INTRODUCTION.
ANALYSE PROBLÉMATIQUE :
Remarque : Ce sujet ne doit pas être confondu avec un sujet du type « Toutes choses a-t-elle un sens ? » Ce sujet serait un sujet métaphysique alors que notre sujet a plutôt une dimension existentielle.
Dans l’antiquité, l’oracle lisait dans le vol des oiseaux les lignes
de l’avenir, on interprétait aussi les rêves en ce sens. Avant de se
demander si toute chose a un sens, on peut se demander d’abord si on
peut trouver un sens à toute chose ? La question métaphysique sur le
sens des choses est peut-être moins centrale que la question pratique et
existentielle de savoir s’il est possible ou légitime de vouloir
trouver du sens. La question « peut-on trouver un sens à toute chose ? »
implique donc davantage puisque outre le métaphysicien, elle implique
le scientifique, l’historien, etc.
On peut tout d’abord envisager le sens du point de vue de la causalité.
Aristote distingue quatre sens de la causalité :
- la cause finale met en jeu le but et donc ce que nous appelons le sens ; dans une construction le plan de l’architecte se définit en fonction de l’usage autant culturel que pratique de la future construction ; la cause finale met en jeu une intention par exemple ;
- la cause matérielle met en jeu comme dans une construction le matériau ;
- la cause efficiente met en jeu la force d’élaboration qui serait dans le cas d’une construction les ouvriers ;
- enfin la cause formelle est liée à l’idée, qui, dans le cas d’une construction, est d’abord exprimé par un plan qui indique la future forme du bâtiment.
On peut dès lors distinguer deux types d’approche des causes. Il y en a une première qui est liée à la compréhension des causes : elle se réfère à la qualité, à l’intention. Une seconde est liée à l’explication de mécanismes, de fonctionnement, etc.
« Peut-on » a deux sens :
+ Est-il légitime (permis) de trouver un sens à toute chose ?
+ Est-il possible de trouver un sens à toute chose ?
Traitons d’abord le POSSIBLE : Est-il possible de trouver un sens à toutes choses ?
Il y a deux situations limites qui semble interdire de trouver un sens. Il s’agit de situations qui saturent le sens :
- soit par excès (= trop de sens) : il y a un mystère qui émerge, rendant impossible de trouver un sens total.
Exemple : La beauté, Angelus Silesius (17e,
All.) nous dit « La rose est sans pourquoi », c’est-à-dire que la
beauté ne peut être expliquée. Le sublime, ( au sens de Kant) sature le
sens, il n’y a pas d’explication qui tienne, on est comme perdu dans
l’immensité à la fois fasciné et effrayé. On retrouve l’« effroi du
beau » (Plotin).
- ou soit par défaut, c’est-à-dire par un manque de sens. Habituellement dans la notion de sens, il y a une notion de direction, de développement, ici la vie semble être comme une vague inutile qui se déchaine sur une muraille infranchissable. Exemple : théâtre de l’absurde (Beckett et Ionesco), roman de l’absurde (Sartre et Camus), la vie est regardée comme des morceaux de sens happé par le non sens global de la vie. La vie est comme une « poussée aveugle » (terme utilisé par Schopenhauer).
Nous avons donc un premier
questionnement ainsi qu’un premier débat : l’excès de sens ou le défaut
de sens rendent impossible de trouver un sens, il faudra malgré tout
examiner cette bizarrerie d’un monde où le mystère côtoie l’absurde. Le
principe premier, s’il y a, est-ce le mystère ou l’absurde ?
Dans le mystère il y a une dimension positive et dans l’absurde, il y
a une dimension négative : il va donc falloir s’interroger sur le sens
de ces dimensions.
Ensuite considérons le sujet sous l’angle du LÉGITIME : Est-il légitime de trouver un sens à quelque chose ?
Le mot cause chez Aristote a donc 4 sens :
1. - cause finale - ex : maison pour habiter (en tant que but) [sens]
2. - cause matérielle - ex : brique pour la maison [réduction du sens]
3. - cause efficiente - ex : des ouvriers et un architecte construisant la maison [réduction du sens]
4. - cause formelle - ex : idée, plan (au sens de description) [sens]
+ La première et quatrième cause sont liées au sens (cryptage et décryptage).
+ Les deux dernières causes (2 et 3), sont en lien avec des explications
scientifiques, elles excluent tout ce qui est finalité, l’intention,
les idées. Il va rester des lois déterminées de la matière.
On a alors 2 ou 3 positions extrêmes :
- réductionniste et scientiste ramènent le réel à des causes matérielles et efficientes (sous la forme de lois de la nature) ;
- La providence : tout a un sens parce que tout est lié à des intentions divines, tout est œuvre de Providence. Cette position extrême peut ne pas être seulement religieuse. Elle peut être spirituelle et métaphysique à condition de la modifier un peu. Les stoïciens en offrent une version défendable et peut-être ré-actualisable sous la forme d’un évolutionnisme.
- Autre optique qui consiste à dire que la cause matérielle n’existe pas sans la cause formelle. Exemple : L’or n’avait pas d’importance pour les hommes, il y a très longtemps à la préhistoire. C’est une histoire, ce sont des valeurs qui ont donné à l’or une importance. Dans cette optique culturaliste et perspectiviste (= à chacun son point de vue) ce sont les valeurs qui déterminent l’importance des causes. Dans la première approche (scientifique) on va insister sur la validité alors que dans cette approche perspectiviste, on insiste sur des valorisations et non sur la validité car la validité n‘est, selon elle, qu‘un genre de valorisation. Quand on est dans le perspectivisme, quand on insiste sur le sens, la culture, on met en valeur la compréhension ; quand on est scientifique, on insiste sur l’explication du phénomène. Le scientifique est du coté du comment (explication) et le perspectiviste est du côté du pourquoi (compréhension).
Ce deuxième débat met donc en jeu scientisme et perspectivisme ainsi qu’un éventuel spiritualisme qui reste à rendre crédible.
Le débat et le questionnement sur l’absurde et le mystère rejoint ce débat.
ANNONCE DU PLAN DÉDUIT DU CROISEMENT DES QUESTIONS ET DÉBATS :
Pour le point de vue matérialiste scientifique, absurde et mystère
sont des points de vue subjectifs que l’objectivité va neutraliser. Le
mystère sera vaincu par l’explication. L’absurde qui n’est relatif qu’à
l’existence humaine dans un univers qui lui est indifférent car mené par
des forces aveugles peut être réduit par notre progrès et notre sens
des responsabilités. La science peut faire reculer catastrophe,
accident, handicap, maladie et mort. Il nous donner du sens et ne pas en
chercher autrement que sous la forme de l’explication scientifique.
Pour le point de vue perspectiviste, absurde et mystère sont
inextricables. Nietzsche suggère ceci dans « notre nouvel infini », un
paragraphe du Gai savoir. Pour vivre nous valorisons tel sens,
nous sommes toujours en train de nous persuader d’un sens. Certains sens
ont seulement plus de vitalité que d’autres. A nous de nous proposer un
sens plus fort.
Pour le point de vue spiritualiste, le principe est le mystère et
l’absurde n’est que relatif. Il faut ici s’ouvrir à la source du sens de
l’évolution dont nous sommes un certain moment de conscience. Cessons
de vouloir être les maîtres du sens, telle est le risque scientiste et
l’illusion perspectiviste, devenons-en les disciples.
I - RÉDUIRE LE SENS À UNE FONCTION OU LE SOUMETTRE À DES PERSPECTIVES.
A - Réductionnisme fonctionnaliste.
1 - L’illusion du finalisme avec Spinoza.
La plupart des hommes pour interpréter les choses projettent ce
qu’ils croient être leur mode d’action. Quand on assiste à un événement,
on pense à une action humaine qui suppose un ensemble d’intentions et
de conséquences. L’univers est très souvent comparé à une fabrication.
Pour Spinoza, il faut considérer que les événements sont le fruit de
chaines de causes qui obéissent à des lois impersonnelles. Par exemple
en nous éloignant un de Spinoza, ce que nous appelons hasard est le
résultat du croisement de deux chaînes de causes sans lien. pour
comprendre le délire interprétatif des hommes, il suffit d’interroger
des gens sur le même événement. face à une pluie d’été, le paysan se
réjouira tandis que le touriste s’attristera. Le délire interprétatif
provient de la non objectivité, de la non neutralité.
Dans L’Éthique, Spinoza rejette le finalisme (Cf. le deuxième appendice de L’Éthique).
Spinoza remet en cause la providence. Les êtres humains commettent un
anthropomorphisme (= projette l’équivalent d’un caractère humain sur
quelques chose de la nature). Les êtres humains sont habitué a vivre
dans un monde d’attention.
Exemple : depuis tout petit les être humains sont habitués à comprendre
les intentions de autres derrière leurs actes ; par extension, les
enfants parlent de méchante table quand ils s’y cognent. Ils deviennent
alors animiste et plus globalement anthropomorphiste (= donnant aux
choses des intentions humaines et par extension aux principes
métaphysiques d’où un divin toujours anthropomorphique).
L’animisme est une forme d’anthropomorphisme.
Pour Spinoza, superstition et religion étendent cet
anthropomorphisme. La Providence est l’idée que tout ce qui nous arrive
est lié à un dialogue entre le Divin et notre âme.
Exemple : L’agriculteur qui voit la gelée détruire les bourgeons de ses
arbres va estimer que la providence est contre lui ; par contre le
promeneur qui profitera du soleil estimera que la providence est avec
lui. Ces exemples montrent les limites de la Providence.
Spinoza montre aussi qu’on prend pour de la providence le croisement de deux chaines de causes.
Exemple : Imaginons quelqu’un qui se promène dans une rue, et une tuile tombe.
La chaine de causes qui a entrainé la chute de la tuile (vent), n’est
pas connectée à la chaine de causes qui entraine la promenade. C’est le
fruit d’un déterminisme unique mais dont les enchainements ne sont pas
connectés immédiatement. Le promeneur qui voit la tuile tomber ne peut
s’empêcher bien souvent de voir là une providence, pour lui cette
coïncidence est significative.
Pour un déterministe, il y a un enchainement de causes qu’on peut
expliquer de manière neutre : le Déterminisme ne correspond pas à la
Providence.
Celui qui voit de la providence commet un anthropomorphisme liée à
son égocentrisme. Pour Spinoza il y a une forme de délire à vouloir
trouver un sens à toute choses. Freud s’inscrit dans la lignée de
Spinoza : c’est une tendance du psychisme humain de projeter du sens là
où il n’y en a pas.
Freud dit qu’il y a eu 3 deuils capitaux que l’être humain a été amené à faire :
- deuil 1 : le fait d’être au centre de l’univers (car ce n’est pas le cas ) ;
- deuil 2 : l’être humain n’est pas une espèce à part, car elle est un moment d’une évolution du règne animal ;
- deuil 3 : l’homme s’était cru conscient, libre et il découvre des forces inconscientes d’origine matérielle et pulsionnelle qui le déterminent.
Ces deuils frappent notre vision anthropomorphique du monde.
2 - De l’interprétation mythologique à l’explication scientifique (avec Auguste Comte).
Auguste Comte (Fr, 19°s) distingue 3 étapes du développement de la connaissance humaine :
1. Stade animiste et religieux où on attribue une âme aux choses. Il y
a déjà, dans ce stade, l’esquisse d’une causalité. Exemple : on
attribue le tonnerre à la colère des Dieux. L’anthropomorphisme domine
donc.
2. Stade métaphysique : Dieu décide de faire des lois et il ne
contrevient jamais aux lois (= il ne revient jamais dessus) ; Dieu est
un grand horloger, il ne fait pas de miracle, c’est un « grand
horloger » qui fabrique et laisse tourner la mécanique universelle comme
le dit Voltaire. La science a beaucoup plus de place car lui est
permis de découvrir des lois de l’univers.
3. Stade positiviste, scientifique : Simon Laplace (Fr, fin 18e début 19e) répondît à Napoléon qui lui demandait :
« Et la place de Dieu dans tout cela ? »,
« Sire, nous n’avons pas besoin de cette hypothèse » ; Il remet en cause
l’existence de Dieu. Ici le pourquoi est devenu superflu au stade
scientifique. seul le comment importe. Le pourquoi est toujours chargé
d’anthropomorphisme.
