I - Introduction problématique.
motivation du sujet et problématisation :
Aujourd’hui, il existe de nombreuses biotechnologies et les progrès
de la médecine sont indéniables. Il paraît donc quelque peu déplacé de
se demander si une connaissance scientifique du vivant est possible.
Cependant les débats sur l’usage des biotechnologies et sur leur réelle
valeur du point de vue scientifique permet de lancer le débat de deux
façons. Premièrement l’éthique même ne doit-elle pas rendre impossible
une certaine connaissance scientifique du vivant ? Certaines
manipulations génétiques ou certains travaux sur des cobayes ou des
fœtus ne sont-ils pas condamnables ? Deuxièmement, la connaissance du
vivant n’est-elle pas limitée par le fait même que la vie n’est pas
réductible à des lois de la matière moins complexes telles que celles
des réalités atomiques ou de la chimie ? En effet cette connaissance
n’implique-t-elle pas des niveaux subatomiques ou des niveaux
systémiques plus vastes liés au milieu. Enfin troisièmement, n’y a-t-il
pas des limites internes à toute forme de connaissance scientifique de
la matière impliquant une limitation de la connaissance du vivant
lui-même ?
annonce du plan :
Nous verrons comment une connaissance du vivant peut se fonder sur des
modèles physiques et chimiques. Descartes s’avère un précurseur
fondamental avec son projet d’une médecine nous libérant de notre
mortalité, projet par excellence éthique.
Ensuite nous pointerons les bornes éthiques nécessaires face à ce type
de connaissance et ses applications possibles ainsi que les limites
inhérentes à cette connaissance telle que majoritairement elle se
présente chez les biologistes.
Ces limites de la connaissance du vivant telle qu’elle est pensée
aujourd’hui ne sont pas seulement épistémologiques mais sont
radicalement liées à la nature profonde du processus évolutif que leur
paradigme de départ les empêche de pleinement comprendre. Car malgré
elles, elles redonnent un sens nouveau à ce fait de la conscience dont
Descartes faisait le point de départ de toute connaissance.
II - La possibilité d’une connaissance scientifique du vivant.
a - la perspective cartésienne : les corps sont des machines complexes.
Descartes distingue l’âme et le corps et il affirme que seuls les
êtres humains sont dotés d’une âme. Notre corps comme celui des animaux
n’est qu’une machine. Le doute sceptique lui permet de montrer que notre
conscience peut se détacher du corps en doutant de tout ce qui en
provient : les passions, les sensations et les mémorisations. Pour lui
notre corps s’inscrit dans le reste de l’univers et plus
particulièrement de la substance spatiale (res extensa) qui est
d’une seule nature. Notre corps obéit donc au même loi que le reste de
l’univers même si sa mécanique est plus subtile que la plupart des
choses présentes dans cet univers. Si on étudie cette mécanique et qu’on
apprend à la restaurer alors on pourra à l’évidence nous êtres humains
concourir à ce qui restait une foi religieuse : la résurrection des
corps.
b - Les nuances entre vivant et machine à partir de Kant.
Cependant il y a des différences entre le vivant et les machines. Ces
dernières ne se reproduisent pas, une panne mécanique n’est pas une
maladie, l’usure n’est pas tout à fait la mortalité.
Tout d’abord les machines n’ont pas la faculté de se reproduire de
façon équivalente à notre sexualité. Elles ne peuvent s’unir et former
une machine qui aura un mélange des caractères de ses géniteurs. Cette
capacité de mélange des caractères des êtres vivants est une formidable
source d’évolution du vivant. La sexualité n’est qu’une de ces formes
d’échanges de caractères. Par ailleurs, il y a des vivants les bactéries
ou les virus qui ne génèrent qu’une image individuelle sans mélange
interindividuel mais même au cours de ce processus, il y a d’infimes
variations qui ne mettent en péril simplement le nouvel individu mais
qui peuvent se révéler avantageuse dans le milieu.
Ensuite une maladie révèle des facultés internes de réparation dont
ne dispose pas une mécanique. Nietzsche remarquera que ce qui ne tue pas
rend plus fort. Autrement dit, la guérison d’une maladie n’est pas un
simple rétablissement mécanique mais plutôt un nouvel équilibre
physiologique et vital plus fort. Là encore le vivant possède des
processus d’évolution inconnus des machines.
