel) existe, il ne semble pas très respectueux de le penser prisonnier de la nécessité, il est soit libre car il est cette nécessité ou bien davantage il est libre de ce qu’il est, il est alors libre de sa propre nécessité, il s’autodétermine. Si Dieu ou le divin existe en ce dernier sens, sa liberté implique une apparence extérieure de hasard pour quelqu’un qui voit des actes non nécessaires, mais dont il ne comprend pas qu’ils émanent de quelqu’un d’éminemment libre ou d’un principe impersonnel d’absolue liberté. Nier l’évolution au sens darwinien, c’est nier la liberté éventuelle de Dieu ou du divin s’il existe, c’est la restreindre à nos préjugés, c’est nier une liberté absolue à l’aide de croyances non réfléchies.
B. La Liberté créatrice de l’homme
1. La liberté créatrice humaine est l’individualisation consciente de l’univers.
Il y a un rapport évident entre l’évolution du hasard et la nécessité et l’évolution de l’homme. L’homme invente des phénomènes qui, jusqu’à présent, n’existaient pas. Mais là où le hasard et la nécessité tâtonnent/bricolent, l’homme, parce qu’il est conscient, trouve des solutions novatrices qui sont positives et semblent directement adaptées car le tâtonnement humain semble davantage avoir lieu au niveau de la réflexion. Le fonctionnement de l’imagination humaine n’est-il pas une forme de jeu du hasard et de la nécessité de la nature vécu intérieurement comme liberté ou autodétermination de la nature individualisée ? La nature semble inventer inconsciemment, alors que l’homme semble inventer et donc évoluer plus consciemment. S’il y a une forme d’intelligence de la nature, celle-ci trouve avec l’homme une forme d’individualisation : elle voit directement à travers l’œil humain les difficultés évolutives individuelles tandis qu’auparavant elle les percevait globalement, généralement et au mieux par le biais d’une espèce.
Remarque : L’instinct animal est spécifique, lié à une espèce, il permet assez peu de variations individuelles et transforme tout acquis individuel en acquis collectif.
Rappel : Le déterminisme scientifique n’exclut pas une libération de la volonté (Spinoza). La science, depuis le début du XXe siècle, a prouvé qu’il y a un indéterminisme radical. Elles parlent d’un jeu de hasard & de nécessité (voir notre image du fleuve et de son lit). La question qui se pose pour penser une éthique de la liberté créatrice au-delà d’une éthique déterministe est :
Comment concilier une liberté créatrice avec l’idée d’un jeu du hasard et de la nécessité aveugle ?
Tout d’abord, ce jeu du hasard et de la nécessité a une dimension cérébrale. Dans notre expérience intérieure de ce jeu de hasard et de nécessité, le hasard que voit un observateur extérieur donne l’impression d’être la forme intérieure de notre liberté. Imaginons qu’à l’aide d’un observateur extérieur nous entreprenions de voir si notre volonté de lever le bras droit ou le bras gauche obéit à des lois de l’univers. Pour lui, la succession de nos choix de lever le bras droit ou le bras gauche, relèvera du hasard, s’il n’a pas accès à des informations concernant notre choix. En fait l’observateur s’il est extérieur à ce qui se passe à l’intérieur de notre conscience verra du hasard alors que nous intérieur à notre propre conscience nous avons l’impression de faire des choix libres.
Nous pouvons faire l’hypothèse philosophique d’une « intelligence » ou d’une conscience de l’univers. Avec Spinoza nous affirmons que l’homme n’est pas un empire dans un empire et donc que la conscience réfléchie d’un individu exprime forcément l’individualisation d’une réalité universelle. Autrement dit si la conscience et la pensée d’un individu sont la matérialisation de l’univers, l’univers lui-même au sein de sa réalité matérielle est une forme de conscience qui a une impulsion à s’individualiser.
Le vivant offre ainsi une échelle de formes de conscience individualisées. A la suite de Bergson, nous pouvons remarquer qu’une bactérie est moins consciente qu’un moustique, qu’un moustique est moins conscient qu’un chien et qu’un chien reste moins conscient qu’un être humain.
