vendredi 24 octobre 2014

La religion nourrit-elle l’amour ?



La religion nourrit-elle l’amour ?


Introduction


Accroche :
Les religions ont été souvent un facteur de guerre civile, d’oppression et en même temps elles ont souvent contribué à poser les bases de rapports sociaux plus équitables.

Citer le sujet :
On peut donc se demander si la religion nourrit l’amour.

Analyse problématique :
L’étymologie du terme religion renvoie au terme latin re-ligare, c’est-à-dire la religion qui relie des Hommes. Dans cette optique, la religion semble nourrir un amour mutuel, fraternel au sein d’une communauté de croyants mais on peut se demander si cet amour mutuel n’est pas limité à une préférence communautaire. Par ailleurs, une préférence communautaire met en valeur un collectif et pas forcément l’épanouissement individuel.
Il y a une seconde étymologie du mot religion, qui pose un autre ensemble de questions. Elle se réfère au terme latin re-ligere qui signifie se recueillir, la religion est alors aussi comprise comme une exploration de soi-même.
Cette deuxième approche va souligner l’importance d’un amour pour l’absolu. Toutefois cette approche n’a-t-elle pas des limites ? L’amour de l’absolu n’est-il pas abstrait ? L’amour de l’absolu ne mène-t-il pas à négliger l’amour pour l’humanité ? Cet amour qui va de soi à l’absolu, n’est-il pas d’abord la recherche d’un amour personnel, subtilement égocentrique ?
Ces deux étymologies nous amènent à une tension au sein même de la religion et de son rapport à l’amour. Souvent la communauté religieuse se méfie de l’amour spirituel individuel ; réciproquement l’amour spirituel prend souvent des distances avec une communauté jugée tiède devenue une religion de routine interdisant à l’individu de voir au-delà du collectif.

Annonce du plan :

I) Dans un premier temps, on se demandera si l’amour religieux n’est pas préférentiel et conditionnel au point qu’il faille s’en détacher en devenant athée ou agnostique.

II) Dans un deuxième temps, on essaiera de voir si la religion ne propose pas toujours un amour infantilisant même si elle nous ouvre une voie d’innocence comme un enfant aime sans arrière-pensée.

III) Au final, on peut se demander si ce n’est pas plutôt l’expérience de l’amour pur qui a généré l’expérience religieuse. On pourra donc se demander si l’expérience de l’amour pur peut se passer de la religiosité.

I - La religion est-elle vraiment un facteur de communion ?


I°) A) La contribution des religions à l’élargissement des vues humaines sur la communion est-elle œuvre d’amour ?

La religion répond au désir de communion humaine, de fraternité. Les grandes religions ont été les premières à considérer l’universalisme, à dépasser races, peuples, ethnies, familles en élargissant le regard humain. On peut aisément mettre en valeur le lien entre morale et espérance religieuse. Cependant dans ce mouvement d’élargissement des communautés humaines auquel les religions ont contribué, il y a eu de nombreux conflits, des guerres, etc. La constitution de communion humaine de plus en plus universaliste suppose à un moment donné une renonciation au monopole religieux. Il n’y a pas d’amour sans une tolérance religieuse. Qui mieux qu’un agnostique peut exercer cette tolérance ?

I°) B) Les illusions idéologiques de la communion religieuse ne sont-elles pas inévitables ?

Toutefois on objecte que celui qui ne croit à rien ne serait pas capable de tenir ses promesses bases d’une réelle fraternité. Les religions semblent offrir un socle solide pour bâtir de la fraternité.
Mais ces communions humaines fondées sur la religion ne sont-elles pas souvent des illusions même si il y a une fraternité ? Par exemple, comme Marx et Engels nous l’expliquent, une religion est porteuse d’une idéologie qui permet de justifier les classes sociales. L’idéologie est une illusion à laquelle les personnes croient. Par exemple la religion chrétienne affirme qu’il sera plus dur à un riche d’entrer au paradis qu’à un chameau de passer au travers du chat d’une aiguille. Ici la religion justifie l’ordre social terrestre : le pauvre a plus de chance de gagner le paradis, idée qui l’aide à accepter son sort social, le riche a peu de chance d’aller au paradis, idée qui justifie sa richesse ici-bas vis-à-vis du pauvre. Cet amour en tant que communion religieuse est donc largement conditionnel et il justifie des conditions sociales le plus souvent discutables. Seule la science ne succomberait pas à l’idéologie : elle seule peut nous faire passer des intérêts égocentriques ou sociaux à des intérêts universels. L’intérêt universel n’est-il pas le désintéressement qui caractérise un amour fraternel authentique ?


