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I. INTRODUCTION PROBLÉMATIQUE.
Plusieurs interprétations de la question « Y a-t-il une vérité en dehors de l’expérience » sont possibles.
Tout d’abord on peut comprendre qu’elle met en jeu un débat entre ceux
qui pensent que la vérité existe en dehors de l’expérience sensible
simplement matérielle et ceux qui pensent qu’elle est le produit
conscient du vécu toujours relatif au vécu matériel. Ainsi ce débat
confrontent ceux qu’on appelle les rationalistes idéalistes avec ceux
qu’on appelle les empiristes.
Mais qui nous dit que notre raisonnement n’est pas une expérience comme
le sont les expériences sensibles ? La vérité n’est-elle pas
nécessairement inaccessible à notre expérience de conscience réflexive
et sensible ? Ceci est la thèse sceptique. Mais si notre conscience
réflexive conceptuelle, c’est-à-dire notre conscience mentale n’est
qu’une étape dans l’évolution comme l’a été une conscience
sensorimotrice puis une conscience émotionnelle, une vérité de
l’évolution créatrice à la fois en dedans et en dehors de l’expérience
de notre conscience n’est-elle pas envisageable ?
II. S’il n’y a pas de vérité en dehors de l’expérience, nos vérités resteront toujours des inductions partielles et relatives à l’expérience.
Selon les empiristes tout est construit, en devenir, rien n’est donné. Héraclite disait : « Nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve ».
C’est-à-dire que l’eau n’y est jamais la même. Nous identifions sous le
même nom deux événements, deux situations qui n’ont que des
ressemblances. Nos vérités intellectuelles ne sont que des analogies,
des métaphores, etc.
A sa suite nous pouvons rejeter toute loi matérielle permanente et
plus encore tout idée éternelle qui dirigerait l’espace temps matériel.
Hume lorsqu’il affirme que notre idée de causalité est une induction à
partir de l’enchaînement habituel de ce qui apparaît dans notre
conscience mais que nous nous trompons en induisant à partir de là
l’idée qu’il y a des causes et des effets qui se suivent nécessairement.
Hume prend l’exemple de la succession habituelle du coucher et du lever
de soleil à partir de laquelle on suppose que demain le soleil se
lèvera. Pour Hume, si à partir de cette succession habituelle on affirme
que le soleil se lèvera nécessairement on se trompe.
Nos vérités tirées de l’induction restent donc partielles et
relatives puisque rien dans l’expérience des choses ne semblent garantir
des lois fixes. S’il y avait une vérité il faudrait qu’elle soit en
dehors de l’expérience spatio-temporelle.
III. Il y a des entités logiques a priori en dehors de l’expérience sensible qui permettent des déductions de phénomènes empiriques.
Toutefois notre expérience n’est pas que sensible et donc
spatio-temporelle fluctuante, notre conscience manifeste une expérience
intelligible pure. Le mathématicien découvre en son esprit des
certitudes logiques. Même s’il n’y pas qu’une seule logique
contrairement à ce que pensaient Kant ou Aristote, il n’en reste pas
moins que le mathématicien s’installant et raisonnant au sein de telles
logiques n’a pas affaire à des inductions mais à des déductions. Dans sa
conscience il découvre des énoncés certains qui découlent
obligatoirement d’autres énoncés. Il a l’impression qu’en fouillant sa
conscience il découvre une réalité intelligible non inductive et non
dépendante des fluctuations de l’espace et du temps. Il découvre un
monde intelligible a priori face au monde sensible a posteriori. Enfin et surtout il découvre que ce qu’il perçoit semble se structurer étonnamment suivant les catégories logiques a priori
qu’il emploie et qu’il peut faire des déductions à propos du monde
sensible lui-même. Il n’y a pas qu’une seule mathématisation du monde,
il y a plusieurs logiques de mathématisation du monde et chacune semble
étonnamment prédictive dans sa zone de pertinence. La relativité
généralisée a permis de déduire des phénomènes astronomiques comme les
trous noirs avant même qu’on les perçoive avec de nouveaux instruments.
Or elle est fondée sur un regard extérieur aux quatre dimensions formées
par l’espace et le temps. Mais la mécanique quantique qui met en jeu un
tout autre genre de mathématisation a les mêmes pouvoirs déductifs :
elle a permis d’annoncer l’intrication de phénomènes particulaires par
delà des relations dans le temps et dans l’espace. Deux électrons mis en
contact puis séparés semblent se comporter l’un en fonction de l’autre
alors qu’il ne s’envoient pas de message et qu’ils sont à des distances
considérables. Nous sommes donc en présence d’une dimension non
empirique de notre conscience qui pointe des réalités logiques variées
en dehors de l’espace et du temps mais qui semblent interagir pour
former notre espace-temps.
