vendredi 24 octobre 2014

L’usage de la raison exclut-il toute forme de croyance ?


L’usage de la raison exclut-il toute forme de croyance ?


ANALYSE PROBLÉMATIQUE :

L’usage de la raison consiste d’abord à exclure tout ce qui peut être mis en doute. La raison use donc méthodologiquement du doute, de la critique et de test expérimentaux pour poser des affirmations et surtout rejeter de son discours toute forme d’erreur ou d’illusion.
Toute croyance a affaire au doute. Mais au lieu d’exclure ce qui peut être mis en doute elle tend plutôt à exclure le doute par le biais de la conviction. Une opinion est une croyance dont le degré de conviction résiste rarement face à une argumentation contraire convaincante. Une conviction religieuse porte un noyau la foi dont l’intensité se mesure précisément par la résistance face aux données argumentatives, expérimentales, etc. qui vont en sens contraire. L’intensité de la foi religieuse semble donc aller à rebours de ce qui caractérise la rationalité. La foi religieuse exclura souvent en son noyau toute forme de discours rationnel qui s’y oppose.
L’usage de la raison doit absolument passer l’opinion au crible de son argumentation critique et mettre entre parenthèse toute forme de foi religieuse qui postule une forme de confiance aveugle en une interprétation de la vie qui en profondeur au moins est sensée porter une dimension absolument positive. 
La raison cherche elle à se défaire de toute forme de croyance au point parfois de privilégier l’agnosticisme à tout forme de confiance. La raison peut user à ce point du doute qu’elle n’a plus foi en elle-même, dans sa capacité à approcher le vrai. En se retournant contre elle-même, elle nourrit le scepticisme.
Pour que son usage garde une efficacité pragmatique, la raison a besoin de faire au moins comme si elle pouvait approcher une vérité en excluant de son résidu de croyance des erreurs, des illusions, etc. Elle doit admettre la croyance comme son matériel de départ et développer des méthodes pour en améliorer l’efficacité pragmatique. 
Ainsi soit la raison sera impuissante en n’ayant plus aucune foi en elle-même et s’engluera dans le scepticisme, soit elle gardera une forme de foi en elle-même pour développer une forme d’efficacité pragmatique. Reste à savoir si elle peut extirper toute forme de foi aveugle ?

PLAN DETAILLE :


I – L’usage cartésien et positiviste de la raison exclut-il toute forme de croyance ?


A – La méthode cartésienne fondée sur l’indubitabilité exclut toute forme de croyance liée à l’opinion, à l’autorité et à la tradition (religion comme adhésion (religare) irréfléchie est ébranlée).
Le sujet rationnel, l’ego cogito est libre de toute croyance (opinion, autorité, tradition) y compris par rapport à sa personnalité.
Cependant son idée de l’infini implique une croyance religieuse... Il y a un reliquat métaphysique de croyance. Cette expérience intérieure (religere) veut faire la foi religieuse en Dieu une foi rationnelle mais pourquoi affirmer que la dimension infinie de notre conscience est la présence de Dieu ? Cette interprétation de l’expérience intérieure de l’idée d’infini révèle en même temps que les fois religieuses sont des interprétations partielles et arbitraires de l’expérience intérieure.


B – Le positivisme d’Auguste Comte héritier du cartésianisme estime que la croyance est la matière de la science. (les trois états : magico-religieux, métaphysique, scientifique).
Remarque : l’expérience de l’idée d’infini peut traduire plutôt une prise de conscience individualisée de la matière par elle-même. L’univers matériel à la fois fini et infini (comme le segment [0,1] dans IR) se reflète dans nos cerveaux.


C – Transition critique : le réductionnisme positiviste cartésien (exclusion du « pourquoi » pour le seul « comment ») est une négation de la richesse de sens de la vie. Nietzsche soupçonne (doute et critique) la raison scientifique dénuée de sens. L’infini du sens de la vie n’est pas quantifiable, c’est un infini qualitatif par définition inquantifiable voire indéfinissable ! 
Le positivisme et le cartésianisme n’interrogent pas leur croyance en la toute puissance de la raison.


II – L’usage sceptique de la raison peut-il exclure toute croyance ?


A – L’usage sceptique de la raison montre les limites du dogmatisme rationnel qui implique toujours toujours une foi aveugle en la vérité exclusiviste et donc intolérante :

a) Absence de vérité cohérence :

En mathématiques, les axiomes ne sont pas démontrables. On peut partir d’axiomes opposés. Il y a plusieurs logiques possibles. Il n’y a pas de cohérence rationnelle absolue.

b) Absence de vérité adéquation :

En physique, on ne peut échapper à l’interprétation liée à l’observation, à la mathématisation, à un ou des paradigmes d’un programme de recherche. Il y a donc des croyances.


B – Cependant par le doute au carré, le sceptique n’est pas irrationnel (fou, dangereux ou immoral) mais rien dans ce qui apparaît dans l’esprit ne permet d’atteindre une vérité, c’est l’abandon et la suspension du jugement (époché) par l’usage de la raison (zététique) qui produit par accident l’ataraxie.


C – Toutefois un certain scepticisme par son conformisme ou son pragmatisme (au moins pour son enseignement) implique un « comme si » dont la valeur est de l’ordre de la conviction et donc de la croyance.
Nietzsche insiste sur la vitalité créatrice en jeu au cœur de toute valorisation d’une interprétation possible par rapport à d’autres. Au fond les valorisations sceptiques sont trop souvent conformistes moralement et socialement : on peut les soupçonner de frayer avec la croyance malgré leur prétention contraire.

RÉDACTION DE LA TROISIÈME PARTIE :


III – L’usage pragmatique de la raison n’implique-t-il pas une foi en une évolution créatrice ?