Pour Auguste Comte, toutes les sciences passent par ces 3 étapes.
Selon lui, la psychologie à son époque est en train de passer à cette
étape et la psychologie sera achevée quand on expliquera matériellement
l’esprit. De plus, celui-ci invente le terme de « sociologie » pour
remplacer le terme de politique.
3 - Réduction de l’esprit : « La conscience expliquée » (Daniel Dennett) ?
Si on explique l’esprit par la matière, si on arrive à réduire nos
pensées à des ensembles complexes et auto-organisés de réactions
chimiques et d’influx électriques, on n’aura plus besoin d’absolutiser
le sens (parce que tout se ramènera à des explications scientifiques).
On pourrait établir des parallèles entre des états de conscience et des
états cérébraux qui en sont les causes en tant que soubassements.
Exemple de l’ordinateur :
On peut comparer dans un premier temps l’esprit à un ordinateur. Dans
un ordinateur, il y a un hardware (=cerveau) et un software (=esprit).
L’informaticien agit au niveau du hardware et l’utilisateur a affaire au
software.
Software Esprit Utilisateur - personne
( Windows) (langage sens)
Hardware Cerveau Informaticien - biologiste neurobiologique.
(binaire) (biochimie)
Cette analogie est appelée le modèle fonctionnaliste de la conscience.
Objection au modèle fonctionnaliste de la conscience par John Searle (USA, 20e siècle) : « La chambre chinoise ».
A. Turing (USA) définit un critère qui permet de déterminer quand on
aura atteint l’intelligence artificiel (I.A.). Si un homme dialoguant
par téléphone ou par radio, ne sait plus si il dialogue avec une machine
ou un être humain et qu’il s’agisse d’une machine alors on aura atteint
l’intelligence artificielle. Pour que le test soit concluant, il faut
une personne humaine qui dialogue vraiment : qui soit dans un échange
d’informations, d’émotions…
Même si on avait affaire à l’impression d’un véritable dialogue, il
n’est pas certain que nous ayons atteint une intelligence artificielle
ou plus précisément une conscience artificielle.
Pour montrer cela, John Searle va donner un contre exemple qui s’appelle « La chambre chinoise » :
Imaginons quelqu’un enfermé dans une chambre, on lui apprend à
manipuler des idéogrammes chinois sans en connaitre la signification. Il
manipule les idéogrammes du point de vue de règles structurelles : si
il reçoit tel ou tel idéogramme, il doit donner tel ou tel idéogramme.
Alors qu’il est enfermé dans sa chambre, un chinois lui transmet une
série d’idéogrammes et il lui renvoie une série en suivant les règles de
manipulation. Ce que signifie « la chambre chinoise », c’est qu’il y a
une différence entre manipuler des signifiants selon des règles et
comprendre le signifié de ces signifiants. Ainsi on peut manipuler le
signifiant de l’émotion sans avoir le signifié social de cette émotion :
ceci est souvent le cas pour les enfants d’ailleurs.
A propos de la distinction signifiant/signifié : les mots bœuf en français et beef en anglais sont des signifiants et l’animal lui-même, le bœuf/beef désigné par les mots, est le signifié.
John Searle pointe avec cet exemple de « la chambre chinoise » qu’une
machine pourrait très bien parler de tristesse sans être capable de
l’éprouver et sans empathie (= pas de conscience). John Searle va
opposer des datas (=données informatiques) et des qualias (=données
sensible).
Si on modélise la conscience avec une machine, plus particulièrement
électronique, il manquera toujours l’intériorité de l’esprit. La pensée
n’est pas seulement un calcul, ce n’est pas seulement un enchainement
langagier. La pensée présuppose une intériorité, une affectivité. Pensée
= entrer dans une auto-affection ressentie sans médiation de soi par
soi.
Exemple : selon Thomas Nagel (USA, 20e
s.), on peut parfaitement expliquer biochimiquement l’effet du chocolat
mais on passera à côté du vécu intérieur relatif au fait de manger du
chocolat.
Réponse de Dennett à l’objection de Searle sur la chambre chinoise : l’ hétéro-phénoménologie :
Daniel Dennett répond à l’objection de la chambre chinoise.
Habituellement, la phénoménologie s’exerce en première personne par
exemple, dans cette approche tout les phénomènes apparaissent à
l’intérieur de l’esprit. Le champ visuel du point de vue de la
phénoménologie en première personne n’est pas extérieur à nous.
Par exemple, la table apparait dans ma conscience.
Mais pour Dennett, l’apparition même de la table est au fond une
interprétation de données extérieures (sense data) par mon cerveau : ce
que nous croyons percevoir consciemment en première personne est le
fruit d’une interprétation inconsciente à la première personne mais
connaissable du point de vue de la 3e
personne, c’est-à-dire du point de vue scientifique. Autrement dit, un
observateur extérieur à mon cerveau voit que mon cerveau interprète les
données visuelles reçues par l’œil avant que j’ai conscience de la table
en première personne. L’hétéro-phénoménologie va insister sur l’idée
que la conscience en première personne est toujours précédée par une
interprétation cérébrale des données matérielles. Pour Dennett, la
conscience pure, l’intériorité pure est une illusion liée à une
complexité de multiples interprétations cérébrales qui, à un niveau
supérieure de complexité, deviennent des auto-interprétations.
Phénoménologie : point de vue à la première personne. On se regarde à l’intérieur de nous-mêmes dans notre conscience, la conscience précède le fait de la matière. Cette position est par exemple celle de Platon, Plotin, Douglas Harding.
Hétéro-phénoménologie : point
de vue à la troisième personne. On se regarde de l’extérieur = l’esprit
est dans la matière. « Je suis » est une illusion, tout est matière.
Dans la matière, il y a une capacité à s’auto-analyser qui fait la
conscience. L’énergie, la matière fait la conscience pour Dennett ou
Marx.
En faveur de l’hétéro-phénoménologie, on peut remarquer que
l’énonciation verbale en troisième personne précède l’énonciation d’une
conscience en première personne. On cherche à comprendre le point de vue
des autres avant de se constituer un point de vue personnel. Quand on
étudie le développement de l’enfant, avant de dire « je », l’enfant
parle de lui à la troisième personne. Peut-être qu’un ami imaginaire est
un reliquat du passage de la troisième personne à la première personne.
Il laisse donc dernière lui son ami imaginaire. Se parler à soi-même
montre qu’on se parle comme à une troisième personne.
Le parallélisme esprit-matière peut concilier fonctionnalisme et qualia(s).
Le sujet « Peut-on trouver un sens à toute chose ? » peut recevoir
une réponse par la science. La science pourrait éviter le délire du sens
en expliquant le comment. La conscience dans laquelle s’effectue le
sens pourrait être expliquée elle-même. Les lois de la matière serraient
la seule clef du sens.
L’hétéro-phénoménologie de Daniel Dennett, pour expliquer la conscience
essaie de prouver que la conscience en première personne est toujours
un effet de la réalité corporelle en 3e personne.
Dennett par l’hétéro-phénoménologie veut suggérer que l’évolution de
la conscience se ramène à celle de la matière qui s’auto-interprète.
Seulement on pourrait être une machine biologique auto-interprétante
sans qualia, sans vécu comme un zombie. Le zombie extérieurement a tout
de l’être humain hormis qu’il n’est pas pourvu de vécus intérieurs. François Loth résume l’argument :
« Les zombies, répliques fonctionnelles des êtres humains, auraient
malgré tout des cerveaux comme les nôtres. Ils parleraient politique, se
rendraient à des expositions de peinture, se plaindraient de maux de
tête, etc. Ils seraient seulement « entièrement dans le noir à
l’intérieur » (Chalmers 1996, p. 96). Cependant, dans la mesure où ils
se comporteraient exactement comme nous, rien ne les empêcherait de
discuter des qualités spécifiques de la conscience – voire de laisser un
commentaire sur un blog parlant de la conscience.
En imaginant une créature qui satisfasse la conception
fonctionnaliste de la douleur, nous n’imaginons pas une créature qui
serait anesthésiée. Pour le fonctionnaliste ou l’adversaire du
fonctionnaliste, une créature anesthésiée n’éprouve pas de douleur. Il
s’agit plutôt d’imaginer une créature qui se comporte exactement comme
nous le faisons lorsque nous éprouvons une douleur. La créature se
plaint, tente de fuir lorsqu’elle est soumise à la douleur, et paraît
souffrir comme nous le faisons. Les connexions causales, donc le
comportement de la douleur, sont présentes. Ce qui échappe au zombie,
c’est le côté interne de la douleur, son aspect qualitatif. »
L’objection de Chalmers à Dennett peut être exploitée pour donner du crédit au parallélisme.
On pourrait mettre aussi en avant le scepticisme : on ne peut pas
choisir entre les deux options puisque la perception pure (qualia pur)
comme condition de possibilité de notre esprit intérieur semble ne pas
être seulement une auto-interprétation matérielle et qu’en même temps.
Une autre option est celle inspirée de Spinoza qui identifie « Dieu
ou la nature ». Selon lui, les deux points de vue de la matière et de
l’esprit coexistent sans se réduire l’un à l’autre.
Spinoza propose un parallélisme psycho-corporel, c’est-à-dire au plan
pratique un va-et-vient entre analyse matérielle et vision intérieure
de la nécessité mentale.
Esprit et matière sont deux points de vue sur une même réalité qui nous échappe.
Pour Spinoza, l’esprit et la matière ne sont pas en interaction causale,
même s’ils sont liés étant deux faces d’une unique réalité.
Une interprétation possible de ce parallélisme pourrait aller en un
sens au-delà d’un strict parallèle mystérieux : si l’être humain pouvait
atteindre une union esprit/matière consciente, ce ne serait plus un
être humain. Il pourrait modifier son corps consciemment. Faut-il
envisager un lien avec la fameuse affirmation de Spinoza selon laquelle
« « on ne sait pas ce que peut le corps ou ce que l’on peut déduire de
la seule considération de sa nature » (Éthique, III, 2, scolie).
REMARQUE : Attention avec le mot conscience !
Dans une certaine tradition postcartésienne, la conscience (= l’âme individuelle) est identifiée à la pensée.
Dans les tradition orientales hindoues et bouddhistes, la pensée et l’individualité ne sont qu’une dimension de la conscience et elles y sont souvent réduites à des phénomènes illusoires de la conscience.
Avant Descartes, dans la tradition des penseurs chrétiens, on va distinguer l’âme et l’esprit (Augustin, Anselme).
L’esprit correspond à ce que l’Orient appelle conscience pure ou ce que Plotin l’appelle Intelligence.
L’âme correspond à la conscience dans sa dimension individuelle.
Au 20e siècle, on confond l’âme et l’esprit dans la philosophie occidentale.
Dans les tradition orientales hindoues et bouddhistes, la pensée et l’individualité ne sont qu’une dimension de la conscience et elles y sont souvent réduites à des phénomènes illusoires de la conscience.
Avant Descartes, dans la tradition des penseurs chrétiens, on va distinguer l’âme et l’esprit (Augustin, Anselme).
L’esprit correspond à ce que l’Orient appelle conscience pure ou ce que Plotin l’appelle Intelligence.
L’âme correspond à la conscience dans sa dimension individuelle.
Au 20e siècle, on confond l’âme et l’esprit dans la philosophie occidentale.
Objection aux explications mécanistes de l’esprit : Est-ce
qu’une explication causale (enchaînement nécessaire d’événements) de la
conscience peut rendre compte de la plurivocité ?
Il y a une objection que l’on peut faire à l’entreprise matérialiste
(et même paralléliste inspirée de Spinoza) qui a été formulée par
Nietzsche. Nietzsche dans Le Gai Savoir disait, « un monde
essentiellement mécanique est un monde dénué de sens ». Ici le terme
« dénué » a deux sens : le fait qu’il y a une pauvreté en terme de sens
et que c’est contraire au bon sens.
