dimanche 26 octobre 2014

LIBERTE POLITIQUE

LIBERTÉ POLITIQUE : Peut-on se libérer des rapports de domination ?



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1- Introduction problématique


a) – Le problème de la JUSTICE entre EGALITES et INEGALITES.


Toute société est obligée d’admettre en son sein la présence de différences. Confondre l’égalité et l’uniformité revient à dicter à chaque individu une conduite au cœur même de sa vie intime : cela mène à une vision totale de la vie de chaque individu au service d’une masse, cela peut générer le totalitarisme. Toutefois nier l’égalité au nom de la différence ne risque-t-il pas de conduire à une autre logique de domination ? Une autre forme de totalitarisme cette fois fondée sur l’apologie de la force dominante.
De façon caricaturée n’avons-nous pas ici l’essence des deux logiques totalitaires qui ont ensanglanté le siècle passé ? La logique communiste confine à l’égalité comme uniformité, la logique fasciste à la différence comme inégalité de force entre les faibles et les forts qu’il faut défendre socialement des faibles. La logique fasciste va jusqu’à nier la ressemblance, elle s’ingénie à ne pas reconnaître l’autre homme comme un semblable afin de nier toute égale dignité.
Dans cette approche de la question politique comme justes rapports sociaux d’inégalité et d’égalité, nous avons donc un équilibre à trouver entre quatre termes qui sont égalité et inégalité, différence et ressemblance.
S’en tenir là ne permettrait pas de penser notre situation d’aujourd’hui. Avec l’idée de liberté, nous pouvons éviter en restant vigilant les dérives totalitaires. Mais il faut nous demander dans quel rapport la liberté risque de légitimer une inégalité qui au fond à terme la nie : quel sens a le mot liberté pour quelqu’un qui vit en dessous du seuil de pauvreté ? Comme on avait précédemment vu que trop d’égalité finit par nuire à la liberté, il semble que trop de libertés justifiant des inégalités de fait nuit à l’égalité de droit et au fond à la liberté.
Une société juste est, on le voit, une société qui cherche à rester cohérente. Le mot « juste » évoque d’abord pour nous des relations sociales bien ajustées afin de ne pas se transformer en conflits d’intérêts généralisés.
Le premier sens du mot juste nous envoie donc plutôt du côté des droits formels. L’égalité de droit peut-elle se penser avec un droit à la différence ? Puis prenant en compte le fait, il faut se demander si l’égalité de droit peut se passer d’une certaine égalité de fait ? Imposer une égalité de fait n’est-ce pas nier un droit à la liberté ?
Cependant une société juste qui n’est que pensée reste utopique. Comment mettre en place une telle pensée si ce n’est en considérant l’arrière plan de la double action entrecroisée de l’individu et du collectif ? L’égalité de fait est liée à l’idée d’une solidarité collective, l’égalité de droit sert à définir un espace de liberté individuelle. L’égalité de droit ne sera-t-elle pas qu’un mirage tant qu’une solidarité collective spontanée et non totalitaire n’existera pas ?
Le problème de la justice nous ramène donc à considérer que la tension politique fondamentale entre liberté individuelle et solidarité collective est le problème politique fondamental.


b) – Le véritable problème politique.


Vivre ensemble crée des rapports de domination issus du conflit entre les intérêts individuels et les intérêts communautaires. D’un côté, la communauté opprime les individus craignant leur créativité déstabilisatrice. De l’autre, les individus aspirant à une liberté sans contrainte ignorent plus ou moins la justice et produisent des rapports de domination qui fragilisent le groupe. La vie politique (en grec « politique » signifie l’art de vivre ensemble dans la même cité) peut être vue comme l’art d’échapper à ces deux dangers.
La liberté politique apparaît quand la créativité individuelle se libère des rapports de domination et que simultanément la puissance de l’action communautaire croît.


c) – Analyse plus approfondie des deux dangers politiques.


Ainsi la politique court deux types de dangers… Mais on peut affiner cette grille en distinguant quatre niveaux culturels des communautarismes et des individualismes.
D’un côté toutes les formes plus ou moins élaborées de communautarisme agissantes aujourd’hui :
Dans les communautarismes archaïques, tous les individus participent d’une même âme de groupe mais dévolue à un mode de vie quasi-animale de survie du groupe. 
Dans les communautarismes prémodernes, tous les individus n’ont pas la même dignité du point de vue de la conscience de la réalité spirituelle constitutive du groupe.
Dans les communautarismes modernes, tout le monde est à égalité, il n’y a pas de personnes supérieures à l’autre en terme de dignité. Il se développe une mentalité du tout mesurable, du tout quantifiable tant du point de vue technoscientique qu’économique : René Guénon parle à ce propos du règne de la quantité. Le sens de la dignité heurte alors de front les tendances du règne de la quantité : il faut lutter contre des tendances à tout quantifier au mépris des personnes, les personnes créatrices sont souvent confondues inconsciemment à des personnes égoïstes qui menacent la cohérence culturelle du groupe ou des agents au service d’une communauté extérieure…
Dans les communautarismes postmodernes, l’égale dignité est tempérée par l’acceptation des différences culturelles voire par la reconnaissante émergente d’une inégalité spirituelle qui s’oppose aux excès du règne de la quantité moderne. Contre le pouvoir économique, cela crée une nostalgie des cultures prémodernes ou archaïques non occidentales construites autour d’un idéal spirituel soit disant plus élevé…

De l’autre toutes les formes plus ou moins élaborées d’individualisme agissantes aujourd’hui : 

L’individualisme égoïste archaïque qui cherche à survivre par tous les moyens même au détriment d’autrui.
L’individualiste égoïste prémoderne, qui finalement au risque de bousculer les valeurs collectives de son clan veut idéalement mettre son clan et d’autres au service de ses ambitions héroïques ou de sa démarche religieuse spirituelle novatrice. Il est vrai que sa démarche créatrice qui peut sembler au service de la constitution d’une nouvelle forme de communauté mais souvent au mépris des solidarités passées. 
L’individualiste égoïste moderne qui ne vise plus d’abord le pouvoir politique mais la richesse économique et qui défendra le libéralisme économique au nom de la liberté d’entreprendre et de créer qui enrichit la société. Mais dans les faits, le libéralisme contemporain semble enrichir certains individus aux détriments des autres et aujourd’hui il semble de moins en moins souvent que ce soit exclusivement les plus créatifs qui s’enrichissent au profit final de toute la société.
L’individualiste égoïste postmoderne qui vise un bien-être à travers un épanouissement narcissique le plus souvent à consonance sentimentalo-sexuel, et accessoirement un développement d’une force psychologique permettant de mieux manipuler les ressorts du pouvoir politique ou les ressorts d’un enrichissement économique.

A partir de cette grille de lecture approximative, on peut analyser certaines catastrophes politiques.

