I. Introduction problématique.
Comment comprendre ce paradoxe.
Pourquoi ne pas s’installer dès maintenant dans une vie du moindre effort ? Pourquoi ne pas réduire nos besoins pour dès maintenant travailler moins ? Notre approche du travail et de l’oisiveté n’est-elle pas un désir vain ?
On peut aussi distinguer deux types de travail : il y a le travail pour gagner sa vie, pour assurer la conservation de notre vie et il y a les tâches plus nobles de créations culturelles qu’elles soient scientifiques, technologiques, artistiques, etc. Ces deux types de tâches sont-elles distinctes ou renvoient-elles à un même sens du travail ?
Enfin peut-on donner un sens non seulement culturel mais spirituel au travail ?
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II. Le droit à la paresse. Des sociétés sans travail ?
1- Les activités des sociétés de chasseurs cueilleurs et les activités animales.
On dira volontiers qu’un homme travaille tandis que le dire d’un animal sauvage sera considéré comme un anthropomorphisme, c’est-à-dire une façon d’humaniser un être qui n’a pas d’humanité. Un animal quand il chasse ou il broute ne sera jamais pensé par nous comme étant au travail. Il a certes alors une activité qui suscite des efforts sur le plan corporel mais de telles activités ne mettent pas en jeu une conscience réfléchie de l’effort. Ce serait alors la transformation réfléchie de l’effort spontané du corps grâce à des techniques mais surtout la mise en œuvre d’une transformation du milieu de vie qui ferait de l’effort réfléchi humain un travail. Ce dernier critère concernant la transformation consciente du milieu serait d’ailleurs le plus caractéristique. En effet une société humaine de chasseurs cueilleurs est la plupart du temps considérée comme une société sans travail car au fond elle ne procède pas à une transformation de son milieu. Toutefois une telle société connaît des activités qui même si elles ne sont pas des travaux n’en restent pas moins des activités caractéristiques de notre humanité : l’art, la spiritualité, la guerre, etc. Une culture humaine pourrait être définie à la rigueur comme une culture sans travail dès lors que son activité technologique n’interviendrait pas fondamentalement pour modifier le milieu environnant. Mais à vrai dire dans sa façon d’assurer sa survie, tout être humain travaille car au sens strict il réfléchit son activité et s’efforce d’agir conformément à des représentations mentales. L’outil qui matérialise l’activité réfléchie et qui en soit modifie nos seules capacités biologiques qui caractérisent notre milieu de vie est toujours un outil issu d’un travail.
2 - Le retour à la nature (avec les Épicuriens et les Cyniques de l’antiquité).
a) - Le désir vain de travailler pour s’enrichir.
Les cyniques sont une école de philosophie qui prône le retour à la nature.
Pour eux, la civilisation est une maladie. L’homme est un animal malade qui a perdu ses instincts régulateurs, et au lieu de satisfaire ses seules pulsions ou désirs naturels, il crée des désirs artificiels qui au final le frustrent du bonheur naturel. Le travail fût l’effort tout d’abord de transformer le milieu dans lequel nous vivions : pourquoi transformer une condition qui nous faisait respecter immédiatement l’ordre de la nature ? Pourquoi abandonner la vertu du respect de l’ordre de la nature qui seule peut nous rendre heureux ? Et plus cette transformation de la nature fût rendue possible, plus on envisagea le travail de façon individualiste comme un moyen de gagner de l’argent, de gagner par cette monnaie d’échange des soi-disant plaisirs monnayables. Bien sûr on peut réserver le travail pénible à des esclaves ou des ouvriers mais même en ce cas un maître ou un entrepreneur devra diriger ses esclaves ou ses ouvriers. Le riche et le puissant restent donc esclaves du travail et de leur rupture avec la nature.
L’analyse Épicurienne pense que la vertu est d’abord l’effet d’une saine recherche du plaisir. Pour un être humain, il existe deux types de désirs d’après les Épicuriens : les désirs vains et les désirs naturels. Les animaux ont seulement des désirs naturels. Les désirs naturels sont eux-mêmes de deux sortes :
- il y a les désirs naturels nécessaires : boire, manger, dormir, respirer, chercher le simple plaisir d’exister. Il faut ajouter à cette liste la philosophie qui peut nous libérer de la crainte.
- il y a des désirs naturels non nécessaires : mets raffinés, amitié, sexualité.
- du jour au lendemain, on peut tout perdre ;
- on ne peut pas savoir à partir de quel degré de richesse ou de quel degré de reconnaissance on peut être satisfait. Les désirs artificiels, culturels, ne semblent pas nous combler. Le travail est la plupart du temps lié à des désirs artificiels.
Les Cyniques lieront l’ataraxie moins à la recherche du plaisir naturel qu’à la recherche de la vertu qui sait se contenter du peu que lui laissent les circonstances. Ainsi pour le Cynique la vertu de pauvreté (à distinguer de la misère qui est subie et menace notre survie) peut seule nous faire renoncer aux mirages des désirs vains.
Les cultures humaines impliquent des conventions arbitraires que ne subissent pas les animaux. La société nous impose des apparences : politesse, tenue vestimentaire, soins corporels artificiels tels l’épilation, le maquillage, etc. La société nous imposent donc des efforts qui troublent le plaisir d’être en repos. En valorisant l’effort et le travail nos sociétés humaines nous obligent à manquer le simple plaisir d’exister (Épicure) ou le bonheur d’être content de peu (les Cyniques).
Les cyniques proposent de se débarrasser de tous ces désirs culturels, qui sont aussi accompagnés d’impératifs et d’obligations, qui n’ont aucune utilité pour apprécier d’être en vie maintenant. Le bonheur pour eux est de se contenter de soi-même quelles que soient les circonstances.
b) - Le bonheur de simplement exister n’est pas troublé par des activités dont les dimensions intellectuelles et émotionnelles nous libèrent d’une impression d’effort.
La grande illusion du travail est aujourd’hui liée à la recherche du bonheur à travers l’avoir et non l’être. Seul un travail relatif à l’être pourrait nous rendre heureux. Selon les Cyniques et les Épicuriens seuls des efforts en vue de la satisfaction de désirs naturels (Épicure) ou des efforts en vue de se contenter de soi-même (Les Cyniques) pourraient nous conduire au bonheur. L’épicurien reconnaît une certaine nécessité de transformer le milieu lorsqu’il cultive son jardin. Le cynique prônera un retour à la nature du type chasseurs-cueilleurs ou montrera aux hommes qu’on peut vivre naturellement en marge de sa société en mendiant ou en récupérant les restes comme le font les chiens.
Le rejet du travail humain par les cyniques allaient assez loin pour que voyant une fillette qui prenait de l’eau à la fontaine avec ses mains, Diogène le cynique se débarrasse de son gobelet.
Ainsi pour les Épicuriens le plaisir d’exister simplement en repos ou pour les Cyniques le contentement d’exister sans trouble sont plus profonds que tout plaisir en mouvement lié à un effort de réaliser ses désirs naturels. Car une fois ce plaisir en repos ou cet absence de trouble expérimentés plus aucun désir vain ne pourra nous distraire du simple plaisir ou contentement d’exister et même le sentiment de besoin impératif suscité par un désir naturel nécessaire voire la douleur physique n’effacera pas ce sentiment.