I°) C) Transition critique : une politique athée peut-elle mieux nous émanciper qu’une autre ?
Cependant le marxisme lui-même n’a pas échappé à la logique de domination et le communisme a pu être considéré comme une forme de religion athée avec ses dogmes, ses hérésies, ses anathèmes, ses schismes, ses persécutions, etc. L’universalisme lorsqu’il veut être imposé par une dictature particularise ses intérêts et perd tout désintéressement au bien d’autrui. Si on veut échapper à des logiques de domination communautaire, il faudrait penser vraiment une absence de hiérarchie. Une science sociologique sans préjugés est-elle possible ? Pour vraiment instiller une égale dignité de chacun ne faut-il pas valoriser une singularité individuelle qui échappe à toute science. Mais la religion peut-elle mieux prendre en compte cet idéal ?
Seul l’anarchisme semble donner une solution à la critique idéologique. L’amour, s’il est à la fois collectif et individuel, conduit à un système anarchiste sans hiérarchie. L’idéal politique est de trouver une harmonie entre l’épanouissement individuel et la solidarité collective.
Dans une communion, l’individu est connecté à un élan créateur qui l’épanouit individuellement tout en suscitant une harmonie collective. Cette notion de communion a des origines religieuses. Des anarchistes mystiques en Russie ou un spiritualisme de gauche avec Jaurès ou Pierre Leroux, qui a ses sources chez Rousseau en France, ont uni une réflexion sur la communion humaine émancipée des logiques de domination à une recherche spirituelle.

II - L’amour religieux devenu tolérant est-il infantilisant ?


II°) A) La communion ouverte grâce à la charité capable de tolérance.
Rousseau a le premier construit en ce sens une pensée de la volonté générale. Pour le comprendre lui qui fût par ailleurs un théoricien de la musique, on peut prendre comme modèle de la politique celui de l’harmonie musicale : chaque voix musicale y a une autonomie par un ton qui lui est propre. Une volonté générale est possible qui intègre l’expression créatrice de chacun. Il faut donc apprendre à aimer les autres en tant qu’ils sont source d’altérité créatrice.
Pour Spinoza, la charité qui est produite par les religions doit permettre à des gens de vivre harmonieusement avec des gens qui ont d’autres religions. Retour ligne automatique
Il défend le fait d’admettre la pluralité des religions parce qu’il y a une pluralité d’imagination, cette pluralité peut être harmonieuse si l’imagination est au service de la charité. Spinoza n’envisage pas d’ailleurs qu’il n’y ait qu’un seul système rationnel qui soit vrai, puisqu’il y a un progrès des connaissances rationnelles en science.

II°) B) la foi tolérante du sceptique base de la charité non idéologique.
Une autre façon d’encourager la création d’une communauté ouverte sans aller vers les excès du rationalisme est de mettre en valeur un moment sceptique dans tout engagement réfléchi authentique.
Il y a, par exemple, un scepticisme chrétien où l’acte de foi ne peut pas devenir fanatique dans la mesure où il est conscient que ses formulations en termes de croyance ne peuvent pas être certaines. L’acte de foi est un acte de confiance en la vie qui prend forcément des formes traditionnelles ou communautaire mais qui peut ne pas être fanatique en intégrant ce moment sceptique qui relativise ces dimensions traditionnelles et communautaire de la foi. 
On peut penser que sous certaines conditions la religion corrigée au niveau de son caractère idéologique et de ses tendances fanatiques peut contribuer à une communauté harmonieuse ouverte. Autrement dit, les religions peuvent contribuer à une communauté aimante.

II°) C) Infantilisation religieuse de l’amour ?
Mais Freud nous invite à soupçonner l’amour d’être souvent infantilisant. La religion reproduit souvent l’amour pour le Père. Cet amour pour le Père est ambigu car il est rendu confus par la crainte. La religion n’est pas tant au service de l’amour que de la morale, elle renforce l’instance du surmoi qui est l’intériorisation psychique des interdits parentaux et sociaux. 
Romain Rolland objecta à Freud que les émotions religieuses peuvent être liées à une expérience mystique qui relativise la morale.
L’expérience d’un sentiment océanique où la séparation entre le moi et l’univers cesse n’est pas fondée sur la crainte et la culpabilité. La dimension spirituelle du religieux développerait un amour qui relie au tout, au divin comme une vague prendrait conscience de son union intime avec l’océan.
Freud rétorquera que ce sentiment océanique est certes une forme d’amour mais au sens régressif. Il fait l’hypothèse que cet amour mystique est lié à une nostalgie du temps où fœtus nous ne faisions qu’un psychologiquement et physiologiquement avec notre mère voire à nostalgie du temps où n’étions encore que matière inconsciente.
Dans les pratiques religieuses, certains rituels répétitifs viseraient inconsciemment à rappeler la vie fœtale. Par exemple, l’immersion totale du baptême dans l’eau n’est pas sans rappeler un retour au ventre maternel pour une seconde naissance. Ou encore Freud esquisse avec son Principe Nirvana l’idée qu’en nous l’amour est aussi un amour de la non vie. Il se cache derrière la religion l’idée d’un retour à la tranquillité qui précédait notre naissance grâce au passage de la mort.
L’amour mystique n’est donc souvent qu’un amour fusionnel contraire à la maturation psychique. Les communautés religieuses dans leurs pratiques spirituelles visent une forme d’amour fusionnel plus facile à obtenir qu’un amour exercé par un ego rationnel. 
On pourrait voir la spiritualité comme une manière de créer une harmonie entre un individu et un collectif mais en gommant l’ego individuel ; il est vrai que l’égocentrisme compris comme conscience centrée sur son ego semble un obstacle à l’amour. Freud cependant nous désillusionne, la religion et les spiritualités religieuses pour évacuer ce problème de l’ego centré sur soi utilisent des régressions psychologiques.