La bactérie a peut-être une forme archaïque de conscience sensorimotrice. Quoi qu’il en soit un cerveau est un ensemble de cellules or une bactérie est une cellule donc elle possède un potentiel de conscience. Un moustique possède à l’évidence une conscience sensorimotrice et peut-être une conscience instinctive de son espèce ressenti entre autre à travers une pulsion sexuelle. Le chien plus qu’un ressenti de la pulsion sexuel a des ressentis émotionnels supérieurs comme le montrent les travaux d’éthologie (étude du comportement animal) de Boris Cyrulnick par exemple. La conscience humaine est elle dotée en plus d’une faculté de se saisir par une réflexion conceptuelle. C’est à travers elle que l’univers peut vraiment prendre conscience de son évolution.
Ainsi nous affirmons que l’homme est cette « conscience intelligente » de l’univers personnifiée de façon multiple, intériorisant l’existence d’une impulsion évolutive par le biais du hasard et de la nécessité. Cependant l’homme doit-il être envisagé comme un processus d’individualisation consciente d’une pleine conscience intelligente libre et évolutive universelle préexistant dès le big bang ?
2. La liberté créatrice exclut que l’évolution soit le fruit d’un dessein intelligent.
Aux USA, une querelle entre théologiens et scientifiques voit s’affronter 3 positions :
- Les créationnistes affirment qu’il n’y a pas d’évolution, ils refusent l’idée que l’homme descend d’un primate et soit le cousin du singe. Cette position est indéfendable du point de vue scientifique. L’existence d’Organisme Génétiquement Modifié (OGM) est la technologie qu’a permis l’étude de l’évolution des espèces. Récemment des chercheurs japonais ont fabriqué un cochon phosphorescent avec des gènes de méduse. Ils démontrent à l’évidence que l’apparition des espèces est liée à une évolution qui a lieu au niveau de la matière.
- Les Darwiniens matérialistes : Pour eux, il y a évolution des espèces par un pur jeu aveugle de hasards & de nécessités. Certains scientifiques, quand on leur rétorque que les conditions initiales de cet univers sont très favorables à la vie, évoquent l’hypothèse scientifique d’une multitude d’univers parallèles dont les constantes du nôtre ne sont qu’un fruit du hasard d’une projection infinie de possibilités. Le hasard & la nécessité ne doivent pas seulement s’impliquer à notre univers mais être considérés alors comme l’expression d’un absolu source inconsciente d’une multitude où par hasard le notre est très favorable à la vie. Les Darwiniens matérialistes excluent toutes formes d’intelligence de l’univers parce que pour eux, l’évolution ne peut pas avoir d’intentions préalables. Cependant, il peut y avoir une forme d’intelligence sans intentions. Un être humain n’a pas d’abord l’intention de fabriquer un avion avant de s’être demandé comment un être humain pourrait voler. L’intention de fabriquer un avion est une création qui répond à un problème. Si la liberté humaine est précisément l’individualisation de la puissance créatrice de l’univers, cette dernière n’a pas d’intentions, ou bien elle a des intentions à partir du moment où face à un problème, elle crée une solution. Suivant cette approche, l’intelligence créatrice n’est pas toute puissance, elle tâtonne, et les dinosaures et leurs disparitions sont la preuve d’un tâtonnement. L’ « intelligence » de l’univers dont nous parlons est une conscience des problèmes évolutifs qui suscite une possibilité nouvelle en réponse. C’est une « intelligence » de la source absolue de tous les possibles que le matérialiste est obligé d’admettre en admettant que sa propre intelligence individuelle en est l’expression individualisée.
- Les défenseurs de l’intelligent design (dessein ou projet intelligent) : Cette théorie n’exclut pas l’évolution des espèces mais elle insiste sur le caractère intelligent de cette évolution. Comment quelque chose d’inconscient comme le hasard & la nécessité pourraient-ils produire de la conscience et de l’intention ? Cet argument ressemble à un argument que donnait Descartes pour justifier l’existence de Dieu en invoquant que l’idée d’infini ne peut être produit que par une intelligence infinie plus extérieure à nous. Mais nous avons vu que la science observe du hasard et de la nécessité à l’œuvre et que nier ceci du point de vue métaphysique en faveur de la nécessité revient à nier la liberté. Les théologiens défenseurs du dessein intelligent ont donc tendance à nier la liberté humaine et d’ailleurs ils cherchent à imposer leur vision, leur foi religieuse en formant une pseudo-science où on confond l’enquête expérimentale matérielle et la recherche spirituelle.