Plus généralement toutes les spiritualités ont toujours rappelé la nécessaire alternance de l’activité et du repos pour l’être humain : le divin et donc le bonheur sont très souvent paradoxalement conçus comme sens simultané de l’immobilité et de l’action, comme action sans effort, etc. ; l’alternance dans le temps du repos et de l’activité nous permet de ne pas perdre ces deux aspects de vue afin un jour de les reconnaître l’un dans l’autre. La grande découverte par exemple que l’on fait en s’obligeant au repos est notre dépendance à l’activité alors que quand on travaille on a souvent l’impression de lutter contre notre désir de repos que l’on prend pour de la paresse. Ceux qu’on dit paresseux ont rarement une expérience du plaisir en repos, ils sont la plupart animés par la recherche de plaisirs en mouvement : la plupart des paresseux font semblant de travailler espérant que leur peu de travail leur permettra de gagner de quoi satisfaire leurs désirs vains… Des paresseux authentiques nous seraient utiles pour rappeler le simple plaisir d’exister qui se découvre au repos. Spirituellement leur paresse militante qui assume la pauvreté qu’elle implique montre l’hypocrisie des travailleurs paresseux et la dépendance de la plupart des travailleurs aux désirs vains de la reconnaissance et de l’enrichissement.
Cependant si nous accordons un droit à la paresse authentique en tant qu’elle ramène au premier plan le simple plaisir d’exister, ne pouvons-nous pas défendre l’idéal paradoxal d’un bonheur d’une conscience en repos au cœur même de l’action ? Ce plaisir d’exister en repos ne nous permettrait-il pas d’éprouver de moins en moins le sentiment d’effort de plus en plus au cœur même de l’action ?
Dans notre leçon N’y a-t-il de bonheur qu’égocentrique ? nous avons montré que le bonheur pouvait s’accorder d’après les stoïciens à n’importe quel rôle social (y compris celui d’esclave !) à condition qu’il permette une action ressentie comme harmonieuse avec l’ensemble de l’univers. Une activité ressentie avec harmonie sur le plan intellectuel et le plan du sentiment ne coûte pas selon nous une impression d’effort sur ces plans et donc ne trouble pas le plaisir d’être. Il y a certainement un effort pour jouer son rôle seulement comme un rôle dans une pièce dont le scénario ne dépend pas de nous. L’effort consiste essentiellement à ne pas s’identifier à son rôle. Une activité dès lors qu’elle sera ressentie comme en harmonie avec l’ensemble de la scène où elle se joue ne rencontre aucune résistance et ne produit aucune souffrance intellectuelle et émotionnelle.
Le travail peut être interprété comme participation à l’harmonie du tout de la nature et de la culture qui en émerge y compris par sa transformation. La valeur spirituelle du travail est donc foncièrement liée à la participation de plus en plus consciente de l’homme à l’évolution de la nature et de la culture. Mais la valeur travail si elle doit servir la liberté créatrice doit-elle être imposée ? Un droit à la paresse ne doit-il pas être rendu légitime ?
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III. Dans quelle mesure le travail est-il un devoir moral ?
1 – La valorisation morale du travail.
Kant, dans le Traité de pédagogie, trad. De J. Barni, écrit :
« Il est de la plus grande importance d’apprendre aux enfants à travailler. L’homme est le seul animal qui soit voué au travail. Il lui faut d’abord beaucoup de préparation pour en venir à jouir de ce qui est nécessaire à sa conservation. La question de savoir si le Ciel ne se serait pas montré beaucoup plus bienveillant à notre égard, en nous offrant toutes choses déjà préparées, de telle sorte que nous n’aurions plus besoin de travailler, cette question doit certainement être résolue négativement, car il faut à l’homme des occupations, même de celles qui supposent une certaine contrainte. Il est tout aussi faux de s’imaginer que, si Adam et Ève étaient restés dans le paradis, ils n’eussent fait autre chose que demeurer assis ensemble, chanter des chants pastoraux et contempler la beauté de la nature. L’oisiveté eût fait leur tourment tout aussi bien que celui des autres hommes.Il faut que l’homme soit occupé de telle sorte que, tout rempli du but qu’il a devant les yeux, il ne se sente pas lui-même, et le meilleur repos pour lui est celui qui suit le travail. On doit donc accoutumer l’enfant à travailler. »
Explication :
La conception d’Emmanuel Kant s’oppose donc tout à fait à un droit à la paresse. Pour lui la paresse est un péché qui heureusement est sanctionné par l’ennui.
Il rappelle que l’homme est différent des autres animaux de fait même de sa nécessité de travailler. Un animal agit spontanément pour sa conservation tandis qu’un être humain doit apprendre à agir pour sa conservation. L’éducation consiste à lui transmettre par des représentations mentales un sens de l’effort en vue de sa propre conservation.
On remarque que son analyse s’oppose à la Genèse biblique où l’Éden, le paradis primitif est pensé comme une vie qui n’exige aucun effort pour gagner sa vie. Le devoir de gagner sa vie est un châtiment de Dieu pour un homme qui a voulu entrer dans la connaissance du bien et du mal. Kant estime pour sa part que si Adam et Eve n’avait pas été chassé du Paradis ils auraient travaillé confrontés qu’ils auraient été à l’ennui. L’ennui pour Kant est comme une malédiction.
Pour ne pas sentir l’ennui, le mieux est de ne pas se sentir soi-même : il faut que le moi soit tout entièrement consacré à un but, qu’il soit tout entier consacré à un effort qui le fait s’oublier soi-même. Pour Kant le meilleur repos n’est celui du paresseux qui bientôt s’ennuiera mais celui du travailleur qui a effectué sa tâche du mieux qu’il pouvait et doit regagner ses forces par le repos.
Pour Kant le simple plaisir d’exister ne peut être obtenu par la paresse. Kant nie donc que les cyniques antiques puissent avoir été heureux sans rien faire. D’ailleurs n’avaient-ils pas une intense activité philosophique ?
Selon lui il nous faut obliger les enfants à travailler tant qu’ils ne sont pas capables vraiment de s’y obligés eux-mêmes de façon autonomes, cette discipline, ce sens de l’effort est une condition nécessaire à leur bonheur même : sans sens de l’effort un enfant fera face à l’ennui, à la dépression.
Le chômage est donc dramatique car il ôte toute dignité morale. De ce point de vue, il faut plutôt un droit au travail plutôt qu’un droit à la paresse…
2 - Pourquoi une telle valorisation du travail dans une société postindustrielle où il se raréfie ?
Toutefois à notre époque, après le passage du néolithique à l’ère industrielle, le travail tel que le commun le conçoit semble de plus en plus se raréfier. Des sociétés qui n’ont jamais autant valoriser le travail que les nôtres n’ont paradoxalement pas assez de travail. Comment créer de nouveaux types de travaux ? Ne faudrait-il pas revenir sur la valorisation morale du travail telle qu’elle a été pensée au 18e et 19e siècle lors de la révolution industrielle et l’affiner ?