Les totalitarismes de droite mêlent ainsi des composantes individualistes prémodernes et modernes à des composantes du communautarisme moderne. Les totalitarismes de gauche se présentent comme un communautarisme moderne qui prétend rejeter toute forme d’individualisme qu’il soit prémoderne ou moderne mais les gardiens de ce communautarisme ont des comportements propres à l’individualisme moderne.
On peut aussi émettre sur nos sociétés contemporaines un regard plus précis en n’oubliant pas que nous ne sommes pas unilatéralement présent à un certain niveau culturel : nous pouvons rester prémoderne dans notre engagement religieux (un catholique accepte une hiérarchie ecclésiastique qui lui impose un dogme), moderne sur le plan politique (les catholiques défendent souvent en politique l’égale dignité) et finalement postmoderne dans notre vie professionnelle et affective (il s’agira de s’épanouir à l’aide de connaissances psychologiques voire de pratiques psychocorporelles orientales pour résister au stress).
La majorité des gens sont dans une tension entre un individualisme et un communautarisme moderne. Parmi les élites culturelles des classes moyennes et les élites économiques qui s’enrichissent grâce au processus de mondialisation économique, il y a le développement d’un individualisme postmoderne. Celui-ci peut dans son émergence être caractérisé par ce qu’on appelle le relativisme.
Le propre du relativisme postmoderne le plus commun consiste à affirmer que « chacun a ses goûts et ses couleurs » : a priori ce slogan permet de concilier l’égale dignité niée par les fascismes et la liberté niée par les communismes. Mais ce slogan implique souvent qu’au fond rien ne sert de confronter ses goûts et ses couleurs qu’il s’agisse de goûts et de couleurs éthiques ou esthétiques puisque hormis la tolérance pluraliste toute vertu reste un choix individuel et relatif à notre seule individualité. Ce relativisme commun verra volontiers ses contradicteurs comme des ennemis du pluralisme. Il décèlera dans les propos qui le mettent en cause comme nivellement par le bas un crypto-fascisme dont il serait la victime. Il soupçonnera dans un discours mettant en cause son absence de solidarité engagée des velléités crypto-communistes. Ce relativisme commun défend le pluralisme. Mais en se soumettant à des logiques de victimisation, en évitant par le soupçon le débat et la confrontation qui seuls nous dégagent de nos identifications les plus subtiles, sa défense du pluralisme reste souvent ambiguë. Faute de vigueur vitale, ce relativisme commun est selon nous un relativisme vulgaire : il participe d’une intensification pathologique des souffrances psychologiques engendrées par un désir a priori libre intérieurement de toute norme mais encore déterminé par son refus des traumatismes passés. En effet le désir pathologique de l’individu de ce relativisme vulgaire faussement libéré des contraintes structurantes tribales et ethniques produit des faits et gestes déstructurants qui renforcent le cercle de la victime et de sa victimisation. Le désir révèle au fond sa nature vertigineuse, sa béance infinie et menaçante. Ce relativisme vulgaire produit un égocentrisme qui se mire narcissiquement seul ou accompagné psychologiquement dans les eaux troubles de son désir au risque de se dissoudre mélancoliquement dans l’insoutenable paradoxe entre l’infini des possibles et les probabilités limitées par le passé. Fuyant cet abîme déstructurant, ce relativisme s’avère souvent le complice inconscient d’un ethnocentrisme qui sous le couvert du pluralisme veut se réaffirmer. Il se trouve confronter à des relents d’ethnocentrisme qui se justifient en employant la rhétorique du respect des différences individuelles alors qu’il s’agit de défendre une culture qui inféode les individus, leur enlève tout sens critique et limite ainsi leur puissance créatrice. Le retour du religieux masque presque toujours sous la rhétorique relativiste une forme d’ethnocentrisme même si elle est plus subtile et comme il est régressif ce retour est dangereux : il prend bien souvent la figure du fondamentalisme religieux capable des pires négations qui soient de l’évolution créatrice. Les grandes religions relativement plus paisibles dans leur mouvement d’ensemble sont un produit intermédiaire entre ethnocentrisme et nations pluralistes : elles rassemblent diverses ethnies autour d’une mythologie qui se veut universelle mais qui à l’origine s’identifie toujours à tel moment ethnique, à telle rencontre décisive entre deux ethnies ou plus… Elles épouseront volontiers un tel relativisme vulgaire pour poursuivre un prosélytisme pacifique selon les critères des sociétés pluralistes. Les croyants sont tenus de se tenir à un récit englobant unique, inamovible. Le relativisme sert donc juste de toile de fond à l’acte de foi centré sur un hypothétique salut individuel, situé en dehors du monde et de ses manques de qualité attribués au règne de la quantité. Cette terminologie du règne de la quantité est celle de René Guénon et d’autres qui montre que le discours moderne de la raison et de l’économie juge tout selon des puissances quantitatives et des prix. On incitera à la compassion, à panser les blessures des exclus du règne de la quantité mais au final pour qu’ils découvrent eux aussi le salut hors du monde. On envisage rarement une évolution qui mettrait en cause le salut religieux hors du monde élaboré lors de la période axiale âge de naissance par ailleurs du monde de la quantité. Notons aussi que cherchant inconsciemment la reconnaissance du nombre, certains agnostiques à l’instar de ces religions à visée universelle prêchent la bonne conscience de l’accueil de l’autre, c’est-à-dire un pluralisme d’égale dignité appauvri de toute hiérarchie spirituelle incapable donc de montrer le moindre chemin d’évolution conceptuelle significative et donc d’évolution spirituelle. Ils ne répètent que le message des Lumières sans voir que son usage de la raison est resté extérieur et que perdant de vue sa source créatrice intérieure, cet usage de la raison devient instrumental s’il n’est pas lié à une pratique effective de la discussion authentique. Ils sombrent malgré leurs dénégations dans la superficialité du relativisme faible propre au pluralisme, incapable de vivifier le pluralisme. Ils restent des alliés du règne de la quantité à qui ils donnent pour un temps la caution d’un humanisme suranné.
Une version forte du relativisme postmoderne consiste à dire que « chacun ses goûts et ses couleurs » doit être entendu comme l’exigence créatrice soumise à chacun de créer son propre goût et ses propres couleurs et non de subir des influences tribales, ethniques, religieuses ou encore la rhétorique publicitaire du règne de la quantité. Ceci établit l’idée d’une hiérarchie spirituelle non étrangère à la démocratie pluraliste car fondée sur le succès de certains points de vue au sein de la rencontre et la discussion pluraliste. Cette idée de hiérarchie spirituelle est refusée par le relativisme vulgaire. Celui-ci voit dans le système de castes sociales la pire des injustices s’efforçant d’ignorer qu’elle a pu au moins un temps avoir un sens au niveau d’un ordre social global, comme le squelette d’un corps qui impose une structure par le biais d’une hiérarchie haut bas mais qui prend sens du point de vue d’un ensemble. Le relativisme vulgaire ignore donc le fait que son rejet de la hiérarchie est le rejet d’une hiérarchie pervertie. Par exemple le système des castes en Inde tel que l’on rencontré les occidentaux s’est avéré de plus en plus perverti et donc à dépasser. Mais dans un hôpital moderne il ne viendrait à personne l’idée de contester des hiérarchies de compétences toute nécessaire pour le bon fonctionnement de l’ensemble. Dans une discussion entre des scientifiques il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas se soumettre à une hiérarchie de points de vue plus ou moins établis théoriquement et expérimentalement. D’ailleurs le relativisme vulgaire en associant hiérarchie et irrespect de l’égale dignité soit occulte la réalité des hiérarchies économiques qui elles induisent vraiment l’irrespect de l’égale dignité ; soit au contraire il la refuse en se victimisant sans proposer d’alternative pluraliste conséquente. Toutefois même si pour un relativiste fort la discussion fait émerger des hiérarchies de points de vue, ceci ne nous approche pas d’une quelconque vérité mais consacre le triomphe de la valeur la plus vigoureuse et si une valeur n’y triomphe pas, les mondes divers de valeurs continueront de cohabiter dans l’espace pluraliste. Le souci du relativiste fort postmoderne est plutôt la force d’une cellule du corps social ou d’un groupe lié à cette cellule non la santé et l’évolution du corps social en son entier. Politiquement à gauche le relativiste a renoncé à imposer sa conception du bien totalitairement, il résiste à l’injustice, défend des minorités, gère les effets sociaux néfastes du marché selon des marges de manœuvres en conséquence limitées. D’où l’impression d’un éclatement de la gauche politique, d’alliances de mouvements hétéroclites d’une faible lisibilité. A droite, la position relativiste est moins désenchantée le libéralisme politique et économique l’incarne volontiers. Sur une place publique ou sur le marché les méritants l’emportent du fait même de leurs qualités semble t-il créatrices reconnues médiatiquement ou économiquement. Pour le relativiste fort et pluraliste, consacrer la vérité d’une hiérarchie spirituelle reviendrait à interdire sa remise en cause au sein de la discussion et menace la démocratie pluraliste mais qu’en est-il si cette vérité concerne la pédagogie de l’impulsion créatrice ou la conception d’une rencontre ayant pour but une évolution créatrice aussi bien dans le sens individuel que collectif ? On sent pointer chez le relativiste fort une tension énorme voire une contradiction entre l’idée que chacun doit être un créateur, c’est-à-dire l’auteur de ce qu’il est et l’idée que la rencontre doit rester la valeur collective fondamentale même si elle n’est qu’un lieu d’affrontement d’où émerge une vision disqualifiant celles des individus s’y opposant car temporairement plus charismatique. Que devient l’élan créateur des individus dont la vision est disqualifiée ? Qu’est-ce qui peut nous apprendre alors à être créateur puisque la rencontre n’a d’autre but que la suprématie temporaire d’un point de vue individuel à un niveau collectif ? Le relativisme fort postmoderne peut cependant sans contradiction apprendre ou plus précisément désapprendre en vue d’assumer tout échec dans la rencontre en s’appuyant en arrière fond sur une spiritualité sceptique (d’où le succès des sagesses psychocorporelles modernisées, des bouddhismes et autres philosophies du bien-être entre soi, les autres et le monde) : Il s’agit en effet de pousser intérieurement le relativisme jusqu’à son paroxysme dans son refus de s’identifier à quelque conclusion ou vérité pour atteindre ce plan où la conscience n’est identifiée à aucun de ses contenus idéologiques, émotionnels, etc. Si la rencontre est réduite à un jeu d’apparences dans une conscience décentrée de la conscience de soi personnelle et de ses refus de se voir juste comme apparences, ne peut-on pas devenir un bon perdant comme on peut être un bon gagnant, c’est-à-dire faire preuve de savoir-vivre ? Le relativiste fort trouve là un soutien extraordinaire qui rend dépassée l’approche psychologique : même si son désir reflue à l’état de tout possible indéterminé, il n’est plus happé par la mélancolie sous toutes ses formes que sont l’ennui, la dépression, l’angoisse ou leurs revers phobiques. Toutefois même renforcé par ces découvertes spirituelles et philosophiques, le goût de la rencontre au sein du pluralisme contradictoirement ne se menace t’il pas en laminant la vigueur créatrice des plus faibles au profit des plus forts ? Le relativisme fort parvient-il à se désolidariser du relativisme faible ? Ce dernier n’en est-il pas la conséquence sociale et psychologique nécessaire ? Ne sommes-nous pas des relativistes forts au mieux de nous-même qui retombent souvent dans le relativisme faible, ne pouvant pas nous empêcher de nier nos responsabilités, de nous victimiser ? Et d’ailleurs le discours de la victime n’est-il pas souvent un discours fort ? Ne nous retrouvons-nous pas alors à subir le désir au lieu de créer ou d’aspirer à créer ? Malgré l’arrière plan sceptique dans ses versions bouddhistes ou philosophiques, la tristesse, la peur, la colère, etc. reviennent nous emporter. Ces émotions sont l’envers du désir déterminé psychologiquement et socialement : toute préférence inconsciente d’elle-même entraîne mécaniquement des refus de ce qui lui est contraire ; nos préférences narcissiques impliquent donc une agressivité sous-jacente qui permet à la violence la plus cruelle de resurgir.

Un trait significatif de la société postmoderne consiste à exploiter financièrement les techniques de communication qui tissent un réseau pourtant utile à la naissance d’un sentiment d’appartenance planétaire individuelle et collective. Prisonniers d’une logique de profit quantitatif, nos médias s’imposent des standards privilégiant certes un spectacle pluraliste mais exclusivement ou presque de l’ordre du relativisme vulgaire et donc éminemment chaotique, puisqu’il joue son succès commercial sur nos peurs et nos désirs, nos goûts et nos dégoûts égocentriques. La créativité médiatique bien qu’elle soit l’œuvre évidente d’un relativisme fort prolonge ainsi le règne de la quantité en nourrissant la passivité de notre regard narcissique par essence inconscient du fait qu’il a sous les yeux son propre chaos relativiste. Cette créativité n’a en général aucune ambition pédagogique concernant la prise de conscience d’une impulsion créatrice. Elle rabâche des informations éparses et souvent contradictoires en mettant tout sur une même grille de programmes sans accroître le discernement de leurs spectateurs. Au mieux elle permet à des victimes réelles de prendre la parole au risque de ne plus permettre le discernement avec la logique de victimisation propre au relativisme vulgaire. 
Ceci révèle pourquoi nous sommes sans doute dans une crise postmoderne : le relativisme fort dans son idéologie privilégiant le discours persuasif et informatif fourbit les armes du discours médiatique et publicitaire au centre désormais de toute l’économie et de la politique pluraliste. Son idée de la rencontre se réduit à des notions de marketing, de rhétorique spectaculaire au profit du vendeur, du gourou, du politique ou d’un groupe de victimes qui au fond spéculent toujours sur la faiblesse créatrice de leurs clients, de leurs disciples, de leurs électeurs ou de leurs défenseurs. Notre relativisme fort par essence finit par détourner spectaculairement et cyniquement l’échange au profit d’un règne de l’enrichissement quantitatif. Il préserve donc même apparemment exempt d’ethnocentrisme une part subtile d’égocentrisme. Le relativisme fort induit certes des hiérarchies spirituelles liées à une pratique exigeante du pluralisme mais malheureusement ces hiérarchies ne sont pas exemptes d’égocentrismes, de relents de logique de domination. Ces dominations sont-elles exemptes de démagogie ? Certains relativistes forts vont être prêt à exploiter les ressorts des mentalités religieuses, ethnocentriques, tribales et familiales pour parvenir à s’imposer trahissant par-là l’impulsion évolutive qui a produit sa propre mentalité. Si nous voulons dépasser la crise postmoderne inhérente à notre relativisme fort nous devrons entrevoir au-delà une conscience individuelle et collective renouvelée capable d’impulser un mouvement créateur manipulant certes toutes les strates évolutives des mentalités mais en offrant à chaque mentalité de nouvelles facilités évolutives. Des individus transcendant le relativisme fort dans le domaine social impulseront des relations et des institutions cristallisant davantage la vocation créatrice du pluralisme.
Un certain postmodernisme émergeant conscient de cette crise redécouvrant la spiritualité lorgne donc vers les sociétés prémodernes. Mais connaissant l’alliance fâcheuse du modernisme et du prémodernisme, cette élite culturelle d’individualistes postmodernes aura plutôt la nostalgie d’un communautarisme archaïque (cf. le néochamanisme) sans pouvoir vraiment réorienter le politique vers une meilleure harmonie entre processus d’individualisation et renforcement d’une solidarité collective.
C’est une aspiration postmoderne renouvelée à une meilleure harmonie globale entre processus d’individualisation et solidarité collective créatrice qu’il nous importe d’examiner. Peut-elle devenir réaliste et comment peut-on participer à la faire émerger ?

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2 - Quels individus veulent être libres ?


a) – Du conflit extérieur au conflit intérieur.


