vendredi 24 octobre 2014

LES ECHANGES. Une version abrégée avec l'essentiel à retenir.

Une leçon plus approfondie reprend ces thèmes : Les échanges sont-ils seulement utilitaires ?

Débat n°1 - La concurrence est-elle un facteur d’évolution des échanges sociaux ?


1 - Darwinisme social.


Darwin propose d’expliquer l’évolution des espèces par le jeu du hasard de la reproduction sexuelle et de la nécessité d’un milieu naturel. Un pinson doté d’un bec long ne survivra pas longtemps dans un milieu où seules des noix sont disponibles. L’oiseau au bec trapu brisera des noix et survivra mieux. Mais en lisant Darwin il s’avère que le pinson à long bec disparaîtra de ce milieu car les le pinson au bec trapu mangera aussi les noix qui cassées s’offraient à celui dont le bec ne permet pas de les briser. Darwin parle d’une lutte pour la vie qui finit par éliminer les moins adaptés et leur descendance d’un milieu de vie donné.
Certains penseurs ont considéré que rien n’empêche d’adapter ce raisonnement à nos sociétés humaines. Dans le domaine économique quand l’Etat subventionne les entreprises qui vont mal il retarde une crise évolutive qui aurait favorisé l’émergence d’entreprise plus adaptées aux nécessités du marché. De même quand l’Etat aide ceux qui ont perdu un travail à subsister, il risquent d’abandonner l’effort pour s’adapter aux exigences du marché du travail et donc cela formera une masse de gens qui ne produisent plus de richesses et qui grèvent les investissements de ceux qui pourraient en produire davantage.
Quand nous intervenons par souci d’équité dans le domaine économique nous finissons souvent par essouffler l’économie qui seule est source de richesse.

2 - L’évolution naturelle réévaluer à l’aune de l’évolution culturelle.


Cependant ce type de discours qui entend appliquer la théorie de Darwin aux affaires humaines manque le fait que l’homme n’est plus contraint de s’adapter biologiquement à un milieu de vie. L’évolution de l’homme est une évolution culturelle qui n’est donc pas soumise à un jeu de hasard et de nécessité. Face à une crise sociale, économique les êtres humains peuvent réfléchir et modifier leur valeur.
Pourquoi à partir de la lutte pour la vie ne pas justifier un racisme ethnique ? L’ethnie la plus adaptée ne mérite-elle pas de régner sur une autre ? Pourquoi ne pas justifier une guerre de tous contre tous ?
Benjamin Constant un penseur libéral français du début du 19e siècle avait perçue que la transition du pouvoir d’une aristocratie guerrière à une bourgeoisie industrielle était en cours. Il n’ignorait pas que la concurrence économique peut être moralement indéfendable mais il estimait à juste titre qu’entre une lutte à mort militaire et la concurrence économique il y a un changement de nature de la concurrence.



3 - La solidarité intraspécifique, la conscience systémique de la toile du vivant et le dépassement de la bestialité humaine.


En privilégiant la lutte pour la vie le penseur de l’évolution ne limite-il pas l’évolution de la conscience humaine ? Ne pourrait-on pas voir dans l’évolution une dialectique entre unité et différenciation du vivant et de la conscience ? Au lieu de parler de lutte pour la vie ne faudrait-il pas parler d’un élan pour la biodiversité et vers plus de conscience ? La lutte pour la vie sert aussi bien la biodiversité où la vie n’hésite pas à se nourrir de la vie que des logiques de solidarité de plus en plus conscientes au sein du vivant. Au final chaque être vivant, chaque espèce exprime un élan évolutif qui sert le vivant en entier : la lutte pour la vie sert une co-évolution qui ne met jamais en péril la vie elle-même puisqu’elle produit à chaque fois un écosystème où la vie trouve un nouvel équilibre.
L’homme en tant qu’omnivore intelligent est surement le prédateur le plus universel et le plus dangereux. Son ennemi le plus dangereux est sa propre bestialité. Par sa conscience de nature culturelle, le profit qu’il retire des échanges lui dicte de plus en plus de solidarités et à des échelles de plus en plus vastes : famille, clan, ethnie, civilisation, mondialisation... Et aujourd’hui au-delà de sa conscience humaine mondialisée il commence à prendre conscience qu’il doit devenir la conscience même du vivant et de son évolution. Ce processus d’évolution permettra-t-il à l’homme de surmonter à temps sa barbarie ?
Dans le cas de l’être humain, il s’est souvent avéré que les exclus d’hier sont devenus la pierre d’angle d’un bouleversement social. L’émulation économique n’est pas négative pour l’évolution mais quand elle exclut socialement, elle participe de la barbarie dont nous devons nous libérer. Ne devons-nous pas mettre en place de nouvelles solidarités en vue de favoriser de nouvelles évolutions ?



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Débat n°2 - Le sacrifice favorise-t-il les échanges ?


1 - Le sacrifice d’Abraham comme condition nécessaire de la mentalité ethnique.