Enfin l’usure n’est pas l’équivalent de la mortalité d’une partie des
êtres vivants : la mort est un facteur d’évolution puisqu’elle libère
le milieu des êtres vivants d’une génération précédente et laisse la
nouvelle génération s’épanouir plus aisément elle dont certains membres
sont porteurs de nouveautés évolutives.
c - la perspective physiologique : la vie est un phénomène
physico-chimique dont l’élément central est l’ADN. (Jacques Monod and
co)
Toutefois malgré ces nuances entre la machine et le vivant qui
consiste surtout en une capacité d’auto-organisation évolutive, il n’en
reste pas moins qu’on peut trouver un plan où ramener la vie aux lois de
l’énergie espace temps : la chimie. Descartes pensait l’univers comme
une énorme mécanique faites de tourbillons de diverses formes. Il
passait à côté de l’échelle physico-chimique telle qu’elle s’est révélée
au 18e et 19e siècle.
C’est non pas la mécanique qui permet de comprendre le vivant
contrairement à ce que pensait Descartes mais la chimie. Schrödinger un
physicien pressentit l’existence d’un quasi-cristal au cœur de la
cellule, l’élément caractéristique du vivant. Ce quasi-cristal devrait
avoir la capacité de transmettre un certain nombre d’informations
chimiques caractérisant une forme de vie. En 1953, James Watson et
Francis Crick isolérent l’ADN, l’Acide Désoxyribonucléique. Dans les
années 1970, Jacques Monod dans Le hasard et la nécessité
essayait de montrer que tous les processus d’évolution du vivant
s’expliquaient par des processus physico-chimique et donc ultimement
notre pensée était un processus physico-chimique issu du jeu évolutif du
hasard et de la nécessité.
III - Les limites éthiques et épistémologiques de la science du vivant.
a - Les limites éthiques.
Expérimenter sur le vivant revient souvent à briser son intégrité par
la vivisection, la manipulation génétique, etc. Contrairement à ce que
pensent les cartésiens, là où il y a de la vie, il y a des degrés de
conscience. On peut s’appuyer sur La conscience et la vie de
Bergson pour étayer ce point de vue. Bergson remarque que chaque
embranchement évolutif majeur correspond à l’exploration par le vivant à
l’aide d’une nouvelle organisation matérielle d’une plus grande marge
de liberté au sein de la matière. La poussée de la plante est ainsi un
embranchement de l’évolution à côté de celui des animaux qui à la
croissance ajoute toute sorte de mobilité qui favorise la conquête de
nouveaux milieux. De ce point de vue les mammifères représentent un
nouvel embranchement à côté des animaux mus essentiellement par
l’instinct. Ils sont mus de plus en plus par l’intelligence et donc par
une forme de conscience réfléchie. Ainsi une expérience sur un singe
risque de montrer un irrespect d’un lointain cousin. Chaque animal doit
recevoir un respect spécifique en tant qu’être plus ou moins conscient
et lieu de manifestation de l’élan créateur de conscience.
Par ailleurs notre spécificité s’inscrit au sein d’un système du
vivant, d’une toile de la vie. Quand nous y insérons diverses
technologies physico-chimiques dont nos biotechnologies, le faisons-nous
en connaissance de cause ? Notre connaissance de la toile de la vie, du
tout de la vie dont la science écologique naissante explore le
fonctionnement est-elle suffisante pour envisager les conséquences des
bouleversements qu’engendrent cette insertion ? En physique et en
chimie, on n’a pas affaire à des auto-organisations évolutives et leur
système d’ensemble : un bricolage moléculaire a donc une efficacité
vis-à-vis d’autres molécules. Jamais on n’a considéré ces insertions
quant à leurs effets évolutifs. Bien sûr on étudie les effets négatifs
depuis une trentaine d’année mais bien souvent des motifs financiers
limitent l’étendue de ces enquêtes. Personne n’a vraiment envisagé que
nous étions en train de modifier le milieu et donc ne s’est demandé
scientifiquement quelles seront les conséquences évolutives puisque
toute crise écologique dans le passé a représenté une opportunité
évolutive...
b - Les limites épistémologiques.
Ceci nous ramène aux limites épistémologiques de la connaissance du vivant telle qu’elle est menée aujourd’hui en majorité.
Premièrement il y a les limites intrinsèques à toute science
expérimentale souvent reconnue par le physicien de la physique
fondamentale mais ignorées des autres sciences qui pourtant se réclame
de sa rigueur. Toute théorie scientifique ne reste qu’une conjecture et
elle n’est scientifique que si elle est testable ou falsifiable comme
l’indique Popper. La connaissance scientifique ne pourra jamais tout
connaître. Elle n’est qu’une généralisation du singulier. Elle réduit la
pluralité du sens à un sens univoque. Nietzsche élargit le propos, il
définit son vitalisme comme la pluralité de sens du vivant qu’il oppose à
la tendance mécaniste de la science qui s’avère toujours réductrice du
sens.