Dans Les frères Karamazov de Dostoïevski, l’inquisiteur justifie sa démarche en disant : « est-ce que des révoltés peuvent être heureux ? ». Pour lui, seule la soumission aux croyances communautaires garantit la tranquillité et finalement le bonheur individuel. Ceci montre la tendance des individus à nourrir la domination communautaire contre ceux qui voudraient mettre en cause ses lois et ses croyances. 
Le conflit entre les intérêts individuels et les intérêts communautaires a lieu en chaque individu composant une communauté car les obligations et les aspirations sociales sont déposées en chacun.


b) – analyse approfondie du conflit intérieur.


Il semble que ce conflit entre nos intérêts individuels et collectifs soit compliqué par le fait qu’il y ait deux tendances tant au sein de nos intérêts individuels que collectifs :
  • celle qui veut un ordre collectif juste d’une part et d’autre part celle qui souvent reproduit un système de valeur collectif qui n’a pas montré son efficacité au service d’une meilleure solidarité collective ou qui s’investit sans vraiment se poser de question d’après le seul système de valeur communautaire dominant ;
  • celle d’une part qui veut une authentique liberté individuelle et qui se heurte au système de valeur communautaire, et celle d’autre part qui aspire à autre chose sans toujours bien cerner cette autre chose et ne cesse de se soumettre à des satisfactions égocentriques plus ou moins étroites.
Ce conflit entre intérêts individuels et collectifs jusqu’au postmodernisme a pu évoluer comme recherche d’une liberté individuelle égocentrique produisant des formes collectives qui la satisfassent de façon de plus en plus démocratique.
Mais comme nous l’avons montré à propos du relativisme postmoderne, seul un dépassement au niveau politique des pulsions égocentriques de pouvoir et d’appropriation économique pourrait éviter que nos sociétés deviennent ploutocratiques (la ploutocratie est le règne des plus riches).


c) – Bilan :


Il n’y a donc pas de libération politique de plus en plus prononcée sans une dynamique de changement de mentalité individuel de plus en plus continue. 
Les sagesses postmodernes liées au relativisme fort restent nécessaires.
Nous avons en effet besoin d’une plus grande clarté d’intention, d’un renforcement de notre volonté d’être libre en apprenant à nous désidentifier consciemment des pensées, des émotions, des sensations... Mais les techniques archaïques et prémodernes de détachements, de méditation, etc. utilisées par les postmodernes relativistes doivent être réinterprétées au service d’une libération intérieure à portée sociale, culturelle et politique.
Les techniques ancestrales permettaient de laisser le monde à son propre destin. Inconsciemment les relativistes forts postmodernes continuent subtilement à le faire, nous devons aussi agir et interagir pour répandre socialement ces nouvelles libertés individuelles. 
Nous devons donc aussi faire face à nos manques de clarté, à nos compromissions tant individuelles que collectives : ces nouvelles libertés nous servent trop souvent à assoir notre pouvoir égocentrique. Nous devons cesser de nous identifier à ces compromissions en voyant qu’elles sont des obstacles impersonnels au bien commun qui seul nous importe dès lors qu’il inclut aussi notre personne. Autrement dit, nous devons trouver en nous le véritable foyer intérieur de notre liberté individuelle qui seul saura se tourner vers les forces authentiques de demain, les forces authentiquement évolutives au sens collectif. Ce foyer d’authentique liberté individuelle serait celui de notre âme véritable au niveau de laquelle est vécue l’unité de toutes les âmes par lesquelles notre univers n’a cessé de s’individualiser dans son évolution. 
Nous renvoyons à notre leçon sur la liberté créatrice qui précise ceci.
Mais comment mener politiquement ce tournant spirituel sans retomber dans une figure du totalitarisme en imposant des hiérarchies pires au fond que les hiérarchies économiques ? Comment éviter que ces nouvelles hiérarchies ne servent au fond qu’un égocentrisme plus subtil ? N’est-ce pas l’organisation hiérarchique qu’il faut mettre en question. Un changement de mentalité individuel permettant de dépasser les pulsions vaines et dangereuses de la reconnaissance par le pouvoir et l’appropriation économique ne va pas sans un changement qui reste profondément démocratique même s’il institue de nouvelles organisations qui comportent des hiérarchies. 
En examinant les libérations politiques précédentes peut-être trouverons-nous un commencement de réponse.


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3 - Le courage de la dissidence et de la résistance face aux succédanés modernes de tyrannie prémoderne.


a) – Toute tyrannie assied son pouvoir grâce à un système hiérarchique.


La Boétie, philosophe français du XVIe siècle montre que la tyrannie n’est pas seulement ce pouvoir injuste d’un seul sur toute une communauté. Le tyran trouve sa force dans la conjonction de ses intérêts avec ceux d’un groupe de complices. Ce groupe hiérarchique de complices étend ses ramifications dans toute la société si bien que personne n’ose proclamer sa révolte, craignant d’être seul contre tous.


b) – Analyse approfondie du système hiérarchique de pouvoir.


Nous devons d’abord reconnaître que le système hiérarchique répondît d’abord à une forme de progrès social dans le cadre des communautés prémodernes. Par exemple, en Egypte, seul un système hiérarchique permettait :
  • une politique de grands travaux d’irrigation permettant de soutenir une agriculture ( en Egypte ceci était lié aux crues et décrues du Nil), mais aussi une politique collective de gestion des stock de nourritures, les récoltes variant d’une année sur l’autre ;
  • une politique de défense des biens agricoles contre les intrusions étrangères convoitant les réserves de nourritures. Aujourd’hui encore les corps sociaux qui exécutent des tâches mettant en jeu des degrés de compétence technique ne peuvent que reprendre ce système. Un hôpital nécessite un fonctionnement hiérarchique face à ses patients : le corps des aides soignants, les corps infirmiers, le corps médical sont hiérarchisés de part en part en fonction des compétences.
Mais politiquement, il n’est pas sûr que les hiérarchies de compétences sociales doivent recouper une hiérarchie sociale. Le système de castes prémoderne même s’il mettait en valeur une hiérarchie spirituelle sur les hiérarchies militaires et économiques n’est peut-être pas aussi idéal que cela…
Un tel système hiérarchique a été fortement mis en cause par la modernité. Une telle unité spirituelle n’est-elle pas tyrannique ? Ne peut-on pas la suspecter de tyranniser toute sorte d’innovation spirituelle ? La Boétie écrit au XVIe siècle où vraisemblablement l’uniformité spirituelle qui chapote la hiérarchie sociale se lézarde. C’est sur ce sujet un moderne.
Les tyrannies du 20e siècle qui ont pris la figure de totalitarismes méprisant l’être humain dans sa singularité ont toutefois fondé leur pouvoir sur une modernisation de ce système de pouvoir prémoderne… Le tyran moderne qui veut asseoir son pouvoir a des techniques d’organisation hiérarchique radicale à sa disposition. 
Chaque ramification hiérarchique peut et doit être autant que possible isolée des autres car si une ramification veut s’emparer du pouvoir central, on peut lui opposer les autres ramifications. Dans certaines mafias, les membres des autres ramifications ne sont même pas connus : cela rend problématique les dénonciations d’un membre capturé par la police et permet de couper les branches infiltrées qui permettrait de remonter au sommet. Dans un état totalitaire, il y a des polices secrètes diverses dont les membres ne connaissent que quelques uns de leurs supérieurs hiérarchiques sans même connaître tous leurs égaux hiérarchiques qui appartiennent à d’autres ramifications secrètes de leur hiérarchie… Si bien que tout le monde se sent surveillé et menacé par tout le monde et que personne n’ose mettre en cause à voix haute le système. 
Cela confine alors à l’absurde : dans la même pièce deux personnes ne savent pas vraiment ce que fait l’autre ; le règne de la hiérarchie secrète parvenant à son comble, personne ne sait plus ce qu’il fait lui-même…
Staline a régulièrement créé de nouvelles branches hiérarchiques chargées d’épurer les anciennes qui chargées de l’épuration aurait pu se croire la branche régnante.
Hitler aussi a utilisé une nouvelle hiérarchie les SS contre une ancienne les SA qui risquait de contrecarrer ses projets. 
Le tyran ou le dictateur développera et imposera juste des liens verticaux au sein de ses hiérarchies : tout lien horizontal peut lui nuire car si liens horizontaux existent, ils peuvent permettre un non isolement de ceux qui doutent du système et ils permettent d’organiser la rébellion d’une faction voire une conscience révolutionnaire de classe d’égal niveau social contre le chef tyrannique. Le pouvoir tyrannique repose avant tout sur les relais de transmission verticaux propres aux principes de pouvoir hiérarchique.
Les systèmes communistes des pays de l’est se sont ainsi prolongés jusqu’en 1989 alors que la majorité n’y croyait plus depuis longtemps. La prise de conscience d’un pouvoir de changer une telle situation politique n’a lieu pour cette large majorité que si certains individus isolés ont d’abord le courage de la dissidence face à la tyrannie.
La Dissidence est donc par excellence un mouvement héroïque : il s’agit de s’opposer d’abord tout seul à l’injustice de toute la société, et donc le dissident doit donc commencer par s’opposer à soi-même et ses peurs. S’opposer consiste parfois à tout perdre pour montrer qu’on peut rompre l’isolement social et la complicité tacite avec le système. Il faut alors un héroïsme et une intégrité peu communs mais eux seuls peuvent nourrir un sentiment d’égalité horizontale qui abattra le système hiérarchique de pouvoir qui repose justement sur l’ignorance du pouvoir horizontal égalitaire.


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4 – La politique moderne des Lumières.


a) - Les droits de l’homme équilibrent le droit de la majorité.


Si nous nous libérons de tout système politique tyrannique fondé sur un pouvoir hiérarchique, il n’en reste pas moins que nous devons prendre des décisions concernant tout le collectif.
L’urgence des affaires humaines exige de prendre une décision :
  • le droit démocratique a prévu un système de prise de décision à la majorité ;
  • mais on gardera des organisations hiérarchiques compétentes chargées de les exécuter et on fera contrôler l’exécution de ces décisions démocratiques à l’aide d’organisations hiérarchiques judiciaires. Cependant l’idée de tyrannie de la majorité défendue par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique est à prendre au sérieux : une majorité peut finir par tyranniser une minorité à l’aide des hiérarchies exécutives et judiciaires. L’histoire a montré que des majorités ont même choisi des options au final antidémocratiques qui leur ôtaient tout droit à la décision. Face à ces dangers, le droit de la majorité doit donc être modulé suivant le type de décision : changer la constitution exigera par exemple une majorité au 2/3. De ce point de vue on perçoit la valeur des droits de l’homme qui doivent être des droits constitutifs qui limitent les droits de la majorité pour garantir ceux des individus eux-mêmes.

Transition :


Toutefois ne faut-il pas davantage considérer que du point de vue du droit une démocratie comme la nôtre évoque l’idée de Volonté Générale plutôt que celle de majorité quand elle définit le rôle idéal de nos représentants politiques. Dans une démocratie idéale, un citoyen idéal ne devrait pas participer aux décisions politiques suivant ses intérêts individuels et communautaires mais idéalement suivant les intérêts généraux de tous les individus et communautés. Cependant en quoi une telle qualité éventuelle de participation peut-elle être pleinement exprimée lors d’un vote majoritaire ?


b) - La force du droit n’est pas celle d’une majorité mais plutôt celle de la multitude humaine.