III - L’amour créateur qui par le passé a engendré les religions pourrait-il les rendre obsolètes ?


III°) A) L’amour créateur est la source d’une expérience spirituelle non fusionnelle.
Ce n’est pas la religion qui nourrit l’amour mais l’amour qui nourrit le phénomène religieux.
Quand l’amour est infantilisant, il est un amour fusionnel mais il n’est pas inconditionnel ou non préférentiel. L’amour fusionnel est produit d’une démarche régressive au plan psychologique, il semble que les spiritualités religieuses ne nous parlent pas seulement en ce sens de l’amour.
Si on considère que l’amour est la source de ce qui est ou sa première manifestation alors cette dimension créatrice de l’amour en expliquera la dimension inconditionnelle et non préférentielle. Ce que Freud dénonce justement serait en fait des formes de perversion d’un élan qui à l’origine serait une impulsion créatrice, un amour pur qui pousse à la différenciation, à l’individualisation tout en n’excluant pas la communion. Si on valorise l’amour dans sa dimension créatrice comme impulsion évolutive alors l’expérience spirituelle authentique doit être envisagée comme un dépassement de l’égo simplement centré sur soi et de la raison mais non pas comme une régression en deçà. 
La réduction de Freud de tout amour spirituel à une fusion ou à une nostalgie de ce qui précède la vie est abusive. On peut opposer des expériences spirituelles de non dualité à des expériences spirituelles fusionnelles. La non dualité ici est ainsi celle qui existe forcément fondamentalement entre l’individu et la marche évolutive de l’univers s’il n’est plus centré sur ses seuls intérêts personnels ou collectifs pour devenir conscience individualisée de l’élan créateur. Cette expérience est celle de l’intuition créatrice. Elle intervient quand on aime un enfant pour l’aider à surmonter telle difficulté ; elle surgit dans tel acte de notre travail ; elle est la nouvelle vision qui résout tel problème scientifique ; elle est l’éclair qui inspire l’œuvre artistique qui traduit un nouveau point de vue sur notre vie intérieure ; enfin elle est ce qui illumine chez un sage ou un saint une nouvelle manière d’intensifier notre communion collective en la liant davantage à l’élan créateur. Les religions même si elles sont issues d’intuition créatrice sont souvent réticentes à cette réalité créatrice manifestée par les saints, les sages car elles craignent au fond cet élan d’où surgit leurs renouvellements, leurs réformes, leurs schismes, etc. 
Pour expliquer plus amplement le propre des expériences de non dualité, on peut prendre l’expérience de la beauté qui, avec Kant, n’est pas réductible à une préférence personnelle. La beauté n’est pas une préférence personnelle satisfaite qui produit l’agréable. Comme Schopenhauer l’a indiqué, dans l’expérience de beauté, il y a un état de conscience qui enveloppe et unit le sujet avec l’objet qui y provoque la beauté. Mais comme Schopenhauer l’admet, le sujet n’a pas entièrement disparu, seule sa dimension égocentrique et ses préférences se sont éclipsées momentanément. En effet toute sa sensibilité personnelle est requise par la beauté. La beauté d’un paysage est accessible au plus grand nombre mais la beauté de telle œuvre présuppose une certaine culture, une éducation de la sensibilité, un sens créateur. Dans le ravissement de la beauté, l’égocentrisme est au moins momentanément mis entre parenthèse mais l’unité entre objet et sujet n’est pas une fusion puisque la personne du sujet est requise pour que s’exprime l’objet qui en retour le libère de ses fermetures. La beauté vivifie sa capacité créatrice ; Nietzsche plus que Schopenhauer a vu cette dimension. La beauté est dès lors selon nous une expérience de non dualité éminemment liée à l’amour créateur.


