EST-CE UN PROGRES DE NE PLUS CROIRE ?
I. INTRODUCTION PROBLEMATIQUE.
Pour l’homme de raison rien ne vaut une certitude rationnelle mais
pour l’homme de foi sensé le progrès ne consisterait plus à croire mais à
voir. Ceci dit l’homme de foi intransigeant affirmera qu’il faut
croire pour voir ou plus subtilement il encouragera à croire sans voir.
« Heureux qui croit sans avoir vu », fait-on dire dans la Bible à
Jésus-Christ soi-disant ressucité d’entre les morts. L’homme de raison
voit là de la crédulité mais à vrai dire d’où lui vient sa confiance
irraisonnée en la raison ? A force de croire qu’il est exempt de
croyance, le rationaliste n’est-il pas toujours un rien dogmatique comme
le religieux ?
II. Le progrès de la raison est d’acquérir des certitudes indubitables.
Pour Descartes dans le Discours de la méthode la recherche de la
vérité exige de soustraire notre bon sens à toutes les autorités. La
morale elle-même n’est suivie que provisoirement tant que la recherche
de vérité ne l’a pas établie. Pour tout héritier de Descartes une
certitude rationnelle est une évidence ou un ensemble d’évidences liées
par déductions qui ne peut être mis en doute. Est rationnel ce qui est
indubitable donc le progrès de la recherche de la vérité doit se
traduire par un recul de la croyance. La démarche rationnelle semble
donc s’opposer à une démarche religieuse qui exige la foi par delà le
doute et la raison elle-même.
III. Les croyances religieuses et rationnelles s’opposent à la création des valeurs.
Mais pouvons-nous prétendre à une quelconque certitude ? Tout ce qui
apparaît dans notre conscience et contribue à la former ne peut-il pas
être considéré comme illusoire ? Comment fonder une quelconque vérité si
notre conscience elle-même et donc notre connaissance sont un jeu
d’apparences ? Comment peut-on savoir si ce jeu correspond à une réalité
ultime ou si ce jeu se prolonge à l’infini, une apparence se
décomposant sans cesse en une multitude d’apparences sans qu’on puisse
s’appuyer sur un fond ou un horizon ultime ? Notre connaissance et notre
logique comme Nietzsche l’explique dans le Gai Savoir ne sont-elles pas
des apparences adaptés à un certain niveau de ce monde d’apparences
infinies ? Nous ne vivons donc que parmi des croyances qui justifient
notre conduite : Nietzsche parle de valeurs. Il soupçonne les valeurs
religieuses et scientifiques de dévaloriser la vie et d’affaiblir les
forces vitales. La raison et la foi religieuse s’opposent toujours à la
création de nouvelles valeurs : elles veulent toujours tout limiter à
elles-mêmes.
IV. Les efforts de rationalisation et la foi religieuse peuvent servir une évolution consciente de la conscience.
Cependant si nous valorisons la création de nouvelles valeurs, il
n’en reste pas moins qu’il faut avoir foi en la vie. Nietzsche dénonce
les religions qui dévalorisent la vie : le bouddhisme clame le refus du
désir qui selon lui conduit à la souffrance, le christianisme parle
d’une vallée de larmes et affirment que nos défauts de moralité, le
péché s’enracinent dans le corps. Mais à vrai dire il y a là en l’état
un simple conflit d’interprétation, un conflit culturel. Croire en la
vie, en une dimension réjouissante et créatrice de la vie reste malgré
tout un point de rapprochement de Nietzsche avec les religions et l’idée
d’un progrès scientifique. Chacun souligne dans son interprétation de
la vie un motif de la traverser. Les chrétiens affirment avec la Bible
que jésus-Christ dit justement : « je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (in Evangile selon saint Jean).
Je puis introduire de nouvelles valeurs et des esprits religieux
ouverts au dialogue ne manqueront pas d’infléchir leurs
interprétations : il y a des chrétiens postnietzschéens comme Paul
Valadier par exemple. Toutefois en lisant Bergson, en observant
l’évolution à sa suite, il ressort une différence nette entre créer de
nouvelles interprétations du réel à l’aide de la science, de l’art voire
de la pensée et faire évoluer les consciences elles-mêmes. La foi n’a
d’intérêt tout comme la raison que si elles assouplissent notre esprit
et notre coeur, que si elles y sèment une aspiration à plus de
conscience. La raison et la foi trop souvent enferment la conscience
dans une forteresse mentale. Ainsi Nietzsche est un critique de la
rationnalité scientifique et de l’idéologie du progrès qui use du
pouvoir critique de la raison elle-même. Et quand il dénonce la
dévalorisation de la vie dans les interprétations religieuses, Nietzsche
témoigne d’une forme de foi en la vie : dans le Gai savoir il explicite cette foi dans l’infini de la vie au regard de la foi dans un Dieu créateur infini.
V. Conclusion - ouverture.
Augustin d’Hippone au Ve siècle ap JC disait : « il faut croire pour comprendre et comprendre pour croire ».
Selon nous la foi en l’évolution de la conscience nourrit le sens
rationnel de l’insatisfaction quant à ses limites actuelles ainsi que la
vision de ce qui peut dépasser et faire grandir notre conscience
actuelle. Mais surtout une telle foi peut aspirer tant et si bien à ce
dépassement qu’elle reçoit l’inspiration qui fait évoluer la conscience.
La foi et la raison peuvent servir selon nous une évolution de plus en
plus consciente de la conscience alors que jusque là l’évolution de la
conscience n’avait été semble-t-il que le fruit d’évolutions biologiques
inconscientes.
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