Si on réinterprète Spinoza, il semble que le pouvoir d’une faction même majoritaire n’est pas encore le pouvoir conscient de tous les hommes, de la multitude humaine qui au fond fait seul droit ultimement. Une majorité ne fait pas droit à l’intelligence du collectif humain en refusant de prendre le temps d’intégrer la minorité contre laquelle elle se pose en tant que force. La force d’une majorité n’est donc jamais la force de l’histoire qui se définit par le jeu de toutes les forces humaines.
La décision majoritaire n’est reconnue comme force de droit que par la multitude de tous les citoyens ; si la minorité refusait de se plier à la décision majoritaire, celle-ci ne ferait plus droit... La décision majoritaire fait droit dans la mesure où la force de la multitude reconnaît son droit...
Mais là encore qu’est-ce qui nous garantit que ces forces réelles du droit que sont les forces de toute la multitude ne sont pas nuisibles à l’homme lui-même ?
Si la multitude des intérêts humains prenait réellement conscience d’elle-même, ces intérêts humains ne se découvriraient-ils pas convergents quant au souci d’assurer un avenir à l’humanité ? 
Une majorité peut ne pas prendre conscience de cela car le souci de l’avenir est souvent porté par une minorité. En France par exemple les résistants furent une minorité entre 1940 et 1943. Mais la multitude le peut-elle davantage ?


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5 – Renouveler en postmoderne l’idéal de la Volonté Générale.


a) – Les rapports de dominations postmodernes.


Quand le rapport de domination oppose clairement un groupe organisé hiérarchiquement au reste du peuple, une dissidence peut la pointer. Mais aujourd’hui dans les sociétés démocratiques occidentales, les croyances communautaires sont plutôt centrées sur la tolérance, le sens des libertés individuelles. Les rapports de domination en général sont donc dispersés, multiples et s’entrecroisent. Les rencontres d’individus sur un mode horizontal non hiérarchique sont en fait limitées : mêmes les organisations politiques démocratiques ne semblent pas faire de ce mode de rencontre un critère de qualité d’un engagement démocratique.


Par exemple :
  • Il y a plusieurs hiérarchies différentes (beaucoup de petites hiérarchies surtout économiques) si bien que face aux urgences écologiques nous sommes incapables de prendre les solutions radicales qui pourtant s’imposent ;
  • Au sein des partis majoritaires, on médiatise ; on médiatise l’adhésion des nouveaux adhérents qui ainsi se sentent mieux représentés ! Ou bien on médiatise les monologues successifs de candidats à l’investiture ! On s’affronte au lieu de se rencontrer... Il est vrai que jusque dans les sphères de l’intime l’un exploite l’autre dans un sens tandis que ce même autre l’exploite par ailleurs : il y a peu de rencontre horizontale sincère, rares sont les instants d’échanges d’âme à âme. Comment trouver alors un équilibre entre individu et communauté ? Comment nos sociétés peuvent-elles aller vers plus de cohésion sans nier la puissance créatrice individuelle ?

Une politique hypermoderne axée sur une juridicisation des relations est insuffisante. Il y a une répression nécessaire des actes criminels individuels et communautaires qui nuisent aux droits des individus et contreviennent aux décisions majoritaires. Mais elle ne suffira jamais à enrayer ses causes profondes. 
Car la criminalité ainsi réprimée estime que ceux qui proposent une telle politique de répression défendent surtout leurs propres intérêts économiques et masquent même pour beaucoup grâce à leur pouvoir politique l’immoralité de leurs propres activités économiques.
Cette politique qui obligatoirement échoue ne fait que ranimer des nostalgies modernisées de sociétés prémodernes.
Une politique hypermoderne nationale qui insiste sur la gestion des inégalités sociales n’est plus crédible à l’heure de la mondialisation économique et technologique. Son inefficacité parce qu’elle n’affirme pas la nécessité d’une lutte à dimension internationale qui exige en partie certaines concessions nationales ne fait que renforcer des égoïsmes nationaux.
Nos nations sont souvent dirigées par des postmodernes narcissiques qui réalisent mal à quel point leurs discours hypermodernes font peu de sens dans des nations qui sont constituées de tendances communautaires aussi diverses. 
La minorité postmoderne ne peut se contenter de régner en utilisant habilement une rhétorique médiatique hypermoderne manipulant les oppositions entre modernité et prémodernité.


b) – Réinvestir en postmoderne l’idéal rousseauiste de la Volonté Générale.


Il y a selon nous une seule solution face à ces nouveaux types de rapport de domination : c’est plus de démocratie.
Elle seule brise les tendances hiérarchiques prémodernes antidémocratiques.
Seul un nouveau sens du dialogue démocratique permettra d’harmoniser les diverses morales existantes sans nier leur diversité et leur créativité que voudrait occulter les modernes.
Enfin seule cette exigence met les postmodernes individualistes concrètement face à leur narcissisme, leur relativisme qui masque les effets négatifs de leurs jeux de domination économique appuyé par leur propagande médiatique. Mais cet engagement politique mettra aussi les postmodernes communautaristes aussi face à leurs fantasmes irréalistes d’un « nous » de groupe tel qu’il existe dans les sociétés premières. 
Certes certains postmodernes en brisant leur narcissisme peuvent certainement faire l’expérience d’une forme d’intersubjectivité non fantasmatique entre postmodernes. Mais pour réellement avoir un impact politique, ils doivent participer à renouveler les pratiques démocratiques en fixant un nouvel idéal de constitution de la Volonté Générale démocratique. Ils ne peuvent se contenter d’être les gardiens de la démocratie représentative telle qu’elle est. Ils ne peuvent se contenter de défendre les droits de l’homme et l’intégrité de l’humanité face à l’inconscience politique, économique et culturelle. Ils doivent proposer une réelle politique postmoderne et ne plus se limiter à un vivre ensemble idéal postmoderne.
Rousseau nous invitait à distinguer la Volonté Générale de la volonté de tous. La volonté de tous est un consensus obtenu par un compromis où chacun cède sur certaines exigences. La Volonté Générale entend intégrer toutes les exigences individuelles dès lors qu’elles ne s’opposent pas au bien commun.

Par exemple :

Quand la Volonté de tous est à l’oeuvre : 

Au sein d’un groupe d’amis on veut organiser une soirée. Plusieurs sous-groupes de personnes veulent organiser la soirée dans des endroits différents, donc plusieurs solutions entrent en lice. La volonté de tous est liée à la découverte d’un compromis : un soir on organisera la soirée ici, le lendemain ou un autre soir, on organisera la soirée là-bas. Dans l’établissement de la volonté de tous les factions, les sous-groupes, les manœuvres d’alliance et d’opposition sont déterminantes pour imposer telle version d’un compromis plutôt que tel autre. Là où un vote à bulletin secret et à la majorité aurait donné tel type de choix, ici par le jeu des négociations un choix tout à fait différent aurait pu avoir lieu.

Quand on met en œuvre la Volonté Générale : 

On peut permettre l’individualisation authentique de toutes les volontés individuelles et envisager des systèmes de décision qui les intègre toutes tant que ça ne porte pas préjudice aux droits collectifs et individuels : un groupe d’ami qui organiserait une soirée en appliquant ce schéma décisionnel devrait intégrer dans une représentation satisfaisante de sa volonté générale toutes les exigences individuelles qui ne nuisent pas au bien commun du groupe. Si certains veulent aller passer la soirée au cinéma, si d’autres veulent la passer à la piscine et enfin d’autres en boîtes de nuit, il faut trouver dans l’idéal une représentation qui intègre toutes ces possibilités qui ne nuisent pas au collectif. On pourrait imaginer, par exemple, en vue de satisfaire dans une Volonté Générale toutes ces volontés individuelles, un lieu et une soirée qui réunissent piscine, écran de cinéma au bord de la piscine et film musical dansant.
Cet idéal renouvelé d’une Volonté Générale politique n’est pas impossible et peut être recherché. On voit clairement qu’il implique une individualisation des volontés très prononcées puisqu’une volonté inféodée à un groupe ou une faction aboutit seulement à une volonté de tous mais aussi cet idéal implique un sens collectif inédit de la création. Là où une majorité ou une volonté de tous consensuelle a seulement un sens collectif de réponse à des urgences, cet idéal renouvelé de la Volonté Générale est celui d’une communion humaine harmonieuse en évolution constante tant en terme d’individualisation que d’organisation collective.
Cet idéal renouvelé d’une Volonté Générale politique n’est pas impossible. La Volonté Générale est à l‘image par exemple des groupes musicaux, des équipes sportives, etc. Les groupes musicaux ou sportifs sont déjà des groupes où chacun cherche à tenir les deux exigences difficiles à mener de front de la Volonté générale. En effet là où pour la Volonté Générale on doit vraiment affirmer sa volonté individuelle et intégrer seulement ses dimensions positives à l’ensemble, dans un groupe musical ou une équipe sportive chacun doit improviser personnellement et doit participer à l’harmonie de l’ensemble.


c) – Approfondir l’idéal de la Volonté Générale postmoderne comme intelligence universelle d’individualisation.


(i) - La Volonté Générale n’est pas qu’une Idée : issue d’une rencontre, elle peut concilier conscience individuelle et collective.


Dans un groupe de musique improvisée, il y a une esquisse de Volonté Générale véritablement créatrice. Pour Rousseau déjà la Volonté générale n’est pas simplement la somme des volontés individuelles, le produit des volontés individuelles présente quelque chose qui n’était pas en elles, comme l’harmonie d’ensemble d’un groupe musical n’est pas simplement la somme des musiques de chaque musicien. 
Mais on peut aller plus loin que Rousseau pour qui la Volonté Générale ne demeure que le produit d’un groupe, d’un peuple donné . On peut considérer que la Volonté Générale est une intelligence universelle qui devient consciente d’elle-même en chaque individu et qui aide l’individu à parachever sa propre individualisation.
Dans un groupe de musique improvisée, chacun doit développer un style individuel, mais ce style individuel ne doit pas seulement éviter de nuire au groupe musical, il doit aussi permettre d’en augmenter le génie universel. Donc trouver son style individuel revient à le nourrir aussi d’un génie universel potentiel qui alors s’actualise de plus en plus simultanément de façon individuelle et collective. 
Il ne s’agit pas simplement de nourrir sa pensée personnelle d’une exigence d’universalisme pour vivre cette expérience. 
Rousseau estimait que l’expression des volontés devrait être isolées pour produire de véritables volontés individuelles non influencées. Mais même dans un isoloir une influence peut s’exercer. Un individu véritablement indépendant s’exprimera dans une discussion sans perdre son indépendance. L’individualisme postmoderne parfois décrié pourrait ainsi offrir les meilleures conditions jamais rencontrées pour faire l’expérience d’une Volonté Générale.
Malgré l’affirmation de certains penseurs politiques (L. Ferry, A. Renaut par exemple), la Volonté Générale n’est donc pas seulement réductible à une théorie politique intellectuelle universelle qu’on peut retenir comme principe fondateur du droit : en fait l’universel n’existe pleinement que dégagé de l’expression intégrée collectivement de l’épanouissement de nos individualités. 
Pour Rousseau, dans le Contrat Social, la volonté générale est certes formée à partir d’une expression isolée de la volonté individuelle, celle-ci est recueillie et un politique tente la représentation de la Volonté Générale qui en ressort et la propose au peuple assemblé. Selon notre réinterprétation, elle est avant tout une expérience historique voire évolutive à portée universelle issue de rencontres effectives entre les citoyens qui font comme l’expérience d’une inspiration collective et individuelle harmonieuse. Le calcul politique de la Volonté Générale pourrait selon nous être inutile si dans la qualité du dialogue lui-même se faisait l’expérience d’une inspiration qui directement exprime une intelligence de la Volonté Générale.