Une formulation mathématique ou mécanique n’a qu’un seul sens, toute
ambigüité dans une formulation de ce type signifie la fausseté de
l’énoncé. Le discours scientifique est caractérisé par le fait qu’il ne
peut recevoir qu’une seule interprétation et qu’une seule. La science
est univoque (une seule direction). Nietzsche estime que la réalité
humaine est bien plus riche que celle de la science. Ce qui caractérise
la réalité humaine est la plurivocité (le fait qu’on manipule plusieurs
sens à la fois). La poésie de l’existence est liée à la plurivocité.
Dans Le Gai Savoir, Nietzsche parle d’une vie de scientifique,
ennuyeuse, morne avec de la poussière. L’activité scientifique est en
dehors de la vie. L’artiste pour nourrir son œuvre doit s’engager dans
la vie, son œuvre sera forte si elle traduit une harmonisation de force
vitale hétérogène.
Freud est un matérialiste qui donne des réponses à cette
objection de Nietzsche. Freud voit dans la nature physique une émergence
de la plurivocité du sens.
Freud remarque que la matière comporte attraction et répulsions
(=lois de Newton). Dans de nombreux phénomènes physiques, il y a de
l’ambiguïté : action/réaction. Exemple : en électromagnétisme, il y a
des attractions et des répulsions (+/-).
Tout est matière.
Le vivant est lui-même porteur d’ambiguïté, il et traversé de pulsions de vies et de pulsions de morts :
- pulsion de vie : se conserver, se reproduire.
- pulsion de mort : cependant, se reproduire implique la mort car on laisse place au nouveau né, à la nouvelle génération et se conserver c’est manger de la vie (=manger du vivant).
La mort se trouve dans la vie.
Psychologiquement, la pulsion de vie et la pulsion de mort vont se
traduire par certains comportements. La manière dont les Hommes risquent
leurs vies par exemple en fumant, en buvant ou en mangeant de mauvaises
choses est caractéristique des pulsions de mort. L’agressivité est
aussi une pulsion de mort, car on est énervé et on (se) souhaite la
mort.
Exemple : le suicide est le fruit de cette pulsion de mort,
fondamentalement. Freud a pointé le « principe Nirvana » selon lequel
tout le monde aspire à l’inertie d’une pierre, c’est-à-dire on ne veut
plus rien faire (« je serais tranquille quand je serais mort ») : le
vivant c’est de la matière stressée qui aspire à retourner au
non-vivant. Cette ambiguïté se retrouve au niveau du désir. Exemple :
dans la peur, il y a à la fois de la fascination et de la répulsion,
comme le vertige ou les attractions à sensations fortes. (= on a peur de
notre attirance pour le vide). L’ambiguïté du désir et de la peur sont
un développement de l’ambiguïté matérielle à travers la pulsion de vie
et la pulsion de mort. Dans le désir il y a une pulsion de mort car dans
la satisfaction on cherche une mort/la tranquillité (= inertie). Il y a
aussi de la pulsion de vie, car pour le satisfaire, il y a de
l’énergie.
L’ambiguïté se poursuit dans le désir.
On peut considérer les Humains comme des machines désirantes (selon
la terminologie de Deleuze) où le désir est toujours ambigu. Quand le
cerveau devient capable du langage, les mots eux-mêmes traduisent cette
ambiguïté. Exemple : « je t’aime » veut dire à la fois, le don (=don de
la vie) et le consommable (consommer le mariage/ je te mange). Quand on
aime, on étreint, on serre. On n’est pas loin de nier l’autre. Il y a en
effet des étreintes mortelles (=« j’ai envie de toi au point de
préférer ta mort plutôt que ton refus ou la séparation »).
L’homme est un être compliqué, que l’ambigüité se poursuive dans le
cerveau, dans le langage, les symboles, les mots. (Cf. exemple précédent
sur « je t’aime). L’ambiguïté du mental se traduit dans la polysémie du
langage.
L’ambigüité se poursuit dans le mental, par le biais des symboles. Le
feu en tant que symbole évoque le foyer, la passion parfois sensuelle
voire sexuelle (« on s’enflamme »), l’enfer, la purification, etc.
Récapitulatif :
· Matière pure (pas de vivant) : attractions/répulsions (tous
les êtres vivants sont composés de matières) ex : la
lune et le soleil s’attirent et se repoussent
· Vivant : pulsion de mort et pulsion de vie (l’homme, c’est un être vivant sexué)
· Émotionnel : désir/peur (l’homme a des émotions par des organes produisant des hormones)
· Mental : mots/symboles (l’homme réfléchit, il interprète, il a un cerveau)
Pour Freud, la matière engendre le langage humain, l’esprit humain
est une émergence de la matière = on est que matière. On est pas dans un
modèle strictement mécanique (=où une chose n’a qu’un seul sens). Freud
a bien perçu que le niveau physiologique est porteur d’une ambiguïté,
ce n’est pas totalement déterminé.
B - Le perspectivisme.
1. Transition critique :
Une position sceptique sur matière/esprit :
L’être humain n’a affaire qu’à des phénomènes de la conscience. La
table que je perçois n’est pas l’objet réel mais une image mentale
produite inconsciemment à partir d’un extérieur de la conscience. En
soi, notre conscience est limitée car c’est une conscience humaine : on
ne perçoit que ce qu’il y a dans notre conscience, on ne voit pas le
monde tel qu’il est. Ce X, la chose en soi, l’inconnu inconnaissable est
d’abord de la matière selon le matérialiste et à l’opposé de l’esprit
selon le spiritualiste.
Le sceptique qui hésite entre les deux options semble malgré tout mettre
en avant la conscience et donc l’esprit mais ce n’est pas tout à fait
exact. Hume montre comment le sceptique ne met pas en avant la
conscience. Il fait une analogie : dans la tradition cartésienne, les
phénomènes apparaissent dans le théâtre de la conscience mais justement
un théâtre est formé de scènes, rideaux, sièges… La conscience n’existe
pas sans les apparences qui y apparaissent. La conscience est juste la
somme des apparences. Pour preuve, quand on dort profondément, il n’y a
plus d’apparence donc plus de conscience consciente selon Hume. La
conscience n’est jamais isolable d’une agrégation de qualias dont la
source est inconsciente : les apparences sont ces qualias. Le
soubassement des apparences est-il seulement matériel ou non ? Le
processus d’apparition des apparences même s’il aboutit à des qualias
peut être matériel ou spirituel de bout en bout. N’ayant pas accès à la
chose en soi X, on ne peut trancher.
Si on admet la pertinence de ce que dit Hume sur le théâtre de la
conscience, le scepticisme est vraiment impartial, il montre qu’on ne
peut pas trancher entre matérialisme et spiritualisme.
Hume du point de vue pratique penchait plus pour le matérialisme :
même si l’induction scientifique ne conduit pas à une vérité absolue,
son efficacité ne pointe-il pas dans cette direction ? Un Montaigne
penchait davantage pour le spiritualisme de son point de vue pratique
accès sur la sagesse.
La singularité du réel.
Il existe une singularité des choses et des objets dont ne peut pas
rendre compte le scientifique et par extension le matérialiste.
L’explication de Freudienne précédente de la plurivocité reste générale,
elle ne rend pas compte de la singularité des individus et des vécus
intérieurs (cf. l’expérience de pensée du zombie).
Pour Leibniz on ne peut pas trouver deux feuilles semblables sur un
arbre. Ce principe de singularité peut paraître métaphysique car il
semble être invérifiable. On a cependant des exemples suggestifs en sa
faveur : les empreintes digitales ne sont jamais les mêmes, mêmes chez
les jumeaux, c’est une singularité ; la mécanique quantique dit que pour
faire la copie d’un objet, il faut détruire l’original. Exemple : la
théorie de la téléportation quantique pointe le singulier ; on prend des
informations sur un atome, il est détruit pour ce faire et au même
instant on peut les implémenter sur un autre atome devenu l’image
singulière de celui qui a été détruit. Le second atome devient le même
que celui qui a été détruit c’est-à-dire qu’il est entièrement déterminé
avec les mêmes informations.
Dans l’univers il ne peut pas y avoir une copie exacte de nous-mêmes.
Cette singularité échappe au matérialisme réductionniste. Dans l’esprit
humain, cette singularité va se retrouver au cœur même du vécu,
c’est-à-dire qu’on peut avoir des modèles qui expliquent partiellement
le ressenti de notre âme en première personne mais dans le fait d’être
en première personne, il y a une dimension insubstituable. C’est-à-dire
qu’il y a impossibilité de savoir pleinement ce que cette personne
ressent quand on observe celle-ci en étant en troisième personne.
Expérience de pensée suggérant le principe d’insubstituabilité :
le télépathe ressent la peur de l’autre dans sa propre première
personne mais il ne pourra jamais vivre entièrement l’émotion de
l’autre. La peur de l’autre ressentie par le télépathe pourra être
aisément mise à distance car c’est la peur d’un autre. Tandis que
l’autre aura plus de mal à mettre de la distance. La peur du télépathe
ne sera donc pas vécue tel que l’autre la vit, car le télépathe aura un
accès partiel à la conscience de l’autre, il n’aura jamais un accès
global à la conscience en première personne de l’autre. Si c’était le
cas il deviendrait l’autre et ne serait plus lui-même.
2. Impasse du perspectivisme.
L’idée de base du perspectivisme est que nous avons tous un point de
vue unique sur la réalité. On a donc une connaissance de la réalité que
personne d’autre que nous n’a ou ne peut avoir. Le perspectivisme
implique alors ce qu’on appelle le relativisme : il n’y a pas de vérité
absolue, ni de point de vue absolu. Il n’y a que des points de vue
relatifs à une perspective.
Cependant, 1re objection classique : affirmer qu’il n’y a pas de point de vue absolu revient à promouvoir une idée absolue : on peut voir là une contradiction. A vrai dire, il faudrait plutôt faire un « non-non A », tout point de vue absolu est inatteignable = le point de vue absolu existe peut-être ou n’existe pas : on ne sait pas, on doute deux fois. Pour que le perspectivisme et le relativisme soient cohérents, il faut une logique sceptique du tiers inclus. C’est-à-dire qu’il faut que toute vérité absolue soit une hypothèse et soit inatteignable. Exemple : quand j’entends parler d’un autre point de vue, je l’interprète/le comprends toujours à partir du mien.
Bilan intermédiaire : on peut défendre qu’il n’y a que des
interprétations et même peut-être qu’il n’y a que des interprétations
d’interprétations ; on n’a jamais eu affaire à un signifié pur. S’il n’y
a que des interprétations d’interprétations il n’y a que du signifiant.
Exemple : quand on parle de table, on n’a jamais eu affaire à une table
réelle ; on a toujours eu affaire avec une interprétation
d’interprétation ; on a appris le mot table, dans un contexte, le
contexte du repas « mets-toi à table ». Comme chacun a eu son vécu du
mot table, c’est une interprétation d’interprétations. D’ailleurs on
peut appeler table un tronc coupé dans la nature ou une quelconque
surface initialement non destinée à l’être. « Table » est un usage
collectif conventionnel non un objet technique précis.
Pour qu’il y ait signifié
pur, il faudrait par exemple un pur voir, une pure conscience en
première personne où donc pensée et conscience sont distinctes. Ceci est
une approche spiritualiste et non plus perspectiviste (et en amont
sceptique).
Si on admet la singularité du vécu d’un mot comme signifiant inscrit
dans un ensemble d’interprétations d’interprétations, il va y avoir un
problème de traduction.
Le philosophe Quine (USA, 20e
siècle) va essayer de montrer qu’il y a une indéterminabilité de la
traduction d’une langue à l’autre. On peut ici interpréter ceci comme
une incommensurabilité dans une langue dans l’autre. Il y a des termes
qu’on ne peut pas traduire faute d’équivalent strict qu’on puisse mettre
en relation d’une langue avec l’autre.
Incommensurabilité : pas de mesure possible, pas de point de comparaison.
Certains matérialistes présupposaient qu’avec un langage informatique, on puisse traduire tous les langages humains.
Quine raconte l’histoire d’un anthropologue qui irait vivre dans une tribu lointaine.