III°) B) La beauté montre que la non dualité de l’amour créateur ne peut se réduire à la religion.
L’intérêt de la beauté comme expérience typique des expériences de la non dualité est de nous montrer que le phénomène religieux est nourri par la non dualité. Mais il ne peut jamais accaparer ce type d’expérience car nombre d’expériences de beauté et plus largement de la non dualité existent en dehors de lui. Par ailleurs on comprend qu’il y a autant de styles de religion comme il y a des styles de beauté qu’il y a de religions et même de moments historiques au sein d’une même religion.
Ainsi chez les catholiques, une église romane évoque une expérience spirituelle différente par son esthétique différente de celle du style gothique. Le style roman cherche un équilibre intimiste qui fouille l’obscurité de l’esprit tandis que le gothique vise une expérience de lumière et d’infini qui expulse les forces obscures à l’extérieure. 
Cette réflexion sur la beauté et la religion nous permet d’affirmer que peut-être l’amour comme la beauté nourrit et inspire la religion et non l’inverse.
Si le sommet de l’expérience spirituelle est l’amour créateur, un amour non duel alors la religion n’est pas la source de l’amour mais un épiphénomène c’est-à-dire un effet secondaire, un aspect périphérique d’une expérience plus fondamentale.


III°) C) La spiritualité sans la religion ne reflètera-t-elle pas mieux l’amour ?
Parmi les expressions culturelles, la religion garde certes de manière fondamentale une mémoire d’une expérience de l’amour mais bien souvent cette mémoire est signifiée dans des rites, des dogmes et elle n’est plus vivante. Cette mémoire a perdu sa force de réminiscence. Dans la plupart des religions, on adore le symbole (le signifiant) au lieu de se tourner vers le symbolisé (le signifié). 
La beauté comme expérience de non dualité montre qu’on peut envisager une spiritualité laïque. Certes Spinoza a bien vu que quand l’être humain était au premier genre de connaissance d’imagination, il était nécessaire d’avoir une religion qui valorise la charité. Au deuxième genre de connaissance qu’est la raison, l’être humain peut se débarrasser de la superstition et collectivement il peut développer une société fondé sur le droit où les individus sont libres de penser par eux-mêmes. Mais à ce stade, la spiritualité est une recherche non encore une expérience proprement dite.
La philosophie peut offrir une spiritualité laïque sans dogme, sans rite qui offre la réminiscence possible d’expériences de non dualité et d’amour créateur. Spinoza avec le troisième genre de connaissance propose un amour intellectuel de Dieu (un amour pour Dieu qui est l’amour de Dieu pour nous), une forme de prise de conscience qu’on est singulièrement ici et maintenant l’univers vivant individualisé. Spinoza nous parle sans aucun doute d’une expérience spirituelle de non dualité et d’amour. Son œuvre montre indirectement la puissance créatrice de cette expérience même si il aurait davantage préféré qu’on parle de puissance ou de manifestation évolutive.

Conclusion.

Les religions sont peut-être marquées par l’amour. Car ce sont des Hommes inspirés par l’amour créateur qui en sont la source. Mais si elles en portent la trace, il n’est pas certain qu’elles actualisent ce dont elles portent la trace. Si elles donnent un accès à la lumière de l’amour, elles l’enferment souvent dans une cage mentale où seule une raie de lumière est parfois perceptible. Elles sont souvent des justifications idéologiques d’un ordre social devenu injustifiable. Elles servent une infantilisation des esprits en leur offrant des expériences fusionnels. L’amour vrai ne doit-il pas nourrir le sens de sa dignité et l’indépendance d’esprit.
Ce n’est donc pas la religion qui nourrit selon nous l’amour mais l’amour qui a nourri la religion. Le meilleur de la religion est la spiritualité qui conduit à expérimenter la non dualité avec l’élan créateur de l’univers et donc l’amour créateur. Mais il n’est pas certain que la religion qui fût par le passé le réceptacle par excellence de cet amour le demeure. L’art et la philosophie ont peut-être plus de capacité à se laisser embrasser par cet amour créateur. La rationalisation de l’humanité rendue de plus en plus inexorable grâce à la modernité permet d’envisager à grande échelle une spiritualité non religieuse capable de nourrir le sens de la communion humaine. La lutte entre modernité et religion en Occident a profondément modifié le visage de la spiritualité. Les conflits dus à cette modernisation s’étendent clairement à toute l’humanité mais il est assez aisé de constater que la puissance appartient forcément à ceux qui sont du côté de la modernité ouverte même si souvent ils passent encore à côté de l’intérêt d’une spiritualité non religieuse.



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