Concevoir les échanges sous les auspices du gain économique individualiste est une conception relativement récente et qui n’aura peut-être qu’une durée de vie limitée. Il est intéressant d’analyser le sacrifice d’Abraham qui a tant inspiré la civilisation judéo-chrétienne.
Premièrement pour dépasser une conception clanique et bâtir une ethnie il faut que chaque famille soit prête à confier à la justice commune ses membres. Quand Abraham est soumis à l’épreuve du sacrifice de son fils, il y a vérification pour savoir si conscience s’est élevée à une conscience ethnique, si elle capable de le livrer à une justice transcendant son désir familial.
Il y aussi dans ce sacrifice d’Abraham un sacrifice de soi et de ses intérêts personnels au nom d’une foi en une conscience plus universelle.
Faire le bien consiste souvent à sacrifier ses penchants et ses intérêts les plus immédiats. Une conscience ethnique entraînera des guerres, les membres d’une ethnie seront-ils prêts à sacrifier leurs fils à la guerre pour assurer à leur ethnie un territoire pour se développer ?


2 - Le bouc émissaire et le souffre douleur innocent.


Toutefois le sacrifice d’Abraham est avant tout un esprit de sacrifice virtuel puisqu’il s’ensuit l’interdit de tout sacrifice humain au profit du divin. Le peuple juif déplace le sacrifice humain vers le sacrifice animal qui le symbolise. Les peuples grecs eux ont souvent utilisé le sacrifice humain pour souder leur population : près de Marseille régulièrement un esclave avait pendant un an tous ses désirs réalisés avant d’être précipité d’une falaise. Les juifs eux chargeront par exemple un bouc de tous les péchés et des violences latentes des uns contre les autres qui pourraient désintégrer leur peuple puis ils l’enverront périr dans le désert : ce sera le bouc émissaire.
Très souvent une société ou un groupe en difficulté cherchera un bouc émissaire humain. On connaît l’utilité des souffres-douleurs dans un groupe d’enfant pour souder le groupe. Bon nombre d’actes xénophobes s’enracinent à ce niveau. L’étranger sert d’explication à un malheur qui frape le groupe, il est considéré comme vecteur d’irruption du mal. Il est vrai que les maladies arrivent souvent par le biais des voyageurs...
Pour René Girard, Les Evangiles dénoncent précisément la logique du bouc émissaire. Jésus-Christ est un innocent victime de cette logique du bouc émissaire. Ses contemporains ne voient pas qu’ils font là un sacrifice humain interdit quand par exemple ils affirment qu’il vaut mieux qu’un seul meurt pour tout le peuple. Malheureusement les chrétiens eux-mêmes reproduiront souvent cette confusion en parlant de sacrifice pour les péchés du monde.



3 - Le sacrifice économique et le partage des richesses.



Cette perversion de l’esprit de sacrifice se retrouve bien sûr dans le champ économique. Au fond le message chrétien qui dénonce originellement tout sacrifice se pervertit en apologie du don de soi jusqu’à la frustration au profit de tous qui est en partie à la racine de l’éthique capitaliste. Il faut se donner soi-même au profit de l’enrichissement sans en jouir soi-même. Le libéralisme économique repose sur l’idée de générations sacrifiées au profit des suivantes. Le travail est vécu comme un sacrifice de soi et de ses intérêts. Mais un tel discours ne fera que servir les injustices sociales du capitalisme. Aujourd’hui pour sauver une entreprise et l’enrichir il faut inviter ses employés à se sacrifier : les soumettre à la flexibilité, les contraindre à plus de productivité et les licencier pour sauver quelques emplois locaux.
Jean-Pierre Dupuy reprend les analyses de René Girard pour en montrer la pertinence dans le domaine économique. Il faut constater que le respect des individus au sein de l’entreprise reste aujourd’hui encore une pétition de principe. Le don de soi ne peut pas être exigé par un autre que soi et surtout il est sans intérêt s’il n’est pas un moyen de s’individualiser davantage et d’être donc plus créateur.



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Débat n°3 - Des échanges sans violence peuvent-ils dynamiser le développement et l’évolution de la conscience.


1 - La nécessité des échanges sociaux pour le développement de la conscience humaine.


a - La dynamique mimétique.


Il y a une dizaine d’année en Inde on a retrouvé des enfants élevés par des loups en Inde. Le cas de Victor de l’Aveyron fût relaté par Malson dans son livre sur Les enfants sauvages. On y gagne la certitude qu’un enfant pour devenir pleinement humain doit avoir dans sa petite enfance des relations affectives avec des adultes humains. L’absence de relations affectives conduit d’ailleurs l’enfant à dépérir voire à mourir alors que pourtant sa subsistance est assurée comme les expériences d’isolement de nouveaux nés ordonnées par Frédéric II de Prusse l’ont prouvé.

L’être humain peut seul développer une conscience conceptuelle réfléchie mais son potentiel inné devra être porté au jour grâce à des acquis. Le cerveau humain est prédisposé au langage mais sa prédisposition au langage s’épanouira au sein d’une relation d’attachement établie dans une langue.
L’enfant voit donc sa conscience se développer grâce à ses imitations de ceux auxquels il s’attache : la prise de conscience de soi-même consistera-t-il pas à prendre le point de vue des autres sur lui vu de l’extérieur ?


b - La dynamique de la reconnaissance : la concurrence mimétique, l’opposition et la contrainte.