(ii) - La recherche de l’Harmonie individuelle et collective à l’aide de la dialectique socratique.


A ce point la Volonté Générale peut aussi être réinterprétée en la rapprochant de l’expérience dialectique platonicienne et socratique d’un monde intelligible universel source de l’individualisation de notre univers sous forme de toutes les individualités humaines. 
Platon écrit des dialogues où il fait parler Socrate. Socrate dit qu’il est difficile, dans un dialogue, de définir les termes d‘un sujet de discussion. Cette difficulté vient du fait que chacun à tendance à penser de manière conservatrice. On s’accroche à notre univers de pensées, on écarte tous ce qui pourrait le modifier. Pour Socrate, il y a un résultat concluant d’une discussion si les participants se sont mutuellement instruits. Socrate, implicitement, dénonce la volonté de rester ignorant. La qualité d’un dialogue dépend entre autre de la qualité émotionnelle du dialogue. La grande difficulté d’un tel dialogue est l’irruption d’émotions. Plus particulièrement, cette difficulté émotionnelle concerne la reconnaissance de nos erreurs et de notre ignorance. Par ailleurs, il semble que la discussion éveille souvent en nous la volonté de vaincre l’autre. Pour Socrate, il est essentiel, dans un dialogue, de distinguer la critique des faits et des gestes d’une personne, de la critique directe de la personne. Le dialogue ne préjuge pas de ce qu’il va permettre de découvrir et en même temps, pour qu’un dialogue réussisse, il faut que chacun des participants soit capable d’une tranquillité d’esprit quoi qu’il arrive. Dans le cas de Socrate, on a un moyen paradoxal d’apprendre la sagesse : se confronter à l’inconnu au cours du dialogue. Le dialogue, la rencontre, est l’occasion de s’ouvrir à la révélation de l’inconnu.
Socrate et Platon évoquent une possibilité du dialogue comme rencontre avec un monde de formes intelligibles et au-delà encore avec une unité de l’être du devenir des âmes (on en trouvera une description détaillée dans notre cours sur l’art à propos de l’extrait du Banquet de Platon). Quelque chose d’une expérience psychique (ayant à voir avec l’âme) des formes intelligibles existe peut-être quand la pratique dialectique est très avancée. Certes les discours de Socrate et Platon ne sont de leurs propres aveux encore qu’une description intellectuelle et donc une interprétation limitée de la forme d’ouverture d’esprit qui pourrait avoir lieu à un stade avancée de cette pratique : leur interprétation limitée (Socrate plus que Platon affirme ne rien savoir de définitif) traduirait d’ailleurs en un sens le caractère limitée de leur propre expérience d’ouverture à une conscience psychique que nous pouvons qualifier sans la trahir de surmentale. Notre conscience en dialogue aurait accès à une source surmentale d’inspiration transcendant la réflexion mentale habituelle.
Ceci signifierait que l’Harmonie individuelle et collective préexiste en quelque sorte au niveau de ce qui inspire tout dialogue authentique. On peut à nouveau évoqué un groupe de musique improvisée où le dialogue musical nourrit l’inspiration individuelle en la rendant harmonieuse avec une forme d’inspiration collective.


Remarque polémique : On peut toujours légitimement d’un point de vue intellectuel et scientifique discuter l’interprétation de ces expériences où semblent se vivre une inspiration surmentale. Faut-il interpréter comme Socrate et Platon ces expériences psychiques surmentales en termes de formes intelligibles immatérielles dès lors que nous savons que la matière ne nous est même pas sensible au moment où la pensée s’exerce dans notre cerveau ? On peut par exemple préférer ramener ces expériences psychiques surmentales à des expériences fugitives d’intuitions qui se produisent parfois dans notre espace cérébrale lorsqu’on se confronte longtemps à un problème ; on peut repenser ces expériences psychiques surmentales comme un travail cérébral inconscient qui se cristalliserait d’un coup consciemment.

Notre idéal d’une pratique renouvelée de la Volonté Générale revisitée à l’aide de la dialectique socratique risque de rencontrer non seulement des oppositions politique. Un scepticisme matérialiste intransigeant risque de refuser tout dialogue consistant avec ceux qui témoignent d’une telle expérience parce qu’ils l’interprètent dans une perspective spiritualiste immatérialiste. Dans un dialogue authentique, un tel sceptique peut pointer de façon éclairante les imperfections des arguments spiritualistes immatérialistes qui risquent toujours de minorer la réalité matérielle mais l’enjeu de tout dialogue est d’abord d’améliorer la qualité dialectique du dialogue. Car au fond sans voir que l’idée d’une réalité psychique surmentale affirme l’existence d’une faiblesse inhérente à toute argumentation et à toute interprétation seulement mentale, on manquera toujours l’essentiel. La matière étudiée mentalement de l’extérieur ne peut pas toujours rendre compte de la matière vécue de l’intérieur. Le spiritualiste immatérialiste ne peut pas exclure une forme de matérialisme spiritualiste. Dans ce débat chacun doit raisonner sur fond d’une suspension radicale du jugement propre selon nous à un scepticisme authentique seul capable d’une réelle qualité de dialogue dialectique. Un scepticisme de la suspension radicale du jugement sur la valeur et la validité ultime de nos énoncés mentaux fera l’expérience consciente des limites du mental ce qui prédispose davantage à faire une éventuelle expérience psychique surmentale plus intense et plus continue. Un tel usage du scepticisme nous rendra en effet plus apte à nous étonner soudain du lien et de la coïncidence entre une qualité d’inspiration intuitive nourrissant nos fictions intellectuelles et son efficacité apparente sur les plans affectifs, sensitifs voire physiques. Bien que condamnée sur le plan intellectuel à être objet de débat en tant qu’expérience entre spiritualiste et matérialiste et tant que contenu à être objet de suspension du jugement sur sa valeur mentale ultime, cette conscience force surmentale de l’inspiration comme réponse à une aspiration individuelle authentique à évoluer ainsi expérimentée donnera seule une réponse solide au scepticisme lui-même et au relativisme fort égocentrique qui s’en nourrit. Elle pointera non pas une élaboration mentale convaincante mais une forme ouverte et évolutive de mode d’être en vérité au-delà de nos jugements mentaux qui en seront de plus en plus simplement l’instrument. 
Ainsi les questions légitimes d’interprétations sur le plan intellectuel ne doivent jamais nous éloigner du fait qu’une qualité psychique surmentale d’expérience d’ouverture d’esprit rompt avec la survalorisation de la conscience intellectuelle usuelle. Pour en discuter, il nous semble qu’il faut avant tout devenir des praticiens de plus en plus avancés de la dialectique que ce soit dans les domaines intellectuels comme en témoignent d’éminents scientifiques qui racontent avoir vécu l’apparition de vision intuitive résolvant des difficultés insolubles par la raison raisonnante usuelle, dans le champ artistique où la question de l’inspiration et du génie se ressent souvent même en tant qu’amateur, dans le champ affectif comme en témoignent divers chercheurs spirituels voire dans le domaine sensorimoteur comme en témoignent certains sportifs ou pratiquants d’arts martiaux externes ou internes .
Si on réinterprète la Volonté Générale à l’aune d’un dialogue dialectique élargi, la qualité du dialogue elle-même pourrait permettre l’expérience d’une inspiration qui directement exprime une conscience intelligente universelle ainsi la Volonté Générale ne serait pas seulement le résultat d’une représentation intellectuelle intégrant l’expression de toutes les volontés individuelles mais d’une inspiration collective suscitant l’approfondissement de chaque individualité.

Remarque sur le rapport entre politique et religion :

Une telle conscience intelligente universelle dont nombre de spiritualités philosophiques ou religieuses ont prétendu recevoir l’inspiration serait alors confirmée mais dans un sens infiniment renouvelé puisque dans cette démocratisation radicale de la société humaine elle serait d’abord la puissance impulsant l’individualisation de l’univers qui serait sous-jacente tant à l’émergence évolutive de l’humanité qu’à toute forme d’individualisation de la personnalité des êtres humains. Comme le disait le penseur indien Vivékananda au début du 20e siècle, si nous prenons au sérieux spirituellement la dimension personnelle de l’existence comme les dimensions universelles et transcendantes, il faut lutter contre les désirs des religions d’imposer telle ou telle version idéologique d’une vision d’une lignée d’individus à l’évidence inspirés : il faut protéger les individus de telles tendances religieuses pour permettre à chaque personne d’approfondir de façon individuelle une relation inspirée à l’universel et à la transcendance. Les philosophes, les sages, les prophètes, les saints du passé ne doivent pas être suivis ou reproduits mais ils peuvent nous inspirer individuellement dans le développement de nos propres qualités d’inspiration. Le dévoilement d’une vérité de l’universel et de la transcendance serait d’abord et avant tout dans ce nouveau contexte social et politique l’œuvre même de nos tentatives d’individualisation au-delà de nos égocentrismes, de nos tribalismes, de nos ethnocentrismes, de nos préjugés civilisationnels et donc religieux, etc.

Remarque sur le statut de notre exposé : 

Dès lors que nous accordons au développement du dialogue dialectique une place si particulière dans la constitution et la reconnaissance de la Volonté Générale réinterprétée par nos soins, nous pouvons poursuivre notre comparaison entre politique et musique pour situer le statut de ce cours sur la liberté politique. Nos théories politiques sont des partitions de plus ou moins bonnes qualités mais qui peuvent inspirer des groupes de musique improvisée dont chaque concert aura malgré quelques similarités des développements chaque fois inédits, des explorations de plus en plus profondes de lignes d’improvisation individuelle et universelle. A terme les partitions qui auront été inspiratrices seront dépassées par la réalité de l’interprétation vivante du groupe puis par l’aventure improvisée du groupe tant au niveau de sa conscience musicale universelle qu’au niveau des consciences musicales individuelles.

c) - Radicaliser la démocratie, c’est donc reconnaître que la décision majoritaire est le plus bas degré de vie démocratique d’un groupe.

Si la majorité a le souci d’un véritable dialogue démocratique, qui soit non seulement une véritable recherche de la Volonté Générale comme intégration utopique de tous les aspects positifs pour le bien commun mais d’une Volonté Générale créatrice nourrissant le pouvoir créateur universel des volontés individuelles alors nous avons un espoir d’un vie démocratique d’une qualité supérieure. Les problèmes actuels qui mettent en jeu la survie de notre humanité sembleront avoir été le milieu propice à un véritable bond évolutif.
Les Lumières furent un mouvement minoritaire mais elles ont introduit les Droits de l’Homme Universel et la démocratie au suffrage majoritaire... 
Il nous faut un nouveau mouvement des Lumières, la démocratie ne doit plus demeurer un spectacle médiatique de candidat dont on choisit le meilleur soit disant à la majorité. Ce type de choix est digne des reality show où les téléspectateurs choisissent en téléphonant pour tel candidat plutôt que tel autre. Il nous faut un nouveau mouvement des lumières qui montre qu’un groupe peut prendre des décisions non plus seulement par un système majoritaire ou un système de compromis produisant un consensus mou. Une démocratie nationale ne doit pas envisager les problèmes politiques en termes nationaux nombrilistes : vue la portée mondiale des problèmes politiques, elle doit vraiment avoir une Volonté Générale à portée universelle.
Il faut qu’une décision relevant d’une véritable intelligence postmoderne universelle face à nos problèmes nationaux, internationaux émerge.
Une Volonté générale où chacun exprime sa volonté créatrice la plus universalisable tout en participant et se nourrissant de l’harmonie évolutive collective universelle restera-t-elle une utopie ? 
Pas si une forme d’intelligence intersubjective universelle créatrice se manifeste dans nos vies subjectives comme le dialogue dialectique et les témoignages sur l’inspiration, le génie, etc. le suggèrent..


d) – Transition : il nous faut un sens de l’autorité démocratique.