IV. L’affirmation d’une Réalité consciente surmentale émergent en dehors de l’expérience usuelle.
A vrai dire notre connaissance loin de sombrer dans le scepticisme
allie de plus en plus les données empiriques diverses et les données
logiques plurielles dans une vision globale même si elle demeure
incomplète. Cette vision globale est celle de l’évolution. On peut la
concevoir comme une émergence de complexités matérielles, de systèmes
d’auto-organisations physico-chimiques, grâce à un jeu de hasards et de
nécessité de la matière espace-temps. Une particule isolée ne peut pas
produire autre chose qu’elle-même mais assemblées des particules forment
des atomes de diverses natures ou elles forment des étoiles, ces atomes
assemblés forment des planètes et des molécules, ces molécules
assemblées dans certains environnements forment des systèmes vivants
dont l’unité cellulaire est le système d’auto-organisation qui permet
l’émergence d’une conscience sensorimotrice, émotionnelle et mentale.
L’évolution même si elle est le simple fruit du hasard et de la
nécessité, montrent une série d’émergences de formes nouvelles et de
lois nouvelles qui la caractérisent. L’évolution même en la regardant
d’un point de vue matérialiste montre l’émergence de nouvelles réalités.
La vérité n’est donc pas dans nos seules expériences habituelles qu’elles soient intelligibles ou sensibles.
Nos inspirations intellectuelles, nos découvertes de nouvelles
logiques d’appréhension du réel peuvent être interprétées comme des
évolutions cérébrales, comme des évolutions de notre conscience mentale
vers une conscience qu’on dirait presque surmentale. Car chaque
émergence change la nature même des éléments de base qui la constituent.
Chaque émergence fait surgir un tout aux propriétés nouvelles par
rapport à la simple somme de ses parties. Dans le cas de la conscience
mentale, on a affaire à une organisation plus complexe que tout ce qui
précède dans l’évolution : un cerveau humain a plus de connexions
neuronales qu’il n’y a d’atomes dans l’univers. Ce qui émerge comme un
tout biologique mental a donc la faculté de prendre de plus en plus
conscience de l’univers qui l’entoure. La conscience mentale est forme
de conscience du tout de l’univers matériel dans une de ses parties
auto-organisées. L’univers semble prendre conscience de plus en plus
conscience de lui-même de façon individualisée dans une de ses parties
quand un être humain esquisse comme une évolution surmentale de sa
conscience.
L’être humain peut devenir ainsi le premier système matériel
autoorganisé à être conscient de l’évolution de sa conscience même au
sein de l’évolution de l’univers.
V. CONCLUSION-OUVERTURE.
a- conclusion.
Si on admet que l’expérience qu’elle soit sensible ou intelligible
met en jeu l’évolution humaine comme partie de l’évolution de l’univers,
la vérité n’est pas seulement dans l’expérience usuelle sensible ou
intelligible. De nouvelles réalités intelligibles émergent à travers
l’homme qui sont aussi de nouvelles réorganisations des réalités
sensibles. La technologie humaine en est un parfait exemple puisque de
nouvelles idées impliquent de nouvelles relations à notre matérialité.
Mais cette interprétation de l’évolution qui fait de la conscience une
orée fragile dans la masse inconsciente de la matière rend-t-elle compte
de la réalité toute entière ? D’où émerge ce quelque chose qui n’était
pas là primitivement ? Ne faut-il pas supposer au moins un élan
d’émergence ? Bergson parle lui d’un « élan vital » mais n’est-ce pas
enfermer la source de l’évolution dans la dépendance d’une de ses
émergences passées ?
b - ouverture.
Héraclite n’avait pas assez vu que l’instabilité du fleuve du hasard
était bordée de nécessités plus ou moins contraignantes et changeantes
suivant la stabilité de ses berges et donc plus largement de son lit.
Mais surtout comment le fleuve du hasard pourrait-il ajouter de
nouvelles dimensions au lit dans lequel il s’écoule ? Si rien ne se
crée, rien ne se perd mais tout se transforme, ces dimensions ne se
tiennent pas quelque part prêtes à se manifester dans la matière ? Où se
cacheraient-elles alors sinon dans quelques dimensions immatérielles de
la matière ? Peut-on en prendre conscience ? Nous deviendrions alors la
conscience même de l’élan d’émergence de ces nouvelles dimensions
possibles de la matière. Nous ne serions plus seulement pour les
meilleurs d’entre nous des découvreurs inspirés de vérité aux marges de
l’expérience usuelle, certains commenceraient à incarner matériellement
la Réalité absolue consciente d’elle-même dans sa manifestation
matérielle d’elle-même ainsi que dans ses dimensions non manifestées
matériellement. Cet état de conscience est celui que sri Aurobindo appelle
supramental c’est-à-dire au-delà du mental et de ses extensions
surmentales. Nous ne ferions plus l’expérience de la vérité nous serions
une conscience inhérente à la Réalité absolue qui est tout en tout.
L’univers serait bien alors comme le dit Bergson « une machine à faire
des dieux ». Mais ce que voit sri Aurobindo et que n’envisage pas Bergson
est que si cette hypothèse est juste, il y a déjà forcément en nous une
goutte de notre propre divinité encore involuée dans notre individualité
même...
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