3. Eléments en vue d’une spiritualité de l’évolution de la conscience libérée des autorités religieuses.
Cette approche d’une « conscience » de l’univers n’est donc pas pour nous forcément religieuse. Si certainement elle inspire et a inspiré les religions, elle ne se réduit à aucune d’elles. L’évolution matérielle ne sacralise rien (ou alors sacralise tout de façon égale), même si elle est un absolu à l’oeuvre. Aucune interprétation ne doit en exclure une autre pour aller à la rencontre d’un absolu qui est sans doute source infinie de toutes les possibilités : une interprétation exclusive empêche la prise de conscience d’une absolue et infinie d’interprétations possibles (on retrouve cette idée chez Nietzsche dans son livre Le gai savoir).
Les pratiquants des religions monothéistes croient pour la plupart en une individualité divine toute puissante qui crée à l’extérieur d’elle l’univers. Selon nous, le principe créateur est intérieur à chaque partie matérielle de l’univers, car sa création est une autocréation aussi bien spirituelle que matérielle de soi-même en soi-même. Le premier principe a pris le risque de s’individualiser matériellement et il ne peut prendre conscience de lui-même qu’à travers ses tentatives d’individualisations matérielles, pulsionnelles, émotionnelles, mentales.
Les religieux monothéistes voient là pour la plupart (excepté pour les plus mystiques) un blasphème car c’est affirmer la divinité des hommes. En fait, dans notre hypothèse, les hommes sont l’individualisation en cours du divin (si on tient à qualifier de divin notre principe absolu). Mais ce divin ou principe absolu reste aussi la conscience intelligente divine de tout l’univers dont l’impulsion créatrice échappe à toutes les déterminations de l’univers qui ne sont que des habitudes plus ou moins tenaces de l’univers : les hommes à l’évidence ne sont pas la pleine réussite de l’individualisation de la prise de conscience de l’univers même si comme ici nous semblons pouvoir en avoir des pressentiments intellectuels.
Habituellement, dans les religions, le divin est autosuffisant, il n’évolue pas au sein de sa propre création, il est très différent de ses créatures et la pratique religieuse prend soin de glorifier cette distance. Notre position n’est pas celle-ci : elle s’inscrit à l’évidence du côté des mystiques religieux qui cherche une expérience concrète de la présence du divin ou de l’absolu dans leur conscience. Mais à regarder de plus près nous nous différencions d’eux pour la plupart car ils se contentent souvent de ce sentiment de la présence divine et déconsidèrent la vie et le monde comme étranger à la présence divine : ils tournent le dos à l’évolution de l’univers matériel en cherchant un salut immatériel (émotionnel et mental) ; ils ne voient pas que leurs expériences ne sont peut-être qu’une prise de conscience imparfaite de l’univers dans une personne.
Dans notre approche, contrairement aux assurances de l’intelligent design religieux, l‘homme doit évoluer suffisamment pour résoudre les problèmes qui se posent à lui : lui seul peut aider le ciel à l’aider. Il n’y a rien de préétabli et même si dans le domaine du pur possible la prochaine possibilité évolutive oriente peut-être déjà l’avenir, ceci ne retire rien à nos responsabilités et souligne davantage l’unique problème au fond selon nous qui est comment servir l’individualisation matérielle consciente en cours du principe absolu. Contrairement aux discours anthropomorphiques de l’intelligent design religieux qui font du règne humain le sommet de l’univers, le règne prédominant de l’humanité peut selon nous cesser comme a cessé le règne des dinosaures qui apparemment soit faisait obstacle ou soit qui n’a pas su offrir à temps la transition vers la possibilité mentale qui l’aurait préservé.
L’intelligent design religieux croise à ce niveau les Darwiniens matérialistes : ils ont des spéculations semblables sur les évolutions futures de l’être humain où finalement il s’agit d’ajouter du déjà là à du déjà là. Jamais ni les uns ni les autres n’envisagent un changement de qualité comme la qualité mentale de la conscience a profondément modifié les qualités précédentes de l’évolution. Si nous devons penser l’évolution créatrice dans le sens d’un absolu source infinie de possible, qu’est-ce qui nous empêche d’admettre l’existence possible de qualités impensables non pas par défaut de conscience mais par excès de conscience pour ce qui reste une pensée ?
