Faut-il laisser une place à l’irrationnel dans la conduite de la vie ?
I- Introduction problématique.
a- L’irrationalité imaginaire entre créativité ludique et superstition.
L’irrationnel est une composante centrale de l’imagination. Il faut
précisément songer à ce qui n’est pas possible en apparence pour se
mettre à imaginer. Il faut s’élever contre le bon sens pour faire surgir
l’impossible. Et sans imagination pourrions-nous créer quoi que ce
soit ? Sans imagination, pourrions-nous jouer, déplacer des idées à
l’intérieur de notre esprit, élaborer des fictions et au final produire
des théories, des oeuvres, etc. ? Ne serions-nous pas en train de perdre
la vitalité dans l’ennui d’un esprit de sérieux constant ?
Mais l’enfant en entrant dans le monde imaginaire voit les processus
imaginaire lui échapper : ce sont des production de l’inconscient. Il
fait face à l’ambiguïté des pulsions mélant vie et mort. Il prend
souvent peur et il s’invente tel rituel pour combattre sa crainte. Ou au
contraire, il espère voire se matérialiser telle possibilité alors que
tout indique son improbabilité. Il devient superstitieux.
b - L’irrationalité inhérente à la croyance peut-elle rester raisonnable ?
La philosophie a toujours combattu la superstition. Inspiré son
comportement d’une crainte ou d’une espérance contraire à la raison,
c’est-à-dire contraire au bon sens a toujours paru contraire à la
démarche philosophique. Cependant on ne peut pas réduire l’irrationalité
à la superstition. La confiance en l’autre même si elle est raisonnable
reste un comportement en partie irrationnel. Or sans confiance aucun
accord collectif ne peut se mettre en place, aucune relation ne peut se
dérouler normalement. La paranoïa n’est-elle pas une affection
psychologique qui précisément empêche toute forme de confiance ? Les
religions revendiquent souvent une forme spécifique de confiance
raisonnable : la foi religieuse permettrait de mieux comprendre la vie
et le monde et mieux comprendre notre condition existentielle nous
rapprocherait de la question d’une adhésion à une foi religieuse.
Certaines sagesses rejetteront une expérience qui au fond implique
toujours l’acceptation d’un point d’aveuglement. Une expérience
spirituelle comme une relation affective doit pouvoir permettre le
passage de la confiance à l’épreuve d’une vérification. Si l’autre ne
respecte pas le livre que je lui prête et ne s’en excuse pas,
respectera-t-il mon intérieur, si je le loge en mon absence ? Si une
voie spirituelle m’indique telle pratique et que cette pratique
effectuée authentiquement, rien ne se produit de ce qui avait été
annoncé, puis-je avoir confiance en une telle voie spirituelle ?
D’ailleurs la science qui porte son enquête sur des objets (et non sur
la subjectivité comme les voies spirituelles) ne propose-t-elle pas des
conjectures testables et donc contestables ? Les croyances ne sont pas
toutes à rejeter puisque même la science n’y échappe pas mais une
confiance, une foi qui ne sont pas testables ont-ils un intérêt ?
c - Annonce du plan.
II - Conduire consciemment sa vie consiste-t-il à développer sa conscience rationnelle ?
1) la force trompeuse de l’imagination humilie sans cesse la raison. ( Pascal, Les pensées, fragment 41, édition Le Guern)
a) Misère et grandeur de l’imagination.
b) Comment l’imagination humilie la raison : le grand philosophe sur
une planche au-dessus d’un précipice malgré sa raison ne sera pas
assuré.
c) Transition : le risque d’une foi religieuse contre le vertige existentiel : une foi « bouche trou ».
2) « Wo es war, soll ich werden », Sigmund Freud.
a) La béance du Ca (Lacan), l’ambiguïté pulsionnelle crée les tendances superstitieuses (Lacan, Freud).
b) La prise de conscience psychanalytique de notre irrationalité pathologique est une conquête de la conscience sur le Ca.
III - De la nécessité du "beau risque" (Phédon, Platon.)
1) Des croyances et leur méthode de fixation selon Charles Sanders Pierce. (voir ici Wikipédia)
a) la foi aveugle ou la méthode de ténacité.
b) la foi en l’autorité et la méthode d’autorité.
c) la foi métaphysique et la méthode a priori.
d) La croyance rationnelle et la méthode scientifique.
2) La foi au-delà du fidéisme religieux peut-elle être un élément d’une pratique spirituelle expérimentale ?
a) l’idée d’une foi religieuse raisonnable.
b) l’idée d’une lumière de foi qui ouvre à la lumière d’une compréhension
intérieure. « Croire pour comprendre et comprendre pour croire », Augustin d’Hippone.
IV - L’ouverture d’un oeil suprarationnel ?