Reste à trouver des moyens de connecter ce nouveau sens de la Volonté Générale aux réalités démocratiques actuelles.Retour ligne automatique
Bien entendu pour qu’une telle expérience se répande, il faut défendre une démocratisation des décisions politiques, il faut dénoncer les limites des politiques modernes fondées sur des partis de majorité dont les fonctionnements internes sont eux-mêmes majoritaires pour la plupart. Par ailleurs la majorité d’une nation peut être une minorité internationale nuisible à l’harmonie des nations.
On pourrait à ce propos évoquer la notion de pouvoir d’Hannah Arendt. Pour elle une véritable autorité est celle qui parvient à partager le pouvoir de décider et d’agir entre les mains du collectif. Pour aller plus loin que ne le faisait Hannah Arendt, l’autorité doit servir l’organisation consciente du pouvoir collectif de l’humanité qui à la fois prend sa source et se déploie en chaque individu à travers ses appartenances nationales. 
Au lieu d’un parti politique, il nous faudrait donc d’abord développer un mouvement basé sur la recherche d’une sagesse liée à la rencontre comme recherche collective et universelle de la Volonté Générale. De tels groupes divers ne viseraient pas le pouvoir politique national et international mais chercheraient à faire autorité par leur exemplarité, leur œuvre d’éducation culturelle et leurs positionnements politiques publiques. 
Ils seraient internationaux autant que nationaux. Ils essaieraient de se lier les uns aux autres démontrant par là leur recherche d’une authentique sagesse en quête d’une Volonté Générale.


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6 – Renouveler le sens de l’autorité démocratique comme recherche de sagesses au service d’un idéal de la Volonté Générale créatrice.


a) – Esquisse des fondements d’une possible sagesse démocratique.


Spinoza a une conception de la sagesse comme amour intellectuel reliant le tout de la nature et ses parties et comme intuition du tout au sein de la partie. Par fidélité à cette conception de la sagesse , il préfère proposer des institutions où s’incarne au mieux la puissance de la multitude humaine. Cette multitude peut devenir un tout relatif dans la mesure où s’harmoniseront au fil du temps les diverses passions humaines s’accordera sans doute sur des institutions éminemment rationnelles. L’intérêt particulier lorsqu’il émane de la multitude finit selon Spinoza par produire des intérêts plus universels . Les institutions fruits d’accord entre intérêts particuliers disposeront même davantage les individus à considérer des intérêts proprement universels qui émane du tout, elles formeront parfois les conditions propices pour rechercher une forme de sagesse qui libère de l’esclavage émotionnel et passionnel. Mieux vaut disperser le pouvoir entre tous les êtres passionnés ou sages exceptionnellement car alors leurs institutions et le gouvernement chargés de les mettre en œuvre soumis directement au pouvoir de la multitude incarneront une égalité de droit fidèle à l’égale dignité potentielle de chacun . Le droit naturel du plus fort vis-à-vis du plus faible s’éclipse devant le droit naturel issu du pouvoir de la multitude. Le droit naturel qui s’exprime dans les rapports de domination permet l’agrégation des faibles . Celle-ci condamne les forts à plus ou moins brève échéance à intégrer le droit naturel issu de la multitude qui implique la reconnaissance de l’égale dignité potentielle de tout être humain.
Le sage sera donc de plus en plus protégé par le droit rationnel issu de la multitude et rien ne l’empêchera de répandre ses idées et surtout sa manière d’être sur la place publique. Ses idées du juste et surtout son agir juste seront pertinents et réalistes, car ils prendront en compte les passions aveugles et ce qu’il faut mettre en œuvre politiquement pour rendre plus facile l’accès à une forme de sagesse. Sur la base du pluralisme impliqué par un sens partagé de l’égale dignité des personnes , il s’agira de mettre en œuvre une dynamique où l’inégalité spirituelle ne sera ni niée politiquement ni dévoyée au service de causes obscures.
Dans ce contexte un idéal de sagesse semble s’accorder à un idéal de la volonté générale voire le renforcer comme inéluctablement : il serait le sens de l’évolution en cours.
Toutefois vouloir imposer le bien même en suivant une quelconque forme de conception de la vérité ou même de façon plus radicale l’intuition de l’unicité transcendante (qui est par exemple centrale chez Socrate et Platon) de toute chose risque de confiner à une forme abusive de théocratie ou à une forme de totalitarisme. Mais si une intuition de l’unicité transcendante de toute chose s’éveille intégrée à une conscience cosmique de la multitude humaine, lui est-il interdit de répandre sa reconnaissance ? Si la possibilité de cette double dimension de l’intuition (transcendante et cosmique) n’est pas seulement hypothétique, elle sera le vecteur de notre évolution sociale et politique. Qui ou quoi pourra alors l’empêcher de se répandre concrètement en tant que forme renouvelée de la volonté générale ? 
Si cette double intuition est un fait qui peut s’incarner dans une forme renouvelée de la volonté générale dans la mesure où elle pourrait être ressentie au sein de tous les individus qui participent à sa création, elle s’affinera afin de se dépasser sans cesse elle-même sans point final comme évolution de plus en plus harmonieuse des consciences individuelles et des consciences collectives…


b) - Spiritualité prémoderne et spiritualité authentiquement démocratique.


Dans les sociétés prémodernes, les hiérarchies spirituelles avaient un monopole de la chose spirituelle. Certains nostalgiques de ces sociétés comme René Guénon, Julius Evola et même parfois Mircea Eliade soulignent volontiers qu’en leur âge d’or ces sociétés faisaient coïncider le sommet de la hiérarchie sociale et le sommet de la hiérarchie spirituelle. 
Dans nos sociétés postmodernes, l’ambition démocratique la plus légitime serait de faire basculer tous les individus dans une forme d’intelligence spirituelle universelle. 
Pour nous, participer au développement d’une intelligence véritablement universelle en expérimentant une forme renouvelée de Volonté Générale peut être considéré comme le développement par excellence d’une nouvelle forme spirituelle démocratique. D’ailleurs, son développement implique comme nous avons pu le souligner la mise en valeur et le développement de qualités d’intégrité personnelles relevant d’une éthique spirituelle dont les spiritualités passées avaient fournis des esquisses à portée universelle. 
Mais du fait de l’inégalité spirituelle entre les êtres humains, le développement une élite d’une éducation et d’une pratique en vue de la Volonté Générale ne nécessite-t-elle pas un retour temporaire du modèle hiérarchique prémoderne ? Un nouvel arrivant joignant un groupe pratiquant la recherche de la volonté générale ne devra-t-il pas être guidé sur le chemin d’individualisation qui lui donnera accès à cette nouvelle émergence de conscience collective consciente d’elle-même dans les individus ? Nous pensons que cette façon hiérarchique de voir est inadaptée car le système prémoderne même dans son caractère spirituel le plus parfait empêche la spiritualisation de la conscience mentale de tous les individus qui le compose de par son organisation hiérarchique.


c) – Limites initiatiques de la société spirituelle prémoderne.


Premièrement, le système prémoderne entraîne effectivement un manque d’individualisation mentale des personnes se tenant dans le bas de la hiérarchie sociale. Accéder au sommet de la hiérarchie sociale consistait dans les sociétés prémodernes à passer d’une pratique religieuse exotérique à une pratique ésotérique par le biais d’épreuves sélectives d’initiation. Certains esclaves jugés dignes d’être des hommes libres étaient affranchis, certains artisans faisant preuve d’héroïsme étaient anoblis, l’engagement spirituel d’un homme le rendait hors caste et l’assimilait à la caste spirituelle supérieur… Mais il n’y avait aucun système d’éducation global ou intégral. On ne considérait pas suffisamment la valeur spirituelle de la personne humaine… Et il est vraisemblable que ce système s’est effondré car justement il n’y avait pas une correspondance entre valeur spirituelle réelle des personnes et valeur sociale. Contrairement à ce qu’affirment les nostalgiques du monde prémoderne, ce ne sont pas la fatalité des forces de décomposition qui a triomphé mais la raison moderne. 
La raison moderne a développé l’idée universelle d’égale dignité des personnes même si comme un point de vue postmoderne éclairé le reconnaît, il n’y a pas d’égalité spirituelle.


Approfondissement complémentaire : 

Socrate ou Jésus-Christ ont par le don de leur vie voulu suggérer à leur communauté et à l’humanité qu’il était nécessaire de donner des droits imprescriptibles à chaque être humain pour le défendre de la communauté. Tout homme dispose d’un potentiel de « bon sens » : Socrate associerait ce bon sens aux exigences du dialogue, Descartes l’associait aux exigences logiques et rationnels sans suffisamment se souvenir que chez Socrate et Platon elles sont reliées à l’éthique du dialogue. Plus encore que d’un potentiel de bon sens, tout homme dispose d’un potentiel d’ « amour du prochain comme de soi-même » comme Jésus-Christ entre autres a voulu le suggérer. Ainsi tout homme disposant d’un potentiel de bon sens et d’amour a une dignité même si trop souvent bon sens et amour ne sont pas développés en tant qu’instrument d’une intelligence spirituelle universelle.


d) – Limites pédagogiques de la société spirituelle prémoderne.


Deuxièmement, ces sociétés prémodernes auraient pu peut-être subsister sous la forme de la République de Platon. Platon proposait la constitution d’une cité idéale qui reprenait la structure sociale des sociétés prémodernes. Mais il intégrait au système prémoderne un système éducatif de type quasi intégral. Autrement dit, un type d’éducation propre à chaque classe sociale était proposé. Il devait aussi permettre la révélation des meilleurs parmi une classe pour les éduquer ensuite en vue de constituer la classe sociale supérieure. Platon cherchait un système politique qui n’aurait pas permis la condamnation ou la relégation sociale d’un homme d’excellence : Socrate son maître n’avait-il pas été condamné par la démocratie athénienne, ce régime ne pouvait pas être bon puisqu’il était incapable de reconnaître les meilleurs.

Remarque : A partir de ce point de vue Platon défendra le fait que hommes et femmes reçoivent le même type d’éducation. Dans son école philosophique, l’Académie, il admît les femmes.