L’anthropologue accompagne les gens de la tribu et il les entend
décrire un lapin entrer dans un terrier. Les mots utilisés ont un
rapport avec ce « lapin entrant dans le terrier » mais est-ce que cette
expression « lapin entrant dans le terrier » a un rapport avec les mot
utilisés dans cette tribu. Dans notre langue, nous avons besoin pour
décrire cet événement du nom commun « lapin », du verbe « entrer ».
Peut-être que dans cette langue de la tribu il ne s’agit que d’un seul
nom commun. Si dans une langue, un événement est désigné par un nom
commun, il a certainement plus de valeur dans cette langue. Par exemple,
le terme addiction a été introduit dans la langue française parce que
nous n’avons pas de mot pour définir un processus de dépendance
protéiforme.
Même si l’anthropologue enquête, même si il peut améliorer sa
compréhension de la langue de la tribu, il butera encore sur la
compréhension profonde des noms communs. Est-ce que le nom commun
désigne les essences mêmes, les idées pures (Platon, Plotin) ? on pourra
alors parler de « Lapinité » (selon Quine). Ou est-ce que le nom commun
appartient à une vision nominaliste (= pointe un truc : un lapin) ? le
langage serait vécu comme une convention.
Il y aurait alors deux conceptions du langage en jeu au sein de l’usage même du langage :
+ soit le langage est le reflet du monde des idées (formes
intelligibles) et dans ce cas, les sonorités, les rythmes des mots ont
un rapport avec cette forme intelligible ;
+ soit il s’agit d’une théorie nominaliste, on attache le mot à telle
chose ; le mot est une convention ; le nom propre dans nos pays
occidentaux relève ainsi davantage d’une convention entre le nom et la
personne. Exemple : Bonaparte est un nom qui désigne aujourd’hui une
famille d’empereur mais c’est ce même nom qui désignait un petit
général corse de seconde zone. Le nom de famille est clairement un
désignateur rigide.
Cependant au-delà de l’usage du langage, le langage en soi est
certainement en un sens nominaliste mais aussi par d’autres côtés
essentialiste (= ce veut le reflet de certaine idée).
Outre ce débat de fond sur la nature du langage, il y a d’autres
composantes philosophiques inhérentes à la pratique d’un langage. Ainsi
d’autres langues n’ont peut-être pas du tout les mêmes empreintes
philosophique. Par exemple, dans les Védas hindous (textes les plus
vieux de l’humanité vers - 2000 à -3000), Surya (= soleil) n’est pas
seulement un mot désignant le soleil matériel mais une source de lumière
intérieure. On peut voir ici une métaphore lumineuse commune avec nos
traditions occidentales. Cependant les propos sur les vaches dans les
Védas qui seraient en lien à des rituels de sacrifice d’après les
commentateurs pourraient ouvrir des analogies qui sont inconnues dans
nos langues actuelles. En appliquant l’analogie entre les choses
matérielles et les réalités spirituelles, certains interprètes voient
dans les vaches des lumières spirituelles.
L’exemple de l’anthropologue développé par Quine pointe le fait que
nous ne pouvons pas entrer de plein pied dans une autre langue même si
nous commençons à avoir l’idée de lien entre signifiants et signifiés.
Cela prouve qu’on ne peut jamais entrer complétement dans une autre
langue à partir de notre seule langue maternelle. Il y a une
impossibilité de traduire complètement la poésie d’une langue à l’autre
qui montre la pertinence de cette affirmation. La poésie est
intraductible car elle unit sens, rythme, idée et sonorité... Il est
impossible de traduire toutes ces dimensions de manière parfaite. L’état
d’esprit d’une langue est quelque part à jamais intraductible
littéralement dans une autre langue. Searle avec la chambre chinoise
concédait aux réductionnistes matérialistes qu’une machine pouvait
rentrer dans l’intelligence d’une autre langue. Ce que Quine nous dit
implique que cette ambition d’une machine à traduire butera toujours.
Traduire une poésie de manière satisfaisante est impossible et davantage
on ne peut pas traduire la poésie dans un langage machine.
Une machine ne pourra pas donc servir d’intermédiaire de traduction
pleinement satisfaisante. L’exemple des limites de Google traduction est
significatif malgré les progrès notables accomplis.
Certes il y a des limites à la traduction mais y a-t-il des limites à la compréhension ?
Pour quelqu’un comme Hegel, toute pensée est liée à une langue.
Chez Hegel, l’Esprit a besoin de se manifester dans un langage pour
se comprendre lui-même. Ce modèle de Hegel est scientifiquement faux :
ces dernières années, grâce aux avancées de la médecine on sait que
quelqu’un peut être en état d’aphasie (incapacité d’utiliser les mots)
mais de retour à cette capacité de parler, il témoignera qu’il pensait
et qu’il avait accès à des formes intelligible. Dans ce débat il y a un
deuxième débat : la langue nous renvoie à des formes intelligible mais
il faut distinguer le domaine de langue et le domaine des formes
intelligibles. Sans formuler on peut penser.
Ces formes intelligibles qui ne sont pas des mots, sont-elles le produit
du cerveau développé dans une certaine culture ? On aurait des pensées
non formulées mais développées cérébralement dans le contexte d’une
certaine culture.
Le cerveau est-il un récepteur d’un champ de conscience où il y a des
formes intelligibles immatérielles ou est-ce que le cerveau est le
dépositaire de formes intelligibles non discursives ?
On sait que quand les enfants apprennent à parler, ils ont d’abord la
compréhension des formes intelligibles avant qu’il développe pleinement
l’usage des mots qui les expriment. Ainsi le bébé distingue globalement
les avions des oiseaux avent de savoir les nommer. Cette distinction
conceptuelle n’est pas le fruit d’une induction produite par une pensée
usant de la langue.
Dans le dialogue avec des gens, ce pouvoir qu’a l’enfant se retrouve, on
arrive à une compréhension de la forme intelligible impliquant la
vision culturelle de l’autre même si on ne maîtrise pas la langue de
l’autre. On peut donc comprendre un même langage même si on ne partage
pas les mêmes langues.
L’incommensurabilité des langues n’induit pas l’altérité (la différence,
l’étrangeté) radicale des perspectives. Même si on ne peut pas traduire
parfaitement une langue dans une autre, un être humain pourra toujours
arriver à la compréhension de l’autre par le dialogue car il a accès au
monde intelligible du langage au-delà de la langue. L’évolution des
langues d’ailleurs est toujours liée à des dialogues interculturels qui
mettent en jeu l’évolution d’un langage humain universel qui structure
sa perception.
3°) Le perspectivisme est-il une impasse pour le dialogue ?
Le perspectivisme risque d’être une impasse s’il ne prend pas en
compte le dialogue mais on peut lui donner raison quand il affirme qu’il
n’y a pas de métalangage (= le langage suprême qui permet de comprendre
tous les langages et par là toutes les langues). Ceux qui rêvent d’une
langue universelle se trompent (Cf. Mythe de Babel). Dans l’utopie de
faire une paix mondiale on a souvent voulu mettre fin à la malédiction
de Babel et on a donc cherché une langue universelle.
Leibniz (17e - 18e,
rationaliste) estime que ce projet doit avoir pour modèle le langage
mathématique. Chez Descartes, Leibniz, Spinoza (Rationaliste du 17e, 18e), il y avait l’idée que Dieu pense le monde mathématiquement.
Platon, qui se dit aussi disciple de Pythagore, aurait défendu dans son
enseignement caché l’idée que les formes intelligibles les plus hautes
sont mathématiques. Il y a une vieille idée que l’univers serait écrit
dans un métalangage proche des mathématiques.
Bertrand Russel (Anglais, 20e siècle) et Whitehead ont écrit les Principia Mathématica.
Dans cette œuvre, ils ont poursuivi la quête d’un métalangage et trouvé
un argument montrant selon lequel il est impossible de fonder un
métalangage. Ils sont partis de l’énigme du barbier. Imaginons dans un
village lointain et isolé qu’il n’y ait qu’un seul barbier selon un
décret local. Ce décret exige que ce barbier rase ceux qui ne se rasent
pas eux-mêmes. Qui rase alors le barbier ? Si il se rase lui-même alors
le barbier ne doit pas se raser or le barbier ne rase que ceux qui ne
se rasent pas eux-mêmes, etc.
On peut traduire cette énigme en terme logique : l’ensemble de tous les
ensemble est- il pensable ? L’ensemble de tous les ensembles doit
contenir tous les ensembles et lui-même. Si l’ensemble de tous les
ensembles contient l’ensemble et lui-même, il doit aussi contenir
l’ensemble des ensembles dont lui-même.
Cette série d’énigmes nous conduit au résultat qui implique
l’inexistence d’un métalangage, un langage de tous les langages. Ce
qu’on peut voir c’est qu’il est possible de construire des ponts entre
des langages mais il n’y aura jamais et n’a jamais eu de métalangage.
Les mathématiques ne peuvent pas être le métalangage parce que les
mathématiques elles-mêmes sont plusieurs langages.
Le perspectivisme a donc un sens si on admet qu’il n’y a pas de
métalangage. Même si il y a un point de vue absolu, il n’est pas
atteignable par le langage humain. Il y a un perspectivisme fondé sur le
dialogue et qui doit être pris au sérieux. Protagoras (4e
siècle av. JC ) disait : « l’homme est la mesure de toutes choses,
des choses qui sont qu’elles sont, des choses qui ne sont pas qu’elles
ne sont pas. »
Chez les esquimaux, il y a au moins une quarantaine de noms pour décrire
la neige. Le langage est la mesure de ce qui existe pour eux. Notre
langue française ne fait pas exister autant la neige.
Il y a trois niveaux d’interprétation de cette phrase de Protagoras, qui dépendent de l’interprétation du mot homme.
+ 1re interprétation :
On peut l’entendre comme un individu humain singulier. On comprend que
l’on est dans un perspectivisme et les choses existent ou n’existent pas
selon son point de vue personnel. Un point de vue humain n’existe
jamais seul, les intérêts d’un être humain sont toujours liés à une
forme de relation avec les autres.
+ 2e interprétation :
L’homme peut représenter le membre de la cité (le citoyen). Cette
deuxième interprétation pointe dans l’être humain les valeurs de sa cité
(ville). Comme Protagoras est un démocrate, pour lui ce point de vue de
la cité est le fruit d’une histoire démocratique. « L’homme est la
mesure de toutes choses » est une formule démocratique et non une vision
théocratique (= un pouvoir lié à un Divin, un Dieu). Le discours peut,
dans l’échange construire un point de vue sophiste.
Remarque : Les sophistes sont définis par Platon comme étant ceux
qui sont capables de démontrer n’importe quoi à n’importe qui. En
démocratie, c’est par le discours que l’on peut éventuellement donner de
la force à un point de vue.
Aristophane considérait Socrate comme un sophiste dans Les Nuées pièce de théâtre où Socrate est l’objet de sa risée.
Platon oppose l’argumentation dialectique à la rhétorique des sophistes.
Le danger de la rhétorique pour Platon est de persuader sans démontrer
et même de persuader de l’indémontrable voire du contradictoire.
Cependant, la persuasion peut servir des idées argumentées. Si on prend
les théories de Pascal, il y a des domaines où la persuasion l’emporte
légitimement sur l’art de convaincre, sur l’argumentation.
Dans une démocratie, la rhétorique est nécessaire. Reste à savoir si
la rhétorique est au service d’une manière d’être authentique ou non.
Il y a un exemple de dérive des sophistes : Maître Corax (corbeau)
prétendait enseigner à ses disciples contre paiement, la capacité de
démontrer n’importe quoi à n’importe qui. Un de ses disciples a refusé
de le payer. Corax lui a fait un procès. Ce disciple s’est défendu
lui-même et a dit : « Si Maître Corax parvient à vous démontrer que je
dois le payer c’est qu’il n’a pas réussi à m’enseigner le fait de
démontrer n’importe quoi à n’importe qui. Et si Corax perd effectivement
je n’aurai pas à le payer. » et Maître Corax répondit : « Si mon élève
perd le procès, il doit me payer. Si je perds le procès cela prouvera
qu’il aura réellement appris à vous convaincre. Il devra donc me payer
car mes cours lui auront servi ». Conclusion du juge : « A méchant
Corax, méchante couvée ».
