vendredi 24 octobre 2014

Y A-T-IL UNE VÉRITÉ EN DEHORS DE L’EXPÉRIENCE ? version abrégée

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I. INTRODUCTION PROBLÉMATIQUE.


Plusieurs interprétations de la question « Y a-t-il une vérité en dehors de l’expérience » sont possibles.
Tout d’abord on peut comprendre qu’elle met en jeu un débat entre ceux qui pensent que la vérité existe en dehors de l’expérience sensible simplement matérielle et ceux qui pensent qu’elle est le produit conscient du vécu toujours relatif au vécu matériel. Ainsi ce débat confrontent ceux qu’on appelle les rationalistes idéalistes avec ceux qu’on appelle les empiristes.
Mais qui nous dit que notre raisonnement n’est pas une expérience comme le sont les expériences sensibles ? La vérité n’est-elle pas nécessairement inaccessible à notre expérience de conscience réflexive et sensible ? Ceci est la thèse sceptique. Mais si notre conscience réflexive conceptuelle, c’est-à-dire notre conscience mentale n’est qu’une étape dans l’évolution comme l’a été une conscience sensorimotrice puis une conscience émotionnelle, une vérité de l’évolution créatrice à la fois en dedans et en dehors de l’expérience de notre conscience n’est-elle pas envisageable ?

II. S’il n’y a pas de vérité en dehors de l’expérience, nos vérités resteront toujours des inductions partielles et relatives à l’expérience.


Selon les empiristes tout est construit, en devenir, rien n’est donné. Héraclite disait : « Nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve ». C’est-à-dire que l’eau n’y est jamais la même. Nous identifions sous le même nom deux événements, deux situations qui n’ont que des ressemblances. Nos vérités intellectuelles ne sont que des analogies, des métaphores, etc.
A sa suite nous pouvons rejeter toute loi matérielle permanente et plus encore tout idée éternelle qui dirigerait l’espace temps matériel. Hume lorsqu’il affirme que notre idée de causalité est une induction à partir de l’enchaînement habituel de ce qui apparaît dans notre conscience mais que nous nous trompons en induisant à partir de là l’idée qu’il y a des causes et des effets qui se suivent nécessairement. Hume prend l’exemple de la succession habituelle du coucher et du lever de soleil à partir de laquelle on suppose que demain le soleil se lèvera. Pour Hume, si à partir de cette succession habituelle on affirme que le soleil se lèvera nécessairement on se trompe.
Nos vérités tirées de l’induction restent donc partielles et relatives puisque rien dans l’expérience des choses ne semblent garantir des lois fixes. S’il y avait une vérité il faudrait qu’elle soit en dehors de l’expérience spatio-temporelle.

III. Il y a des entités logiques a priori en dehors de l’expérience sensible qui permettent des déductions de phénomènes empiriques.


Toutefois notre expérience n’est pas que sensible et donc spatio-temporelle fluctuante, notre conscience manifeste une expérience intelligible pure. Le mathématicien découvre en son esprit des certitudes logiques. Même s’il n’y pas qu’une seule logique contrairement à ce que pensaient Kant ou Aristote, il n’en reste pas moins que le mathématicien s’installant et raisonnant au sein de telles logiques n’a pas affaire à des inductions mais à des déductions. Dans sa conscience il découvre des énoncés certains qui découlent obligatoirement d’autres énoncés. Il a l’impression qu’en fouillant sa conscience il découvre une réalité intelligible non inductive et non dépendante des fluctuations de l’espace et du temps. Il découvre un monde intelligible a priori face au monde sensible a posteriori. Enfin et surtout il découvre que ce qu’il perçoit semble se structurer étonnamment suivant les catégories logiques a priori qu’il emploie et qu’il peut faire des déductions à propos du monde sensible lui-même. Il n’y a pas qu’une seule mathématisation du monde, il y a plusieurs logiques de mathématisation du monde et chacune semble étonnamment prédictive dans sa zone de pertinence. La relativité généralisée a permis de déduire des phénomènes astronomiques comme les trous noirs avant même qu’on les perçoive avec de nouveaux instruments. Or elle est fondée sur un regard extérieur aux quatre dimensions formées par l’espace et le temps. Mais la mécanique quantique qui met en jeu un tout autre genre de mathématisation a les mêmes pouvoirs déductifs : elle a permis d’annoncer l’intrication de phénomènes particulaires par delà des relations dans le temps et dans l’espace. Deux électrons mis en contact puis séparés semblent se comporter l’un en fonction de l’autre alors qu’il ne s’envoient pas de message et qu’ils sont à des distances considérables. Nous sommes donc en présence d’une dimension non empirique de notre conscience qui pointe des réalités logiques variées en dehors de l’espace et du temps mais qui semblent interagir pour former notre espace-temps.