Deuxièmement il y a des limites propres à la connaissance du vivant.
Est-il possible de la concevoir sans les échelles microscopiques et
macroscopiques de la physique ? Aujourd’hui la biologie inclut la chimie
mais qui sait dans quelle mesure les contraintes physiques n’ont pas
joué par exemple sur l’évolution des morphologies biologiques ? Ce sont
les études de Vincent Fleury à la fois biologiste et physicien ou de
Jean Chaline avec Laurent Nottale un physicien qui aujourd’hui modifient
le champ des théories de l’évolution biologique. La biologie est dès
l’origine interdisciplinaire : pourquoi en réduire l’interdisciplinarité
à la seule chimie ?
Troisièmement, il y a plus d’individualisation dans le champ
biologique que dans le champ physique donc des organismes d’une même
espèce n’ont pas les mêmes réactions face à un produit et selon les
variations de son dosage. Le phénomène de l’allergie le montre
clairement dans le cas de l’homme. Par ailleurs il y a des interactions
d’un vivant avec son environnement qui expliquent des divergences
évolutives alors qu’au départ ceux-ci disposaient par exemple d’un ADN
semblable. Cette question révèle que la vie est un chaos déterministe.
Dans quelle mesure les applications biotechnologiques prennent cette
réalité au sérieux ? N’est-ce pas une erreur que de pas explorer
davantage ce fait qui donne au fameux jeu du hasard et de la nécessité
une autre configuration ? Les résultats décevants des travaux sur la
génétique thérapeutique n’ont-ils pas pour origine cette question. Le
hasard biologique n’est pas un jeu de dés, il s’apparente plutôt à
l’interaction du lit et de son fleuve. Les variations chaotiques du flux
d’un fleuve redessinent les berges et les fond de son lit, ce qui
conduit à faire émerger de nouveaux comportement du tout. Le modèle du
hasard et de la nécessité évoque la mécanique d’un dé. Notre image du
lit et de son fleuve va même au-delà de ce qu’on nomme le chaos
déterministe en introduisant la notion de lois émergentes. Ne serait-il
pas temps de revenir à ces considérations fondamentales du vivant au
lieu de se comporter en apprenti sorcier qui ignore tout des
conséquences de ses actes ?
Quatrièmement, il n’y a pas reproductibilité de certaines expériences
comme la théorie de l’évolution justement le révèle. Or cette
reproductibilité de l’expérience n’est-ce pas un critère de
scientificité mis en avant par les sciences physiques ? Certes la
physique a aussi affaire maintenant à cette non reproductibilité
expérimentale en ce qui concerne l’astrophysique ou la mécanique
quantique. Pour ce qui concerne la mécanique quantique, cette non
reproductibilité partielle est due à une interaction entre l’observation
et l’observé que pourtant on pensait réservée aux sciences humaines. Le
fait de l’évolution du vivant ne rapproche-t-il pas la connaissance du
vivant plus encore d’une épistémologie propre aux sciences historiques ?
La paléontologie qui étudie l’apparition de l’homme dans la lignée des
primates est en un sens caractéristique de cette question
épistémologique.
IV - Les limites ontologiques et phénoménologiques de la science du vivant.
La question de l’évolution nous ramène à travers l’épistémologie des
sciences humaines au fait qu’une cellule n’est pas simplement un
phénomène objectif, elle comporte en soi un potentiel de subjectivité et
dés lors la biologie n’est pas une science purement explicative telle
la science physique. La biologie est confrontée dés l’étude de la
cellule à un problème corps-esprit. La chair cellulaire n’est-elle pas
tout à la fois objet et déjà potentiellement sujet ? Le concept de chair
n’est-il pas paradoxalement objectif et subjectif comme le montre la
phénoménologie de Maurice Merleau Ponty ? Et plus près de nous, les
travaux de Francisco Varela ne vont-ils pas dans le même sens mais cette
fois d’un point de vue expérimental ?
Si on prend ce questionnement au sérieux on peut mettre en cause la
biologie qui confond l’évolution avec un bricolage aveugle du hasard et
de la nécessité tandis que du point de vue de la conscience, il semble
que l’évolution la manifeste de plus en plus à travers le vivant. L’être
humain, s’il n’est qu’une manifestation consciente du vivant, doit dans
les disciplines scientifiques du vivant étudier ce fait qu’il est en
train d’être le vivant prenant conscience de l’évolution de la
conscience à travers le vivant tout en prenant cependant au sérieux
qu’elle le point de vue intérieur à un jeu de hasard et nécessité du
point de vue extérieur objectif. Pourrait-on envisager un libre-arbitre
ou davantage des intuitions créatrices voire un élan créateur sans
observer du hasard et la nécessité se transformant l’un l’autre ? Le pur
hasard n’est-ce pas le chaos et la pure nécessité n’est-ce pas la
négation d’une évolution créatrice consciente de la conscience ?