Chez Protagoras, il n’y a pas forcément l’idée de prendre les pouvoirs
grâce au discours, il reste l’idée d’un dialogue constitutif de l’homme.
Pour lui le discours est le garant de la mesure avec laquelle on décide
d’être ensemble. Ce sont les régimes non démocratiques qui refusent
d’assurer la libre expression des discours.
+ 3e interprétation : Le mot Homme
peut être entendu au sens d’humanité, de conscience humaine :
Protagoras,
entrevoit que notre vision du réel est limitée par notre conscience
humaine. Nos points de vue sont construits pour être adaptés à notre
environnement qui se présente à notre échelle humaine. Le perspectivisme
a été renouvelé au cours du temps. Le perspectivisme de Nietzsche est
ainsi plus important. Nietzsche exprime par exemple que la logique ou la
raison sont le fruit de notre adaptation à notre milieu. Quand
Nietzsche envisage la particularité d’un surhomme, il envisage une
conscience autre que la conscience rationnelle logique… Le
perspectivisme ouvre la possibilité que le sens nous échappe parce que
d’autres formes de conscience peuvent émerger.
Dans le Crépuscule des idoles, Nietzsche écrit : « ce qui a
besoin de preuve ne vaut pas grand chose ». Il estime que l’énergie
d’une conviction et d’une valeur devraient l’emporter sur la preuve,
l’argumentation… Il y a un danger dans la démonstration. Le marxisme est
une théorie argumentée, rationnelle qui a permis un totalitarisme
criminel. Parfois ce qui est argumenté peut conduire à des comportements
inhumains.
Si on veut défendre le perspectivisme le plus loin possible, la
persuasion devrait être mise au service d’une intelligence de la vie. Il
y a des visions du monde plus porteuses de vie et d’autres plus
porteuses de mort.
Ce critère d’authenticité nous sort des impasses du perspectivisme et
du seul perspectivisme car il pointe qu’il y aurait une manière d’être
disciple du sens et de l’être.
C- Transition critique : Renoncer à être maître du sens ; devenir disciples du sens.
1°) Pourquoi éviter d’être maître du sens ?
La science et le perspectivisme s’égarent quand il prétendent devenir
les maîtres du sens. En science, le risque est d’oublier que la science
est une recherche ouverte. La science est liée à l’induction et donc
toutes les théories scientifiques ne sont jamais absolument vraies,
elles peuvent toujours être démenties par de nouvelles expériences. Si
une théorie ne peut pas être démentie par l’expérience, elle n’est pas
scientifique : tel est le critère de scientificité donné par Karl Popper
( Autrichien du 20e).
Karl Popper dit donc qu’un critère de scientificité essentiel est donc
la testabilité. Il parlait plus précisément de réfutabilité ou de de
falsifiabilité, c’est-à-dire d’une prévision algorithmique qui peut être
rendue fausse.
Par exemple, le marxisme n’est pas falsifiable selon Karl Popper.
Pour lui, tous ceux qui critiquent le marxisme sont appelés « petit
bourgeois » par les marxistes cherchant à disqualifier leurs critiques.
Par cette appellation, ils sont réduits à des gens qui retardent
l’avancée du grand capital qui oblige à une révolution prolétarienne.
Les petits bourgeois sont condamnés à devenir aux prolétaires car en
face d’eux s’installent par exemple des gros commerces qui ruinent leurs
petits commerces ou des grands propriétaires terriens qui ruinent leurs
petites fermes. Certains ouvriers peuvent aspirer à être des petits
bourgeois trahissant par là la marche du capitalisme qui aboutira à une
révolution.
Pour Marx, les petits bourgeois retardent donc la marche de l’histoire
et sont des obstacles à la cause prolétarienne dont sa doctrine est la
prise de conscience.
Si quelqu’un critique la détermination par classe sociale, le marxisme
va dire qu’il est déterminé socialement. La lutte de classe sociale
pour aboutir à n’avoir qu’une seule classe sociale enfin capable
d’intérêts communs doit passer par la destruction de toutes les autres
classes sociales. Marx n’a pas prévu le développement d’une classe
moyenne dans le capitalisme qui au fond élargit le socle de la petite
bourgeoisie et pourra être au fond le garant politique de la démocratie
libérale contre toute dictature marxiste.
Schéma des classes sociales selon Marx :
Capitalistes (disposant des fonds pour fonder des industries, contrôler les banques, etc.)
Petits Bourgeois (aristocrates petits propriétaires, paysannerie possédante, artisans, petits commerçants)
Prolétaires ( ouvriers, employés, ouvrier agricoles)
Lumpenprolétariat (sous prolétariat essayant de parasiter le système
par le bas à l’image des grands capitalistes : mafias, proxénétisme,
mendicité organisée, bras armé des capitalistes contre les leaders
ouvriers, etc.)
La véritable science est falsifiable, le marxisme n’est pas
scientifique au sens fort. Ce n’est pas une explication du monde, c’est
une interprétation du monde. Une interprétation peut être nuancée,
rejetée, discutée alors qu’une explication scientifique peut être
réfutée ou confirmée. Ainsi certaines explications marxistes sur les
classes sociales demeurent valides, certaines interprétations sur les
idéologies sont actualisables mais certains points comme la
prolétarisation impliquant la disparition des classes moyennes se sont
avérés faux. La nécessité d’une dictature du prolétariat pour accélérer
l’histoire a toujours été un échec.
Marx est un cas typique du matérialisme réductionniste, il veut
maitriser, dominer la matière. Plus spécifiquement, il veut maîtriser
l’histoire humaine à l’aide d’une théorie scientifique. Pour lui le
communiste serait un scientifique qui accélérerait le sens de
l’histoire. La classe sociale des « petits bourgeois » serait l’élément
qui empêcherait cette accélération plus que toute autre chose. Tout ceux
qui s’opposent à la théorie marxiste ralentiraient l’histoire et
seraient donc des petits bourgeois ou aspireraient à l’être. Déraciner
la tendance petite bourgeoise justifie la dictature du prolétariat.
L’ambition de maîtriser le sens des choses peut alors entrainer le
totalitarisme.
Ainsi si on se demande à nouveau « Peut-on trouver un sens à toute chose ? », on partira de ces acquis :
+ La démarche scientifique peut trouver un sens au phénomène. Elle
peut réduire l’apparente diversité des choses à une explication. Cette
attitude réductionniste (=celui qui réduit la diversité des phénomènes à
un seul sens) de la science peut devenir une philosophie. Une
explication scientifique ne doit pouvoir s’interpréter que d’une seule
manière sinon ce n’est pas de la science. Quand l’attitude
réductionniste devient philosophique, elle finit par nier la
singularité, c’est-à-dire l’unicité des choses.
+ L’attitude perspectiviste, elle, admet que l’interprétation n’est
qu’un point de vue et que la réalité échappe à l’interprétation parce
que elle peut donner un ensemble infini d’interprétations. Les mots des
langues humaines sont toujours des généralités, or avec des généralités
on peut difficilement dire la singularité. Chaque vécu de la couleur est
singulier, le mot ne parvient pas très bien à cause de sa généralité à
traduire la singularité de la couleur.
Le perspectivisme lui-même, peut tomber dans l’impasse. L’impasse du
perspectivisme est liée souvent à un défaut de dialogue ou à des idées
qui interdisent le dialogue. Pour dialoguer il faut présupposer en amont
un horizon d’entente et en aval, un horizon d’accord.
REMARQUE : Le perspectivisme s’appelle souvent dans les textes le relativisme.
A propos de la formule de Protagoras, il faut insister sur le fait
que Protagoras était un démocrate, c’est l’ami de Périclès. NB : on
parle du siècle de Périclès.
Une autre impasse du perspectivisme est la manipulation rhétorique. L’exemple de Corax vu précédemment est significatif.
Le défaut commun à la
démarche réductionniste scientifique et perspectiviste est l’idée qu’on
peut maîtriser entièrement le sens de toute choses.
Ceci dit, la science quand elle est ouverte, quand elle se sait
falsifiable, testable ou corrigeable, représente une façon de se mettre à
l’écoute des choses.
Exemple : le 20e siècle en biologie a
été profondément matérialiste mais par exemple la physique aujourd’hui
n’est plus aveuglément matérialiste à la façon mécaniste : on s’est
aperçu du point de vue théorique et expérimental que ce qui ce passe
dans la main au niveau des atomes, des particules est relié à tout
l’univers.
Le perspectivisme quand il est ouvert au dialogue nous permet de
comprendre les limites de la conscience humaine elle-même. La conscience
humaine reste un filtre indépassable, la réalité en dehors de cette
conscience humaine nous échappe totalement. Cette réalité en dehors de
la conscience humaine peut être évoquée mais dès qu’on en parle, on
demeure dans les limites de la conscience humaine.
Exemple : un poisson dans un bocal transparent a accès à ce qu’il y a à
l’extérieur de son bocal mais même si il devine qu’il y a quelque chose
en dehors de son monde, il n’aura jamais aucune connaissance de l’air.
On peut essayer de creuser maintenant ce qui peut nous rendre disciple du sens.
2°) Comment devenir disciple du sens ?
Il y a une voie courte pour devenir disciple du sens : devenir poète.
Si on veut rester philosophe, on peut devenir penseur de la poésie. Le
poème de vise pas à expliquer le monde, il n’est pas au service d’un
engagement. Il peut y avoir des poèmes engagés mais la beauté poétique
n’est pas liée à un engagement. L’essence de la poésie n’est pas là pour
défendre un point de vue ou des valeurs même si elle peut en exprimer.
Le poème sert la parole.
La parole pour être comprise dans sa spécificité doit être comprise
comme un acte. Exemple : on peut distinguer ce qui est dit et ce qui est
entrain de se dire. Le « dit » , est un objet qu’on peut interpréter,
qu’on peut discuter : il est figé. Alors que le « dire » est vraiment le
moment où le langage est vivant, il est entrain de venir, en train
d’émerger. Une parole vivante peut se dédire. La parole met donc en jeu
une inspiration, une venue à l’être (la parole naît). La parole poétique
pointe la naissance du verbe, le verbe naissant (verbe = mot qui fait
l’action mais aussi la parole). La nature est souvent la métaphore du
verbe naissant.
On comprend pourquoi la machine n’a pas de pensée poétique car elle
calcule, elle interprète sans jamais penser la survenue, le surgissement
de tout ce qui apparaît. L’intraductibilité de la poésie a à voir avec
la singularité du surgissement de l’expression et donc de la langue.
II - HERMENEUTIQUES : LE CERCLE VERTUEUX DU SENS JUSTE ENTRE EXPLIQUER ET COMPRENDRE.
Préambule.
L’herméneutique désigne l’art de l’interprétation, on pourrait parler
d’un art de la compréhension. Pour notre sujet l’herméneutique est
incontournable car c’est d’abord l’art de trouver un sens. Ce peut être
chercher un sens caché ou un sens nouveau pour appliquer ce texte à une
situation inédite comme dans un cadre juridique. Il y a d’abord
herméneutique quand le sens n’est pas évident a priori. Dans une
discussion, quand on ne comprend pas l’interlocuteur, on peut toujours
lui demander des précisions. L’herméneutique s’est développée surtout
face aux textes puisque l’interlocuteur qui a écrit le texte n’est plus
là, la plupart du temps, pour préciser le sens du texte. L’herméneutique
est arrivée surtout avec la Bible : on a considéré plusieurs niveaux de
lecture tel que littéral, moral, spirituel, etc.
Dilthey (penseur allemand, 19e s)
est le premier à avoir parler d’herméneutique universelle. Il a
distingué les sciences dites « dures » (tels que les Sciences de la Vie
et de la Terre, les sciences physiques, etc.) des sciences humaines
(psychologie, sociologie, histoire, etc.). Les sciences humaines selon
lui sont d’abord des sciences herméneutiques. Dilthey distingue
l’explication scientifique causale de la compréhension herméneutique.
Exemple : en histoire, il y a des faits qui peuvent s’expliquer : le
changement de climat peut expliquer le changement d’une civilisation. En
histoire il faut aussi comprendre les acteurs pour comprendre un
évènement.
