vendredi 24 octobre 2014

Toute expression religieuse doit-elle être rejetée de la vie publique ?


Toute expression religieuse doit-elle être rejetée de la vie publique ?


Ce travail est basé sur une étymologie du mot religion qui emprunte à Benveniste :
« À la suite de Lactance, de Tertullien, les auteurs chrétiens se plaisent à expliquer le latin religio par les verbes ligare, religare, lier, relier. [...] Une autre origine est plus probable, signalée par Cicéron, appuyée de son autorité. Religio se tire de legere, cueillir, ramasser, ou de religere, recueillir, recollecter. », in Encyclopedia Universalis.

 





ANALYSE PROBLÉMATIQUE :

La vie publique démocratique est fondée sur la libre discussion des opinions. La liberté de conscience et d’expression semblent alors une condition nécessaire d’une vie publique démocratique. Cependant doit-on tolérer des expressions qui par leur intolérance vise la fin de la liberté de conscience, de la liberté d’expression et donc d’une vie publique démocratique ? Ne faut-il pas pour défendre la vie publique démocratique éduquer le citoyen à la tolérance, à l’autonomie de pensée ?

Les expressions religieuses sont une dimension de la liberté de conscience et d’expression. Si l’intolérance antidémocratique est viscéralement ancrée à toute démarche religieuse ne doit-on pas en limiter drastiquement l’expression ? Le prosélytisme religieux part du principe que une seule religion est bonne, celui qui le pratique n’aura-t-il pas dès lors tendance à l’encontre de l’autonomie de pensée à privilégier la soumission à des autorités, à une tradition, etc. à l’encontre des autres ? Mais rejeter toute expression religieuse n’est-ce pas au fond privilégier une croyance athée qui après tout pourrait faire preuve d’autant d’intolérance que les religions ? L’autonomie de pensée n’exclut pas après tout une recherche spirituelle qui empruntera de manière privilégiée à telle ou telle pratique religieuse.

On pourrait distinguer vie publique et vie privée. Toute expression religieuse serait tolérée au niveau de la vie privée mais en en ce qui concerne la vie publique, seules des argumentations rationnelles ne mettant en jeu aucune soumission irréfléchie à des autorités ou certaines traditions seraient encouragées. Cette séparation cependant n’est guère convaincante car toute religion implique une vie communautaire, c’est-à-dire la formation de corps d’opinion qui trouveront forcément à s’exprimer dans la vie publique pour s’imposer autant que possible. On connaît l’activisme de certains groupes religieux pour ne plus permettre aux femmes l’accès à la contraception ou pour condamner juridiquement l’homosexualité. 

Interdire les expressions d’opinions homophobes ou machistes suffit-il à contrecarrer ces communautés relativement intolérantes en leur sein qui se développent dans la sphère privée et peuvent souterrainement conquérir l’opinion jusqu’à imposer démocratiquement leur représentant comme on a pu le voir aux USA par exemple ?

La vertu de tolérance crée une coexistence pacifique toujours fragile, le sens du dialogue va au-delà d’une coexistence pacifique car il apprend vraiment à élargir son point de vue, à le réinterpréter, il apprend à dépasser toute forme d’exclusivisme mental et spirituel. Comment transformer un point de vue, si on se contente de rendre illégal son expression publique ?

PLAN DETAILLE :


I – Plus la vie publique démocratique s’accompagne d’une liberté d’expression sans limite des prises de position religieuses, plus la démocratie est vivante.

A – Les religions imposent des prescriptions morales plus rigides que le droit. Le droit nous impose de ne pas nuire à autrui. Toutes les religions exigent d’apporter son aide au prochain. Les grandes religions monothéistes, bouddhistes, hindouistes, taoïstes, etc. postulent toutes a priori l’égale dignité des êtres humains en tant que création ou manifestation du divin. Les interdits qui caractérisent une religion ne vont donc pas à l’encontre du droit démocratique tant qu’ils concernent uniquement ceux qui librement adhérent à cette religion.

B - L’espace publique doit pouvoir être le lieu de confrontation de toutes les opinions. Pourquoi les opinions religieuses ne pourraient-elles pas s’exprimer dans la vie publique tant qu’elles ne portent pas atteinte aux droits de citoyenneté d’autres citoyens qui n’adhèrent pas à leurs valeurs ? Les opinions religieuses s’exprimant dans la vie publique seraient obligées de faire face et d’entendre ceux qui s’y opposent ou les discutent. Si le pluralisme des opinions fonctionnent bien au sein d’un échange respectueux des personnes alors des opinions moins éclairées finiront par l’être davantage par le jeu même de la discussion.

C – Transition critique : Ce tableau idyllique d’une vie publique où tout peut se dire suppose une vie démocratique forte : qu’en est-il dans nos démocraties ? Peut-on prendre le risque de laisser se propager des courants fondamentalistes religieux qui politiquement soutiennent des formes de fascismes sans être toujours conscients voire de terrorismes ?

II – La nécessité d’une laïcité limitant l’expression religieuse dans la vie publique démocratique.

A- Le religare religieux, c’est-à-dire son sens communautaire, s’il est par définition antidémocratique, devra être dépassé. A vrai dire le religare religieux s’oppose souvent à la démocratie si on conçoit de mettre en place une démocratie largement plus radicale que celle que nous connaissons. L’anarchiste en tant que démocrate radical rejette en ce sens toute religion comme soumission à un maître (Dieu, Allah, Bouddha, Krishna, etc., le prêtre, le mollah, le rabbin, le gourou, etc.). L’analyse marxiste des idéologies religieuses au service de logique de domination montre le fond machiste, hiérarchique, etc. de la plupart des membres des grandes religions à côté même de leur prétention à défendre l’égale dignité. L’anarchiste s’il n’adhère pas à la vision politique marxiste se reconnaît dans ses analyses sociales de la religion.



B – Sans être intolérant à l’égard des religions, nous devons défendre un espace d’éducation laïque qui tient à distance toute tentation de privilégier dans le rapport citoyen l’horizon du lien social religieux : c’est la laïcité telle qu’on la comprend en France. Il existe une morale laïque c’est-à-dire qui ne suppose aucune adhésion religieuse e qu’on doit enseigner comme telle. Il est faux de prétendre que sans religion, il n’y a pas de morale !!!

Il est à noter que sur des questions comme le droit des femmes, les mœurs sexuelles (la question de l’homosexualité par exemple), la bioéthique, etc. la société laïque a une morale plus ouverte et plus respectueuse des personnes.

C – Transition critique : Cependant cette éducation laïque est-elle suffisante dans la mesure où elle n’est pas imposée à l’enseignement privé (au sens scolaire et familiale) ? L’enfant, l’adolescent, l’adulte pourra recevoir un enseignement laïque mais aussi un enseignement religieux clairement opposé à la laïcité. Où pourra se faire le dialogue entre ces enseignements si la laïcité passe par le strict rejet de toute expression religieuse dans l’éducation ?

REDACTION DE LA TROISIEME PARTIE :


III – Une spiritualité philosophique laïque doit se développer en favorisant une éducation au dialogue inter-religieux comprenant y compris agnosticisme et athéisme.

Pour faire face à cette situation bipolaire plus répandue qu’on ne pense, on doit pouvoir montrer que outre le fait que le pratiquant religieux n’a pas le monopole de la morale, il n’a pas non plus le monopole de la spiritualité. On peut en effet développer une recherche spirituelle laïque. Les philosophies de l’antiquité présentent des sagesses qui sont libres de tout ce qui caractérise les caractères antidémocratiques de la religion. Ce sont en effet des philosophies. Ces sagesses sont sauf exception les héritières de la démarche socratique du libre examen dialectique. Là où les religions exigent et limitent la démarche spirituelle à une adhésion à des dogmes indiscutables, à des autorités doctrinales, à des rituels arbitraires, à des techniques traditionnelles, etc. les sagesses philosophiques basent leur recherche sur le libre examen, l’autorité de la seule expérience individuelle, etc. Il y a donc une recherche spirituelle possible en dehors de la religion. 

La philosophie peut développer ainsi une spiritualité du dialogue à la marge des appartenances religieuses et au service d’une spiritualité laïque. Pour une telle philosophie spirituelle, la tolérance est le premier degré mais elle lui reprochera d’en rester à une coexistence pacifique. Le dialogue tolérant n’a pas pour but de convaincre l’autre de la justesse de nos seules démarches individuelles spirituelles mais doit au contraire permettre d’affiner et d’individualiser davantage nos démarches spirituelles respectives. Il faut être capable de prendre honnêtement le risque de mettre totalement en péril notre propre démarche spirituelle dans la rencontre avec celle de l’autre. Un tel dialogue doit donc toujours supposer qu’au fond l’autre dispose dans ses propres positions d’une vérité pour éclairer mes propres positions. Sans cette présomption, nous ne dialoguerons pas, au mieux nous témoignerons, au pire nous chercherons à convertir l’autre à nos points de vue. D’ors et déjà nous aurons glissé de la démarche philosophique spirituelle laïque à la religion (même si s’agit d’une religion dont nous serions le prophète). Un certain universalisme présente dans sa pratique cette perversion. Il affirme que sa rationalité par définition universelle lui permet de ne pas à avoir à s’éprouver par le dialogue. Il y a là une forme vicieuse de religiosité car tout universalisme, tout « isme » nie l’individualisation au centre même de notre démarche. Un universalisme laïque qui prétend faire l’économie du dialogue d’individu à individu agit comme les religions en s’enfermant dans des constructions mentales rigides et imposant ces constructions aux individus. 

Une telle philosophie par contre encouragera les individus appartenant aux diverses communautés religieuses à s’engager dans un dialogue inter-religieux comprenant aussi les démarches agnostiques ou athées qui ont souvent des dimensions spirituelles. Il est clair qu’un tel dialogue assouplira les interprétations religieuses qui ont des tendances communautaristes. Par ailleurs une telle pratique amènera des individus à estimer qu’au fond aucune religion n’a seule le privilège de la vérité. Par contre, il leur semblera que si on leur accorde à chacune des options spirituelles une présomption de vérité comme dans un dialogue interpersonnelle, il faut les penser comme des chemins différents vers un seul et unique sommet : ce sommet serait au carrefour ou au-delà de l’amour charité des chrétiens, de la compassion bouddhiste, de la miséricorde musulmane, de l’hospitalité juive ou de l’ananda hindou. Mais il faut aussi voir la pertinence et la légitimité de l’engagement existentiel athée pour la liberté, il faut accepter l’authenticité de l’éventuel renoncement agnostique à toute forme de dogmatisme, etc. Dans un dialogue inter-religieux ouvert à l’athée et à l’agnostique, il ne s’agit d’essayer de convaincre l’autre mais d’éclairer au fond son propre chemin à l’aide des lumières spirituelles de l’autre ascension vers le meilleur de ce que peut atteindre et réaliser l’homme. 

Dans le dialogue inter-religieux ouvert aux critiques athées et agnostiques, chacun apprendra à réinterpréter de manière plus ouverte et plus large sa propre démarche religieuse et spirituelle. Certains seront capables comme d’un bilinguisme religieux capable de rendre compte d’une vie spirituelle dans des langages religieux divers. Enfin certains finiront par voir dans les chemins spirituels religieux de quoi nourrir une démarche spirituelle philosophique laïque libéré de tout exclusivisme religieux. L’expression de la dimension religere des religions, c’est-à-dire de leur expérience spirituelle, serait alors une nécessité pour nourrir une spiritualité laïque au service de la vie publique démocratique même si l’expression d’un religare communautariste doit être combattue au nom d’une assemblée politique des personnes qui doit prévaloir et l’emporter sur tous les communautarismes.

DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES :

Sur cette question de la laïcité dans sa dimension spirituelle, des textes de Kant sont éclairants. Par exemple dans La religion dans les simples limites de la raison, on lit :

« Encore un mot relativement à l’idée de croyance révélée.
Il n’y a qu’une religion (vraie) ; mais il peut y avoir plusieurs espèces de croyances. On peut ajouter que, dans la pluralité des églises distinctes les unes des autres à cause de la diversité de leurs dogmes, il peut pourtant régner une seule et même religion qui serait la véritable.
Il est, par conséquent, plus juste de dire, comme l’admet aussi l’usage : cet homme appartient à telle ou telle croyance (judaïque, mahométane, chrétienne, catholique, luthérienne), que de dire : il est de telle ou telle religion. […] Le vulgaire comprend toujours par religion sa croyance d’Église, croyance qui lui saute aux yeux, alors que la religion se tient cachée au fond de l’homme et dépend seulement des sentiments moraux. C’est faire trop d’honneur à la plupart des hommes que de dire : ils se reconnaissent de telle ou telle religion ; car ils n’en connaissent et n’en désirent aucune : la foi statutaire d’Église est tout ce qu’ils entendent par ce mot. Les prétendues guerres de religion qui si souvent ont ébranlé le monde en le couvrant de sang n’ont jamais non plus été autre chose que des querelles suscitées autour de croyances d’Église, et les opprimés ne se plaignaient pas, à vrai dire, de ce qu’on les empêchait de rester fidèles à leur religion (ce qui dépasse le pouvoir de toute puissance extérieure) mais de ce qu’on ne leur permettait pas de pratiquer publiquement les croyances de leur Église. »

Ce texte offre une première base nécessaire à une spiritualité laïque organisant un dialogue inter-religieux. En effet il indique que la morale rationnelle qui considère tout homme dans son humanité sans considération de « races », de cultures et de croyances religieuses est rationnellement au cœur d’une spiritualité religieuse de l’humanité. La laïcité spiritualiste inclurait donc cette dimension morale au-delà des croyances religieuses particulières sans se référer plus à une révélation qu’à une autre.





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