Nous pouvons constater que nous avons encore bien du mal à suivre Lafargue quand il dit :
« Parce que la classe ouvrière, avec sa bonne foi simpliste, s’est laissée endoctriner, parce que, avec son impétuosité native, elle s’est précipitée en aveugle dans le travail et l’abstinence, la classe capitaliste s’est trouvée condamnée à la paresse et à la jouissance forcée, à l’improductivité et à la surconsommation ».
La contradiction entre les désirs liés au travail et les désirs liés à la paresse semble claire. Lafargue avance alors deux idées :
« il faut mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail et les obliger à consommer les marchandises qu’ils produisent ».
Toutefois, aujourd’hui tout le monde est prêt à travailler davantage afin de gagner davantage d’argent pour pouvoir consommer davantage ; et cela même si consommer sans discernement menace les équilibres naturels.
Mais au lieu de lier nos revenus au seul travail, ne faudrait-il pas prendre au sérieux la raréfaction dans nos sociétés occidentales du travail dans les secteurs primaires (agriculture, pêches, etc.) et secondaires (productions industrielles) ? On a mécanisé, robotisé tant de tâches qui autrefois étaient celles des travailleurs. Certes on a externalisé certaines de nos productions en Asie et plus particulièrement en Chine parce que là-bas le coût du travail est encore rentable par rapport à l’investissement dans la robotisation des chaînes de production. Mais notre course à la production massive de produits dont la durée de vie est sciemment écourtée a-t-elle encore un sens ? Ne faudrait-il pas freiner la consommation des produits qui épuise la terre ? Les secteurs primaires et secondaires sont donc appelés à renoncer pour des raisons écologiques à un point de vue centré sur le gain financier.
Ainsi globalement les seuls secteurs qui peuvent encore susciter du travail et perpétuer la recherche de gains financiers sont liés à des industries technoscientifiques de pointe ou au secteur tertiaire (emplois de services divers). Mais là encore on peut s’interroger sur les possibilités à long terme de lier la valorisation du travail à la valorisation de l’enrichissement financier.
Les plus riches n’ont-ils pas tout intérêt même si leur intérêt s’exerce souvent de façon inconsciente à préserver les illusions de la valeur travail ? Si en Occident elle venait à péricliter, les citoyens occidentaux ne considéreraient-ils pas la richesse des plus riches comme devant être partagée pour enfin mettre fin à la tyrannie du travail rémunéré comme nécessité de gagner sa vie ? N’estimeraient-ils pas avoir tous droit à un revenu minimum d’existence ou à un droit de ne plus avoir à devoir gagner sa vie qui nécessiterait une redistribution des richesses ?
On arrive à convaincre les employés occidentaux d’abandonner de plus en plus leurs privilèges sociaux ainsi qu’à travailler plus pour résister à la concurrence de la mondialisation. Les salariés chinois sont plus corvéables à plus bas coûts, il est donc temps de travailler plus à moindre coût (social !) pour garder nos postes de travail ! Mais si nous voulons bien y réfléchir les travailleurs chinois et occidentaux qui se prêtent à ces logiques se rendent justes plus rentables que des machines qui pourraient travailler à leur place rendant par là injustifiée la distribution actuelle des richesses.
Certains diront que les nouvelles technologies sont plutôt créatrices d’emploi. Nous venons de connaître la révolution des télécommunications et de l’informatisation, il y a eu certes création de richesses depuis une vingtaine d’année comme le montre l’accroissement régulier du PNB (autour de 1% par an, ce qui implique un facteur multiplicatif quasi exponentiel des richesses sur une dizaine d’années !!!) mais il y a eu aussi précarisation croissante de l’emploi. Nous sommes pour la première fois dans une crise économique avec croissance de richesses : n’est-ce pas la conception que nous avons du travail et de l’enrichissement qui sont à revoir ?
Peut-être y aura-t-il de nouvelles révolutions industrielles comme celles des nanotechnologies ; cependant on peut douter des gains en terme d’emploi, et concernant ces futures industries, on peut légitimement craindre leurs dérapages écologiques bien plus menaçants pour notre avenir.
On développe aujourd’hui un secteur tertiaire où on invente de nouvelles activités de services qui à l’évidence profitent avant tout aux conforts des plus riches ou bien pire des activités qui conduisent à extorquer des abonnements à des personnes manipulables, à vendre des services qui s’avèrent des asservissements (il suffit de voir combien les banques prélève d’argent sur les comptes des particuliers au nom de soi-disant service…), etc.
Pourquoi ce système fondé sur la valorisation du travail rémunéré perdure ? Parce que le travail dans nos sociétés n’est pas tant associé à la transformation de la nature qu’au fait de gagner sa vie grâce à l’argent reçu en échange d’un travail. Au fond jusque dans les années 1960, certains espéraient que l’argent issu du travail n’aille plus en majorité aux mains du capitaliste, de l’actionnaire rentier. La plupart des critiques marxistes et socialistes de l’économie capitaliste ne songeaient pas à remettre en cause la valorisation sociale du travail rémunéré par l’entreprise. Les professions libérales, les artisans et autres travailleurs indépendants vivant en dehors de l’entreprise étaient considérés par les marxistes comme des petits-bourgeois ralentissant la prolétarisation sociale.
Aujourd’hui, lorsque vous envisagez cette hypothèse d’un Revenu Minimum d’Existence ou du droit de ne plus avoir à gagner sa vie, beaucoup pensent que cela conduira au désordre social, à la paresse… Ceci ne conduirait pas à interdire de façon oppressive la recherche du gain à tout prix, ceux qui voudraient plus que ce que ce Revenu ou ce droit leur conférerait pourrait continuer à travailler pour gagner plus dans la mesure où ce travail ne nuirait pas à l’environnement. Mais ne pas être dépendant d’un travail rémunéré, ne conduira-t-il à l’élimination naturel de nombreux métiers qui consistent à tromper, à extorquer mais que ceux qui sont obligés de gagner leur vie sont contraints d’exercer ? Il existera toujours par ailleurs des gens passionnés par leur compétence et vue notre puissance technologique, ces quelques uns par leur seul travail créatif permettront de fournir de quoi manger, de quoi se loger et de quoi se vêtir… Et comme leur travail sera créatif il aura une qualité supérieure du point de vue écologique à ce que peut produire le travail dans l’économie contemporaine. Et on peut si ces passionnés ne suffisent pas imaginer une participation annualisée à des tâches en vue d’assurer nourriture, logement et habillement.
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IV. Créer vaut mieux que travailler pour un salaire.
1 – La conception moderne du travail face à la distinction prémoderne entre les travaux des basses castes et des tâches nobles.