Avant 1789, il y a eu des faits climatiques qui peuvent expliquer le
mécontentement mais ce n’est pas la seule chose. Pour comprendre 1789,
les explications sont insuffisantes, il faut aussi s’intéresser aux
acteurs. Comment Marie Antoinette a-t-elle pu dire « s’ils n’ont plus de
pain, donnez leur de la brioche » ? D’où peut venir l’inconscience ou
le cynisme de Marie Antoinette ?
L’herméneutique est donc aussi l’art de comprendre le point de vue de
l’autre, de trouver un sens à ses actes, à ses comportements, à ses
valeurs. Le scientifique ne peut pas expliquer l’histoire humaine. Un
être humain et même l’historien ne peuvent jamais s’extraire totalement
de l’histoire, il ne peut pas y avoir un point de vue objectif.
L’herméneutique propose une qualité de subjectivité là où l’objectivité
seule n’est pas possible. La qualité de subjectivité met en jeu la
compréhension, le sens du dialogue… La compréhension, n’est pas
forcément la compromission ou la complicité car ce n’est pas parce que
je comprends quelque chose que j’en suis complice .
Ex : je peux comprendre un imbécile sans être complice de son imbécilité.
A- Les voies herméneutiques courtes.
1°) Le cercle herméneutique existential.
Martin Heidegger (Allemand, 20e s)
dénonce la métaphysique occidentale qui a produit un rapport au monde
scientifique et technologique d’« arraisonnement ». C’est une des
raisons pour lesquelles il s’éloignerait du nazisme selon ses
défenseurs.
Heidegger dénonce l’idée que le monde serait un objet pour nous, sujets
humains. Chez Descartes par exemple, il y a cette métaphysique : quand
on doute de tout, il y a vérité d’un sujet qui fait face aux mondes des
objets. Pour les occidentaux, tout est sous la main du sujet. Pour les
Heideggériens, le peuple allemand en est venu à commettre des crimes
contre l’humanité parce que même les êtres humains sont devenus des
objets disponibles comme le reste de la nature. Les perspectivistes tels
les nietzschéens comme les scientistes participent de cette
métaphysique. Les valeurs dont parlent les perspectivistes sont aussi
des objets sous la main que l’on pourrait changer à volonté. La
distinction sujet- objet est commune à toutes les métaphysiques
occidentales qu’elles soient scientistes ou perspectivistes. Le
scientifique distingue sujet et objet pour avoir plus d’objectivité et
le perspectiviste va distinguer sujet et objet pour renforcer la
subjectivité, le subjectivisme. Autre manière de dire qu’ils se veulent
maître du sens.
Pour Heidegger, la distinction sujet/objet n’est jamais absolue du
point de vue de l’Être. Pour lui il y a des cercles herméneutiques qui
relient l’Être, le sujet et l’objet.
Dilthey a mis en valeur le cercle herméneutique (sujet-objet). En
sciences humaines, l’historien par exemple est toujours impliqué dans
l’histoire donc on ne peut pas séparer l’historien (sujet) et l’objet
historique (objet). Le travail de l’historien a des implications dans
l’histoire. La compréhension de l’Europe dans nos manuels d ‘histoire
aujourd’hui va toujours dans le sens d’une union. Le manuel d’histoire
n’est pas neutre politiquement.
Dans un manuel d’histoire, on étudie d’abord le pays où le manuel est
écrit. Quand on veut trouver un sens à l’Histoire, on est la plupart du
temps en train de chercher un sens à son histoire personnelle. Un bon
historien est parfois transformé par son objet d’étude. Quand on étudie
certains peuples et qu’on fait l’effort de les comprendre, on peut
découvrir que certaines valeurs de ces peuples sont bonnes pour nous
aujourd’hui. Le bon historien se met à l ‘écoute de son objet qui
devient un sujet dans un dialogue. L’historien doit avoir un travail
d’objectivité et doit aussi faire preuve de qualité de subjectivité.
Paul Ricœur résume en disant : l’historien explique pour mieux
comprendre. Le cercle herméneutique doit s’appuyer sur des faits
subjectifs.
Chez Heidegger, le cercle herméneutique n’a pas un sens
méthodologique comme chez Dilthey. Chez Heidegger , il y a l’idée que le
sujet et l’objet ont une racine commune dans l’Être. Le sujet est
concerné par l’Être parce qu’il existe. Exemple : je suis c’est-à-dire
que j’ai conscience que j’existe. Le sujet a un rapport à l’Être parce
qu’il existe.
Le sujet peut se caractériser par le fait d’être conscient d’être. Quand
un homme est conscient d’exister, il a la capacité de se dés-identifier
de son identité. Sartre disait : « la conscience ne coïncide pas avec
elle-même ». Prenons un exemple contraire pour préciser ce point : une
chaise dans sa manière d’être coïncide toujours avec elle-même.
Sartre dit aussi : « l’existence précède l’essence ». Chez un être
humain, la conscience d’exister va définir ce qu’il est, il va poser son
essence.
Ex : « on ne nait pas femme, on le devient », comme disait Simone De
Beauvoir. Autrement dit, une femme peut avoir plusieurs types de
culture. On peut distinguer une femme soumise et une femme féministe.
Chaque être humain a une manière de se comprendre dans l’existence.
Pour Heidegger, cette compréhension peut avoir plusieurs sens :
- Pour beaucoup d’êtres humains, il s’agit de se comprendre face au monde mais il faut aussi se comprendre face à l’existence même. Heidegger a critiqué Sartre : la question pourquoi j’existe ne met pas en jeu un projet existentiel contrairement à ce que dit Sartre. La question de Heidegger est donc une question qui concerne le mystère de l’Être. Il faut distinguer l’existentiel et l’existential. Pour Heidegger, l’enjeu est que si on évacue la question de l’Être, on va considérer que le rapport du sujet à des objets. Autrement dit on va traiter le monde comme un ensemble de valeurs, toujours en relation à des intérêts et ainsi on va retomber dans le scientisme ou le perspectivisme.
Remarque 1 : Pour Heidegger, le mot « exister » ne s’applique pas à des objets puisque l’objet coïncide avec lui-même.
Remarque 2 : étymologie d’exister = se situer en dehors de.. (ex-sistere).
La définition de l’existence défini le courant philosophique de existentialisme. Kierkegaard (19e s, Danois), se place au côté de Sartre, c’est un existentialiste chrétien (Sartre est un existentialiste athée).
Le cercle herméneutique met en jeu le mystère de l’Être nous rend
disciples du sens. Pour Heidegger, disciple du sens , nous n’avons plus
un rapport essentiellement utilitariste aux objets. Les objets, quand
on les considère du point de vue de l’Être, nous placent du côté de
l’étonnement, de la poésie. L’Œuvre d’art pour Heidegger est un objet
qui célèbre la question de l’Être, le mystère de l’Être. L’Œuvre d’art
est une ouverture sur l’existence mais ne donne pas de réponse.
2°) Que pointe : Je ne suis pas cette pensée ?
Stephen Jourdain (21e s, Fr) invite
à réinterpréter la place de la pensée, il nous invite à prendre
conscience que, au fond, nous ne sommes jamais seulement nos pensées. Si
il a raison, nous ne serions jamais radicalement seulement tristes,
nous ne serions jamais radicalement présents seulement dans nos émotions
et pensées.
Exemple : on peut avoir une sensation de douleur mais la pensée « j’ai
mal » qui rajoute de la souffrance à la douleur, serait clairement
fictive.
Pour Jourdain, les gens qui ne sont pas capables de constater « je ne
suis pas cette pensée » ont perdu de vue leur liberté originelle. Ils
sont entraînés inconsciemment dans une déchéance faute d’en reprendre
conscience. Il prend une image pour nous aider à percevoir cette
identification malheureuse. Un drapeau est un symbole. D’une part le
drapeau est matériel, il est coloré mais d’autre part il invite à se
tourner vers des abstractions comme la France, un pays, une devise...
Ainsi il invite à d’autres symboles. La plupart des gens ne confondent
pas dans ce cas la matérialité du symbole avec le signifiant et le
signifié. Quand on pense « je suis » , on fait souvent l’erreur de
confondre la substance de la pensée avec notre identité. La pensée « je
suis » est souvent auto-référente. L’énoncé « je ne suis pas cette
pensée » pour ne pas être contradictoire doit pointer un quelque chose
en dehors de la pensée. On peut prendre une image pour expliquer plus
clairement ce que peut être ce je suis qui n’est pas dans la pensée :
quand on lit une phrase écrite, en tant que lecteur, je donne vie à une
pensée qui n’est pas la mienne en tant qu’individu se représentant
soi-même en 3e personne mais en tant
que conscience perceptive en première personne. Les pensées « je suis »
ou « je ne suis pas cette pensée » pointent non pas une autre
représentation de soi en 3e personne
comme nous avons tendance à nous imaginer mais essentiellement la
conscience perceptive en première personne qui n’est jamais perdu dans
l’identification à notre personnalité caractérisant notre représentation
de soi en 3e personne.
Ce geste intérieur de désidentification n’est pas le rejet de la vie
personnelle en relation avec le monde, il n’abolit pas le jeu du sens en
le considérant comme illusoire. La fiction du sens n’est pas une
illusion, elle a une portée ontologique.
Par ailleurs, comment pourrions-nous être authentiquement disciple du
sens si nous sommes soumis à quelconque précompréhension ? Il n’y a que
dans la position en première personne au-delà de toute représentation
que nous pouvons être radicalement à l’écoute, ouverts. La
survalorisation de sa culture ou de sa tradition même si elle ouvre à de
semblables perspectives libératrices risquent toujours d’enclore
l’ouverture, d’en faire une fenêtre à travers un mur de représentations
dogmatiques qu’il faudrait abattre pourtant.
3°) Transition critique : nécessité de voies herméneutiques longues.
Les voies herméneutiques courtes qui tournent vers l’Être ou bien la
conscience en première personne au delà du langage, sont avant tout des
réinterprétations de la perception. On parle de phénoménologie
herméneutique. L’idée centrale est que dans la perception et dans la
conscience, il y a des enjeux de rapport au sens.
Dans toute perception, il y a comme une lecture, une interprétation.
Exemple : quand on voit un paquet de cigarettes, on a déjà lu « nuit
gravement a votre santé » ou sur un objet, se lit déjà la marque si il y
en a une.
Dans le cas de Heidegger, la phénoménologie herméneutique, ne l’a pas
empêché de se compromettre avec le nazisme des années 30 non seulement
par carriérisme mais aussi par des représentations antisémites. Quand
l’herméneutique se tourne vers l’absolu (l’être, la source de ce qui
est), on peut malgré tout la soupçonner de compromission avec des
cultures de mort. Les voies herméneutiques courtes doivent passer au
crible de l’herméneutique du soupçon : des interprétations qui
soupçonnent quelque chose de non représenté qui agit derrière la
représentation car il faut s’examiner faute de complète transparence à
soi.
Même si on s’ouvre à soi dans l’absolu, à la source du sens, on n’est
pas exempt de dogmatisme, de fermeture d’esprit ou autre compromission
avec des demies vérités ou des forces de mort. Par exemple ces
constations sont faites en lisant Ghazali, auteur du moyen âge ou
Augustin d’Hippone qui évoquent des expériences d’illuminations de façon
précise tout en excommuniant ou en appelant au meurtre de ceux qui ne
souscriraient pas à certains points de leur interprétation de cette
illumination.
L’herméneutique du soupçon est bien nécessaire mais en plus de cela y
compris au sujet de ce qui ressemble à d’authentiques expériences
d’ouverture spirituelle. Mais ces critiques elles-mêmes ne garantissent
nullement cette non compromission qui fait obstacle, il faudrait une
herméneutique du dialogue pour s’ouvrir par delà nos frontières
critiques elles-mêmes.
B- Les voies herméneutiques longues par lesquelles on détruit tout ce qui pervertit le sens et avec lesquelles on s’ouvre au sens le plus large.)
1°) Les herméneutiques du soupçon.
Paul Ricœur a proposé de caractériser certaines herméneutiques comme
des herméneutiques du soupçon. Il a caractérisé 3 philosophes comme
auteur d’herméneutiques du soupçon : Freud, Marx et Nietzsche.