Ceci ne remet-il pas l’éthique au centre de la connaissance
scientifique du vivant ? Quand l’être humain manipule la vie sans se
poser la question de la conscience ne prend-il pas des risques ? Ne
perd-il pas de vue le sens de sa présence au sein de l’évolution du
vivant comprise aussi en terme d’évolution de la conscience ? Les
manipulations génétiques sont anthropocentriques et c’est là leur
faiblesse car elles ignorent leur incidence dans la globalité du
phénomène de la vie et réduisent l’évolution à un bricolage
physiologique sans se soucier des effets sur le jeu du hasard et la
nécessité local et global qui va s’en trouver perturbé. Cette
perturbation matérielle impliquera ainsi, quoi qu’on en dise, l’évolution
de la conscience inhérente à l’évolution du vivant.
Les transhumanistes envisagent une évolution technologisée de
l’humanité. Celle-ci ne doit pas hésiter selon eux à s’améliorer par le
biais de ses technologies. Mais les transhumanistes ne sont-ils pas
alors prisonniers d’un schéma de pensée où la conscience croitrait
seulement en capacité mentale se dotant d’un corps de plus en plus
performant et durable ? Toute technologie au service de la science
révèle un défaut de conscience caractérisant notre conscience humaine
mentale : nous ignorons ce qui se passe dans nos instruments eux-mêmes
et ce qui se passe à cause d’eux dans l’environnement, nous ne ne voyons
que ce que nos instruments nous donnent à voir et à manipuler. A vrai
dire nous n’avons pas besoin de plus de QI, de mémoire, etc. nous avons
besoin d’une conscience plus consciente de l’organisation globale de la
matière qui nous permet de nous manifester en ce monde. Bien entendu,
quand Galilée ignore ce qui se passe dans sa lunette parce qu’il est
focalisé sur les étoiles et les planètes, nous progressons mentalement.
Mais si, pour explorer le vivant et parce que nous prétendons le
maîtriser, nous provoquons une catastrophe écologique sans précédent,
n’aurons-nous pas créer plus qu’une crise écologique les conditions
d’une crise évolutive ?
V - Conclusion.
La connaissance du vivant avec le développement de la
neurophénoménologie d’un Francisco Varela a cependant déjà en partie
effectué ce virage épistémologique que les biotechnologies ignorent.
Souvent le biologiste devient un apprenti sorcier faute de prendre en
compte l’interdisciplinarité nécessaire. Dans le cas de
l’interdisciplinarité entre biologie et science physique, nous avons
déjà évoqués les pistes intéressantes ouvertes par Vincent Fleury et
Jean Chaline.
Les résultats actuels de la biologie sont des applications d’un
paradigme matérialiste éculé même en physique contemporaine où
l’indéterminisme et l’humilité face à l’inconnu est devenu de mise.
Selon nous, l’interdisciplinarité entre la chimie et la biologie reste
un champ trop étroit. Les faibles résultats médicaux des thérapies
géniques ainsi que les faibles résultats des manipulations génétiques
des plantes vis-à-vis de la production en tant que telle dans des
conditions difficiles devraient amener les biologistes à considérer
l’éventualité d’un changement de paradigme.
Les expériences neuropsychologiques sur des méditants bouddhistes,
des contemplatives chrétiennes d’un Mario Beauregard qui collabora à des
travaux de Damasio nous montrent que la spiritualité en tant
qu’exploration consciente de la conscience n’est pas qu’une aberration
des processus physico-chimiques cérébraux. Bergson qui considérait la
mystique (une fois bien distinguée des tendances statiques,
conservatrices et dogmatiques des religions) comme une dimension
nécessaire d’évolution du vivant humain en regard des évolutions
technologiques dues à son intelligence reçoit là comme une forme de
confirmation posthume. Bergson nie peut-être à tord que la mystique
puisse se généraliser car cela impliquerait selon lui que l’homme ne
soit qu’une espèce de transition, mais par ailleurs quelque chose en lui
le pousse à affirmer que l’univers est une machine à faire des dieux.
Alors qui sait si le besoin de plus de conscience que la simple
conscience mentale que l’on peut ressentir du point de vue même de notre
intelligence ne se manifestera pas ?
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