++++
V. Conclusions pratiques : de la volonté individuelle à la liberté créatrice
Comprendre ce qui nous détermine revient à comprendre ce qui détermine notre volonté à servir des désirs et des peurs déterminées par la nature. Mais c’est aussi découvrir que le spectacle de la nature n’emprisonne pas notre effort compréhensif, notre conscience spectatrice la plus profonde. On peut prendre un vocabulaire bouddhiste et constater que la découverte méditative du karma (du poids des habitudes de l’univers et aussi de notre personnalité) découvre une dimension impersonnelle de la conscience qui reste inaffectée quel que soit nos déterminations. Nos peurs et nos désirs, c’est-à-dire les plaisirs et les peines sont relatifs à une joie de la conscience universelle consciente d’elle-même et de sa liberté. Le déterminisme n’est plus une prison c’est alors l’autodétermination de la nature par elle-même devenue consciente. Le cœur ou la compassion sont alors la tendance à vouloir partager cette joie et cette liberté présente au cœur de chaque être humain.
Mais à cette interprétation bouddhiste et spinoziste nous pouvons réhabiliter en partie le point de vue cartésien en remarquant que l’effort dont il est question pour se libérer de notre ignorance du déterminisme est aussi un choix personnel. Une volonté personnelle semble indispensable pour gagner par le doute la conscience de rien embrassant la conscience de quelque chose. Les stoïciens sont des philosophes qui concilient le déterminisme universel et le libre arbitre qui nous donne le choix de vouloir harmoniser notre personne avec l’univers ou non.
B. De la volonté intérieure authentique comme intensification d’une aspiration à la liberté créatrice
Mais cette libération bouddhiste ou spinoziste nous semble insuffisante. La conception stoïcienne du libre arbitre conciliée avec le déterminisme de l’univers nous semble insatisfaisante. Nous aspirons à une authentique liberté créatrice. La découverte de l’évolution nous incite à ne pas nous contenter d’une volonté libérée de son ignorance du déterminisme. Une telle liberté n’existe qu’à l’intérieur de l’intérieur de la conscience mais encore prisonnière de l’extérieur de l’intérieur de notre conscience (voir le schéma page précédente). Où trouver la liberté qui nous libère des déterminations de cette apparente extériorité de la conscience ? Les libérations bouddhiste et spinoziste prétendent nous faire accéder à une universalité de la conscience mais au final elles ne proposent qu’une libération individuelle de la conscience pourtant universelle. Elles incluent certes des éléments visant une libération des autres individus telle la compassion chez les bouddhistes ou tel une conception théologico-politique favorable à la recherche d’une telle liberté. Cependant y a-t-il une libération universelle de la conscience individuelle d’abord universelle ? L’aspect universel de notre conscience individuelle peut-il réellement se découvrir comme champ d’une liberté créatrice transformant les lois apparemment déterministes en en faisant émerger de nouvelles ?
Nous proposons d’aspirer simplement de tout notre cœur à autre chose que les désirs habituels, les lois universelles habituelles, c’est-à-dire le déterminisme apparent pour expérimenter concrètement cette dimension créatrice de la liberté. Seul le simple besoin d’autre chose aussi impensable que cela paraisse peut faire émerger autre chose. Il faut que notre volonté tout en se libérant de son adhésion irréfléchie et malheureuse au déterminisme apparent en en devenant le témoin compréhensif (cf. § précédent) aspire à autre chose. Il faut que les déterminations apparentes de la nature, du désir fassent problèmes, montrent leurs limites comme le mathématicien, le physicien et le biologiste se posent des problèmes en soulignant les limites de leur connaissance et de leur puissance afin que surgisse comme par enchantement une intuition nouvelle qui donne à l’homme des possibilités nouvelles. Il ne s’agit pas de renoncer à nos désirs habituels mais plutôt qu’ils n’aient plus la force d’agir sur nous parce que notre intérêt n’est plus à la reproduction des habitudes mais aspire à la pure nouveauté, à l’évolution, à la création.
Alors peut-être de nouvelles qualités de conscience surgiront comme ont surgi autrefois les niveaux sensorimoteur, émotionnel puis mental de la conscience…
Il y a certainement le domaine politique qui alors entre en jeu. Avons-nous les ressorts pour évoluer vers une meilleure vie politique ?
Mais il y a aussi le domaine technoscientifique connexe au domaine politique où la question évolutive se pose de plus à cause de nos erreurs écologiques. Si la technoscience est le point culminant actuel de notre évolution mentale, de quelle nouvelle qualité de conscience est-elle le milieu opportun d’émergence ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire