Ce travail est basé sur une étymologie du mot religion qui emprunte à Benveniste :
« À la suite de Lactance, de Tertullien, les auteurs chrétiens se plaisent à expliquer le latin religio par les verbes ligare, religare, lier, relier. [...] Une autre origine est plus probable, signalée par Cicéron, appuyée de son autorité. Religio se tire de legere, cueillir, ramasser, ou de religere, recueillir, recollecter. », in Encyclopedia Universalis.
Mais celle-ci est sujette à débat. Voir ici l’article sérieux de Wikipédia sur l’étymologie du mot religion.
ANALYSE PROBLÉMATIQUE :
La vie publique démocratique est fondée sur la libre discussion des
opinions. La liberté de conscience et d’expression semblent alors une
condition nécessaire d’une vie publique démocratique. Cependant doit-on
tolérer des expressions qui par leur intolérance vise la fin de la
liberté de conscience, de la liberté d’expression et donc d’une vie
publique démocratique ? Ne faut-il pas pour défendre la vie publique
démocratique éduquer le citoyen à la tolérance, à l’autonomie de
pensée ?
Les expressions religieuses sont une dimension de la liberté de
conscience et d’expression. Si l’intolérance antidémocratique est
viscéralement ancrée à toute démarche religieuse ne doit-on pas en
limiter drastiquement l’expression ? Le prosélytisme religieux part du
principe que une seule religion est bonne, celui qui le pratique
n’aura-t-il pas dès lors tendance à l’encontre de l’autonomie de pensée à
privilégier la soumission à des autorités, à une tradition, etc. à
l’encontre des autres ? Mais rejeter toute expression religieuse
n’est-ce pas au fond privilégier une croyance athée qui après tout
pourrait faire preuve d’autant d’intolérance que les religions ?
L’autonomie de pensée n’exclut pas après tout une recherche spirituelle
qui empruntera de manière privilégiée à telle ou telle pratique
religieuse.
On pourrait distinguer vie publique et vie privée. Toute expression
religieuse serait tolérée au niveau de la vie privée mais en en ce qui
concerne la vie publique, seules des argumentations rationnelles ne
mettant en jeu aucune soumission irréfléchie à des autorités ou
certaines traditions seraient encouragées. Cette séparation cependant
n’est guère convaincante car toute religion implique une vie
communautaire, c’est-à-dire la formation de corps d’opinion qui
trouveront forcément à s’exprimer dans la vie publique pour s’imposer
autant que possible. On connaît l’activisme de certains groupes
religieux pour ne plus permettre aux femmes l’accès à la contraception
ou pour condamner juridiquement l’homosexualité.
Interdire les expressions d’opinions homophobes ou machistes suffit-il à
contrecarrer ces communautés relativement intolérantes en leur sein qui
se développent dans la sphère privée et peuvent souterrainement
conquérir l’opinion jusqu’à imposer démocratiquement leur représentant
comme on a pu le voir aux USA par exemple ?
La vertu de tolérance crée une coexistence pacifique toujours fragile,
le sens du dialogue va au-delà d’une coexistence pacifique car il
apprend vraiment à élargir son point de vue, à le réinterpréter, il
apprend à dépasser toute forme d’exclusivisme mental et spirituel.
Comment transformer un point de vue, si on se contente de rendre illégal
son expression publique ?
PLAN DETAILLE :
I – Plus la vie publique démocratique s’accompagne d’une liberté
d’expression sans limite des prises de position religieuses, plus la
démocratie est vivante.
A – Les religions imposent des prescriptions morales plus rigides que
le droit. Le droit nous impose de ne pas nuire à autrui. Toutes les
religions exigent d’apporter son aide au prochain. Les grandes religions
monothéistes, bouddhistes, hindouistes, taoïstes, etc. postulent toutes
a priori l’égale dignité des êtres humains en tant que création
ou manifestation du divin. Les interdits qui caractérisent une religion
ne vont donc pas à l’encontre du droit démocratique tant qu’ils
concernent uniquement ceux qui librement adhérent à cette religion.
B - L’espace publique doit pouvoir être le lieu de confrontation de
toutes les opinions. Pourquoi les opinions religieuses ne
pourraient-elles pas s’exprimer dans la vie publique tant qu’elles ne
portent pas atteinte aux droits de citoyenneté d’autres citoyens qui
n’adhèrent pas à leurs valeurs ? Les opinions religieuses s’exprimant
dans la vie publique seraient obligées de faire face et d’entendre ceux
qui s’y opposent ou les discutent. Si le pluralisme des opinions
fonctionnent bien au sein d’un échange respectueux des personnes alors
des opinions moins éclairées finiront par l’être davantage par le jeu
même de la discussion.
C – Transition critique : Ce tableau idyllique d’une vie publique où
tout peut se dire suppose une vie démocratique forte : qu’en est-il dans
nos démocraties ? Peut-on prendre le risque de laisser se propager des
courants fondamentalistes religieux qui politiquement soutiennent des
formes de fascismes sans être toujours conscients voire de terrorismes ?
II – La nécessité d’une laïcité limitant l’expression religieuse dans la vie publique démocratique.
A- Le religare religieux, c’est-à-dire son sens communautaire, s’il est par définition antidémocratique, devra être dépassé. A vrai dire le religare
religieux s’oppose souvent à la démocratie si on conçoit de mettre en
place une démocratie largement plus radicale que celle que nous
connaissons. L’anarchiste en tant que démocrate radical rejette en ce
sens toute religion comme soumission à un maître (Dieu, Allah, Bouddha,
Krishna, etc., le prêtre, le mollah, le rabbin, le gourou, etc.).
L’analyse marxiste des idéologies religieuses au service de logique de
domination montre le fond machiste, hiérarchique, etc. de la plupart des
membres des grandes religions à côté même de leur prétention à défendre
l’égale dignité. L’anarchiste s’il n’adhère pas à la vision politique
marxiste se reconnaît dans ses analyses sociales de la religion.
B – Sans être intolérant à l’égard des religions, nous devons
défendre un espace d’éducation laïque qui tient à distance toute
tentation de privilégier dans le rapport citoyen l’horizon du lien
social religieux : c’est la laïcité telle qu’on la comprend en France.
Il existe une morale laïque c’est-à-dire qui ne suppose aucune adhésion
religieuse e qu’on doit enseigner comme telle. Il est faux de prétendre
que sans religion, il n’y a pas de morale !!!
Il est à noter que sur des questions comme le droit des femmes, les
mœurs sexuelles (la question de l’homosexualité par exemple), la
bioéthique, etc. la société laïque a une morale plus ouverte et plus
respectueuse des personnes.
C – Transition critique : Cependant cette éducation laïque est-elle
suffisante dans la mesure où elle n’est pas imposée à l’enseignement
privé (au sens scolaire et familiale) ? L’enfant, l’adolescent, l’adulte
pourra recevoir un enseignement laïque mais aussi un enseignement
religieux clairement opposé à la laïcité. Où pourra se faire le
dialogue entre ces enseignements si la laïcité passe par le strict rejet
de toute expression religieuse dans l’éducation ?
REDACTION DE LA TROISIEME PARTIE :
III – Une spiritualité philosophique laïque doit se développer en
favorisant une éducation au dialogue inter-religieux comprenant y
compris agnosticisme et athéisme.
Pour faire face à cette situation bipolaire plus répandue qu’on ne
pense, on doit pouvoir montrer que outre le fait que le pratiquant
religieux n’a pas le monopole de la morale, il n’a pas non plus le
monopole de la spiritualité. On peut en effet développer une recherche
spirituelle laïque. Les philosophies de l’antiquité présentent des
sagesses qui sont libres de tout ce qui caractérise les caractères
antidémocratiques de la religion. Ce sont en effet des philosophies. Ces
sagesses sont sauf exception les héritières de la démarche socratique
du libre examen dialectique. Là où les religions exigent et limitent la
démarche spirituelle à une adhésion à des dogmes indiscutables, à des
autorités doctrinales, à des rituels arbitraires, à des techniques
traditionnelles, etc. les sagesses philosophiques basent leur recherche
sur le libre examen, l’autorité de la seule expérience individuelle,
etc. Il y a donc une recherche spirituelle possible en dehors de la
religion.
La philosophie peut développer ainsi une spiritualité du dialogue à la
marge des appartenances religieuses et au service d’une spiritualité
laïque. Pour une telle philosophie spirituelle, la tolérance est le
premier degré mais elle lui reprochera d’en rester à une coexistence
pacifique. Le dialogue tolérant n’a pas pour but de convaincre l’autre
de la justesse de nos seules démarches individuelles spirituelles mais
doit au contraire permettre d’affiner et d’individualiser davantage nos
démarches spirituelles respectives. Il faut être capable de prendre
honnêtement le risque de mettre totalement en péril notre propre
démarche spirituelle dans la rencontre avec celle de l’autre. Un tel
dialogue doit donc toujours supposer qu’au fond l’autre dispose dans ses
propres positions d’une vérité pour éclairer mes propres positions.
Sans cette présomption, nous ne dialoguerons pas, au mieux nous
témoignerons, au pire nous chercherons à convertir l’autre à nos points
de vue. D’ors et déjà nous aurons glissé de la démarche philosophique
spirituelle laïque à la religion (même si s’agit d’une religion dont
nous serions le prophète). Un certain universalisme présente dans sa
pratique cette perversion. Il affirme que sa rationalité par définition
universelle lui permet de ne pas à avoir à s’éprouver par le dialogue.
Il y a là une forme vicieuse de religiosité car tout universalisme, tout
« isme » nie l’individualisation au centre même de notre démarche. Un
universalisme laïque qui prétend faire l’économie du dialogue d’individu
à individu agit comme les religions en s’enfermant dans des
constructions mentales rigides et imposant ces constructions aux
individus.
Une telle philosophie par contre encouragera les individus appartenant
aux diverses communautés religieuses à s’engager dans un dialogue
inter-religieux comprenant aussi les démarches agnostiques ou athées qui
ont souvent des dimensions spirituelles. Il est clair qu’un tel
dialogue assouplira les interprétations religieuses qui ont des
tendances communautaristes. Par ailleurs une telle pratique amènera des
individus à estimer qu’au fond aucune religion n’a seule le privilège de
la vérité. Par contre, il leur semblera que si on leur accorde à
chacune des options spirituelles une présomption de vérité comme dans un
dialogue interpersonnelle, il faut les penser comme des chemins
différents vers un seul et unique sommet : ce sommet serait au carrefour
ou au-delà de l’amour charité des chrétiens, de la compassion
bouddhiste, de la miséricorde musulmane, de l’hospitalité juive ou de
l’ananda hindou. Mais il faut aussi voir la pertinence et la légitimité
de l’engagement existentiel athée pour la liberté, il faut accepter
l’authenticité de l’éventuel renoncement agnostique à toute forme de
dogmatisme, etc. Dans un dialogue inter-religieux ouvert à l’athée et à
l’agnostique, il ne s’agit d’essayer de convaincre l’autre mais
d’éclairer au fond son propre chemin à l’aide des lumières spirituelles
de l’autre ascension vers le meilleur de ce que peut atteindre et
réaliser l’homme.
Dans le dialogue inter-religieux ouvert aux critiques athées et
agnostiques, chacun apprendra à réinterpréter de manière plus ouverte et
plus large sa propre démarche religieuse et spirituelle. Certains
seront capables comme d’un bilinguisme religieux capable de rendre
compte d’une vie spirituelle dans des langages religieux divers. Enfin
certains finiront par voir dans les chemins spirituels religieux de quoi
nourrir une démarche spirituelle philosophique laïque libéré de tout
exclusivisme religieux. L’expression de la dimension religere des
religions, c’est-à-dire de leur expérience spirituelle, serait alors
une nécessité pour nourrir une spiritualité laïque au service de la vie
publique démocratique même si l’expression d’un religare
communautariste doit être combattue au nom d’une assemblée politique des
personnes qui doit prévaloir et l’emporter sur tous les
communautarismes.
DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES :
Sur cette question de la laïcité dans sa dimension spirituelle, des textes de Kant sont éclairants. Par exemple dans La religion dans les simples limites de la raison, on lit :
« Encore un mot relativement à l’idée de croyance révélée.
Il n’y a qu’une religion (vraie) ; mais il peut y avoir plusieurs espèces de croyances. On peut ajouter que, dans la pluralité des églises distinctes les unes des autres à cause de la diversité de leurs dogmes, il peut pourtant régner une seule et même religion qui serait la véritable.Il est, par conséquent, plus juste de dire, comme l’admet aussi l’usage : cet homme appartient à telle ou telle croyance (judaïque, mahométane, chrétienne, catholique, luthérienne), que de dire : il est de telle ou telle religion. […] Le vulgaire comprend toujours par religion sa croyance d’Église, croyance qui lui saute aux yeux, alors que la religion se tient cachée au fond de l’homme et dépend seulement des sentiments moraux. C’est faire trop d’honneur à la plupart des hommes que de dire : ils se reconnaissent de telle ou telle religion ; car ils n’en connaissent et n’en désirent aucune : la foi statutaire d’Église est tout ce qu’ils entendent par ce mot. Les prétendues guerres de religion qui si souvent ont ébranlé le monde en le couvrant de sang n’ont jamais non plus été autre chose que des querelles suscitées autour de croyances d’Église, et les opprimés ne se plaignaient pas, à vrai dire, de ce qu’on les empêchait de rester fidèles à leur religion (ce qui dépasse le pouvoir de toute puissance extérieure) mais de ce qu’on ne leur permettait pas de pratiquer publiquement les croyances de leur Église. »
Ce texte offre une première base nécessaire à une spiritualité laïque
organisant un dialogue inter-religieux. En effet il indique que la
morale rationnelle qui considère tout homme dans son humanité sans
considération de « races », de cultures et de croyances religieuses est
rationnellement au cœur d’une spiritualité religieuse de l’humanité. La
laïcité spiritualiste inclurait donc cette dimension morale au-delà des
croyances religieuses particulières sans se référer plus à une
révélation qu’à une autre.
En complément, on pourra aussi consulter en cliquant ici une leçon sur la religion qui s’intéresse au débat inter-religieux.
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