L’antiquité et le moyen âge ont associé telles castes à telles tâches. La caste ecclésiale avait une tâche de mémoire et de connaissance qui était la plus respectée étant donné qu’elle reliait les activités terrestres et célestes. La caste aristocratique avait prioritairement une tâche guerrière et judiciaire essentielle au respect de l’ordre terrestre. Les marchands, les artisans, les paysans avaient une tâche économique subalterne. Enfin les serviteurs, les serfs, les esclaves étaient ceux qui travaillaient.
Ce que nous considérons comme caractéristique du travail faisant appel à des compétences surtout physiques était donc la tâche des basses castes.
Dans la cité grecque antique, les tâches les plus nobles étaient des loisirs (scholè en grec qui est à l’origine du mot école ou plus nettement scolaire…) tandis que les tâches subalternes étaient un travail.
Dans la Bible elle-même on retrouve une telle approche : d’une part l’homme est invité par Dieu à dominer la nature et d’autre part il est condamné à gagner sa vie à la sueur de son front.
Hannah Arendt clarifie ainsi la distinction entre activité noble et travail jusqu’au cœur de nos sociétés modernes :
« Plus proche, également décisif peut-être, voici un autre événement non moins menaçant. C’est l’avènement de l’automation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité. Là, encore, c’est un aspect fondamental de la condition humaine qui est en jeu, mais la révolte, le désir d’être délivré des peines du labeur ne sont pas modernes, ils sont aussi vieux que l’histoire. Le fait même d’être affranchi du travail n’est pas nouveau non plus ; il comptait jadis parmi les privilèges les plus solidement établis de la minorité. A cet égard, il semblerait simplement qu’on s’est servi du progrès scientifique et technique pour accomplir ce dont toutes les époques avaient rêvé sans pouvoir y parvenir »
Explication :
Nous défendions précédemment le fait de nous libérer du fait de gagner notre vie. Arendt dans les années 1960 a déjà cette même conviction. Elle rattache d’ailleurs cette conviction à la conception antique du travail. La conception prémoderne du travail avait été un facteur non négligeable dans le développement de l’esclavage. Mais hormis cette conséquence très funeste pour notre point de vue moderne qui affirme l’égale dignité de tous les êtres humains, il convient de constater que libérés du travail ingrat, demeure des tâches digne de l’être humain.
Hannah Arendt à partir de là décrit l’impasse vers laquelle nous sommes en train de nous diriger :
« L’époque moderne s’accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. Le souhait se réalise donc, comme dans les contes de fées, au moment où il ne peut que mystifier. C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et, parmi les intellectuels, il ne reste plus que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »
Explication :
La valorisation moderne du travail qui a confondu le travail et les tâches nobles que distinguait les mentalités antiques risque de produire, annonce Arendt, un chaos social. En confondant le travail et le labeur que peuvent exécuter des machines élaborées, nous allons être inévitablement désœuvrés. Arendt utilise le concept d’œuvre pour l’opposer et le distinguer du travail laborieux. Gagner sa vie nous ramène à la condition animale, œuvrer seul nous en éloigne. L’œuvre désigne un type d’activité qui individualise celui qui l’effectue : une œuvre d’art porte la marque personnelle de celui qui la crée mais surtout en vue de cette personnalisation, le créateur lui-même se personnalise. Un travail au contraire travaille à des tâches répétitives, à obéir à de façon déshumanisante à des ordres auxquels nous n’obéirions nullement si nous n’avions pas à gagner notre vie…
Nous pourrions dès lors réinterpréter l’appel de Kant à éduquer les enfants au travail plutôt comme un appel à œuvrer.
Cependant l’idée de Kant selon laquelle la manière humaine de conserver sa vie ou de la gagner implique un travail de transformation de la nature inconnu aux animaux nous paraît toutefois transcender la distinction entre œuvre et travail qui s’est révéler après le néolithique. A l’aube de l’humanité gagner sa vie par le travail et œuvrer restaient indistinct. A vrai dire sans la nouvelle fusion moderne de l’œuvre et du travail, la révolution industrielle aurait-elle eu lieu ? L’aristocrate aurait-il abandonné si facilement son pouvoir aux bourgeois s’il n’avait pas fait du travail une valeur positive ? Les chrétiens eux-mêmes qui restaient majoritaires s’ils n’avaient pas réinterprété comme Kant le fait la Bible auraient-ils collaborer à cette révolution sociale ? Quoi qu’il en soit l’appel d’Arendt à retrouver le sens antique de l’œuvre au-delà du travail de subsistance est devenu selon nous pertinent.
2 – Où est l’éthique ? Travailler pour gagner plus ou travailler pour créer ?
Contrairement à ceux qui comme Kant associe l’ennui à une absence de vérité morale, dans Le gai savoir, § 42, Nietzsche écrit que :
« Se trouver un travail pour avoir un salaire […]. Or, il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler sans plaisir […]. De cette espèce d’hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie à la chasse ou bien aux intrigues d’amour et aux aventures. Tous cherchent le travail et la peine lorsqu’ils sont mêlés de plaisir, et le travail le plus difficile et le plus dur, s’il le faut. Sinon, ils sont décidés à paresser, quand bien même cette paresse signifierait misère, déshonneur, péril pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent pas tant l’ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup d’ennui pour que leur travaille réussisse. Pour le penseur et pour l’esprit inventif, l’ennui est ce calme plat de l’âme qui précède la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter, en attendre les effets à part eux : - voilà précisément ce que les natures inférieures n’arrivent absolument pas à obtenir d’elles-mêmes ! Chasser l’ennui à tout prix est aussi vulgaire que travailler sans plaisir. »
Explication :
La position de Nietzsche s’oppose ici très directement à celle de Kant que nous avons examinée précédemment. Elle se situe dans la droite ligne de celle d’Arendt. Nietzsche quant à lui au lieu de distinguer travail et œuvre distingue le travail salarié pénible et le travail des créateurs. Selon lui seul un travail créatif mérite tous les sacrifices puisque tout travail de ce genre apporte aussi du plaisir.
Nietzsche de ce point de vue défend le droit de paresser. S’il n’y a pas de plaisir, le travail n’est forcément en rien créateur. Kant dans sa conception de l’éducation risque de produire des êtres hétéronomes plus qu’autonomes : habitués à obéir aveuglément, à sacrifier leur désir et leur plaisir comment pourraient-ils soudain devenir créateur de leur propre principes de conduite ?
Un être qui n’assume pas l’ennui se servira du travail comme d’une distraction, il refusera de faire grandir la partie de lui-même insatisfaite de ses activités possibles présentes. Le travail quand il est pensé comme remède à l’ennui se coupe ainsi de sa consistance spirituelle profonde qui est de participer à l’évolution de la vie en devenant créateur. L’ennui qui se rencontre au sein de la paresse authentique est souvent le difficile chemin du créateur.
Avec Nietzsche, au nom d’un travail créateur, nous défendons donc le droit à la paresse et le droit de ne plus avoir à gagner notre vie…
Mais Nietzsche n’ignore pas non plus la déviance du travail qui au lieu de chercher à être créateur ou de se réduire à gagner péniblement sa vie s’embourgeoise avec l’idée de travailler plus pour gagner plus…
L’analyse d’Arendt nous avait mis sur la piste de confusion du travail pour gagner sa vie avec les tâches liées à une œuvre mais son analyse ne rendait pas compte des observations de Lafargue par exemple qui constate en son temps le développement d’une classe de gens « condamnés » à l’oisiveté. Arendt lorsqu’elle estime que la fin de nos sociétés du travail (selon sa définition qui le distingue de l’œuvre) sèmera de la confusion n’expliquait pas dans le passage cité pourquoi après tout les gens ne s’y retrouveraient pas en grimant les plus riches qui semblent vivre davantage dans l’oisiveté. En fait comme les riches eux-mêmes ont été contaminés par l’idée de travailler, ils ne travaillent pas pour gagner leur vie mais pour gagner plus. Et le modèle spirituel qu’ils offrent est calamiteux pour l’esprit de création…
Ainsi Nietzsche dans Opinions et Sentences mêlées, Gonthier, p. 166, § 310 écrit :
« Seul devrait posséder celui qui a de l’esprit : autrement, la fortune est un danger public. Car celui qui possède, lorsqu’il ne s’entend pas à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera toujours à vouloir acquérir du bien : cette aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans la lutte avec l’ennui. C’est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait à l’homme intellectuel, se transforme en véritable richesse, résultat trompeur de dépendance et de pauvreté intellectuelles. Cependant, le riche apparaît tout autrement que pourrait le faire attendre son origine misérable, car il peut prendre le masque de la culture et de l’art : il peut acheter ce masque. Par là il éveille l’envie des plus pauvres et des illettrés - qui jalousent en somme toujours l'éducation et qui ne voient pas que celle-ci n’est qu’un masque - et il prépare ainsi peu à peu un bouleversement social : car la brutalité sous un vernis de luxe, la vantardise comédien, par quoi le riche fait étalage de ses "jouissance de civilisé" évoquent, chez le pauvre, l’idée que l’argent seul importe, - tandis qu’en réalité, si l’argent importe quelque peu, l’esprit importe bien davantage ».
Explication :
Nous voyons clairement là encore les effets néfastes d’une définition du travail qui serait la réponse existentielle à l’ennui. Le travail est alors une forme de divertissement tout à fait équivalent à l’amusement, à la nature des tâches qui selon Lafargue s’imposent aux oisifs… Les riches n’ont plus à gagner leur vie. Un certain seuil de richesse garantirait une vie modeste libérée du travail pénible de devoir gagner sa vie par un salaire. Mais presque tous les riches se donnent comme loisir le fait de poursuivre leur enrichissement. La culture fait partie de cet enrichissement, elle est alors un masque social qui sert de signe extérieur de richesse. Le riche achète la présence des artistes et des œuvres d’art autour de lui. Le riche ne fera jamais de sa vie une œuvre d’art même si il s’entoure d’art. En fait ce que le riche inspire chez le pauvre est significativement le désir de s’enrichir non pas le désir de développer l’esprit. Le travail est donc dans nos sociétés intimement lié à l’argent qui « seul importe ». Le travail et l’esprit créateur pourtant importe davantage. L’évolution de plusieurs millions d’années du vivant peut-elle aboutir à l’idée que le but de la vie est de gagner de l’argent ?
3 - Une voie spirituelle des œuvres ?
a) – Éléments de base d’une voie spirituelle des œuvres.
A partir de tout ce que nous avons dit précédemment, nous pouvons établir une nouvelle spiritualité du travail : nous avons opposé à la déviance d’une conception du travail essentiellement pensé comme désir de gagner sa vie ou de gagner plus une conception du travail comme travail créateur. Il nous paraît essentiel donc de travailler à libérer le travail du devoir de gagner sa vie. Mais en attendant, il nous semble que même un travail effectué dans le but de gagner sa vie peut, accompli dans un nouvel esprit, nous libérer du fait de gagner notre vie.
La spiritualité hindoue avec la Bhagavad-Gîtâ présente quelques lignes d’approche pour ne plus simplement travailler égoïstement pour soi ou même pour faire perdurer la société dans laquelle on vit.
Certes la Bhagavad-Gîtâ n’inscrit pas la question du travail au sein d’une philosophie évolutive créatrice comme nous nous venons de le voir avec Nietzsche ou comme nous l’avons souvent au cours de cette réflexion. Mais elle propose une voie spirituelle du travail permettant de rompre avec une vision égoïste ou simplement sociale du travail. Mis à part les stoïciens tous les penseurs que nous avons évoqués dans notre réflexion sur le travail ne pensent le travail que dans un contexte égocentrique ou social. Bien sûr un travail créateur n’est pas simplement un travail égoïste ou un travail qui reproduit le système social. En effet un travail créateur élargit l’ego et pousse la société à évoluer, un travail créateur est porteur d’une générosité par définition non égoïste. Cependant dépasser l’égoïsme n’implique pas un dépassement d’une vision du monde égocentrique au sens d’une vision au final toujours ramenée à notre personne même si elle la rend plus vaste et plus ouverte. Le travail créateur peut créer une personnalité démesurée, titanesque dont les excès pourraient bien être destructeur. L’inventeur d’une nouvelle technologie, malgré lui, donne à des brutes une puissance bien souvent destructrice. Nietzsche lui-même a souvent été lu dans une optique aristocratique méprisante pour des soi-disant faibles.
Bien entendu, rompre avec le travail qui ne sert qu’à gagner notre vie ou de l’argent donne au travail une dimension qui en souligne le sens comme œuvre ou création. Une œuvre ou une création ne nourrissent qu’accessoirement des désirs égocentriques de reconnaissance ou d’appropriation mais nombres d’œuvres ne rompent pas avec des contextes tribaux ou ethnocentriques… La conscience humaine perçoit rarement quels sens cosmique peuvent avoir ses actes. Pourtant tout acte y compris les actes humains sont des actes cosmiques. La Bhagavad-Gîtâ propose une voie spirituelle du travail pour dépasser la conscience anthropocentrique de nos actes et en percevoir la signification cosmique. Cette prise de conscience peut équilibrer les dangers de création prométhéenne.
remarque : Comme on le voit dans le mythe de Protagoras (voir la leçon Peut-on rompre avec la nature ?), Prométhée est un titan qui a volé les arts et le feu aux dieux pour les confier aux hommes. Ce don aux hommes risquait de bouleverser l’équilibre cosmique, Prométhée d’après le mythe aurait donc été condamné à se voir chaque jour dévorer le foie après qu’il ait repoussé dans la nuit.