Mais l’enfant n’est-il pas condamner à entrer en concurrence mimétique avec les autres ? Si le mimétisme prédomine, il désirera inévitablement des objets qu’un autre désire. Le complexe d’Œdipe par exemple consiste à désirer à l’image du parent du même sexe le parent du sexe opposé. Mais on peut généraliser ce trio à d’autres situations.
Henri Wallon évoque dans le développement de l’enfant un stade d’opposition. On peut y voir encore un effet de la concurrence mimétique. Dire non revient à s’affirmer. L’enfant voit bien que ses parents en lui refusant tel ou tel désir marque l’affirmation de leur personne. Ainsi il dira « non » même si contrairement à ses parents son « non » sera déconnecté d’une exigence légitime. Ce non d’opposition vise à s’affirmer soi. Le oui revient à imiter l’autre sans s’affirmer. Le « non » est paradoxalement un refus de se ranger aux attentes de l’autre pour mieux imiter son affirmation de soi.

Mais pour obtenir la reconnaissance de l’autre cette opposition n’est pas la meilleure voie. L’affirmation de soi sera mieux perçue par l’autre dès lors qu’on satisfera à ses contraintes. L’imitation concurrentielle pour la reconnaissance passe de l’opposition au respect des contraintes : on reconnaît ici la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel. Au sein de la lutte pour la reconnaissance l’affirmation de soi l’emporte (le maître = l’opposition) mais le vaincu doit subir la contrainte (l’esclave). Très rapidement celui qui subit la contrainte reçoit la reconnaissance et entraîne l’affirmation négative d’opposition à sa suite.


c - La dynamique individualisante.


Mais pourrait-on éviter ces conflits éducatifs liés à la reconnaissance ? Ne pourrait-on pas au moins les amoindrir ? Celui qui s’oppose pour s’affirmer n’affirme que sa réaction, la reconnaissance qu’il obtient n’a rien d’une individualisation. Celui qui applique les contraintes pour obtenir la reconnaissance ne s’individualise guère plus, il s’imprègne d’une conscience collective la plupart du temps grégaire.
S’il y a dans la nature une dynamique individualisante, le mimétisme et les conflits qu’il génère ne seront pas fondamentaux. On pourrait envisager d’aider l’enfant à développer dès le commencement sa propre individualité et non de le faire entrer dans un moule social où les désirs et les contraintes qui s’y opposent sont imposés.


2 - Le dialogue interculturel


a - guerre et échange dialectique.


Hegel voit dans la guerre et les conflits une forme d’échanges dynamiques. Il est vrai que pour vaincre l’adversaire il faut le comprendre et assimiler sa vision du monde la plupart du temps. Vaincre l’autre exige de créer une synthèse entre son point de vue et le nôtre qui offrira les moyens d’emporter une victoire à notre profit. Sans les croisades au Moyen-âge peut-être n’aurions-nous pas connu le renouveau intellectuel du XIIIe siècle en Europe occidentale.


b - concurrence économique et mondialisation de l’humanisme.


Toutefois nous voici à une époque où la guerre peut conduire à la destruction de l’humanité. Si le conflit est le moteur de l’histoire il est nécessaire de savoir en réduire les risques et d’en limiter la violence. L’économie peut être considérée de ce point de vue comme un mode de conflit qui ne menace pas l’avenir de la planète et de l’humanité de manière inhérente comme c’est le cas pour la guerre. S’enrichir nécessite des clients et en un sens nos adversaires économiques d’aujourd’hui seront les clients de demain.
Par ailleurs l’économie qui se développe autour d’un réseau technoscientifique qui relient les hommes rend chaque être humain sensible à ce qui arrive à tel autre là-bas. La conscience culturelle mondialisée deviendra forcément humaniste : nous serons de plus en plus concernés par tout destin humain. Accepter qu’un ouvrier chinois gagne moins d’un euro par jour vient à accepter qu’ici certains perdent leur emploi par cause de délocalisation. L’humanisme n’a alors rien d’un idéal abstrait !


c - Choc des cultures et dialogue spirituel des civilisations.


Mais derrière notre regard universel technoscientifique et économique qui relie les hommes, ne sommes-nous pas en train de confondre humanisme et valeurs occidentales imposées au monde ? Claude Lévi-Strauss montre l’ambiguïté de tout discours droit de l’hommiste à ce propos.
Mais si l’uniformisation des cultures est toujours une forme de colonisation, faut-il en résumer la mondialisation à l’idée d’un simple choc des civilisations où chacune tenterait de s’imposer à l’autre ?
Dans un dialogue authentique il s’agit d’admettre que personne ne dispose de la synthèse définitive à partir de laquelle on verra en quoi toutes les cultures participent d’une unique vérité qui s’individualiserait en chacune.




3 - Conclusion :

Les conflits peuvent dynamiser notre histoire personnelle et sociale. Mais il se pourrait bien que cette dynamisation ne soit qu’une étape au sein d’un échange de plus en plus conscient d’être au service d’une individualisation de la conscience.


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