Mais Platon manquait la profondeur de l’enseignement de son propre maître. Socrate avait été un accoucheur d’individualités très diverses : outre le maître de Platon, Socrate a été le maître d’Anthistène qui fût l’inspirateur des Cyniques et des stoïciens qui affirment qu’il vaut mieux changer que soi que le monde ; il a été le maître d’Aristippe qui à l’opposé de la modestie et de la pauvreté volontaire d’un Anthistène prône un hédonisme philosophique proche de certaines interprétations du tantrisme. 
Socrate n’aurait certainement pas confondu les classes sociales avec un degré de sagesse. Pour lui la sagesse peut s’individualiser et s’individualise grâce à lui au niveau de chaque classe sociale. Si on prend au sérieux le fait qu’il ait choisi de se faire condamner à s’empoisonner alors qu’on lui donnait le choix de s’enfuir, on pourrait comprendre qu’il voulait davantage confronter la démocratie à elle-même plutôt que fonder une cité utopique non démocratique comme Platon l’a envisagé…
Remarque : Platon nostalgique d’un âge d’or prémoderne dont il participe à fonder le mythe hésite quant à l’existence du statut d’esclave. Dans la République, on ne voit qu’il soit question d’esclave. Dans Les Lois où la dimension éducative dont le sommet est le dialogue philosophique est moins prégnante, il est accepté.
Aider les êtres humains à évoluer spirituellement a une dimension imprévisible qu’une structure sociale hiérarchique fixiste ne peut intégrer. L’évolution spirituelle des parties doit s’allier à une réorganisation constante des relations entre parties.

A partir de cette critique on peut ouvrir de nouvelles pistes de réflexion : 

Dans la vision moderne les changements dans la hiérarchie sociale sont reconnus nécessaires en vue d’intégrer les innovations technologiques et matérielles : la modernité commence donc sous la forme d’une méritocratie démocratique. Dans une vision spirituelle évolutive postmoderne, les changements de hiérarchies de compétences techniques et économiques coïncident-ils et se superposent-ils aux prises de conscience de nouvelles hiérarchies spirituelles ? 
N’est-il pas temps de matérialiser consciemment contre les injustices criantes engendrées par le monde moderne ce jeu de renouvellement des hiérarchies spirituelles ?

e) – Limites spirituelles de la société prémoderne.

Troisièmement, si du point de vue prémoderne on veut répondre à la critique précédente et vraiment envisager la société prémoderne comme celle d’un âge d’or révolu, on peut interpréter avec Aurobindo dans Le cycle humain les classes sociales prémodernes comme des classes psychospirituelles au sein d’une société toute entière imprégnée par la quête spirituelle. 
La classe des hommes cherchant le divin par la connaissance est celle des prêtres. La classe des hommes cherchant le divin par le courage, le renoncement à soi est celle des guerriers. La classe des hommes cherchant le divin par le travail de transformation du monde matériel est celle des artisans et paysans. La classe des hommes cherchant le divin par la soumission, le service est celle évidemment des serviteurs. Du point de vue spirituel, chacune de ces classes pourrait exprimer tout autant le divin. Retour ligne automatique
Mais si cette figure n’a pas subsisté dans l’évolution de la manifestation divine, il faut admettre qu’elle manquait en tant que manifestation divine de consistance spirituelle.
Sri Aurobindo lui-même estime dans son interprétation des Védas, ces textes sacrés de l’Inde les plus anciens qu’une telle perfection prémoderne n’avait pris corps que localement et qu’il lui manquait un vecteur de réalisation universelle qu’elle a pu trouvée seulement dans le développement de la raison moderne. 
Certains affirmerons malgré cette interprétation que l’absolu se perd toujours de plus en plus dans sa manifestation et que le but de la spiritualité est juste d’anticiper personnellement la réalisation de la part d’absolu non manifesté qui par définition ne se perd pas elle-même.
Quant à nous à la suite de sri Aurobindo dans Le cycle humain, nous affirmons qu’il faut défaire un modèle de manifestation pour en manifester un autre plus dense encore en terme de présence de l’absolu. 
La modernité peut être interprétée comme le lent processus de destruction du modèle prémoderne de perfection spirituelle avant la réalisation d’un nouveau modèle véritablement universel de perfection postmoderne.

f) – La distinction postmoderne entre autorité évolutive et pouvoir démocratique évolutif s’oppose au monde moderne et prémoderne.

On peut faire une analogie entre une forme de hiérarchie du corps humain et la hiérarchie sociale. Dans un corps humain, il y a des cellules de la connaissance, des cellules de l’intelligence émotionnelle et immunitaire, des cellules sensorimotrices, nourricières et productrices d’énergie et enfin il y a les cellules transporteuses (sanguines) et porteuses (osseuses). Les cellules de la connaissance ont une activité qui est un luxe du corps en vue de laquelle le corps semble s’organiser et évoluer. Les cellules en jeu dans l’intelligence émotionnelle ont elles aussi un caractère luxueux mais leur proximité avec le système immunitaire les rende moins superflues. A vrai dire les cellules sensorimotrices, nourricières et productrices d’énergie paraissent les plus archaïques et les plus indispensables du point de vue de la survie de la vie cellulaire. Enfin les cellules qui semblent les moins luxueuses en terme de conscience et les moins utiles en terme d’efficacité pour la survie sont les cellules transporteuses et porteuses. Mais d’un autre point de vue chaque cellule a le potentiel d’exercer d’autres fonctions voire d’introduire dans le corps un certain type d’évolution globale de toutes les cellules. C’est ce que nous apprennent malheureusement le cancer par exemple et heureusement certains bonds évolutifs. Le lien entre la partie et le tout qu’est en partie l’ADN cellulaire ou plus largement les habitudes de la matière dont Sheldrake fait l’hypothèse (voir cours sur la liberté créatrice et plus particulièrement l’indéterminisme scientifique) se retrouvent sur le plan social.

Remarque digressive : le dialogue entre spiritualisme et matérialisme ne semble donc pas exclure selon nous la possibilité d’un matérialisme spirituel consistant puisque notre évolution sociale et individuelle semble mettre en jeu la prise de conscience de l’évolution de la conscience comme évolution cellulaire. Mais ceci sera creusé dans la leçon "l’homme peut-il rompre avec la nature ?"

Avec l’aide de la distinction conceptuelle entre autorité et pouvoir proposée par Hannah Arendt, nous pouvons affirmer que les sociétés prémodernes confondaient autorité et pouvoir. Or cette confusion fût la source de nombreuses ombres sociales dès lors que l’autorité spirituelle s’est voulue conservatrice et semblaient accepter les réformes pourvu que cela sauve ce qui pouvait être sauvé du naufrage de son âge d’or passé. C’est comme si au sein du corps on confondait la consolidation des liens hiérarchiques entre différentes classes cellulaires et les relations mystérieuses directes entre l’évolution cellulaire individuelle et l’évolution harmonieuse de l’ensemble du corps. 
Le fonctionnement d’un corps social est certes hiérarchique mais son évolution par essence démocratique implique des réajustements constants de ses fonctionnements hiérarchiques divers qui coexistent. 
Les seules hiérarchies politiques démocratiquement acceptables sont celles qui sauront s’inspirer d’une autorité inspirée pour développer une qualité suffisante de conscience pour servir la conscience d’un pouvoir d’harmonisation entre évolution collective et évolution individuelle. Parce que ces autorités spirituelles se développeront démocratiquement par delà les nations elles veilleront simultanément à chercher à répandre le pouvoir entre les individus dans les nations et entre les nations envisagées comme des personnalités collectives. Pour elles l’inégalité spirituelle ne se répartit pas dans une seule unique hiérarchie. Un homme peut toucher en pointe un plan d’inspiration plus élévé qu’un autre mais cet autre peut avoir une vue plus large que le premier du plan d’inspiration inférieur.

Exemple : 

Les conflits interreligieux ou en général les différends spirituels outre nos égocentrismes, nos tribalismes, nos ethnocentrismes, etc. mettent en jeu ce fait. Comme la diversité des inspirations spirituelles et religieuses le montrent, un être humain peut atteindre des plans d’inspirations aussi élevés qu’un autre. Ils peuvent à la croisée de leurs plans d’inspirations avoir des points d’accord par exemple sur le devoir d’aimer inhérent à l’exploration des plus hauts plans d’inspiration. Mais ce point de rencontre dans l’amour ou la compassion vécu entre eux, ils peuvent cependant rester en désaccord objectif sur de nombreux points faute d’un plan d’inspiration plus élevé et plus vaste qui embrasse les plans d’inspirations qui jusqu’ici étaient les leurs. Ainsi le chrétien estime que la résurrection est un point essentiel de sa foi car l’amour de Dieu s’il est réel glorifiera toute chose dont notre chair tandis que le bouddhiste mahayana (du grand véhicule) entend seulement faire échapper l’humanité au cycle des réincarnations.
Tant que parmi les classes les plus basses les plus nombreuses, la majorité des gens n’auront pas assimilé individuellement la nécessité spirituelle d’une telle évolution sociale et politique, cette majorité fera inertie à d’authentiques autorités de l’impulsion évolutive car au final elle est la masse principale du pouvoir évolutif global de toute la multitude. 
Mais à vrai dire tant que la majorité des classes les plus hautes de nos ploutocraties voudra conserver le pouvoir au seul profit de son autorité conservatrice, tant qu’elle soupçonnera ceux qui cherchent l’éveil d’une conscience collective émergentes sur le plan spirituel et politique de vouloir l’évincer, elle fera obstacle à une conscience intégrant la volonté de toutes les cellules du corps social.
Dans la situations présente, inconsciemment elle s’appuie à ce sujet sur l’inertie nationale des masses.
Une hypermodernité menace donc notre utopie postmoderne : l’enchaînement à des nationalismes égocentriques, l’enchaînement à des hiérarchies modernes fondées sur les puissances économiques et les seules compétences technologiques nourrissent le refus d’envisager nettement une hiérarchie spirituelle au service de l’évolution consciente d’une Volonté Générale universelle.


g) – Limites et dépassement des modes de connaissance prémodernes, modernes et postmodernes.


(i) – mode de connaissance symbolique prémoderne.


Le mode de connaissance mental supérieur propre à une société prémoderne est l’intuition symbolique. Son mode d’expression privilégié est une poésie mythologique. Son mode collectif émotionnel soutenant cette connaissance est religieux. L’intuition symbolique exprime une exploration de la conscience au-delà du mental personnel. Mais Les castes guerrières briseront par ignorance cette forme de connaissance qui manquait d’envergure dans son universalisation à l’espèce humaine. Les classes guerrières lorsqu’elles cherchent à stabiliser leur pouvoir mimeront cependant l’intuition symbolique même sans pouvoir toujours l’égaler. Elles restent sauf exception ignorantes des profondeurs de l’intuition symbolique et en gardent certains contours ou types permettant d’établir des cadres moraux. Ces cadres typaux justifient l’établissement et la protection d’un clergé qui en retour doit leur garantir le respect du peuple en insérant leurs faits et gestes à la mythologie. Nous reprenons ici les thèses d’Aurobindo dans son livre Le Cycle Humain.


(ii) – Effets sociaux du mode de connaissance rationnel moderne.


Le mode de connaissance mental lié aux sociétés modernes est la raison. Ce type de connaissance donne de plus en plus le pouvoir aux castes économiques et technologiques. Dans ses extrémités hypermodernes, ces castes s’appuient sur les castes (re)productrices et consommatrices. Le mode émotionnel collectif d’expression des modernes est la nation. Les castes économiques et technologiques esquissent un marché international où l’égoïsme national ressurgit souvent ; elles créent des concurrences entre nations qui les enrichissent au détriment d’un enrichissement juste des castes (re)productrices nationales. Toutefois l’opposition n’est pas consommée car au 19e siècle une grande partie de la caste (re)productrice à savoir celle des agriculteurs reste semblable à celle des temps prémodernes et accepte le principe hiérarchique de la richesse. Par ailleurs dans les luttes guerrières avec les états qui demeuraient prémodernes ou les états modernes concurrents, la raison donnait corps à un sentiment national beaucoup plus profond. Les castes économiques et technologiques se légitimaient alors par leur nationalisme qui était aussi une forme de défense des castes inférieures. 