Dans la Bhagavad-Gîtâ (traduction de william Judge modifiée) au chapitre III, on lit :
« ARJUNA : [1] « Si, selon ton opinion, ô dispensateur des bienfaits, la connaissance est supérieure à la pratique des actions, pourquoi me pousser à une entreprise aussi terrible ? [2] Tes paroles qui me semblent ambiguës troublent ma raison : choisis donc la voie la meilleure pour atteindre au bonheur et indique-la moi clairement ! »KRISHNA : [3] « J’ai déjà déclaré, ô Prince sans tâche, qu’il existe ici-bas deux modes de consécration : celui des adeptes de la science spéculative appelée Sâmkhya, qui est l’exercice de la raison dans la contemplation, et celui des adeptes de l’école du Yoga, qui est la consécration par l’accomplissement de l’action.[4] L’homme ne peut se libérer de l’action en négligeant d’entreprendre sa tâche, ni atteindre au bonheur en s’abstenant de toute action. [5] Nul ne peut rester inactif un seul instant. Tout être est porté involontairement à agir par les qualités provenant de la nature.[6] Celui qui, tout en ayant maîtrisé ses sens et ses organes, demeure inactif mais laisse son cœur se préoccuper des objets des sens est appelé un faux dévot à l’âme égarée. [7] Par contre, celui qui a subjugué ses passions et qui, indifférent au résultat, accomplit tous les devoirs de la vie avec ses facultés actives est un homme estimable. [8] Accomplis donc les actions nécessaires : l’action est supérieure à l’inaction. Ton corps mortel ne pourrait mener à bonne fin son pèlerinage terrestre en restant inactif. [9] Tout acte qui n’est pas accompli comme un sacrifice enchaîne l’acteur par l’action. Abandonne donc, ô fils de Kuntî, tout mobile égoïste et dans l’action accomplis ton devoir pour lui seul. […] [16] Celui qui, jouissant coupablement de la satisfaction de ses passions, n’apporte pas sa contribution au maintien de la rotation de la roue ainsi mise en mouvement, celui-là vit en vain, ô fils de Prithâ.[17] Mais celui qui se complaît uniquement dans le Soi intérieur, trouvant en lui et en lui seul son bonheur et son contentement, celui-là n’a pas d’intérêt égoïste dans l’action. [18] Il n’attache d’intérêt ni à ce qui est fait ni à ce qui n’est pas fait ; parmi toutes les choses créées, il n’y a pas un seul objet dont il puisse dépendre. [19] Par conséquent, fais toujours ce que tu as à faire, sans t’inquiéter de l’issue de tes actes ; car l’homme qui accomplit son devoir sans s’attacher au résultat atteint le Suprême. [20] Janaka et d’autres sont arrivés à la perfection, même par l’action. Si d’ailleurs tu ne considérais que le seul bien de l’humanité, ton devoir serait évident, [21] car tout ce qui est pratiqué par les hommes excellents est aussi pratiqué par les autres. Leur exemple, quel qu’il soit, est suivi par le monde. [22] Il n’y a rien, ô fils de Prithâ, dans les trois régions de l’univers que je doive accomplir, et rien d’accessible que je n’aie atteint ; et cependant, j’agis constamment. [23] Si je n’étais infatigablement actif, ô fils de Prithâ, tous les hommes suivraient bientôt mon exemple. [24] Si je n’agissais constamment, ces créatures périraient ; je serais la cause de la confusion des castes et j’aurais tué toutes ces créatures. [25] Ô fils de Bharata, alors que l’ignorant accomplit les devoirs de la vie dans l’espoir de la récompense, le sage, mû par le désir de conduire le monde vers le devoir et de servir l’humanité, devrait accomplir ses œuvres avec désintéressement. [26] Il ne devrait pas semer la confusion dans l’entendement des ignorants attirés vers les œuvres extérieures, mais les conduire à l’action par son propre exemple. [27] Toutes les actions sont accomplies par les qualités de la nature. L’homme abusé par l’ignorance pense : " Je suis celui qui agit ". [28] Mais s’il connaît la nature des deux distinctions de la cause et de l’effet, l’homme ne s’attache pas en agissant, ô toi aux bras puissants ! Car il sait que les qualités agissent seulement sur les qualités, et que le Soi en est distinct.[29] Ceux qui sont privés de cette connaissance attachent leur intérêt aux actions qui découlent ainsi des qualités ; et l’homme parfaitement éclairé ne devrait pas troubler ceux dont le discernement est faible et la connaissance imparfaite, ni les amener à se relâcher dans leur devoir.[30] Rapportant tout acte à moi et concentrant ta méditation sur le Soi Supérieur, résous-toi à combattre, sans espoir, exempt d’égotisme et libéré de l’angoisse.[31] Ceux qui suivent fidèlement ma doctrine sans la mépriser, et avec une foi constante, seront émancipés même par les actions ; [32] mais ceux qui la méprisent et s’en écartent sont des êtres aveugles à toute connaissance, dénués de discernement et condamnés à périr.[33] Cependant, même le sage recherche ce qui est homogène à sa propre nature. Toutes les créatures agissent conformément à leur nature ; quelle serait alors l’utilité de la restriction ? [34] Chaque entreprise des sens comporte l’attachement et l’aversion. Un sage ne devrait pas tomber sous l’empire de ces deux passions, car ce sont les ennemies de l’homme. [35] Mieux vaut accomplir son propre devoir, même dépourvu d’excellence, que d’accomplir parfaitement le devoir d’un autre. Mieux vaut périr en accomplissant son propre devoir ; le devoir d’autrui est plein de dangers. » »
Explication :
Arjuna est un prince sur le champ de bataille. Face à lui, il y a sa famille. Sur son char, Krishna est à ses côtés qui le conseille. Krishna est un Avatar, une manifestation consciente du divin dans sa totalité au sein d’un seul être humain. Krishna vient de rappeler à Arjuna que tout est le divin y compris lui Arjuna. C’est cette connaissance qui est le sommet de la vie spirituelle.
En [1] et [2], Arjuna pose ici une question légitime si la connaissance de notre nature divine vaut mieux que tout pourquoi Krishna lui demande-t-il de tuer une partie sa famille dans ce combat ? N’est-ce pas contraire au sens du devoir et à une recherche spirituelle de notre vraie nature ?
Krishna répond en [3] en rappelant qu’il y a effectivement deux voies pour connaître notre véritable nature : la voie de la connaissance ici associée plus particulièrement à la philosophie du Samkhya et la voie de l’action. Ces voies ne sont pas contraires, elles forment une double voie où action et connaissance sont complémentaires.
Pour justifier la nécessité de l’action, ce qui suit part du fait qu’aucun être humain ne peut rester dans l’inaction (cf. [5]) et donc que tout être humain doit se consacrer au divin par le bais de l’action. Les nécessités de la nature nous déterminent à agir. Par nos sens même nous restons attachés au monde de l’action (cf. [6]). La pure de voie de la connaissance ne peut donc pas nous libérer intégralement de notre ignorance comme le suggère [8]. Nous ne connaîtrons notre nature divine que si nous la reconnaissons dans notre façon de participer à l’action.
En [9], Krishna évoque le sacrifice. Il est vrai comme le dit sri Aurobindo dans ses commentaires sur La Bhagavad-Gîtâ, Albin Michel Spiritualités vivantes, p.78 que :
« il reste à résoudre une difficulté essentielle. Notre nature étant ce qu’elle est, et le désir étant le commun principe de son action, est-il possible d’instituer une action réellement sans désir ? Car ce que nous appelons ordinairement une action désintéressée n’est pas une action sans désir ; c’est seulement le remplacement de certains petits désirs personnels par d’autres désirs plus larges qui n’ont que l’apparence d’être impersonnels, vertu, patrie, humanité. Comment parvenir à la véritable absence de désir ? en faisant toutes les œuvres avec le sacrifice pour unique objet ».
