vendredi 24 octobre 2014

Corrigé partiel du sujet "L’art nous apprend-il quelque chose ?"

[Analyse problématique]

L’art de l’artisan ou de l’ingénieur ne nous apprend rien sinon le niveau de connaissance qui fût nécessaire à la réalisation de leur artefact. 
L’art de l’artiste nous en apprend beaucoup plus sur ceux qui l’ont produit : historiquement, culturellement voire psychologiquement. Cependant ces informations sont-elles au cœur de l’expérience esthétique qu’offre un œuvre d’art ou cet apprentissage est-il en quelque sorte collatéral ? Une œuvre d’art peut avoir des ambitions pédagogiques mais cela ne la caractérise pas comme une œuvre d’art.
L’expérience esthétique met en jeu des processus déclenchés par l’œuvre en nous qu’ils soient sensitifs, émotionnels ou mentaux. 
L’œuvre ne fait-elle pas vivre en nous son monde ? Ne nous rend-elle pas témoin du surgissement d’un monde ? On peut pas nier que ce dévoilement d’un monde ne nous apprenne pas quelque chose mais son surgissement ne nous plonge-t-il pas plutôt dans l’expérience d’une énigme ? Un monde n’est pas explicable dans sa dimension d’ouverture dans laquelle il se déploie. Cette énigme donne à penser mais elle n’est pas réductible à un savoir.
Par ailleurs ces processus se déroulant en nous, l’œuvre d’art ne nous découvre-t-elle pas quelque chose de notre propre intériorité ? Même si parfois face à une œuvre nous avons l’impression de nous découvrir personnellement en voyant s’exprimer ce que nous sommes personnellement mieux que nous ne l’aurions fait nous-même, l’intériorité esthétique révélée par l’œuvre d’art est-elle réductible à notre monde introspectif personnel ? L’œuvre artistique n’y pointe-elle pas davantage un champ de prises de conscience perceptives au-delà de nos mondes subjectif ?

I - L’art nous plongeant dans des visions du monde nous fait entrer dans la spécificité de la compréhension.


A - L’art n’est qu’accidentellement lié au savoir explicatif mais il met essentiellement en jeu un exercice d’ouverture compréhensive.

La science nous donne des explications exhaustives. Elle nous livre des lois des processus qui produisent les faits afin de pouvoir les anticiper. En ceci elle nous donne une connaissance objective des faits. L’explication met en jeu une intelligence logique, calculatrice et empirique. L’art ne nous place pas dans la situation d’un observateur neutre qui aura une connaissance objective par une suite de raisonnements et de vérifications.
Le déploiement optimal de l’expérience esthétique présuppose une ouverture compréhensive de la part du sujet mais aussi une pré-compréhension esthétique du sujet incluse dans les horizons de sens potentiellement déployés par l’objet.

B - Un cercle herméneutique est au cœur de la perception esthétique.

L’art implique le sujet que nous sommes engagés dans l’être de l’objet au point où l’objet se met à transformer notre vie subjective comme notre vie subjective lui donne de se déployer dans toute ses dimensions. Le sujet se comprend et se ressent en l’objet d’art et l’objet d’art implique dans son être la vie du sujet lui ouvrant de nouveaux horizons d’être. 
Ce va-et-vient entre sujet et objet au cœur de l’expérience esthétique met en jeu ce qu’on appelle un cercle herméneutique.
On voit ici que l’expérience de l’art met en jeu un exercice de nos qualités de compréhension. Moins nous serons ouverts et donc compréhensifs, moins nous pourrons vivre en profondeur d’expériences esthétiques.

C - Transition critique : l’essentiel de l’expérience de l’art ne peut se réduire cependant à une expérience intersubjective d’horizons de sens.

Il y a l’inspiration qui franchit les frontières des mondes intersubjectives existants. Elle est ouverture d’horizons de sens mais en tant qu’ouverture elle ne peut se cloisonner dans les limites d’un sens synthétique. L’œuvre d’art inspirée donne infiniment à penser. Elle transcende la simple compréhension herméneutique.

II - L’art offre l’expérience de faits subjectifs

A - En terme de création et en terme de contemplation, l’art peut nous permettre de faire l’expérience perceptive de réalités invisibles.

B - L’art dévoile subjectivement un ordre caché dans le chaos apparent. L’art dévoile un cosmos irréductible à un univers objectif.

C - Transition critique : la préexistence d’un monde de faits subjectifs risque d’occulter le mystère créateur dans sa profondeur.

[III - L’expérience authentique de l’art fait de nous un spectateur-artiste.]

Nous ne sommes pas seulement dans un rapport de contemplation à l’œuvre d’art. Dans La généalogie de la morale, 3e dissertation, § 6, Nietzsche nous invite à nous méfier des théories esthétiques qui ne font que prendre le point de vue du spectateur. Il faut considérer l’appréciation de l’art par ceux qui le font à savoir les artistes.
Cependant Nietzsche oppose la conception d’une contemplation désintéressée à une perspective créatrice intéressée. Il cherche à déconstruire ce que nous tenons pour des faits subjectifs afin de les ramener à des valorisations, à des désirs. Pour lui Pygmalion qui demande à Aphrodite de donner vie à sa statut montre que l’artiste ne met pas entre parenthèse sa sensualité quand il crée.
Mais comme le fait remarquer Bergson, l’artiste distingue aisément joie créatrice et plaisir de la reconnaissance. Pygmalion reste un créateur tant qu’il veut donner vie à son œuvre mais désirer vivre avec sa statue désormais rendue vivante n’est pas un acte créateur. A vrai dire créer l’objet de son fantasme n’est pas pleinement créer. L’acte créateur ne consiste-il pas plutôt à élever sa conscience en allant puiser une inspiration plus puissante. On ne pas confondre le désir consommateur et son intensité avec un élan créateur.
Bergson dans La conscience et la vie suggère que l’art nous invite aussi à faire l’expérience de l’élan créateur par lequel elle a surgi. Il ne faut pas forcément opposer contemplation et élan créateur. Certains artistes font de l’œuvre d’art la trace même de cet élan créateur : ils tentent de nous le faire contempler. Évidemment cette trace fige cet élan et en un sens elle en est qu’un témoignage insatisfaisant. Mais dès lors Éros, l’amoureux en nous du beau absolu sera piqué au vif non pas seulement pour contempler le beau absolu mais aussi et surtout pour participer à son élan créateur. L’art nous apprend alors en premier lieu le désir d’apprendre.
La dimension spirituelle essentielle que nous apprend l’art est la participation de plus en plus consciente à un élan créateur. En cela comme le soutient Stendhal l’art nous offre comme une promesse de bonheur, même si tout contre Nietzsche nous affirmons que la joie créatrice qui marque l’expérience d’une évolution consciente de la conscience est en soi non égocentrique et en ce sens désintéressée.
Une expérience superficielle de la beauté ne nous apprend que peu de chose sinon qu’il existe des joies non égocentriques. Mais si nous nous intéressons vraiment à la beauté nous voudrons vivre plus constamment en sa présence. L’art peut nous découvrir divers aspects des faits subjectifs qui ne sont pas seulement attachés à l’expérience de cette œuvre d’art mais à notre propre intériorité. L’art nous apprend alors que nous pouvons nous-mêmes nous concevoir comme une œuvre d’art à élaborer pour qu’elle soit de plus en plus ouverte à une participation consciente à l’élan créateur.

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