Freud soupçonne que derrière tel symbole, telle pensée, la libido
soit à l’œuvre. Exemple : le rêve ment à son spectateur car il accomplit
des désirs qu’il masque aux yeux du rêveur. Derrière le sens apparent,
on va soupçonner telle ou telle chose, on soupçonne des choses d’être
des réalisations masquées de la libido.
Marx soupçonne tout discours d’une dimension idéologique . Même un
discours spiritualiste met en jeu des positions matérielles, un statut
social. Par exemple, le « heureux les pauvres » du fondateur du
christianisme ne conforte-il pas l’inégale distribution des richesses ?
Nietzsche soupçonne, derrière les discours des stratégies vitales. Il
nous invite à nous demander quelle est la vitalité en jeu dans le
discours. Exemple : l’ascétisme, c’est une manière de diminuer
l’intensité de la vie. De nombreux discours sont inconsciemment au
service de forces de mort. Pour Nietzsche on doit soupçonner ce qui
empêche un développement de la vitalité créatrice. Nietzsche rejette les
cultures religieuses traditionnelles ou modernes qui tendent à
affaiblir la vitalité.
Les herméneutiques du soupçon nous montrent que la conscience
humaine, que l’ego humain est rarement transparent à lui-même mais elles
peuvent aussi valoir pour des postures spirituelles au-delà de l’ego.
Elles offrent des méthodes d’examen critique mais elles-mêmes ne sont
pas sans danger.
+ 3 dangers réductionnistes :
+ Tout est puissance économique ;
+ Tout est sexuel ;
+ Tout est puissance vitale.
On peut mettre en questions la notion de puissance vitale : est-elle
vraiment dégagée chez Nietzsche de toute compromission avec des pulsions
de mort ? Ne peut-elle pas participer d’une inflation de l’ego au lieu
de s’intégrer à la manifestation d’un surhomme vraiment différent d’un
homme titanesque ?
Le reproche de non falsifiabilité adressé précédemment au marxisme
peut être reprise contre les théories freudiennes car il y a des
présomptions que ces théories soient infalsifiables. A l’image du
critique du marxisme déconsidéré comme petit-bourgeois, un critique de
Freud sera soupçonné de masquer inconsciemment une partie de ses désirs
sexuels en critiquant le freudisme.
Enfin, les soupçon peuvent faire dire à l’autre ce qu’il n’a pas dit.
On peut agir à partir d’une interprétation du comportement de l’autre
mais dont l’autre n’est pas conscient au point que notre action
elle-même semble issue d’une auto-illusion. A partir de là, le dialogue
avec l’autre est compromis. Dans un dialogue, il est important de ne pas
réduire l’altérité de l’autre (le fait que l’autre soit l’autre) à une
compréhension, une interprétation systématique. Par sa parole l’autre
doit avoir sa chance de pointer et d’exprimer ce qu’il y a en lui de
profondément authentique.
Le dialogue peut me faire admettre qu’aucune interprétation ne peu être complète, totale.
Le marxisme a malheureusement glissé d’une interprétation totale au totalitarisme.
2°) L’enrichissement des herméneutiques régionales : exemple de l’histoire.
L’histoire est une science herméneutique spécialisée dans l’étude des
sociétés passées. Dans l’histoire, on retrouve une dimension critique
(avec plusieurs niveaux) mais aussi une dimension dialogale essentielle.
+ Tout d’abord, il y a un niveau qui concerne des faits objectifs.
Exemple : on peut dater au carbone 14 des objets (preuve archéologique),
des témoignages (mais moins fiables).
+ L’historien ne doit pas croire littéralement les témoignages du
passé. Avant de faire de l’histoire, on écrivait des chroniques et
souvent le chroniqueur était attaché à un souverain quand il narrait le
règne de ce dernier.
+ L’historien doit se méfier de ses propres préjugés.
Mais l’historien peut s’ouvrir à « des potentialités inemployées du
passé » c’est-à-dire des possibilités sociales, des valeurs passées
qu’on pourraient réactualiser. Il y a là une dimension dialogale
essentielle qu’apporte une voie longue herméneutique. Pour arriver à
cette démarche de compréhension qui respecte l’altérité de son objet
d’étude, l’historien fera des allers-retours entre explication et
compréhension.
Dans un premier temps, nous allons évoquer des méthodes d’explications typiques à l’historien.
Quand on explique un événement en physique, la plupart du temps on
peut répéter l’expérience. Par définition, l’historien ne peut pas être
dans un cadre où on pourrait répéter une expérience, on peut faire une
reconstitution mais c’est une interprétation.
Fernand Braudel (Français, 20e s) a développé des méthodes d’explications historiques en distinguant trois rythmes temporels :
- Un rythme événementiel, rapide. Par exemple le 14 juillet 1789 est un événement car on peut remettre en cause le pouvoir/symbole de la monarchie absolue. C’est une durée brève qui a un impact plus long et qui résonne dans d’autres événements futurs.
- Un rythme sociale moyen. Par exemple ce rythme est typique de celui de la démographie d’un peuple. Par exemple, les allemands ont perdu 5OO OOO habitants. Depuis de nombreuses années, ils ont eu une baisse des loyers leur permettant de supporter l‘austérité économique… Donc la démographie d’un peuple joue sur l’économie… Il y a aussi le statut des femmes qui est en jeu dans cette question démographique. Par exemple au 20e s, le statut des femmes a des effets sur le moyen terme. En Allemagne, quand une femme a un enfant, elle n’a plus le temps pour une carrière professionnelle et devient dépendante économiquement de son conjoint. Une conséquence du statut de la femme en Allemagne est cette faible démographie du fait du peu d’enfant(s) par femme.
- Un rythme lent. Exemple : Le changement climatique, implique un changement historique sur le long terme. L’impact sur le changement climatique doit normalement prendre 1 ou 2 siècles. Dans l’évolution humaine, il y a une glaciation qui a été essentielle. Les hominidés ont évolué vers l’homme à cause d’une ère glaciaire en créant par exemple des vêtements à cause du froid. Aujourd’hui, le réchauffement climatique va entrainer des migrations de peuple vers d’autres pays. Nous savons que nous allons rentrer dans un nouveau cycle historique.
Fernand Braudel a donc développé une façon de faire l’histoire qui
inclut l’explication. Pour comprendre des évènements historiques, il
faut considérer des facteurs événementiels, mais aussi considérer des
facteurs sociaux formant un rythme moyen ainsi que l’histoire lente des
climats.
Une civilisation, une culture est souvent liée à une certaine
ressource. On sait que notre culture, notre civilisation va épuiser ce
qui fait le cœur de son fonctionnement matériel : Il n’y a plus de mine
d’argent, il n’y aura plus de mine d’or (avant 10ans), le pétrole va
devenir non rentable à extraire (dans moins de 40 ans)… On va vers une
nouvelle civilisation centrée sur le recyclage et non plus croissance et
productivité, vision propre à ceux qui se croient encore maîtres du
cours de l’histoire.
Précédemment nous avons mis dos à dos perspectivistes et
réductionnistes scientifiques car même si leurs attitudes sont opposées,
l’un voulant tout interpréter, l’autre voulant tout expliquer, ils
tombent tous les deux dans l’illusion d’être maîtres du sens.
L’herméneutique souligne que le rapport le plus sain au sens est d’en
être disciple. Partant de là, l’herméneutique va construire un
va-et-vient entre expliquer et comprendre qui correspond à un
va-et-vient entre objectivité et qualité de subjectivité.
Dans l’explication, il y a une manière d’être disciple du sens. En
effet, le scientifique se soumet à l’expérience. De plus, il sait que sa
théorie ne sera jamais totalement explicative car elle reste
falsifiable et testable. Elle est donc réfutable. Le scientifique
disciple du sens n’ignore pas la persistance d’un pourquoi. Le
scientifique reste un disciple de l’étonnement, même si ses explications
ont un rapport au comment.
L’herméneutique insiste sur l’inséparabilité du pourquoi et du comment.
Même si le pourquoi n’a pas de réponse, il y a un étonnement d’être et
d’exister : on a ici la voie herméneutique courte.
Il faut en venir à une voie herméneutique plus longue parce que
l’étonnement d’être nous livre trop peu d’indications sur l’action
juste. L’histoire, en tant que discipline herméneutique, pourrait nous
donner plus d’indications à ce sujet. Elle pourrait nous aider à
transformer l’étonnement poétique d’être en action juste de
transformation de nos cultures.
« Peut-on tirer des leçons de l’Histoire ? » est ainsi une question herméneutique et non un problème de théorie explicative.
La compréhension ne vise pas seulement une neutralité. Comprendre consiste à s’ouvrir à l’autre.
Les explications les plus objectives ne s’opposent jamais à une ouverture au niveau de la compréhension.
Plus on est ouvert, plus on est prêt à accepter la réalité, l’objectivité.
Exemple : beaucoup de gens évoquent la folie, une dérive
irrationnelle collective autour d’un homme lui-même pris de folie pour
expliquer le nazisme.
Cette analyse n’explique pas les faits et ne comprend pas les acteurs.
Du côté des acteurs, le nazisme s’appuie sur une idéologie, sur des
valeurs ( nationalisme, ethnocentrisme). Pour comprendre le nazisme, il
faut par exemple le restituer dans un contexte où la science, la
rationalité n’empêchent pas l’ethnocentrisme et le nationalisme. A
l’époque, le racisme semble pour beaucoup scientifiquement fondé. Hitler
s’est beaucoup inspiré du comte de Gobineau et de Vacher de Lapouge.
Mais des scientifiques cautionnaient le racisme en s’appuyant sur une
lecture (discutable) de Darwin. La génétique a depuis montré que la
notion de race n’a pas de sens pour les humains.
Le va-et-vient entre expliquer et comprendre peut ainsi nous détacher des préjugés racistes.
L’historien se détache de l’identitaire. L’identité est un héritage.
Nous sommes tous situés par rapport à une identité, une histoire.
L’historien montre que l’identité n’est jamais ce qui importe. On peut
toujours réinterpréter l’histoire en écrivant la suite au présent.
Exemple des relations entre la France et l’Allemagne : ces 2 pays
ont dû réinterpréter le passé pour éviter de perpétuer la haine.
III- LE SENS DE L’HISTOIRE FACE AU MYSTÈRE ET À L’ABSURDE.
Préambule
Se faire disciple du sens nous a paru faire sens face aux dérives
scientistes et perspectivistes. Mais quittant des yeux la voie
herméneutique courte, ce geste a-t-il encore un sens comme voie longue
quand le fait absurde suggère un manque de sens inhérent à la vie du
monde ? Ne faut-il pas se contenter d’une voie courte regardant le monde
comme illusion et souffrance ? Nos jugements sur Heidegger sont-ils
fondés dès lors que l’Être ne peut se manifester autrement
qu’absurdement en écrasant ce qu’il manifeste ?
Il y a un lien entre la question du sens de l’histoire et la question
du mystère et de l’absurde. Globalement est-ce que le sens des
évènements est positif ? Le Devenir a-t-il autant de profondeur que
l’Être ? Cette positivité indiquerait un mystère ou bien globalement, le
sens des évènements est-il négatif ? La vie elle-même serait absurde.
A- Les problèmes que pose la question du sens de l’histoire.
Le mot histoire peut être considéré en 3 sens :
+ sens 1 : un récit ;
+ sens 2 : une suite d’événements (Histoire, ce qui a réellement lieu) ;
+ sens 3 dérivant des 2 premiers sens : la discipline qu’est l’histoire
historique, un récit historique n’est pas forcément ce qui a réellement
eu lieu.
Quand on se demande « Peut-on trouver un sens à toute chose ? », il est indiqué de se demander si l’histoire a un sens.
Si on comprend le sujet « L’histoire a-t-elle un sens ? » comme « Le
récit a-t-il un sens ? », on peut dire que le sujet n’est pas très
intéressant car tout récit a un sens.
On peut se demander si l’Histoire (sens 2) a un sens et lequel ? ce
sens est-il positif, négatif, sensé (représentable mentalement) ?