Sacrifier le désir au divin permet seul de dépasser l’ombre du désir sur notre action.
Au lieu d’évoquer une nature divine nous pourrions évoquer la connaissance de l’action cosmique et de l’impulsion évolutive qui œuvre dans cette action cosmique. Une connaissance intellectuelle de l’action cosmique et de l’impulsion évolutive n’en sera jamais une connaissance pratique. On peut relire la Bhagavad-Gîtâ dans l’optique d’un travail créateur qui chercherait à se relier à l’impulsion évolutive cosmique que Bergson par exemple nomme élan vital.
Sacrifier intérieurement son désir reviendrait dans cette perspective à le consacrer à l’évolution, à un feu de besoin intérieur pour une conscience plus profonde, plus évoluée (cette notion de feu de besoin nous l’avons évoquée dans nos leçon sur La liberté créatrice, sur Doit-on aimer autrui ? ou sur N’y a-t-il de bonheur qu’égocentrique).
Les passions égocentriques sont contraires à la roue du temps (cf. [16]) qui sert toujours les intérêts divins. Nos passions même les plus créatrices s’inscrivent toujours au final dans l’évolution créatrice à l’œuvre dans le cosmos. L’égocentrisme est forcément relativisé voire écrasé au sein de logiques qui lui échappent si le sens de la manifestation cosmique est de façon prédominante universel. L’égocentrisme dans l’action isole du sens universel de la manifestation qui est le sens fondamental de l’action. Un travail égocentrique même créateur manque au fond de conscience de sa place et de son rôle dans la nature.
On pourrait rapprocher ce texte des théories stoïciennes qui nous invitent à chercher l’harmonie du tout de la nature, à réaliser en notre âme individuelle ce qui la relie à l’intelligence de la nature. La notion du Soi dont il est question ici et qui suppose dans sa réalisation une action non égoïste ressemble à l’évidence à l’intelligence de la nature selon les stoïciens. A partir de là renoncer aux fruits et aux conséquences de l’action (cf. [19]) qui ne dépendent pas de nous rappelle la distinction stoïcienne d’Épictète entre ce qui dépend de nous et n’en dépend pas. En fait les conséquences, les fruits de l’action ne dépendraient pas de nous en tant qu’individu mais seraient dépendants de l’intelligence de la nature. Toutefois la notion du Soi ici semble transcender ce qui dépendrait de nous d’après les stoïcien : notre semblant de liberté individuelle ne serait pour la Bhagavad-Gîtâ qu’une autodétermination du Soi à travers nos décisions qui semblent pourtant les plus individuelles. Même nos décisions apparemment à contrecourant de l’autodétermination du Soi s’inscrirait dans son jeu de déterminations : en ce sens la roue du temps que fait tourner le Soi ramènerait au Soi même ce qui semble aller à l’encontre la conscience du Soi.
Si on réinterprète la Bhagavad-Gîtâ dans la perspective d’une évolution créatrice, « Rien n’est Contre » la manifestation ou l’évolution créatrice : les dangers, les crises évolutives seraient les conditions pour une prochaine manifestation. Le poète Hölderlin disait déjà : « Là où il y a le danger, croît aussi ce qui sauve. »
Dans la suite du texte en [23] et [24], Krishna insiste sur le fait que toute action dans l’univers est celle du divin. On reconnaît ici une doctrine assez similaire à celle de la création continuée de Descartes. Toutefois à la différence de Descartes, en fait rien n’existerait sans le soutien de ce divin car la manifestation est en fait ici une automanifestation du divin lui-même. L’idée de création cartésienne suppose une extériorité à ce qui agit dans le créé, ici c’est la divin même qui se manifeste dans ce qui forme nos vies et notre univers. Pour l’hindouisme à la différence de Descartes et de nombreux penseurs chrétiens, tout dans la nature est une manifestation personnelle ou impersonnelle du divin. Ceci n’est pas un panthéisme qui confond dieu et la nature en mettant en mettant en doute un dieu personnel mais ceci est plutôt ce que le philosophe russe Nicolas Berdiaev (20e siècle) appelle un panenthéisme : une autocréation personnelle et impersonnelle d’un Dieu personnel libre de toute personnalité telle que en chaque point de son autocréation il est tout entier présent et telle que cependant il enveloppe son autocréation et la transcende. La pensée hindouiste préfère elle parler de manifestation plutôt de que de création qui suppose un devenir fondamental : la manifestation est juste comme un jeu de regards du divin éternel sur lui-même, elle ne fait que révéler que ce qui est déjà là.
La voie du travail, la voie de l’action est une voie pour connaître et réaliser notre nature divine : le travail et l’action la plus quotidienne sont l’occasion où nous pouvons reconnaître qu’en profondeur nous sommes l’évolution d’un regard du divin sur lui-même. Comme le sage est un exemple pour nous, plus il imitera le divin en incarnant consciemment son action, plus son exemple sera frappant.
Ce passage en [25] et [26], a des accents bergsoniens. Ainsi dans son essai La conscience et la vie tiré du recueil L’Énergie spirituelle, il explique aussi comment les moralistes ou les chercheurs spirituels tirent l’humanité en avant par leur exemple. La Bhagavad-Gîtâ laisse ouverte là encore une telle interprétation. Mais dans si cet exemple des chercheurs spirituels suit l’exemple même des actions qui répondent au Soi et ces actions répondant au Soi et imitées par les chercheurs spirituels régénèrent l’univers plutôt qu’elles ne semblent le faire évoluer.
Tant que nous agissons pour une récompense nous passons à côté de notre nature car nous passons à côté de la nature de l’action pour en tirer un quelconque produit. Ce n’est pas le produit qu’il faut chercher à posséder mais c’est le processus qu’il nous faut réaliser. Par exemple au niveau des sens, ce n’est pas l’objet du regard qu’il nous faut convoiter mais il nous faut comprendre en quoi cet acte de regarder est un acte de la manifestation divine elle-même.
Mais ce schéma se complique car le divin est à la fois le manifesté, l’ensemble des actions manifestées et se manifestant mais aussi le non manifesté en dehors de l’action. Comme dans la plupart des traditions religieuses et philosophiques le divin est ici à la fois immobilité et action, travail et repos simultanément. L’action parfaite conduirait au sens de la manifestation du Soi immobile comme simplement un changement voire une évolution de regard de la vie sur elle-même conduirait à percevoir que l’Être de la vie reste toujours semblable à lui-même. L’action parfaite conduirait à l’objet même de la voie spirituelle de la connaissance : ce qu’en Inde on appelle souvent le Soi.
