L’usage de la raison exclut-il toute forme de croyance ?
ANALYSE PROBLÉMATIQUE :
L’usage de la raison consiste d’abord à exclure tout ce qui peut être
mis en doute. La raison use donc méthodologiquement du doute, de la
critique et de test expérimentaux pour poser des affirmations et surtout
rejeter de son discours toute forme d’erreur ou d’illusion.
Toute croyance a affaire au doute. Mais au lieu d’exclure ce qui peut
être mis en doute elle tend plutôt à exclure le doute par le biais de la
conviction. Une opinion est une croyance dont le degré de conviction
résiste rarement face à une argumentation contraire convaincante. Une
conviction religieuse porte un noyau la foi dont l’intensité se mesure
précisément par la résistance face aux données argumentatives,
expérimentales, etc. qui vont en sens contraire. L’intensité de la foi
religieuse semble donc aller à rebours de ce qui caractérise la
rationalité. La foi religieuse exclura souvent en son noyau toute forme
de discours rationnel qui s’y oppose.
L’usage de la raison doit absolument passer l’opinion au crible de
son argumentation critique et mettre entre parenthèse toute forme de foi
religieuse qui postule une forme de confiance aveugle en une
interprétation de la vie qui en profondeur au moins est sensée porter
une dimension absolument positive.
La raison cherche elle à se défaire de toute forme de croyance au point
parfois de privilégier l’agnosticisme à tout forme de confiance. La
raison peut user à ce point du doute qu’elle n’a plus foi en elle-même,
dans sa capacité à approcher le vrai. En se retournant contre elle-même,
elle nourrit le scepticisme.
Pour que son usage garde une efficacité pragmatique, la raison a besoin
de faire au moins comme si elle pouvait approcher une vérité en excluant
de son résidu de croyance des erreurs, des illusions, etc. Elle doit
admettre la croyance comme son matériel de départ et développer des
méthodes pour en améliorer l’efficacité pragmatique.
Ainsi soit la raison sera impuissante en n’ayant plus aucune foi en
elle-même et s’engluera dans le scepticisme, soit elle gardera une forme
de foi en elle-même pour développer une forme d’efficacité pragmatique.
Reste à savoir si elle peut extirper toute forme de foi aveugle ?
PLAN DETAILLE :
I – L’usage cartésien et positiviste de la raison exclut-il toute forme de croyance ?
A – La méthode cartésienne fondée sur l’indubitabilité exclut toute
forme de croyance liée à l’opinion, à l’autorité et à la tradition
(religion comme adhésion (religare) irréfléchie est ébranlée).
Le sujet rationnel, l’ego cogito est libre de toute croyance
(opinion, autorité, tradition) y compris par rapport à sa personnalité.
Cependant son idée de l’infini implique une croyance religieuse... Il
y a un reliquat métaphysique de croyance. Cette expérience intérieure
(religere) veut faire la foi religieuse en Dieu une foi rationnelle mais
pourquoi affirmer que la dimension infinie de notre conscience est la
présence de Dieu ? Cette interprétation de l’expérience intérieure de
l’idée d’infini révèle en même temps que les fois religieuses sont des
interprétations partielles et arbitraires de l’expérience intérieure.
B – Le positivisme d’Auguste Comte héritier du cartésianisme estime
que la croyance est la matière de la science. (les trois états :
magico-religieux, métaphysique, scientifique).
Remarque : l’expérience de l’idée d’infini peut traduire plutôt une
prise de conscience individualisée de la matière par elle-même.
L’univers matériel à la fois fini et infini (comme le segment [0,1] dans
IR) se reflète dans nos cerveaux.
C – Transition critique : le réductionnisme positiviste cartésien
(exclusion du « pourquoi » pour le seul « comment ») est une négation de
la richesse de sens de la vie. Nietzsche soupçonne (doute et critique)
la raison scientifique dénuée de sens. L’infini du sens de la vie n’est
pas quantifiable, c’est un infini qualitatif par définition
inquantifiable voire indéfinissable !