Les valeurs modernes semblent donc d’abord servir un achèvement du processus de formation des entités nationales à l’aide de la démocratie et de la raison exprimant le sentiment national en germe depuis les temps prémodernes. Mais au final les valeurs modernes transforment inévitablement la démocratie en ploutocratie (le pouvoir des riches grâce à la valorisation sociale de la richesse). 
La raison moderne prône l’égalité de droit des êtres humains en tant qu’ils se caractérisent par la capacité d’être rationnel mais elle véhicule une fausse hiérarchie basée sur la richesse qui nie son sens de l’égale dignité des êtres humains. 
Tant du côté des plus riches que des classes moyennes voire des classes les plus pauvres, il y a des comportements au service d’un cycle de peurs démocratiques (insécurités civiles dues aux crimes, aux guerres, insécurités sociales due à la maladie, l’échec économique, etc.) et de désirs démocratiques (enrichissement, refus des solidarités imposées, consumérisme, reconnaissance sociale, etc.). Dans un premier temps, depuis la fin du 19e jusqu’aux années 1970, la demande de sécurités sociales a contribué à la formation d’une très forte classe moyenne où l’ascension semblait basée sur le mérite et le travail. Mais depuis, on assiste globalement à une paupérisation des enfants des classes moyennes occidentales les plus basses, à une dégradation des conditions d’insertion sociale des plus jeunes sur le marché du travail. Les niveaux supérieurs des classes moyennes ont défendu leurs acquis en s’alliant à des perspectives favorisant le démantèlement des systèmes de sécurité sociale, des échelles de salaires révisées à la baisse pour les nouveaux entrants sur le marché du travail occidental en prétextant les salaires bas des économies émergentes non occidentales… 
Alors que le postmodernisme émerge, les castes économiques supérieures se sont hypermodernisées. Elles ont appris plus ou moins inconsciemment à maintenir leur pouvoir social en généralisant les attitudes narcissiques postmodernes. Favoriser cette nouvelle forme d’égoïsme sert toujours les intérêts égoïstes des plus riches. Ainsi s’est développée une rhétorique consumériste qui semble avoir absorbé les contestations adolescentes, un discours psychologique de bien être pour ceux qui seraient insatisfaits d’eux-mêmes et de la réalité sociale, un goût pour le spectacle médiatique mettant en scène quelques icônes narcissiques, une propagande médiatique dévouée au consumérisme narcissique…


(iii) – Emergence d’une intuition surmentale postmoderne.


Les tentatives postmodernes de tribalisme utopique ne s’avèrent souvent que des façons d’assurer une certaine cohésion au sein des classes sociales supérieures hypermodernes même si ce tribalisme prend clairement une dimension internationale. La famille, les relations amicales, les amicales d’anciens élèves, les groupes spirituels dont plus particulièrement la franc-maçonnerie ou l’opus dei, etc. mais aussi les mafias, les sectes religieuses servent au final des intérêts économiques égocentriques même s’ils recoupent ceux d’un groupe humain et non ceux exclusifs d’un seul. 
Le mode de connaissance propre à une communauté postmoderne authentique est selon nous une forme d’intuition rationnelle directement universelle (et donc aussi internationale) en situation. En renouvelant l’idéal de la Volonté Générale, le postmoderne le plus sincère va développer contre ses tendances narcissiques conservatrices une individualité de plus en plus transparente à des aspects d’une intelligence collective universelle surmentale qui dynamisera d’ailleurs sa propre évolution individuelle. Ce nouveau mode de connaissance n’est plus celui d’une raison centrée sur la réussite économique et technologique même si la dimension technologique de cette réussite finit sans doute de disqualifier les conceptions prémodernes encore existantes.
Cette nouvelle forme d’intelligence surmentale individuelle puisqu’elle est directement universellement évolutive va mettre en valeur l’assouplissement de toute organisation contre toutes les nostalgies liées à un âge d’or prémoderne. Les structures hiérarchiques rigides étaient liées au mental qui avait besoin de lois organisationnelles fixes. La rigidité des hiérarchies issues de la modernité reste inaperçue tant qu’elle est basée sur le mérite liée à l’habileté rationnelle technique. Mais lorsqu’elle devient essentiellement basée sur des acquis économiques transmissibles (l’argent surtout) grâce à de nouvelles formes de nationalismes ou de tribalismes internationaux en concurrence, elle semble de plus en plus révéler sa rigidité ploutocratique injuste.
Des autorités spirituelles authentiques postmodernes voudront que la vie gagne en souplesse organisationnelle en développant chez tous les individus de toutes les nations une intelligence intuitive rationnelle universelle de plus en plus « organique ». 
Ces autorités spirituelles postmodernes authentiques auront de plus en plus elle-mêmes une organisation hyperdémocratique voire anarchiste au sens d’une organisation où le pouvoir est vraiment partagé. Contrairement aux mentalités modernes qui n’apprécient que le talent de s’enrichir ou le brillant intellectuel technicien ou scientifique seulement lorsqu’il est au final reconnu socialement et économiquement, il y aura l’approfondissement d’une qualité de reconnaissance réciproque spirituelle si bien que les positionnements spirituels ne seront plus vraiment liés à la force de réalisations de nos pulsions animales perverties (sexe, pouvoir, argent). En effet les positionnements hiérarchiques prémodernes ou modernes demeurent bestiaux tant qu’il s’agit d’une lutte guerrière à mort ou d’une lutte économique soi disant policée pour la possession des biens. 
Imaginons que les âmes ne soient pas qu’une hypothèse et qu’elles soient bien le fruit individualisé d’un principe d’individualistion à l’oeuvre dans l’évolution de l’univers. Nous pouvons alors penser que nos âmes individuelles ont des parcours évolutifs individualisés tout autant qu’universels et toute prise de positions hiérarchiques non fondées sur des pulsions animales sera de moins en moins fixes. L’un situé au départ plus haut dans le positionnement de l’autorité spirituelle n’hésitera pas à transmettre à l’autre d’abord situé plus bas une réalisation spirituelle qui lui permettra au final de se situer plus haut que lui dans ce positionnement ou sur un autre plan qu’il ne connaît pas lui-même et qu’il pourra alors découvrir en retour. Car dans ce positionnement de l’autorité spirituelle l’enjeu final est que tout l’humanité ne cesse de croître globalement dans l’évolution de la conscience désormais surmentale. Il ne s’agit plus de défendre sa place dans une hiérarchie humaine comme ce fût le cas dans les systèmes prémodernes et modernes. L’usage de la connaissance ne servira plus un sens bestial de la domination.
Le mode émotionnel collectif d’expression des postmodernes authentiques est l’amour des réalisations spirituelles, l’amour de la "divinisation" des individus humains.
On peut ici reprendre l’analogie avec les cellules du corps. Dans l’épigénèse et donc dans l’évolution organique d’un corps, il ne s’agit pas d’une organisation hiérarchique à ramifications multiple qui sépare les inférieurs entre eux et les infériorise vis-à-vis de supérieurs en terme de domination animale… Seul un corps cancéreux ou atteint de déficiences auto-immunes a de tels comportements.
Ce nouveau mode de connaissance doit bien sûr avoir un appui économique et technologique tant que l’espèce humaine sera dépendante de la nourriture, des rigueurs climatiques, de systèmes technologiques permettant de maîtriser l’espace d’une biosphère et le temps lorsqu’il fait son œuvre de destruction sur le corps. Mais s’il est authentique, ce nouveau mode de connaissance ne justifiera plus aucune sorte de prédation des biens communs. Car selon nous la crise écologique majeure que nous connaissons n’est qu’un symptôme de la raison moderne qui sert malgré l’espoir des Lumières un esprit bestial prédateur. La richesse ne serait donc plus à terme évaluée par l’argent mais par le fait que chaque individu existerait vraiment au niveau de la Volonté Générale universelle créatrice. Lorsque le règne de l’évaluation chiffrée monétaire typique du règne de la raison moderne serait en voie d’être aboli, chaque individu se verrait enfin reconnu existentiellement en recevant de la nourriture, des biens matériels garantissant sa santé et sa participation effective à l’évolution de la conscience. Bien sûr, une participation au bien collectif sera exigée de lui… Il ne s’agira plus de gagner sa vie, elle sera assurée par le collectif (en ce sens un Revenu Minimum d’Existence serait un progrès social) mais il s’agira de participer à l’évolution créatrice humaine et universelle en évoluant individuellement dans son action créatrice (la valeur travail n’aura donc plus de sens relativement à l’idée de gagner plus mais aura un sens relativement à une évolution créatrice devenue consciente individuellement et collectivement). 
Il est à noter que paradoxalement plus quelqu’un sera avancé spirituellement dans sa participation à l’évolution de la conscience humaine, moins il aura besoin d’appui matériel économique et technologique pour avancer. Par exemple, il usera de moins en moins de biens personnels préférant partager de plus en plus des biens communs. 
La décroissance matérielle qu’exige la crise écologique majeure que nous traversons trouverait là peut-être son sens évolutif.


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7 – BILAN PROSPECTIF.


La libération politique conciliant les intérêts de l’individu et de la communauté suppose d’abord l’effort de se libérer des limitations de certaines obligations sociales et de tendances égoïstes. 
La libération politique implique donc le courage de la dissidence. 
Mais cette logique d’opposition ne suffit guère dans nos sociétés libérales sur le plan des mœurs et des opinions. On ne peut donc se libérer des tyrannies contemporaines qu’en impulsant un nouveau sens du dialogue démocratique inspiré de la Volonté Générale dont le concept date des Lumières qui impulsèrent la raison moderne.
Mais dépassant la raison moderne qui prône une constitution de la Volonté Générale à l’aide d’une représentation rationnelle qui intègrerait les volontés individuelles non négatives pour le bien commun, nous pensons qu’une intelligence spécifique peut émerger au sein des individus qui est une conscience directe de la Volonté Générale. Le mental à travers son évolution rationnelle a surtout servi l’individualisation des consciences humaines et des nations. L’universalité rationnelle a toujours été le fruit jusque là d’un processus d’universalisation d’une forme d’individualisation égocentrique. Le mental peut selon nous évoluer jusqu’à un domaine où il serait directement l’expression instrumentale d’une intelligence universelle, un mental de Lumières intersubjectif participant à une individualisation psychique ayant une relation consciente avec le principe d’individualisation à l’œuvre dans l’univers.
L’organisation évolutive d’un mental de Lumières intersubjectif (l’autorité véritable plus que n’importe quelle autorité humaine) doit permettre au corps (social) d’acquérir un mental de Lumières pour chacune des cellules individuelles. Cette organisation mentale supérieure se révélerait l’instrument d’une intelligence plus profonde, celle d’une intelligence organique évolutive des cellules individuelles d’un corps social. Elle serait l’instrument d’une dimension psychique universelle et individualisante derrière les tentatives individuelles qui avaient grandi de vie en vie n’atteignant au mieux jusqu’ici que la constitution d’égos rationnels prisonniers de leur égocentrisme.

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