La connaissance du Soi implique donc de reconnaître aussi comme en [27] et [28] que nous ne sommes pas en tant qu’individu l’auteur de nos actes. Le Soi reste aussi en dehors du tout, le tout est une manifestation de qualités qui se commandent les unes les autres, l’action est un processus de ces qualités dont celles qui fondent la manifestation d’une individualité. Au fond pour réaliser le soi, notre individualité doit prendre conscience qu’elle ne fait que répondre en tant qu’acte au Soi qui reste en dehors de l’action (cf. [29]). Ainsi un critère de notre avancée sur la voie du travail est notre sentiment d’effort : plus nous sentons que nous faisons des efforts plus nous sommes identifiés à notre travail, plus nous nous en croyons l’auteur ; et à l’inverse plus nous devenons conscient que notre action répond au Soi, moins nous avons l’impression de faire des efforts.
Le sens de la voie spirituelle du travail rejoint donc la voie de la connaissance : par la connaissance nous réalisons que nous avons toujours été le Soi, par le travail nous réalisons que les actes n’ont toujours fait que répondre de façon plus ou moins directe au Soi.
Le texte en [30] reviens alors sur la question d’Arjuna à propos du combat. On pourrait croire qu’il s’agirait alors d’être fidèle à son devoir pour vraiment être sur la voie spirituelle de l’action. Toutefois sri Aurobindo nuance cette interprétation. Sri
Aurobindo, dans des extraits de ses commentaires sur La Bhagavad-Gîtâ, Albin Michel Spiritualités vivantes, p.42, écrit :
« C’est une erreur d’interpréter la Gîtâ du point de vue de la mentalité d’aujourd’hui, et de vouloir lui faire enseigner l’accomplissement désintéressé du devoir comme la loi suprême et suffisante. Car l’objet même de son enseignement, ce qui en fournit l’occasion, ce qui oblige le disciple à venir vers le Maître, c’est le conflit inextricable des conceptions du devoir, multiples et voisines, conflit qui aboutit à l’effondrement de l’entier édifice pratique – intellectuel et moral - érigé par le mental humain. La Gîtâ n’enjoint pas d’accomplir avec désintéressement les devoirs, mais de vivre la vie divine, d’abandonner tous les dharmas, sarvadharmân, afin de prendre comme seul refuge, le suprême. »
Cette interprétation permet à la suite de sri Aurobindo de lier la Bhagavad-Gîtâ à une philosophie de l’évolution créatrice. La voie spirituelle de l’action ou du travail n’a pas simplement pour but de conserver le monde en l’état, elle pourrait permettre de se relier consciemment à l’impulsion créatrice qui fait évoluer le regard de la vie sur elle-même. L’inspiration créatrice s’élèverait alors grâce à la voie du travail dans un sens véritablement cosmique et non plus titanesque ou prométhéen. L’inspiration ne viendrait pas seulement déplacer les problématiques soulevées par notre regard mental humain ajoutant une nouvelle connaissance mentale aux anciennes mais elle pourrait engendrer en nous un nouveau regard de la vie sur elle-même au-delà du regard mental.
Toutefois les dimensions cosmiques et transcendantes de l’évolution ne doivent pas nous faire de vue qu’elles impliquent aussi une dimension individuelle de l’évolution comme le suggèrent [33] et suivants. La dimension individuelle dont il est question ne concerne pas nos préférences et nos aversions. Si nous avions encore des préférences et des aversions, nous ne serions pas libres dans nos actions comme le dit [34]. Ce qui caractérisera notre individualité si on suit la Gîtâ en [35] est notre devoir spécifique.
A ce sujet, sri Aurobindo dans le recueil des extraits de ses commentaires La Bhagavad-Gîtâ, Albin Michel Spiritualités vivantes, p.91-92 écrit :
« L’homme n’est pas comme le tigre, le feu et l’orage ; il ne peut tuer et dire ensuite comme justification suffisante : « j’agis selon ma nature ». Il ne peut agir ainsi parce qu’il n’a pas la nature, ni par conséquent la loi d’action, svadharma, du tigre, du feu ou de l’orage. Il a une volonté consciente intelligente, buddhi, qu’il doit prendre comme critère de ses actions. s’il ne le fait pas, s’il agit aveuglément suivant ses impulsions et ses passions, la loi de son être n’est pas réalisée [...] il a agi, non pas dans la pleine mesure de son humanité, mais comme pourrait le faire un animal. [...] C’est selon notre nature humaine que doit être notre perfection humaine ; et chaque homme doit s’efforcer de l’atteindre en suivant la ligne de sa propre personnalité, son svadharma, mais dans la vie, dans l’action, et non pas en dehors de la vie et de l’action. »
b) – Principes montrant l’existence d’une voie spirituelle des œuvres.
Cette voie spirituelle du travail a-t-elle une pertinence si on veut demeurer en dehors de toute allégeance religieuse ?
Notre leçon sur la liberté créatrice nous a appris que notre action était la plupart du temps déterminée. Même quand nous sommes libre nous n’agissons forcément qu’en tant qu’individualisation de l’univers. Nous ne sommes pas en tant qu’ego l’auteur de nos actes. Nos volontés individuelles égocentriques, tribales, ethnocentriques voire anthropocentriques sont illusoires. Notre volonté ne deviendrait vraiment individuelle que quand elle serait consciemment l’expression émergente d’une impulsion créatrice participant à l’évolution de l’univers.
La Gîta peut dans ce contexte assez aisément se voir réinterpréter et s’appliquer : l’impulsion créatrice serait les mouvements et les qualités nouvelles de manifestation du Soi. Le déterminisme apparent serait dû aux processus habituels des qualités manifestées par le Soi. Le Soi pourrait être compris comme le principe d’individualisation transcendant commun à toutes les individualisations. L’ego qui n’est qu’un reflet de l’individualisation dans le jeu cosmique des qualités ne serait jamais l’auteur de ce qu’il considère comme ses actions. Par contre notre individualité authentique qui exprimerait l’individualisation multiple à l’œuvre dans les processus de l’univers aurait une action sur les processus cosmiques en tant que la manifestation individuelle et la manifestation cosmique ont la même origine transcendantes.
« Travailler pour gagner plus » est un motif de travail insuffisamment spiritualisé et donc déterminé par les pulsions de reconnaissance et d’appropriation qui restent un héritage de notre animalité. Les plaisirs fugitifs liés à la réalisation de ces pulsions nous séparent du simple plaisir d’exister et surtout nous masquent une pure joie créatrice d’être dont le travail est une voie d’accès privilégiée (voir sur ce concept la leçon N’y a-t-il de bonheur qu’égocentrique ? sur la joie créatrice de Bergson qui à l’évidence est à rapprocher sur ce point des idées de Nietzsche sur le travail).
Une voie spirituelle du travail doit travailler autant à spiritualiser dans le respect de sa dignité la personne par qui il s’effectue qu’à servir la constitution d’une œuvre. La satisfaction des besoins naturels nécessaires tant que nos sociétés n’auront pas rompu avec ce reste d’animalité nous oblige à gagner notre vie mais notre travail est de participer à changer ce regard de la vie sur elle-même.
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