Le positivisme et le cartésianisme n’interrogent pas leur croyance en la toute puissance de la raison.
II – L’usage sceptique de la raison peut-il exclure toute croyance ?
A – L’usage sceptique de la raison montre les limites du dogmatisme
rationnel qui implique toujours toujours une foi aveugle en la vérité
exclusiviste et donc intolérante :
a) Absence de vérité cohérence :
En mathématiques, les axiomes ne sont pas démontrables. On peut partir
d’axiomes opposés. Il y a plusieurs logiques possibles. Il n’y a pas de
cohérence rationnelle absolue.
b) Absence de vérité adéquation :
En physique, on ne peut échapper à l’interprétation liée à
l’observation, à la mathématisation, à un ou des paradigmes d’un
programme de recherche. Il y a donc des croyances.
B – Cependant par le doute au carré, le sceptique n’est pas
irrationnel (fou, dangereux ou immoral) mais rien dans ce qui apparaît
dans l’esprit ne permet d’atteindre une vérité, c’est l’abandon et la
suspension du jugement (époché) par l’usage de la raison (zététique) qui
produit par accident l’ataraxie.
C – Toutefois un certain scepticisme par son conformisme ou son
pragmatisme (au moins pour son enseignement) implique un « comme si »
dont la valeur est de l’ordre de la conviction et donc de la croyance.
Nietzsche insiste sur la vitalité créatrice en jeu au cœur de toute
valorisation d’une interprétation possible par rapport à d’autres. Au
fond les valorisations sceptiques sont trop souvent conformistes
moralement et socialement : on peut les soupçonner de frayer avec la
croyance malgré leur prétention contraire.
RÉDACTION DE LA TROISIÈME PARTIE :
III – L’usage pragmatique de la raison n’implique-t-il pas une foi en une évolution créatrice ?
La philosophie pragmatiste avec Charles Sanders Peirce admet que la
croyance est une dimension indépassable du développement humain. La foi
aveugle religieuse permet par exemple de se cramponner à l’espérance que
la situation en apparence la plus désespérante aura une issue : elle a
une efficacité psychologique indéniable. La confiance en l’autorité et
en la tradition permet de recueillir l’expérience et le savoir des
générations passées : elle semble une condition nécessaire de
l’efficacité pédagogique car si l’élève doutait de tout ce que lui
transmet son maître il n’apprendrait rien. Toute pensée théorique
implique une croyance en certains a priori métaphysiques : ne croire en
rien exclut la possibilité de toute construction théorique et sans
construction théorique on ne pourrait pas tirer des faits aucune théorie
scientifique. Enfin toute théorie scientifique elle-même demeure une
croyance même si elle s’appuie sur des faits expérimentaux, une
efficacité pragmatique ou si elle a permis de surmonter des erreurs, des
illusions qui faisaient jusque là obstacle à l’extension de la
connaissance.
Pascal dans Les Pensées met en lumière notre condition humaine d’homme
moderne. L’homme est un roseau pensant. La raison, sa grandeur, lui
découvre sa condition misérable d’être perdu entre l’infiniment grand et
l’infiniment petit sans pourtant être au centre de quoi que ce soit. Le
sens de la condition humaine moderne montre une impossibilité « de
prouver invincible à tout le dogmatisme » et suggère « une idée de la
vérité invincible à tout le pyrrhonisme ». La raison moderne rend la foi
religieuse populaire insuffisante car elle met en cause la foi qui ne
s’embarrasse pas du désir de tout comprendre de ce à quoi elle croit
tout comme une croyance irréfléchie en l’autorité et en la tradition.
L’homme moderne enfin n’adhère plus enfin aux théories métaphysiques qui
cherchent à rendre compte de la présence du mal à partir d’un bien
caché. Dans son fragment infini rien Pascal expose son pari religieux.