IV. L’affirmation d’une Réalité consciente surmentale émergent en dehors de l’expérience usuelle.


A vrai dire notre connaissance loin de sombrer dans le scepticisme allie de plus en plus les données empiriques diverses et les données logiques plurielles dans une vision globale même si elle demeure incomplète. Cette vision globale est celle de l’évolution. On peut la concevoir comme une émergence de complexités matérielles, de systèmes d’auto-organisations physico-chimiques, grâce à un jeu de hasards et de nécessité de la matière espace-temps. Une particule isolée ne peut pas produire autre chose qu’elle-même mais assemblées des particules forment des atomes de diverses natures ou elles forment des étoiles, ces atomes assemblés forment des planètes et des molécules, ces molécules assemblées dans certains environnements forment des systèmes vivants dont l’unité cellulaire est le système d’auto-organisation qui permet l’émergence d’une conscience sensorimotrice, émotionnelle et mentale. L’évolution même si elle est le simple fruit du hasard et de la nécessité, montrent une série d’émergences de formes nouvelles et de lois nouvelles qui la caractérisent. L’évolution même en la regardant d’un point de vue matérialiste montre l’émergence de nouvelles réalités.
La vérité n’est donc pas dans nos seules expériences habituelles qu’elles soient intelligibles ou sensibles.
Nos inspirations intellectuelles, nos découvertes de nouvelles logiques d’appréhension du réel peuvent être interprétées comme des évolutions cérébrales, comme des évolutions de notre conscience mentale vers une conscience qu’on dirait presque surmentale. Car chaque émergence change la nature même des éléments de base qui la constituent. Chaque émergence fait surgir un tout aux propriétés nouvelles par rapport à la simple somme de ses parties. Dans le cas de la conscience mentale, on a affaire à une organisation plus complexe que tout ce qui précède dans l’évolution : un cerveau humain a plus de connexions neuronales qu’il n’y a d’atomes dans l’univers. Ce qui émerge comme un tout biologique mental a donc la faculté de prendre de plus en plus conscience de l’univers qui l’entoure. La conscience mentale est forme de conscience du tout de l’univers matériel dans une de ses parties auto-organisées. L’univers semble prendre conscience de plus en plus conscience de lui-même de façon individualisée dans une de ses parties quand un être humain esquisse comme une évolution surmentale de sa conscience.
L’être humain peut devenir ainsi le premier système matériel autoorganisé à être conscient de l’évolution de sa conscience même au sein de l’évolution de l’univers.

V. CONCLUSION-OUVERTURE.


a- conclusion.

Si on admet que l’expérience qu’elle soit sensible ou intelligible met en jeu l’évolution humaine comme partie de l’évolution de l’univers, la vérité n’est pas seulement dans l’expérience usuelle sensible ou intelligible. De nouvelles réalités intelligibles émergent à travers l’homme qui sont aussi de nouvelles réorganisations des réalités sensibles. La technologie humaine en est un parfait exemple puisque de nouvelles idées impliquent de nouvelles relations à notre matérialité. Mais cette interprétation de l’évolution qui fait de la conscience une orée fragile dans la masse inconsciente de la matière rend-t-elle compte de la réalité toute entière ? D’où émerge ce quelque chose qui n’était pas là primitivement ? Ne faut-il pas supposer au moins un élan d’émergence ? Bergson parle lui d’un « élan vital » mais n’est-ce pas enfermer la source de l’évolution dans la dépendance d’une de ses émergences passées ?

b - ouverture.

Héraclite n’avait pas assez vu que l’instabilité du fleuve du hasard était bordée de nécessités plus ou moins contraignantes et changeantes suivant la stabilité de ses berges et donc plus largement de son lit. Mais surtout comment le fleuve du hasard pourrait-il ajouter de nouvelles dimensions au lit dans lequel il s’écoule ? Si rien ne se crée, rien ne se perd mais tout se transforme, ces dimensions ne se tiennent pas quelque part prêtes à se manifester dans la matière ? Où se cacheraient-elles alors sinon dans quelques dimensions immatérielles de la matière ? Peut-on en prendre conscience ? Nous deviendrions alors la conscience même de l’élan d’émergence de ces nouvelles dimensions possibles de la matière. Nous ne serions plus seulement pour les meilleurs d’entre nous des découvreurs inspirés de vérité aux marges de l’expérience usuelle, certains commenceraient à incarner matériellement la Réalité absolue consciente d’elle-même dans sa manifestation matérielle d’elle-même ainsi que dans ses dimensions non manifestées matériellement. Cet état de conscience est celui que sri Aurobindo appelle supramental c’est-à-dire au-delà du mental et de ses extensions surmentales. Nous ne ferions plus l’expérience de la vérité nous serions une conscience inhérente à la Réalité absolue qui est tout en tout. L’univers serait bien alors comme le dit Bergson « une machine à faire des dieux ». Mais ce que voit sri Aurobindo et que n’envisage pas Bergson est que si cette hypothèse est juste, il y a déjà forcément en nous une goutte de notre propre divinité encore involuée dans notre individualité même...

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