La philosophie pragmatiste avec Charles Sanders Peirce admet que la croyance est une dimension indépassable du développement humain. La foi aveugle religieuse permet par exemple de se cramponner à l’espérance que la situation en apparence la plus désespérante aura une issue : elle a une efficacité psychologique indéniable. La confiance en l’autorité et en la tradition permet de recueillir l’expérience et le savoir des générations passées : elle semble une condition nécessaire de l’efficacité pédagogique car si l’élève doutait de tout ce que lui transmet son maître il n’apprendrait rien. Toute pensée théorique implique une croyance en certains a priori métaphysiques : ne croire en rien exclut la possibilité de toute construction théorique et sans construction théorique on ne pourrait pas tirer des faits aucune théorie scientifique. Enfin toute théorie scientifique elle-même demeure une croyance même si elle s’appuie sur des faits expérimentaux, une efficacité pragmatique ou si elle a permis de surmonter des erreurs, des illusions qui faisaient jusque là obstacle à l’extension de la connaissance. 
Pascal dans Les Pensées met en lumière notre condition humaine d’homme moderne. L’homme est un roseau pensant. La raison, sa grandeur, lui découvre sa condition misérable d’être perdu entre l’infiniment grand et l’infiniment petit sans pourtant être au centre de quoi que ce soit. Le sens de la condition humaine moderne montre une impossibilité « de prouver invincible à tout le dogmatisme » et suggère « une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme ». La raison moderne rend la foi religieuse populaire insuffisante car elle met en cause la foi qui ne s’embarrasse pas du désir de tout comprendre de ce à quoi elle croit tout comme une croyance irréfléchie en l’autorité et en la tradition. L’homme moderne enfin n’adhère plus enfin aux théories métaphysiques qui cherchent à rendre compte de la présence du mal à partir d’un bien caché. Dans son fragment infini rien Pascal expose son pari religieux. Il suggère que seul est raisonnable du point de vue des gains et des pertes un pari en faveur de la pratique de la foi chrétienne. Mais il admet que ce pari qui donne lieu à geste de confiance lié à un calcul intéressé doit devenir un pari du cœur de plus en plus désintéressé. Quoiqu’on pense de l’interprétation chrétienne catholique janséniste de la foi désintéressée par Pascal, qu’on la juge plus ou moins réductrice, intolérante, etc., on peut retenir que l’usage de la raison ne peut pas se cantonner à la seule faculté de l’entendement, elle implique forcément aussi l’usage de la faculté du cœur pour ne pas sombrer dans les excès réductionnistes, appauvrissants voire desséchants du positivisme ou les excès de conformismes conservateurs auxquels aboutit un certain scepticisme. Admettre avec les philosophies pragmatiques le rôle central de la croyance y compris dans les démarches rationnelles implique de s’intéresser à cette faculté du cœur dans ses rapports à l’entendement.
La confiance en la raison nécessaire à son propre usage met donc en jeu la faculté du cœur. Cette faculté du cœur quand elle nourrit l’usage de la raison met en jeu une foi. Cette foi postule, comme une foi religieuse, une forme de confiance aveugle en une interprétation de la vie qui en profondeur au moins est sensée porter une dimension absolument positive. A la différence de la foi religieuse, cette foi en la raison s’exerce d’abord à l’égard de la recherche de la connaissance. Cette foi est comparable à une foi religieuse appelant à la voie de la connaissance comme dans le bouddhisme, le taoïsme, le jnana yoga hindou ou même la mystique rhénane à ceci près qu’elle est purifiée de toute forme d’exclusivisme caractéristique de ces traditions, de toute adhésion à des croyances dogmatiques religieuses, etc. Le seul et unique exclusivisme indépassable de cette foi est lié à la singularité qualitative de celui qui exerce son entendement. Cette foi en la raison est particulièrement en jeu quand la raison rencontre ses limites dans le chemin singulier de connaissance d’un individu. Là où les traditions religieuses bornent un chemin à la connaissance, la foi en la raison permet à l’individu d’affronter l’inconnu. Cette foi en la pratique de l’entendement n’hésite pas à initier l’individu à des dilemmes au sein de sa connaissance rationnelle qui ébranleront sa foi à des traditions religieuses qui voudraient toujours l’attacher à des réponses établies plus ou moins réfléchies. La foi en la raison amène l’individu à estimer que les chemins de la connaissance peuvent recevoir à tout moment une réponse inédite qui renouvellera le regard qu’avait la vie sur elle-même à travers lui. Un questionnement nouveau est presque toujours l’occasion d’une réponse inspiratrice voire créatrice. Celui que la foi en l’entendement aura conduit là constatera que les religions réservent cette inspiration et cette puissance créatrice qu’à leurs initiateurs comme si maintenant il n’y avait plus rien de nouveau à découvrir. La conscience rationnelle du point de vue de cette foi radicale en la vie et en la connaissance est épurée de tout enfermement dans les limites d’une quelconque forteresse mentale : elle apparaît elle-même en évolution autant du point de vue de son contenu que de sa forme. Quand la connaissance évolue, la raison évolue elle-même. Pour évoluer la conscience humaine doit avoir foi dans le fait d’amener sans cesse la raison à se confronter à ses limites et à son ignorance. Mais rien n’empêche que évoluant au-delà de la conscience rationnelle la conscience humaine elle-même ne pénètre au-delà de la conscience mentale qui la caractérise. 
Bergson évoque cette possibilité quand il se réfère à une intuition créatrice qui nourrirait l’intelligence d’un éclairage nouveau. Peut-on aller plus loin et estimer que l’évolution de la conscience mentale humaine à travers la connaissance rationnelle n’est qu’une étape vers une conscience surhumaine vivant de plus en plus directement sur le plan de ce qui engendre l’évolution du vivant et l’univers ?

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