Il suggère que seul est raisonnable du point de vue des gains et des
pertes un pari en faveur de la pratique de la foi chrétienne. Mais il
admet que ce pari qui donne lieu à geste de confiance lié à un calcul
intéressé doit devenir un pari du cœur de plus en plus désintéressé.
Quoiqu’on pense de l’interprétation chrétienne catholique janséniste de
la foi désintéressée par Pascal, qu’on la juge plus ou moins réductrice,
intolérante, etc., on peut retenir que l’usage de la raison ne peut pas
se cantonner à la seule faculté de l’entendement, elle implique
forcément aussi l’usage de la faculté du cœur pour ne pas sombrer dans
les excès réductionnistes, appauvrissants voire desséchants du
positivisme ou les excès de conformismes conservateurs auxquels aboutit
un certain scepticisme. Admettre avec les philosophies pragmatiques le
rôle central de la croyance y compris dans les démarches rationnelles
implique de s’intéresser à cette faculté du cœur dans ses rapports à
l’entendement.
La confiance en la raison nécessaire à son propre usage met donc en jeu
la faculté du cœur. Cette faculté du cœur quand elle nourrit l’usage de
la raison met en jeu une foi. Cette foi postule, comme une foi
religieuse, une forme de confiance aveugle en une interprétation de la
vie qui en profondeur au moins est sensée porter une dimension
absolument positive. A la différence de la foi religieuse, cette foi en
la raison s’exerce d’abord à l’égard de la recherche de la connaissance.
Cette foi est comparable à une foi religieuse appelant à la voie de la
connaissance comme dans le bouddhisme, le taoïsme, le jnana yoga hindou
ou même la mystique rhénane à ceci près qu’elle est purifiée de toute
forme d’exclusivisme caractéristique de ces traditions, de toute
adhésion à des croyances dogmatiques religieuses, etc. Le seul et unique
exclusivisme indépassable de cette foi est lié à la singularité
qualitative de celui qui exerce son entendement. Cette foi en la raison
est particulièrement en jeu quand la raison rencontre ses limites dans
le chemin singulier de connaissance d’un individu. Là où les traditions
religieuses bornent un chemin à la connaissance, la foi en la raison
permet à l’individu d’affronter l’inconnu. Cette foi en la pratique de
l’entendement n’hésite pas à initier l’individu à des dilemmes au sein
de sa connaissance rationnelle qui ébranleront sa foi à des traditions
religieuses qui voudraient toujours l’attacher à des réponses établies
plus ou moins réfléchies. La foi en la raison amène l’individu à estimer
que les chemins de la connaissance peuvent recevoir à tout moment une
réponse inédite qui renouvellera le regard qu’avait la vie sur elle-même
à travers lui. Un questionnement nouveau est presque toujours
l’occasion d’une réponse inspiratrice voire créatrice. Celui que la foi
en l’entendement aura conduit là constatera que les religions réservent
cette inspiration et cette puissance créatrice qu’à leurs initiateurs
comme si maintenant il n’y avait plus rien de nouveau à découvrir. La
conscience rationnelle du point de vue de cette foi radicale en la vie
et en la connaissance est épurée de tout enfermement dans les limites
d’une quelconque forteresse mentale : elle apparaît elle-même en
évolution autant du point de vue de son contenu que de sa forme. Quand
la connaissance évolue, la raison évolue elle-même. Pour évoluer la
conscience humaine doit avoir foi dans le fait d’amener sans cesse la
raison à se confronter à ses limites et à son ignorance. Mais rien
n’empêche que évoluant au-delà de la conscience rationnelle la
conscience humaine elle-même ne pénètre au-delà de la conscience mentale
qui la caractérise.
Bergson évoque cette possibilité quand il se réfère à une intuition
créatrice qui nourrirait l’intelligence d’un éclairage nouveau. Peut-on
aller plus loin et estimer que l’évolution de la conscience mentale
humaine à travers la connaissance rationnelle n’est qu’une étape vers
une conscience surhumaine vivant de plus en plus directement sur le plan
de ce qui engendre l’évolution du vivant et l’univers ?
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