1) Infrarationnel et transrationnel. (pré/trans fallacy de Ken Wilber)
a) le sentiment océanique est-il une expérience régressive infrarationnelle ? (La correspondance Freud - Romain Rolland)
b) La conscience réfléchie individuelle intégrée à l’expérience
spirituelle suprarationnelle. (l’approche néoplatonicienne par exemple).
2) Du troisième genre de connaissance (Spinoza) à l’aventure de la conscience.
a) Du troisième genre de connaissance et du « connais-toi toi-même ! ».
Le premier genre de connaissance inclut pour Spinoza l’imagination.
La raison est une émergence d’un genre de connaissance plus réfléchi.
Elle procède par notion commune. Il lui manque une connaissance
singulière que le troisième genre de connaissance développe.
L’imagination nourrit les passions : j’imagine être un empire dans un
empire qui dispose d’un libre arbitre, je nourris ainsi une passion
égocentrique. La raison me dévoile que je suis déterminé, que mes actes
sont une expression de tout l’univers. La raison me montre les
mécanismes logiques de mes passions. Mais seule une observation et
connaissance d’une passion singulière peut la métamorphoser en une
action du tout qui s’exprime par un individu.
La connaissance intérieure consiste donc en une auto-observation directe
de ce qui se déroule dans notre esprit. Ceci ne consiste pas en une
introspection qui consiste à corriger des pensées en lui substituant une
autre. C’est une connaissance directe intuitive qui saisit le processus
passionnel qui nous en libèrera.
Toutes les grandes spiritualités y compris les plus matérialistes comme
l’épicurisme insistent donc sur une vigilance, une attention au présent.
Elles proposent des discriminations intellectuelles pour focaliser le
regard intérieur mais il suffit de regarder dans le regard ce qui le
trouble pour que seule la jouissance présente du regard demeure. De là
on comprend mieux les techniques de méditations orientales, mais aussi
on redécouvre les pratiques occidentales consistant à se mettre en
présence de la conscience par delà tous les phénomènes qui s’y déroulent
(le doute sceptique, l’ascension érotique, l’épochè phénoménologique,
le moi métaphysique de Wittgenstein, etc.). Le divin ou l’absolu (si
l’on préfère un terme moins religieux) semble une présence qui se
découvre dans une exploration intérieure de la conscience dès lors que
l’enquête n’est plus simplement intellectuelle mais phénoménologique en
quelque sorte.
b) l’oeil de chair, l’oeil rationnel et l’oeil intuitif suprarationnel.
Entrer dans l’aventure intérieure de la conscience revient à
transcender l’intellect rationnel et les sens : ce qui semble paradoxal
au niveau de l’intellect et impossible au niveau de ce que nous
apprennent les sens semblent pour un regard attentif tout à fait
évident.
Par exemple, les sens disent plutôt une pluralité alors que le champ de
conscience pose une unité. Par exemple quand je tiens man main au-dessus
de ma tête, je situe la sensation de ma main au dessus de la sensation
de mon crâne mais au même moment je visualise bien ma main en dessous du
sommet de mon champ de vision. Or le sommet de mon champ de vision
n’est-il pas défini par ma sensation du crâne ? Il y a un paradoxe
surement dû à la diversité des sens et au croisement délicat des
informations qu’ils m’apportent. Mais quelle est la plus juste
information ?
La raison va placer un observateur extérieur et quel qu’il soit il affirmera que la main est bien au dessus crâne.
Mais si l’observateur est avant tout un explorateur de la conscience,
pour lui le repère absolu est un repère intérieur que tout un chacun
peut prendre. Tout apparaît dans notre esprit et dans l’expérience de
notre esprit, ce qui dépasse le sommet du crâne vécu intérieurement est
au sommet de l’esprit.
L’œil intuitif a conscience que le corps est dans l’esprit et il ne
voit rien d’autre que cet esprit. Ce corps apparaît comme un phénomène
instantané changeant instant après instant dont la singularité dans
l’esprit à chaque instant semble d’une nécessité absolue dans le
processus du tout de l’esprit absolu (Dieu ou la nature), nous dit
Spinoza. Ceci ne peut pas être vu avec notre œil de chair ou notre œil
rationnel. C’est à nouveau un paradoxe qui ne peut être résolu que par
un œil d’une conscience plus réfléchie : l’œil intuitif de l’esprit.
A ce propos, il nous est difficile d’admettre rationnellement et
sensitivement qu’il n’y a qu’un esprit car nous supposons qu’autrui a un
autre esprit. Mais même autrui nous apparaît dans cet esprit. A vrai
dire ai-je affaire avec la vie psychique de l’autre sinon par analogie
ou par symbiose au sein de mon esprit avec ma vie psychologique, ma vie
psychique qui se déroule dans cet esprit par le biais de ce corps ?
Leibniz répondra autrement que Spinoza à cette question en parlant de
monade sans porte ni fenêtre au sein desquelles tout l’univers se donne à
voir, les autres y compris mais il doit au final supposer une monade
des monades, un seul esprit qui les inclut toutes en lui-même.
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