L’enjeu est de savoir dans quelle mesure on peut être maître de notre
destin ? La question d’être disciple du sens devrait donc ici se
réentendre à nouveaux frais.
Est-ce que l’homme doit se mettre dans l’histoire à l’écoute d’un sens à
accomplir ? On retrouve donc le débat entre être maître du sens ou être
disciple du sens.
La question du sens de l’Histoire (sens 2), va se poser à l’aide d’un
récit historique ou philosophico-historique. Le récit ne va-t-il pas
créer l’illusion que l’histoire a un sens ?
Le récit historique peut-il rendre compte d’événements qui échappent à
toute logique ? Est-ce qu’un récit historique peut rendre compte d’une
situation absurde ?
Au 20e siècle, l’historien a affaire à des évènements absurdes.
B- Les raisons de croire que l’Histoire a un sens.
1°) La croyance en la providence.
La providence peut se justifier par le fait que tous les destins
individuels soient en quelque sorte administrés (gérés) par une réalité
universelle.
i) La providence de Dieu
Si la source du sens est consciente et si en tant que personne nous
sommes appelés à être disciple de cette conscience absolue qui se donne
en nous comme conscience pure en première personne. Il ne paraît pas
absurde de considérer ce que les théologies de l’histoire peuvent nous
apprendre.
Dieu conçoit l’existence des personnes à l’avance : il ne s’agit pas
d’un fatalisme ou d’un déterminisme, il s’agit d’une prédétermination de
la liberté. Si Dieu est bon, on peut penser qu’il prédestine le plus
grand nombre possible d’individus au Bien (paradis) : le mal est un
choix ou une épreuve temporaire (selon Leibniz par exemple).
Une histoire n’a d’intérêt que si il y a du mal, des obstacles, de la
négativité à affronter. Si on valorise l’histoire, l’absurde, le mal
sont comme des passages un peu obligés. Pour les monothéistes, le sens
ultime de l’Histoire est en dehors du temps (si Dieu existe, un jour, il
va interrompre l’Histoire : apocalypse). Si Dieu interrompt l’histoire
on parle d’apocalypse = interruption de l’Histoire par l’Éternité.
Il y a 2 familles de conceptions apocalyptiques (les Lumières appartiennent à une de ces deux familles).
+ Conception 1 :
Les lumières reprennent l’interprétation de l’histoire selon Leibniz :
plus le temps passe, plus on ira vers le progrès (Descartes, Leibniz 17e s). Cette croyance n’a plus guère de poids car le progrès est une puissance mise entre des mains irresponsables.
+ Conception 2 :
Le Bien va s’amplifier ainsi que le mal : le mal sera de pire en pire
et le bien de mieux en mieux. Dans cette conception Dieu va interrompre
l’Histoire pour donner la victoire au Bien sur le Mal. Le déchainement
de la puissance technologique donnerait du poids à ce scénario si les
événements du siècle précédent n’avaient pas donné un tel sentiment
d’absurdité mettant en doute toute intervention d’une toute puissance
divine charitable.
ii) Le karma comme providence.
On peut douter d’une conscience absolue comprise comme conscience
suprême faisant sens consciemment à travers l’histoire humaine et
l’évolution de l’univers. Les philosophies hindoues ou bouddhistes
permettent d’envisager une approche de moindre anthropomorphisme.
Le karma est une suite de causes et d’effets impersonnels dans les
philosophies indiennes. Chaque individu exprime l’absolu en tant que
phénomène capable de le réfléchir mais ceci se traduit chez les
bouddhistes, les hindouistes de manières différentes. Le Karma est
positif quand l’individu se rapproche de l’absolu et négatif quand il
s’éloigne de l’absolu. Le Karma a aussi une dimension collective. Le
Karma individuel est déterminé par le Karma collectif et le Karma
collectif est déterminé par les Karmas individuels. L’Histoire est donc
le fruit d’une part de liberté des individus et en même temps le fruit
d’une causalité, d’un déterminisme impersonnels.
Le Karma est souvent négatif parce que l’inconscience au sens de
l’irresponsabilité entraine l’inconscience au sens de l’ignorance. Les
philosophies indiennes prédisent un effondrement à terme de toute la
manifestation. Les époques de l’histoire humaine serait de plus en plus
sombre et la société de moins en moins centrée sur la réalisation
spirituelle de l’absolu.
Pour comprendre ce type de causalité, on peut observer que si on
devient fainéant en décidant de ne pas travailler aujourd’hui, alors on
risque de ne plus pouvoir travailler dans l’avenir car notre volonté et
notre concentration seront affaiblis par la paresse. On comprends par
là-même qu’il est plus difficile de développer un karma positif qu’un
karma négatif.
Les théories du Karma sont souvent négatives, car suivant de
nombreuses philosophies bouddhistes et hindoues, c’est la vie elle-même
qui est illusion (La vie est souffrance).
Faut-il dès lors en revenir aux voies herméneutiques courtes comme
celles des heideggériens qui disqualifient tout point de vue humaniste ?
2°) La ruse de la raison
Hegel nous invite à voir la raison comme une manifestation de la
conscience absolue qui lui permet de prendre plus efficacement
conscience d’elle-même dans l’histoire. Si l’on considère à partir de
nos connaissances psychologiques et historiques le développement de la
conscience dans l’histoire, Hegel nous aura fait reprendre le chemin
d’une voie herméneutique longue. Hegel ne nie pas cette négation au cœur
de la manifestation de la conscience, il nous invite à réinterpréter
positivement le développement de la conscience de la conscience à
travers des tensions et des conflits entre ses manifestations.
Hegel montre qu’un conflit génère toujours un progrès : dans un
conflit entre deux cultures, pour vaincre l’ennemi il faudra le
connaitre donc il faut intégrer sa vision du monde. Cela nous amène à
produire un point de vue qui dépasse notre vision du monde précédente
(thèse) et celle du point de vue de mon ennemi (antithèse), dans une
synthèse. Si on suit Hegel, la guerre engendre une forme de progrès.
Exemples : le Moyen Age s’est terminé à cause du canon ; cette
invention marque la fin de la féodalité en rendant obsolète les châteaux
forts et leurs seigneurs. La chirurgie apparait grâce à la guerre (aux
canons et aux fusils…). Les moyens de communications sont apparus et se
sont développés grâce à la guerre (télégraphe, montgolfières, avions,
chars…).
Avec la bombe nucléaire, il peut y avoir une fin tragique de
l’Histoire. Si on lit attentivement Hegel, la guerre et le conflit ne
sont pas inéluctables (Cf. La raison dans l’histoire ou la dialectique
du Maître et esclave). Dans la dialectique du maître et de l’esclave on
voit le passage de la guerre/du conflit, au travail et à l’économie.
L’effort de guerre peut se transformer en effort économique. Dans une
guerre économique, les concurrents sont interdépendants. L’Europe, la
Chine, le Japon et les USA sont désormais interdépendants même si chacun
essayent d‘amasser des profits au dépend de l‘autre.
Hegel a prédit à sa façon la mondialisation et annonce un
cosmopolitisme comme seule issue aux conflits et aux obstacles à la
continuation de l’humanité.
Ainsi si la mondialisation ne conduit pas à un épuisement des
ressources écologiques de la planète, elle peut entraîner une paix
durable.
Toutefois l’histoire du 20e siècle a
produit des événements de toute absurdité suggérant que l’histoire
humaine pourrait en quelque sorte aboutir à une complète impasse. La
vision inspirée de Hegel est peut-être encore trop anthropocentrique si
l’humanité est une manifestation parvenue à son point d’absurdité.
C - L’absurde et le mystère à l’aune d’une pensée de l’histoire comme évolution de la conscience.
Avec Hegel l’histoire humaine est donc une manifestation de la
conscience absolue à elle-même dans la culture humaine par le biais de
ruses de la raison. Cependant si l’histoire obéit à la raison, ne
pourrait-on pas être tenté d’en devenir maître ? Il faut reconsidérer
L’absurde et le mystère au cœur d’événements par excellence
imprévisible. Et même concernant un événement prévisible, il y a un
écart entre ce qui est attendu et les conséquences de ce qui a lieu. On
peut pressentir un événement à certains signes avant-coureurs mais
peut-on peser quel type de vie il va ouvrir ?
Si on se place d’un point de vue évolutif, une crise évolutive révèle
un mal au cœur d’une forme de vie qui représentait jusque là un bien.
Ce qui dynamisait la vie devient alors ce qui représente une inertie. Le
lien entre mystère et absurde peut alors se réinterpréter. Le mystère
des sauts évolutifs qui jalonnent l’évolution s’accompagne
inexorablement d’une mise en lumière d’une absurdité venue d’une forme
de vie devenant l’obstacle à son mouvement. Un saut évolutif est un
mystère car même s’il est prévisible dans une certaine mesure on ne peut
anticiper ses résonances sur la manière d’être qui en résultera pour
les êtres qui connaitront ce saut et leur environnement. Quant à
l’absurde concernant la crise évolutive, elle est aussi événementielle,
il peut y avoir de l’imprévu. Ainsi le « mal » peut-il redoubler au
niveau des symptômes quand un corps en évolution est proche d’y
développer une immunité.
Considérons que le premier obstacle au vivant était certainement
l’ignorance de ce qui pouvait interrompre la vie, il fallait donner à la
vie plus de possibilité d’explorer ces obstacles à travers diverses
formes. Le sexe a permis certainement cette exploration. Il participait
aussi d’une pluricellularité en devenir. Pour des formes de vie
pluricellulaire, le plaisir et la douleur fût donc une réponse possible
afin d’éviter l’accident. Cependant la douleur s’avère aussi limitée, la
peur permet de l’anticiper et de l’éviter. Le désir s’avère une
anticipation du plaisir. Mais désir et peur en devenant des émotions de
plus en plus subtiles risquent d’aboutir à des impasses. La conscience
mentale peut les éviter. La prudence réduit les situations
d’intensification de la peur tout en donnant au désir le plus de succès
possible. La prudence induit aussi le développement d’explorer
virtuellement l’action. La tactique, la stratégie relationnelles mais
aussi la technique deviennent possibles. Avons-nous vraiment mentalement
les moyens de franchir les limites absurdes du monde du désir et de la
peur ? Il s’avère pour nous êtres mentaux que douleur et plaisir
physiques et en amont sexe et mort deviennent des limites absurdes.
Le mental semble pouvoir amorcer un diagnostic sur l’impasse
évolutive humaine en renonçant à une vision anthropocentrique de la
manifestation de la conscience. Il peut admettre que l’expérience
spirituelle pointée par les voies courtes est essentielles mais qu’elle
constitue le premier pas de l’aventure de la conscience et non son
achèvement. On notera que cette approche peut entendre tous les points
de vue précédents : la voie apocalyptique prend son sens au-delà du
pensable, le pessimisme oriental et de certaines voies herméneutiques
courtes est justifié quant à l’avenir de la conscience mentale qui ne
peut échapper à ses impasses structurelles malgré ses progrès, le mental
est avec Hegel un point d’appui essentiel de l’évolution de la
conscience même si il s’agira d’être conscient mentalement de la
nécessité d’aspirer à un dépassement par la conscience de la seule
conscience mentale.
L’évidence actuelle de l’absurdité de l’existence humaine pourrait
ainsi nous masquer la source profonde de l’absurdité : notre stade
évolutif humain dont le mental devenu rationnel reflète les limites avec
acuité. Le saut évolutif important qui inéluctablement se prépare si le
paradigme évolutif est juste et que notre interprétation des signes
avant-coureurs est juste n’est donc pas seulement le dépassement de
notre condition mentale absurde mais aussi de notre animalité, de sa
mortalité qui n’a plus guère de sens et à l’horizon de notre condition
d’être vivant encore incapable d’éviter l’accident fatal. La conscience
mentale en tant que conscience réfléchie s’est déployé comme une forme
de retour de la conscience sur elle-même, ici est en jeu un grand retour
de la conscience sur sa matérialisation même. Ce pressentiment mental
du sens de l’évolution de la conscience dans sa manifestation s’oppose
trait pour trait à la vision heideggérienne d’un arraisonnement qui
dématérialise l’étantité par réduction de toute chose à une énergie
quantifiable.
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